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vendredi, 17 novembre 2006

Interpréter Racine

Andromaque de Racine demain samedi 18 novembre à 21 h à Saint Quentin en Yvelines, au théâtre du Prisme : dans une mise en scène de Philippe Adrien, avec Anne Agbadou-Masson, Jenny Bellay, Christine Braconnier, Jean-Marc Hérouin, Wolfgang Kleinertz, Catherine Le Hénan, Bruno Ouzeau, Nathalie Vairac...

Rencontre avec le théâtre de Jean Racine, avec Philippe Adrien le Samedi 18 novembre à 18h30

Le Prisme – quartier des 7 Mares – 78990 Elancourt

 

Pleine de rebondissements, l’histoire d’Andromaque ne cesse de nous surprendre. C’est dans un esprit à la fois palpitant et lumineux qu’est présenté le destin d’Andromaque, veuve d’Hector et prisonnière de Pyrrhus auquel elle envisage de céder, dans l’unique espoir de sauver son fils. Face à elle, Hermione en épouse bafouée et Oreste en amant manipulé complètent cette chaîne de l’amour à sens unique : Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui aime Hector, qui est mort. Fin de la chaîne. En toile de fond de l’intrigue, la fin d’une guerre mythique, dans une Troie vaincue, un théâtre de sang et de larmes. Les personnages de Racine, humains, très humains, sont pris au piège de leurs sentiments : amour fou, haine vengeresse, résistance inutile… et abandon. Submergés par les contradictions de leurs calculs et de leurs désirs, perdus dans leurs fausses promesses et leurs vaines résolutions, ils offrent le spectacle de leur désarroi : ridicules et pitoyables dans leur mauvaise foi et leurs justifications, mais plus encore déchirants, douloureux et pathétiques dans la fragilité de leur défaite. Pris au piège de la passion, de la confusion du cœur et des sens, ils en perdent toute raison au terme d’une course qui ne peut les mener qu’au meurtre, au suicide ou à la folie. Evidemment pas la plus facile, cette pièce est pourtant l’une des plus belles du répertoire classique, où musicalité des vers et jeu des acteurs explorent en duo les profondeurs de l’âme.

Philippe Adrien, le metteur en scène, se frotte pour la première fois à une pièce de Racine. Acteur et metteur en scène prolifique, directeur du théâtre de la Tempête où il offre une résidence aux compagnies sans théâtre, il devient également professeur d’interprétation au Conservatoire des Arts Dramatiques en 1988. C’est en travaillant avec ses étudiants sur la musicalité des vers de Racine qu’il accepte de monter Andromaque, rêve toujours repoussé en raison de la haute idée qu’il se faisait de l’œuvre du tragédien.

 

«  Le spectacle trouve un point d’équilibre frissonnant entre l’action captivante et la beauté monumentale du texte. Le décor épuré dessine, autour d’Andromaque, la prison dans laquelle tous les protagonistes sont finalement retenus par leurs désirs. Au coeur de ce dispositif sobre, l’intensité des acteurs tient en haleine. Comme pour un grand cru, Philippe Adrien a pris soin de ce texte, se préoccupant d’en libérer tous les arômes. Chaque vers, long en bouche, est servi avec cette délicatesse rituelle qui conditionne une dégustation. Derrière la poignante Andromaque de Catherine Le Hénan, tous les acteurs contribuent pleinement à cet assemblage homogène et subtil. On découvre ainsi dans cette musique littéraire des saveurs intenses, insoupçonnées dont l’émotion nous submerge.  » http://www.celestins-lyon.org/index.php?id=151

 

 «  Chez tous, il y a de l’émotion et cette manière particulièrement belle de s’approprier le vers. »  Pariscope

 

***

 

« Il suffit d’avoir une fois lu ou entendu des vers de Racine pour être à jamais marqué par le mystère de leur transparence, si parfaitement accordé à cet idéal de représentation, à cette forme pure qu’est la tragédie classique dont le modèle nous semble valoir pour l’éternité. »

C’est ainsi que j’introduisais mon propos lorsque, au Conservatoire, j’abordais cette forme de théâtre avec mes élèves... Quant à passer à l’acte de mettre en scène une de ces tragédies, l’idée si haute que je m’en faisais, à l’évidence, me l’interdisait.

