mercredi, 19 mai 2010
Balades dans Paris : la rue Volta
Poursuite de ma promenade dans le Marais, au fil des lithographies de Gilberte A. Pomier-Zaborowska.
L'une d'elle concerne une vieille maison de la rue Volta, situé au numéro 3, presque à l'angle de la rue au Maire, point de départ donc de ma balade d'aujourd'hui.
La rue Volta est une rue située dans le quartier du Marais dans le 3e arrondissement de Paris. Elle résulte de la fusion en 1851, de trois rues, sous le nom du physicien italien Alessandro Volta : la rue Frépillon, la rue de la Croix et la rue du Pont-aux-Biches. Elle part de la rue au Maire, qui existait au XIIIème siècle. La rue Frépillon (1269) allait de la rue au Maire à la rue Phélippeaux (Réaumur). La rue de la Croix, du XIVème siècle, allait de la rue Phélippeaux à la rue du Vertbois, et la rue du Pont-aux-Biches (1520) allait de la rue du Vertbois à la rue Notre-Dame-de-Nazareth.
On a longtemps pensé que la maison du n°3, d'allure médiévale, était la plus vieille maison de Paris. En effet, une date repeinte sur la maison faisait remonter cette origine à 1242, et la légende dit que "le garde des chasses de Saint-Louis l'aimait habiter". Il a fallu attendre 1979 pour qu'une historienne dissipe cette légende. Cette maison a été en fait édifiée en 1644 par un bourgeois parisien. C'est une maison en pan de bois ou "en colombage" et à margelle de pierre. La construction de ce type de maisons était en effet interdite au 17ème siècle, mais l'interdiction semble avoir été inopérante. En fait sauf nouvelle surprise, la plus ancienne maison de Paris se trouve non loin de là, celle de Nicolas Flamel au 51 rue de Montmorency (1407).
Le n°5 possède une porte et des ferrures assez intéressantes.
Au n°16, une maison du XVIIème siècle était à l'enseigne du Lion d'Or. Dans le cabaret du rez-de-chaussée de cette maison aurait été préparée l'insurrection du 5 juin 1832, tentative des Républicains de renverser la monarchie de Juillet immortalisée par Victor Hugo dans les Misérables.
Au n°37, on trouve le Théâtre du Marais, dont je reparlerai une autre fois ...
Mais tout d'abord un peu d'histoire ... Avant 1851, une partie de la rue s'appelait "rue Frépillon", du nom d'un village aux confins de la vallée de Montmorency et de la Vallée de l'Oise. On trouve trace de plusieurs seigneurs de Frépillon, et peut être l'un d'eux possédait-il un Hôtel particulier à Paris ? C'est cette explication qu'avance l'abbé Lebeuf en 1755: "Il est assez probable que la rue de Frépillon, à Paris, attenait à l'hôtel qu'habitaient en hiver les suzerains du village".
Selon Jean-Aymar Piganiol de la Force dans Description de la ville de Paris et de ses environs, paru en 1742, "La rue Frepillon avoit nom anciennement, selon Sauval, la rue Ferpillon ou Ferpeillon, et en 1269, vicus Ferpillonis. Elle aboutit à la rue Au-Maire & à celle de la Croix".(pdf ici)
En 1822, J.B De Saint Victor, dans son "tableau historique et pittoresque de Paris depuis les gaulois jusqu'à nos jours" reprend ces explications : "Elle fait la continuation de la rue de la Croix, et aboutit au cul-de-sac de Rome et à la rue au Maire. Elle doit son nom à celui d'une famille qui demeuroit dans cette rue au treizième siècle. Dans un acte de 1269 , elle est nommée vicus Ferpillonis; rue Ferpillon en 1282 ; vicus Ferpillionis dans le terrier de Saint-Martin-des-Champs, de 1300. Depuis ce temps ce nom a été altéré par le peuple ou par les copistes , et l'on a écrit Ferpeillon, Serpillon, Frepillon, Fripilon , etc.
En tous les cas, entre 1256 et 1278, les seigneurs de Frépillon se dessaisissent de leurs propriétés au profit des abbesses de l'abbaye de Maubuisson, dont nous avons vu qu'elles avaient une maison de ville dans la rue des Barres ... est-ce à cette époque qu'ils auraient eux aussi emménagé dans la capitale ?
