Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 06 janvier 2009

La France a froid ! "Mes amis, au secours !"

trebuchet.jpgAlerte météo : 27 départements en vigilance orange neige-verglas, et on nous annonce que l'on va descendre en dessous de -10° à partir de mercredi ! vols annulés au départ de l'aéroport de Roissy et quelque 1.600 passagers qui n'ont pu embarquer au cours de la journée sont hébergés dans l'aéroport. La consommation française d'électricité a atteint un record historique ce lundi soir à 19h à 90.200 mégawatts, et la consommation pourrait même culminer à près de 91.000 MW mardi 6 et mercredi 7 janvier, selon RTE ... Bref, la France a froid ! "Mes amis, au secours !" criait l'abbé Pierre en 1954 ... et pourtant cette semaine encore, la mort de nombre de sans-logis, recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu, ouvrira les actualités du 20 heures.

 

Mais se souvient-on qu'il y a exactement 3 siècles, un hiver exceptionnellement froid s'abattait sur la France ? L'hiver de 1709 fut sans doute l'un des plus terribles. Les indications relevées dans les registres paroissiaux permettent d'établir une température de – 28° à – 30°C.

Dans les campagnes, les paysans grelottent et la famine menace. Les arbres éclatent sous l'effet du gel, les animaux crèvent à l'étable, la terre est si dure qu'il faut enterrer provisoirement les morts nombreux dans l'intérieur des églises. A Versailles, les cheminées, mal conçues, ne parviennent pas à réchauffer les appartements royaux. Des domestiques indiquent dans leurs mémoires que "le vin du roi gelait dans les carafes" et que "celui-ci l’exposait à la chaleur des flammes pour en boire". Louis XIV renonce un temps à ses sorties quotidiennes et demeure cloîtré dans ses logements. Son petit-fils, le duc de Berry, n’a pas la sagesse de l’imiter. Malgré les rigueurs de l’hiver, il part chasser dans la forêt de Versailles. L’un de ses valets, porteur des fusils royaux, revient au palais les doigts en si mauvais état qu’il faut l’amputer d’urgence …

La vague de froid est particulièrement incroyable entre le 10 et le 21 janvier. Les températures, de jour comme de nuit tournent alors autour de -20 ° à Paris. Vers les 13 et 14 janvier des températures descendent jusqu'à -23° et une température de -26° est enregistrée à Paris. A Bordeaux les températures descendent jusqu'à -20,5°, à Montpellier jusqu'à -16 ° et à Marseille jusqu'à –17,5°. Fleuves et rivières sont gelés, même le Rhône. La mer est bloquée par les glaces dans les ports et sur les côtes. Fin février la température est encore de -6,9° puis en mars elle remonte de quelques degrés. Le 15 mars débute alors une spectaculaire débâcle de la Seine générant une importante inondation rendant encore impossible le ravitaillement de Paris. La Seine entre en crue. Ses flots impétueux emportent dans leur course de nombreuses embarcations qui se fracassent violemment contre les piliers des ponts. Le 5 avril, Paris est approvisionné pour la première fois depuis trois mois ! Mais le constat est épouvantable, toutes les récoltes sont pourries. Le 23 avril, par arrêté royal, Louis XIV autorise à ressemer chaque parcelle de terrain.

De nombreux lettres, mémoires, et registres paroissiaux attestent de l'horreur de cet hiver 1709.


chasseurs.jpg"La nuit du 5 au 6 janvier 1709, il commença un hiver qu'on appellera jusqu'à la fin du monde le gros hiver ... il dura trois mois d'une force incroyable, entremêlé de dégels, qui ne duraient que quelques heures, de neige que le vent chassait dans les endroits les plus bas, de sorte que tous les blés furent gelés et on n'a point échappé un seul grain de colza ... Les plus gros chênes des bois et la plupart des autres arbres se fendaient de part en part ; les pruniers, abricotiers, cerisiers moururent ; et les autres arbres ou engelés ou à demi gâtés. Dès que les marchands de grains virent les grains gelés, ils en haussèrent le prix très considérablement ... C'était du méchant métillon qu'on ne savait vendre auparavant". (Abbé Dubois, curé de la paroisse de Rumegnies)