Tout récemment, dans le cadre d’un atelier où, une fois encore, je m’employais à faire partager aux acteurs mes goûts et mes conceptions, le feu s’est emparé de quelques-uns qui ont souhaité mener plus loin ce que nous avions engagé. C’est ainsi que, presque à mon insu, et pour la première fois, je réalise le rêve qui me semblait impossible : la mise en scène d’une tragédie de Racine. 

Quel est notre parti ? Il faut bien sûr dire les vers, et en révéler la musicalité. Il s’agit pourtant d’un dialogue dramatique. C’est précisément cette contradiction apparente entre la poésie et l’effet de parole, c’est ce paradoxe qu’il faut soutenir.

Fasciné par la forme, on aurait tendance à faire peu de cas de la narration. Racine y a cependant prêté la plus grande attention. Andromaque, tout spécialement, est une pièce dont l’action pleine de rebondissements ne cesse de nous surprendre et de nous passionner.

Interpréter Racine

« Il est rare que je parle de l'« expression » d'un acteur, non, je m'intéresse plutôt à vos sensations, vos pensées, vos émotions, étant entendu qu'il ne s'agit pas de les exhiber mais de faire en sorte qu'elles affleurent, en dépit du personnage et presque malgré vous… Tenez, c'est dans la scène : Et vous le haïssez ? Avouez-le, Madame, / L'amour n'est pas un feu qu'on renferme en une âme : / Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux… On ne saurait mieux dire. Ce vers vient confirmer le point de vue selon lequel il ne s'agit pas d'exprimer mais bien de se trahir… Racine… Nous sommes devant une difficulté majeure, à la mesure de l'oeuvre, et nous ne pouvons manquer d'éprouver de l'appréhension.

L'idée de variation ludique, si chère à Antoine Vitez, me laisse perplexe même si dans une pratique telle que la nôtre, il est naturel de se montrer disponible à toutes les propositions, idées et expériences possibles. On ne peut pas travailler dans le respect. Pour avoir une chance d'atteindre l'essentiel, il faut du jeu. Dans ma quête d'une relation authentique avec l’oeuvre, je présuppose l'existence d'une théâtralité adéquate et exemplaire. Peu importe que ce soit là une pure fiction, elle me soutient. Même si la pièce a été jouée des milliers de fois, pour les acteurs et pour moi-même, ce doit être comme la première fois. Dans le meilleur des cas, dramaturgie et mise en scène attestent cette virginité. La représentation est perçue non pas comme une version parmi d'autres possibles mais comme inédite, évidente et nécessaire... Une pertinence hors référence...

Alors, comment y atteindre avec Racine ? Vous vous méfiez : il y aurait antinomie entre jouer et dire ; les acteurs, aujourd'hui, ne sont plus des diseurs, ils ne récitent ni ne déclament, ils jouent et parlent tout simplement. Croyez bien que vous et moi ne sommes pas en désaccord sur ce sujet. La valeur poétique du texte, en l'occurrence du vers, n'y change rien: il sera, en situation, énoncé par un personnage qui dit «je » et auquel tout devra être rapporté. Je vous assure que si vous vous tenez rigoureusement à ce principe, vous échapperez à l'artifice.

Il n'empêche que la tragédie classique est fondée sur une règle, précisément sur un principe : « l'art de plaire selon les règles ». Racine nous ramène, une fois de plus, à cette question fondamentale de la liberté et des contraintes. Dans les pratiques artistiques, imposer une règle suscite deux types de réaction : l'obéissance et l'académisme, ou une revendication de liberté et toutes formes d'insurrection. Racine lui-même, tout en obéissant à la règle, trouve moyen de faire valoir la spécificité de son inspiration. Dès lors, quant au traitement et à l'interprétation de son théâtre, faut-il absolument choisir entre ces deux termes : contrainte ou liberté ? Évidemment non ! Pour dire les vers, il faut les aimer…

Ce n'est pas abstrait, c'est un rapport sensible, voire sensuel au verbe, un plaisir de langue et d'oreille… d'intelligence aussi : comment le sens se diffuse, s'exhale, s'embrume dans la phrase soumise à la règle de l'alexandrin. De la même manière, cet aspect de discours construit, il serait vain de prétendre l'évacuer, je crois qu'il faut s'y attacher et bien saisir que dans ce théâtre où la parole est action, la rhétorique nous met sur la voie de découvrir la stratégie intime des êtres.

