mercredi, 12 janvier 2011
Lettre d'Eugène Delacroix à George Sand, 12 janvier 1861
Chère amie,
J’ai appris, je ne sais plus par qui, que vous étiez tout à fait bien et que vous alliez passer l’hiver je ne sais où pour vous remettre tout à fait. Tout ce que vous faites est bien, quoique je ne sois pas édifié sur le séjour des auberges pour remettre la santé. Le bon lit auquel on est habitué, dans le coin où le ciel nous a fait prendre racine, est comme le lait de la nourrice qui vous a mis au monde. Grâce au ciel, ma santé est très bonne et jusqu’ici je me vois dispensé, ainsi que je l’avais appréhendé après deux hivers passés au coin de mon feu, de courir les hasards et d’aller m’exposer aux aventures, pour me préserver de la fièvre. Depuis quatre mois je fais un métier qui m’a rendu cette santé que je croyais perdue. Je me lève le matin, je cours au travail hors de chez moi, je rentre le plus tard que je peux et je recommence le lendemain. Cette distraction continuelle et l’ardeur que je porte à une besogne de cheval de carrosse me font croire que je suis revenu à cet âge charmant où l’on court toujours et surtout chez les traîtresses qui nous [mot illisible] et nous charment. Rien ne me charme plus que la peinture et voilà que, par-dessus le marché, elle me donne une santé d’homme de trente ans. Elle est mon unique pensée et je n’intrigue que pour être tout à elle, c’est-à-dire que je m’enfonce dans mon travail comme Newton (qui mourut vierge) dans la fameuse recherche de la gravitation (je crois).
Mes pensées gravitent vers vous, chère et bonne et fidèle amie. Je dis que je n’intrigue pas et cependant je ne vous eusse peut-être pas écrit sans la rencontre que j’ai faite de Bertin, qui m’a conjuré de vous demander sur quoi il devait compter au sujet de la promesse que vous avez bien voulu lui faire de lui envoyer un roman. Il le désire vivement et me prie de vous le dire. Je sais que je m’expose à toutes les fureurs de notre ami Buloz, s’il vient à découvrir ma requête. Il me fit une scène à cette occasion cet été. Il me croit apparemment inféodé aux intérêts de la revue. Je le traitai comme je devais et il se calma. Dites-moi donc, si vous voulez, à moi, quelles sont vos intentions pour les Débats qui, je vous le répète, sont friands, je le crois sans peine, de ces pages qui ont plus de succès que jamais.
Je n’ai plus de place que pour vous dire que je vous aimerai toujours.
Eugène Delacroix
Après avoir été gravement malade de la fièvre typhoïde, George Sand est partie en convalescence à Tamaris (Var) de février à juin 1861. Après l’avoir déclinée, Sand finit par accepter la proposition de Bertin de publier à nouveau dans Le Journal des débats. Son roman La Famille de Germandre paraît dans le périodique du 7 au 29 août 1861. D’après les notes prises durant son séjour, elle écrit également Tamaris, publié en 1862, d’abord dans la Revue des Deux Mondes, puis en volume. En effet après avoir été brouillée avec François Buloz jusqu’en 1858, Sand se remet à publier plusieurs œuvres dans la Revue des Deux Mondes. Le directeur de la revue ne devait donc pas être enchanté par l’idée d’une collaboration de la romancière avec un autre périodique ...
Delacroix recopie l’intégralité de cette lettre dans son Journal, à la même date du 12 janvier 1861.
En 1834, Eugène Delacroix reçoit commande d’un portrait de George SAND en costume d’homme pour la Revue des Deux Mondes à laquelle elle collabore. Ce sera le début d’une amitié amoureuse intense, qui durera près de 30 ans, nourrie par une correspondance qui durera du 16 novembre 1834 jusqu'à la mort du peintre le 13 août 1863, et qui livre certains de leurs secrets.
George Sand conserva toute sa vie des goûts plutôt académiques. Sa rencontre avec Delacroix, le chef de l'école romantique, bouleversa son approche esthétique. Il lui fit découvrir son maître Géricault. Delacroix séjournait de temps en temps à Nohant et y avait un atelier à demeure.
Delacroix était très proche de Chopin et George Sand, dont il fit un tableau, sans doute au cours du printemps 1838, avant que leur liaison ne devienne officielle. Chopin a fait transporter un piano chez Delacroix pour que ce dernier puisse le peindre en compagnie de George Sand, lui au piano, elle dans la pénombre debout derrière lui, captivée par la musique de son amant. Chopin écrit : "Elle me regardait profondément dans les yeux pendant que je jouais." Le 5 septembre 1838, Delacroix écrit à son ami Pierret : "Autre commission que je réclame de ta bonté; ce serait, en te promenant, d'aller au coin de la rue Grange batelière et du boulevard, chez Pleyel, facteur de pianos, le prier de faire enlever chez moi, Delacroix, rue des Marais Saint-Germain 17 [actuellement rue Visconti], le piano que M. Chopin y a fait porter il y a deux mois environ."
Mais jamais Chopin, George Sand, pas plus que Delacroix, ne mentionnent cette œuvre dans leurs écrits. Ce tableau inachevé resta dans l'atelier de Delacroix jusqu'à sa mort en 1863. L'oeuvre passa ensuite dans la collection du peintre Constant Dutilleux, ami et exécuteur testamentaire. Après plusieurs changements de propriété, le portrait de George Sand est maintenant à l'Ordrupgaard Museum à Copenhague, celui de Chopin est maintenant au Louvre.
En janvier 1841, George Sand rend à Delacroix la monnaie de la pièce en traçant les portraits du peintre et du musicien dans ses Impressions et Souvenirs.
À la mort de Delacroix, en 1863, Sand qui possédait alors plus de vingt tableaux de l'artiste, décida de tout vendre. Elle ne conserva que le premier et dernier des présents que lui avait faits le peintre : La confession du Giaour et le Centaure
Sources :
http://www.correspondance-delacroix.fr/correspondances/bd...
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