De son côté, Saint-Simon constatait : "Madame de Maintenon fut heureuse d'avoir à s'avantager de l'excès du froid. Il prit subitement la veille des rois, et fut près d'un mois au-delà de tout souvenir. En quatre jours la Seine et toutes les autres rivières furent prises, et, ce qu'on n'avait jamais vu, la mer gela à porter le long des côtes. Les curieux observateurs prétendirent qu'il alla au degré où il se fait sentir au-delà de la Suède et du Danemark. Les tribunaux en furent fermés assez longtemps. Ce qui perdit tout et fit une année de famine en tout genre de productions de la terre, c'est qu'il dégela parfaitement sept ou huit jours, et que la gelée reprit subitement et aussi rude qu'elle avait été. Elle dura moins, mais jusqu'aux arbres fruitiers et plusieurs autres fort durs, tout demeura gelé. [...]

"L'hiver, comme je l'ai déjà remarqué, avait été terrible, et tel, que de mémoire d'homme on ne se souvenait d'aucun qui en eût approché. Une gelée, qui dura près de deux mois de la même force, avait dès ses premiers jours rendu les rivières solides jusqu'à leur embouchure, et les bords de la mer capables de porter des charrettes qui y voituraient les plus grands fardeaux. Un faux dégel fondit les neiges qui avaient couvert la terre pendant ce temps-là; il fut suivi d'un subit renouvellement de gelée aussi forte que la précédente, trois autres semaines durant. La violence de toutes les deux fut telle que l'eau de la reine de Hongrie, les élixirs les plus forts, et les liqueurs les plus spiritueuses cassèrent leurs bouteilles dans les armoires de chambres à feu, et environnées de tuyaux de cheminée, dans plusieurs appartements du château de Versailles, où j'en vis plusieurs, et soupant chez le duc de Villeroy, dans sa petite chambre à coucher, les bouteilles sur le manteau de la cheminée, sortant de sa très petite cuisine où il y avait grand feu et qui était de plain-pied à sa chambre, une très petite antichambre entre-deux, les glaçons tombaient dans nos verres. C'est le même appartement qu'a aujourd'hui son fils.

Cette seconde gelée perdit tout. Les arbres fruitiers périrent, il ne resta plus ni noyers, ni oliviers, ni pommiers, ni vignes, à si peu près que ce n'est pas la peine d'en parler. Les autres arbres moururent en très grand nombre, les jardins périrent et tous les grains dans la terre. On ne peut comprendre la désolation de cette ruine générale. Chacun resserra son vieux grain. Le pain enchérit à proportion du désespoir de la récolte. Les plus avisés ressemèrent des orges dans les terres où il y avait eu du blé, et furent imités de la plupart. Ils furent les plus heureux, et ce fut le salut, mais la police s'avisa de le défendre, et s'en repentit trop tard. Il se publia divers édits sur les blés; on fit des recherches, des amas; on envoya des commissaires par les provinces trois mois après les avoir annoncés, et toute cette conduite acheva de porter au comble l'indigence et la cherté, dans le temps qu'il était évident par les supputations qu'il y avait pour deux années entières de blés en France, pour la nourrir tout entière, indépendamment d'aucune moisson.

Beaucoup de gens crurent donc que messieurs des finances avaient saisi cette occasion de s'emparer des blés par des émissaires répandus clans tous les marchés du royaume, pour le vendre ensuite au prix qu'ils y voudraient mettre, au profit du roi, sans oublier le leur. Une quantité fort considérable de bateaux de blés se gâtèrent sur la Loire, qu'on fut obligé de jeter à l'eau, et que le roi avait achetés, ne diminuèrent pas cette opinion, parce qu'on ne put cacher l'accident. Il est certain que le prix du blé était égal dans tous les marchés du -royaume; qu'à Paris des commissaires y mettaient le prix à main-forte, et obligeaient souvent les vendeurs à le hausser malgré eux; que sur les cris, du peuple combien cette cherté durerait, il échappa à quelques-uns des commissaires, et dans un marché à deux pas de chez moi, près Saint-Germain des Prés, cette réponse assez claire, Tant qu'il vous plaira, comme faisant entendre, poussés de compassion et d'indignation tout ensemble, tant que le peuple souffrirait qu'il n'entrât de blé dans Paris que sur les billets de d'Argenson, et il n'y en entrait pas autrement. D'Argenson, que la régence a vu tenir les sceaux, était alors lieutenant de police, et fut fait en ce même temps conseiller d'État, sans quitter la police. La rigueur de la contrainte fut poussée à bout sur les boulangers, et ce que je raconte fut uniforme par toute la France. Les intendants faisaient dans leurs généralités ce que d'Argenson faisait à Paris; et par tous les marchés, le blé qui ne se trouvait pas vendu au prix fixé, à l'heure marquée pour finir le marché, se remportait forcément, et ceux à qui la pitié le faisait donner à un moindre prix étaient punis avec cruauté. ".