Attention, le théâtre de Racine n'est pas qu'un théâtre de texte, le réduire au seul poème ou au seul discours est une erreur. Intéressons-nous aussi à la fable, à l'action, au contenu… »

Philippe Adrien, Instant par instant, éditions Actes Sud-papiers, 1998

 

***

 

Un peu d'histoire

 

« Le 17 novembre 1667, Leurs Majestés eurent le divertissement d’une fort belle tragédie, par la troupe royale, en l’appartement de la Reine, où étoient quantité de seigneurs et de dames de la Cour » (Gazette royale, 19 novembre 1667)

 

 

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« La Cour qui, selon ses désirs,

Tous les jours change de plaisirs,

Vit jeudi certain dramatique

Poème, tragique et non comique,

Dont on dit que beaux sont les vers

Et tous les incidents divers,

Et que cette œuvre de Racine,

Maint autre rare autheur chagrine. »

Robinet, Lettre en vers  du 19 novembre 1667

 

Andromaque, la première grande tragédie de Racine est créée devant la reine par la troupe de l'Hôtel de Bourgogne.

Racine, brouillé avec Molière depuis 1665, a également rompu avec Port-Royal en 1666. Il fréquente le cercle d’Henriette d’Angleterre, exilée à Saint-Germain, et vit une liaison passionnée avec Marquise Du Parc, qu’il a « enlevée » en mars à la troupe  de Molière pour la faire entrer dans celle de l'Hôtel de Bourgogne. Il écrit pour elle le rôle-titre d’Andromaque, veuve et mère, comme la Du Parc l’est aussi dans la vie.

La pièce est ensuite représentée au Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, entre le 19 et le 26 novembre.

 

« ... J’ay vu la Pièce, toute neuve,

d’Andromaque, d’Hector la veuve,

Qui, maint Siècle après son Trépas,

Se remontre pleine d’Appas,

Sous le visage d’une Actrice,

Des Humains grande Tentatrice,

Et qui, dans un Deuil très pompeux,

Par sa voix, son geste et ses yeux,

Remplit, j’en donne ma parole,

Admirablement bien son Rôle.

C’est Mademoiselle du Parc,

Par qui le Petit Dieu Porte-Arc,

Qui lui sert de fidelle Escorte,

Fait des Siennes d’étrange sorte.

Pyrrhus la retient en sa cour,

Captive de Guerre et d’Amour,

Depuis le Désordre de Troye,

Où le Vainqueur en fit sa Proye,

Comme d’Astianax, son Fils,

Reste des Troyens déconfis;

Et ce prince qui la Veuve aime,

Sans qu’il en soit aimé de même,

Est en relief représenté,

par cet Acteur si fort vanté,

Qui souffre peu de Parallèle,

Et lequel Floridor s’appelle.

Oreste (....)

Et cet Oreste Frénétique,

Là, Personnage Episodique,

Est figuré par Montfleury

Qui fait mieux que feu Mondory...

(...)

Ainsi, Pyrrhus est mis à mort

Par l’ordre de cette Hermione,

Qu’on voit agir en la Personne

De l’excellente Des Œillets,

Qui pousse, je vous le promets,

Ce Rôle de telle manière,

Qu’elle en a gloire très plénière... »

Robinet, Lettre en vers du 26 novembre :

 

Les partisans de Corneille se déchaînèrent contre Andromaque, à coups d’épigrammes et de pamphlets.

 

« La racine s’ouvrant une nouvelle voie

Alla signaler ses vertus

Sur les débris pompeux de la fameuse Troie

Et fit un grand sot de Pyrrhus,

D’Andromaque une pauvre bête

Qui ne sait où porter son coeur,

Ni même où donner de la tête,

D’Oreste, roi d’Argos, un simple ambassadeur,

Qui n’agit toutefois avec le roi Pylade

Que comme un argoulet,

Et, loin de le traiter comme son camarade,

Le traite de maître à valet. »

 

La Du Parc meurt en 1668, remplacée dans le rôle d’Andromaque par Mlle Dennebaut. La Champmeslé reprend après 1670 le rôle d’Hermione qui avait été créé par la Des Œillets.

Commentaires

Grand bonjour "voisine" et merci pour votre message sur le même thème, votre article est passionnant ! A bientôt "chez vous" ou "chez nous" ! Amicalement.

Écrit par : La fargussienne | lundi, 27 novembre 2006

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