Le site de l'Association pour la promotion de l'histoire et du patrimoine de la vallée de Montmorency, où se situe cette commune d'environ 2 300 habitants, nous raconte l'histoire de cette rue de Paris, que je retranscris ici :
"Cette voie doit être située dans l'environnement géographique et historique de l'abbaye de Saint-Martin des Champs : "L'ancien prieuré de Saint-Martin-des-Champs, où, depuis 1798, est établi le Conservatoire des Arts et Métiers, présente encore quelques restes remarquables de l'architecture du Moyen-Âge, échappés, comme par miracle, à toutes les causes de destruction qui ont privé Paris d'un si grand nombre de ses antiques monuments.
L'origine de ce monastère est imparfaitement connue. On sait seulement que, des le commencement du VIIIe siècle, il existait, près des murs de Paris, et probablement sur l'emplacement du Conservatoire, une église dédiée à saint Martin. Elle est qualifiée de basilique dans une charte de Childebert III, datée de l'année 710. Mais ce mot de basilique s'appliquait alors indifféremment à tous les édifices religieux. C'était dans le Moyen-Âge une opinion accréditée, et la pieuse tradition s'est conservée jusqu'à nos jours, que cette église avait été élevée au lieu même où, selon la légende, saint Martin guérit miraculeusement un lépreux, en lui donnant un baiser (...)
Le prieur Hugues, ou Eudes, qui administra le couvent vers le commencement du XIIe siècle, perfectionna ou refit l'enceinte fortifiée. Il enveloppa l'enclos, qui contenait environ quatorze arpents, d'un fossé et d'une muraille crénelée et flanquée de tours. En 1282, une chaussée nouvelle, qui devint la rue Frépillon, entama l'enclos du côté de l'Est, et l'on construisit alors un mur en pierre de taille pour le fermer" (Audiganne, P. Bailly, Eugène Carissan, Paris dans sa splendeur : Monuments, vues, scènes historiques, descriptions et histoire. Histoire de Paris. Environs de Paris, Paris, Charpentier, 1861 pages 40 à 42)
Avec le développement du Paris intra muros, le quartier change considérablement de physionomie au XIVe siècle, mais l'abbaye résiste, et la rue Frépillon également :
"Bientôt, une pléthore nouvelle se faisant sentir, les remparts de la Ville furent encore une fois reculés, les portes Saint-Martin et Saint-Denis se trouvèrent reportées en 1356, sous Charles V, à peu près à leur emplacement actuel.
A cette époque l'abbaye était limitée par les rues Saint-Martin à l'ouest, du Gaillard Bois au nord, de la Croix, Frépillon, du Puits de Rome à l'est, et la rue Aumaire au sud".(Amédée Gabillon, Le quartier des Arts et Métiers : conférence historique faite le 20 mai 1911, Paris, 1911, P. Collemant , pp. 22-23)
En 1712, le rempart crénelé apparaît inutile aux religieux : ils l'abattent pour élever à la place des maisons de location.
En mars 1848, trois ans avant sa disparition, la rue Frépillon se signale par la fondation au numéro 24, d'un Club de la Montagne, sous la présidence d'un certain abbé Constant. Voici comment un chroniqueur, manifestement orienté, le présente, dans un ouvrage consacré aux nombreux clubs qui foisonnent à Paris à cette époque :
" Réunion de bas-bleus crottés, de fous socialistes et de démocrates de ruisseau qui siégeaient dans la salle enfumée d'un marchand de vin, devant des tables couvertes de nappes maculées, entre des pots de vin bleu et des pipes culottées. Dans la salle du club de la rue Frépillon, les cinq sens étaient à la fois également blessés : on y buvait du vin détestable et de l'eau-de-vie frelatée, on y respirait les odeurs les plus nauséabondes. Il fallait, une fois qu'on était entré dans ce lupanar démocratique et social, se résigner à entendre des théories et des déclamations contre la société qui auraient trouvé des contradicteurs au bagne de Brest. Les assistants, à quelques rares exceptions près, étaient couverts des ces haillons sordides, qui ne sont pas la livrée de la pauvreté honnête et laborieuse, mais bien celle de la débauche ignoble.