Car le commerce des grains et des farines est strictement réglementé, on ne vend pas où on veut et comme on veut, ni à qui on veut. La police des grains est tout à la fois l’administration et le maintien de l’ordre. Quand les récoltes sont mauvaises et que les prix ont alors tendance à monter, le pouvoir royal intervient, mais les "jours sans pain" reviennent très souvent, d'où les multitudes des "révoltes de la faim" contre la cherté, l’accaparement ou le départ des grains.

loup-2.jpgEt la Princesse Palatine, femme de Monsieur frère du roi, s'émeut de la famine qui afflige et décime la population : "Le froid est si horrible en ce pays-ci que depuis 1606, à ce qu’on prétend, on n’en a pas vu un tel. Rien qu’à paris, il est mort 24 000 personnes du 5 janvier à ce jour." (Versailles, Lettres, 2 février) ou " il y a beaucoup de gens gelés dans les campagnes; des bandes de loups font aussi d'affreux ravages : ils ont dévoré le courrier d'Alençon et son cheval; devant la ville de Mons, deux loups ont attaqué un marchand : un lui sauta à la gorge et commença à déchirer son justaucorps; il cria : deux dragons qui se promenaient hors de la ville vinrent au secours du marchand; l'un tire son épée, et en perce le loup de part en part; le loup laisse le marchand, saute sur le dragon et le saisit au cou. Son camarade s'empresse de venir à son secours, et il abat le loup, mais déjà la cruelle bête avait étranglé le dragon. Le second loup vient par derrière, terrasse l'autre dragon et le mord par derrière. Lorsqu'on arriva de la ville pour prêter assistance, on trouva deux dragons et un loup étendus morts; l'autre loup s'était enfui." (Versailles, Lettres, 9 février), ou encore "Je n'ai de ma vie vu une époque aussi triste : les gens du peuple meurent de froid comme des mouches. Les moulins se trouvent arrêtés, et cela a fait mourir beaucoup de gens de faim. Hier, on m'a raconté une douloureuse histoire au sujet d'une femme qui a volé du pain à Paris, dans la boutique d'un boulanger : le boulanger veut l'arrêter, elle dit en pleurant "si l'on connaissait ma misère, on ne voudrait pas m'enlever ce pain, j'ai trois petits enfants tout nus; ils demandent du pain; je ne puis y tenir et voilà pourquoi j'ai volé celui-là." Le commissaire devant lequel on avait conduit la femme lui dit de le mener chez elle; il y vint, et trouva trois petits enfants empaquetés dans des haillons et assis dans un coin, tremblant de froid comme s'ils avaient la fièvre; il demanda à l'ainé "où est votre père ?" l'enfant répondit : "il est derrière la porte." Le commissaire voulut voir ce que faisait le père derrière la porte, et il recula saisi d'horreur : la malheureux s'était pendu dans un accès de désespoir. Pareilles choses arrivent chaque jour." (Lettres, 2 mars 1709)