Nous avons entendu le citoyen abbé Constant prononcer dans son club ces atroces paroles : "Nous ferons bouillir le sang des aristocrates dans les chaudières de la Révolution et nous en ferons du boudin pour rassasier tes prolétaires affamés."
Ce citoyen Constant a été condamné, le 11 mai 1841, à huit mois de prison et 300 fr. d'amende, pour outrage à la morale publique et atteinte à la propriété ; le 8 février 1847, à un an de prison et 1,000 fr. d'amende pour délits semblables" (Alphonse Lucas, Les clubs et les clubistes : histoire complète critique et anecdotique des clubs et des comités électoraux fondés à Paris depuis la révolution de 1848 : déclarations de principes, règlements, motions et publications des sociétés populaires, Paris, E. Dentu, 1851, page 183)
Un an plus tard, la rue Frépillon s'illustre lors de la manifestation du 13 juin 1849, qui est la dernière "journée révolutionnaire" de la IIe République. Il s'agit, à l'origine, d'une manifestation de protestation contre la politique menée par le gouvernement à Rome, organisée par l'extrême gauche de l'Assemblée Nationale autour de Ledru-Rollin, à savoir "la Montagne", qui compte alors 124 députés. Des barricades sont élevées dans un certain nombre de rues de Paris, dont la rue Frépillon. Une charge de grenadiers enlève la barricade en faisant trois morts parmi les insurgés. L'affaire est relatée à l'Assemblée nationale lors de sa séance du 10 juillet :
"Le Citoyen Sautayra : Dans la rue Frépillon, une barricade avait été élevée derrière le Conservatoire des arts et métiers. Le général Cornemuse la fait attaquer par une compagnie de grenadiers du 21e de ligne. Son commandant, le capitaine Bayard, sans s'inquiéter d'un feu très vif de mousqueterie dirigé contre lui des maisons voisines, lance sa troupe au pas de course, et enlève la barricade, où trois insurgés sont tués. Les autres prennent la fuite.
Je ne puis trop louer l'élan que la compagnie de grenadiers a montré à cette attaque. Le capitaine Bayard mérite aussi les plus grands éloges. Car non seulement il a réussi, mais, par la promptitude de son mouvement, il a su ménager le sang de ses soldats, dont pas un n'a été atteint. »
Permettez-moi de vous faire remarquer une chose, nous l'avons malheureusement vue l'année dernière : c'est que, lorsqu'une barricade est attaquée, il faut verser beaucoup de sang avant d'arriver de l'autre côté...
Citoyen Baraguey d'Hilliers : Lorsqu'elle est défendue !
Le Citoyen Sautayra : Lorsqu'elle est défendue, bien entendu. C'est un lapsus, et je remercie l'honorable général de son observation.
Je ne comprends pas comment on a pu supposer qu'une barricade avait été vaillamment défendue, surtout défendue par les fenêtres des maisons voisines, lorsque pas un des assaillants n'a été atteint, tandis que trois de ceux qui la défendaient ont été tués. Vous le savez, ceux qui sont derrière les barricades ont bien plus d'avantage pour se défendre, que ceux qui sont devant". (Compte rendu des séances de l'Assemblée nationale 1848-1849, séance du 10 juillet 1849, p. 572.)
La rue Frépillon disparaît en 1851 lors des grands travaux du Baron Haussmann : en fusionnant avec les rues de la Croix et du Pont-aux-Biches, elle donne lieu à la rue Volta, du nom du physicien italien Alessandro Volta. Toutefois, jusqu'à une date indéterminée, subsistera un passage Frépillon, donnant dans cette rue. Il s'agit, en fait, de l'ancien passage de la Marmite, qui doit son nom à l'enseigne d'un petit restaurant pour les ouvriers du quartier. Ce passage Frépillon est signalé dans le roman policier d'Emile Gaboriau, Monsieur Lecoq (1861), dans lequel le personnage principal personnage est poursuivi par les gardes et leur échappe de justesse : "Au passage Frépillon, son salut ne tint qu'à un fil".