Et toujours Saint-Simon " Mais pour revenir à l'année 1709, (...) personne ne pouvait plus payer, (...) les gens de la campagne, à bout d'exactions et de non-valeurs, étaient devenus insolvables. Le commerce tari ne rendait plus rien, la bonne foi et la confiance abolies. Ainsi le roi n'avait plus de ressource que la terreur et l'usage de sa puissance sans bornes, qui, tout illimitée qu'elle fût, manquait aussi, faute d'avoir sur quoi prendre et s'exercer. Plus de circulation, plus de voies de la rétablir. Le roi ne payait plus même ses troupes, sans qu'on pût imaginer ce que devenaient tant de millions qui entraient dans ses coffres. " Les souffrances de la population de fantômes sont donc aggravées par les meurtres, les saccages et les pillages perpétrés par les soldats engagés par Louis XIV dans la guerre de succession d'Espagne. Des gens étaient tués parce qu'ils refusaient de donner aux soldats les maigres provisions dont ils disposaient encore. La mortalité fut effroyable : dans certains villages elle était parfois brusquement multipliée par dix : morts de famine, morts d'assassinat ...

On se nourrit de pain de son, d'orties cuites, de racines et d'entrailles nauséabondes de bestiaux, et pour les plus chanceux, de pains fait de farines d' orge et d'une soupe de pois, de pains coupés en morceaux et de graisse ...La maladie s’attaque aux organismes affaiblis, la dysenterie, la fièvre, le typhus, le paludisme ou la variole emportent des milliers de personnes, en majorité des vieillards et des enfants. Et l'été revenu, tous les paysans sous-alimentés et affaiblis partent sur les chemins de France pour tenter de trouver de quoi se nourrir et travailler et contribuent à la prolifération de ces maladies créant ainsi de grandes épidémies. La France subira ainsi une crise démographique sans pareil puisque l'on constate qu'entre le premier janvier 1709 et le premier janvier 1711, la population diminue de 810.000 habitants sur une population globale de 22 millions de Français !

Jacquerie2.jpgCertains se révoltent, des émeutes éclatent, suscitées par des affamées. Le 12 août, la Palatine écrit : "On travaille au rempart et à la porte Saint-Martin et on donne à chaque ouvrier trois sous et une miche de pain. Il y en avait deux mille. [...] Mais il en vint quatre mille qui demandèrent à grands cris du pain et de l’ouvrage [...] ils coururent aux boulangeries et les dévalisèrent [...] Les soldats se virent dans la nécessité d’en tuer quelques-uns à coups de fusil. Cela dura de quatre heures du matin jusqu’à midi. " Louis XIV, pour donner l'exemple, exige que la Cour se nourrisse de pain bis.

Et Saint-Simon raconte : "La cherté de toutes choses, et du pain sur toutes, avait causé de violentes émotions dans toutes les différentes parties du royaume. Paris s'en était souvent senti, et quoiqu'on eut fait demeurer près d'une moitié plus que d'ordinaire du régiment des gardes pour la garde des marchés et des lieux suspects, cette précaution n'avait pas empêché force désordres en plusieurs desquels Argenson courut risque de la vie. [...] Il arriva que le mardi matin 20 août, le pain manqua sur un grand nombre."

Rapidement un début d'émeute se développe et le lieutenant général de police d'Argenson, commandant les régiments des gardes françaises et suisses, réprime une émeute au Palais-Royal. Au moins 40 morts d'après la Palatine ...

Le même jour, le maréchal de Boufflers, voit des femmes de la Halle et des laquais sans emploi marcher les poings levés en hurlant : "Du pain ! Nous voulons du pain !" "Dites au roi notre misère !" crient les meneurs au maréchal. C'est encore Saint-Simon qui raconte : "arrivés au haut de la rue Saint-Denis, la foule et le tumulte firent juger au maréchal de Boufflers qu'il était temps de mettre pied à terre. Il s'avança ainsi à pied avec le Duc de Gramont parmi ce peuple infini et furieux auquel le maréchal demanda ce que c'était, pourquoi tout ce bruit, promettant du pain et leur parlant de son mieux avec douceur et fermeté, leur remontrant que ce n'était pas comme il fallait demander. Il fut écouté ! il y eut des cris à plusieurs reprises de "Vive Monsieur le maréchal de Boufflers !" qui s'avançait toujours parmi la foule et lui parlait de son mieux. Il marcha ainsi avec le Duc de Gramont le long de la rue aux ours, et dans les rues voisines, jusqu'au plus fort de cette espèce de sédition. Le peuple le pria de représenter au Roi sa misère et de lui donner du pain. Il le promit et, sur sa parole, tout s'apaisa et se dissipa, avec des remerciements et des nouvelles acclamations de "Vive Monsieur le maréchal de Boufflers !"