Je n'ai trouvé aucun renseignement sur l'ancienne rue de la Croix, mais divers plans du XVIIIème siècle montrent que cette rue longeait le couvent des religieuses du Tiers ordre de saint François dites "Filles de Sainte Elisabeth", qui avaient reçu quelques donations dans ce quartier, près du couvent des Pères de Nazareth, qui étaient du même ordre, et qui furent reconnues par Louis XIII par des lettres-patentes en 1614. Elles ont été établies rue du Temple en 1616 par Marie de Médicis. Celle-ci posa la première pierre de leur église, dédiée à Sainte Elisabeth de Hongrie, et de leur monastère le 14 avril 1628. Les religieuses, qui logeaient alors rue Neuve-Saint-Laurent, dans un hospice prété par les Pères de Nazareth, s'y installèrent en 1630. Les travaux de l'église furent réalisés par l'architecte Louis Noblet jusqu'en 1631, puis par Michel Villedo de 1643 à 1646. Elle fut consacrée le 14 juillet 1646 par Paul de Gondi, futur cardinal de Retz, alors coadjuteur de l'archevêque de Paris. En 1792, l'église est transformée en entrepôt de fourrage sous la Révolution. Elle est rendue au culte en 1802 avec le Concordat. Le monastère servait alors de pensionnat de jeunes filles qui portaient alors un uniforme noir et payaient 500 livres de pension
Quand à l'ancienne rue du Pont aux Biche, elle doit son nom à un pont sur l'égout qui longeait autrefois la rue Notre-Dame de Nazareth, sans doute l'égout Saint-Martin à ciel ouvert jusqu'en en 1605, et peut être à une enseigne représentant des biches. En effet les égouts sont longtemps à ciel ouvert. Les premiers égouts à fossés ouverts apparaissent au XIVe siècle. Rive droite, le grand égout suit un ancien cours de la Seine, au pied des collines au nord de la ville, cours emprunté un temps par "Ru de Ménilmontant" qui reçoit plusieurs ruisseaux descendants des buttes de Belleville et de Ménilmontant ainsi que les eaux de plusieurs égouts distribués dans les différents quartiers. Il se jette dans la Seine à hauteur du Pont de l'Alma. D'autres égouts descendent également vers la Seine, drainant sa rive nord. Dès 1720, on commencera de paver et voûter la partie du grand égout découvert, et en 1737, commenceront les travaux définitifs pour canaliser et finalement de couvrir l'égout tout entier.
Une ordonnance du 9 août 1698 nous apprend que des chiffonniers vivaient là, avec jusqu'à 300 chiens, dont les divagations et les aboiements gênent jour et nuit les habitants. En effet, en plus de leur activité de collecte de chiffons et débris divers, les chiffonniers sont souvent aussi écorcheurs de chevaux, de chats et de chiens, avec la graisse desquels ils fabriquent du suif destiné aux "chandeliers - ciriers - huiliers", ou encore du noir animal (ou charbon d'os) utilisé comme engrais ou comme pigment noir. Ils infligent donc aussi au quartier des puanteurs que l'ordonnance qualifie d'"excessives". Une ordonnance du 10 juin 1701 tente vainement de réglementer l'activité des chiffonniers qui sont désormais autorisés à n'avoir qu'un seul chien ! Ordonnance jamais appliquée, puisqu'une sentence du 18 juillet 1727 les condamne car "ils amassent les cuirs des bêtes qu'ils égorgent sans la précaution de les saler, en sorte qu'en peu de jours, les vers s'y mettent, gagnent les maisons voisines et causent des incommodités inexprimables" (source : Essai sur l'ordure en milieu urbain à l'époque pré-industrielle par Pierre-Denis Boudriot)
Plus tard ces "biffins" se regrouperont dans la "zone", no man's land inconstructible, de 300 mètres de large qui entoure Paris au-delà des fortifications de Thiers laissées à l'abandon. C'est à cette zone que Eugène Atget, photographe infatigable de Paris, s'est intéressé à la zone au tournant du XXème siècle.
Le ..atalagueille
J'achepte vieur fer : vieur drapeaur
Aussi la mesnagere sage
En ramassant petis lambeaur
Fait tout servir a son mesnage.
Cris de Paris, vers 1500.
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