Ce fut un véritable service : Argenson y marchait avec des détachements des gardes françaises et suisses, et sans le maréchal, il y aurait eu du sang répandu, qui aurait peut-être porté les choses fort loin. On faisait même déjà monter à cheval les mousquetaires.

A peine le maréchal était-il rentré chez lui à la Place Royale avec son beau-père, qu'il fut averti que la sédition était encore plus grande au Faubourg Saint-Antoine : il y courut aussitôt (...) et l'apaisa comme il avait fait l'autre. Il revint après chez lui manger un morceau et s'en alla à Versailles. Il ne voulut que sa chaise de poste, un laquais derrière et personne avec lui à cheval jusqu'au cours, affectant de traverser tout Paris de la sorte. A peine fut-il sorti de chez lui à la Place-Royale que le peuple des rues et les gens des boutiques se mirent à crier qu'il eut pitié d'eux, qu'il leur fit donner du pain [...]" aussitôt après on pourvut bien soigneusement au pain, Paris fit rempli de patrouilles, peut-être un peu trop, mais qui réussirent si bien qu'on n'entendit pas depuis le moindre bruit."

"Votre peuple, Sire, que vous devriez aimer comme vos enfants, et qui vous a toujours été si dévoué, est en train de mourir de faim", écrit Fénelon à Louis XIV. "Plutôt que de le saigner à blanc, vous feriez mieux de le nourrir et de le chérir ; la France entière n'est plus qu'un grand hôpital désolé et sans provisions. Vos sujets croient que vous n'avez aucune pitié de leurs souffrances, que vous n'avez d'autre souci que le pouvoir et la gloire."

Louis XIV ordonne de faire porter sa vaisselle d'or et d'argent à la Monnaie pour qu'on la fonde et qu'avec les lingots de métaux précieux on achète des cargaisons de blé; et il invite tout les courtisans à en faire autant, se faisant même communiquer les noms des donateurs, ce qui a pour effet de mobiliser toute la noblesse. Et il ordonne qu'on force blocus anglais ! Cependant, ces achats de blé ne peuvent suffire. Les rapports des intendants signalent toujours des révoltes, des "émotions paysannes". Des bandes de paysans, de soldats déserteurs, de mendiants attaquent les châteaux et les couvents pour piller les réserves de grain qu'ils imaginent y trouver. Le carrosse de M. le Dauphin est arrêté à Paris par des femmes enragées, et il ne peut se sauver qu'en leur jetant des poignées de pièces. Et certaines de ces femmes de la Halle se rendent en cortège à Versailles et devant les grilles du château, pour réclamer "du pain et la paix".

Les conséquences du grand hiver de 1709 seront incalculables. En certaines régions, dix années entières seront nécessaires pour remplacer les vignes et les arbres fruitiers qui n’ont pas survécu à la catastrophe. Il faut reconstituer des forêts emportées par le gel. Autour de Paris, ce terrible hiver détruit tous les vieux ceps de vigne. Le plus souvent, le vigneron, pour faire face à la demande, troque ses cépages anciens, gages de qualité, pour des cépages nouveaux, le gros gamay principalement, qui produisent plus, mais mûrissent moins bien parce que plus tardivement et ne donnent qu’un vin médiocre, grossier. Parallèlement, ils étendent la superficie de leur vigne sur des terrains non propices à sa culture, comme notamment les vallées basses. La production s’en trouve largement augmentée, mais la qualité diminue considérablement ... Mais aux plaisirs du palais seront substitués ceux du corps, et les bains de raisins en fermentation connuaitront un certain succès. Ainsi un siècle après, la future impératrice Joséphine se baignera dans le vin de Suresnes pour soigner ses douleurs…

Epuisé par les guerres interminables et les crises agricoles précédentes, le royaume éprouve toutes les peines du monde à surmonter la terrible épreuve. Le long règne de Louis XIV, commencé sous les meilleurs auspices soixante ans plus tôt, s’achève dans les souffrances et le désespoir d’un royaume fatigué …

Les commentaires sont fermés.