dimanche, 20 mars 2011
Jeu
Ils sont occupés à jouer,
Tous bons compagnons, dans le bouge,
En buvant jusqu'à s'enrouer,
Pâles sous la chandelle rouge.
L'un d'eux, qui s'est évertué,
Caresse une femme, qui rue.
Ils ont de l'or, ayant tué
Tout à l'heure un vieux dans la rue.
Là sont Pirot, Cadet, Flanquin,
Mordeval, Blésimar, Polyte,
Mélasse en chapeau d'Arlequin,
Ceinturon, Fripouille, une élite!
Et des femmes: Irma Bassin,
Clarinette, qui vient du Havre,
Chiffonnette, qui n'a qu'un sein,
Carillon, Morphine et Cadavre.
Avalant des alcools verts,
Elles sont parfois embrassées,
Laissant leurs corsages ouverts
Et leurs sales jupes troussées.
Chiffonnette dit à Flanquin:
A la fin, laisse-moi; ça m'use!
Irma soupire: Cré coquin!
On joue, on se saoule, on s'amuse;
Et Carillon, qui rêve encor,
Ainsi qu'une bête assouvie,
Voit se mêler le ruisseau d'or
Avec le ruisseau d'eau-de-vie.
Un rayon, comme un farfadet,
Chatouille ces femmes frivoles.
Mais tout à coup le grand Cadet
Dit à Blésimar: Tu nous voles!
Parbleu! tes cartes sont de poids.
Ah! tu marches bien, petit homme:
Elles ont, dessous, de la poix.
Ça n'est pas si cher que la gomme!
Mais Blésimar, ce garnement,
Dont la voix ainsi qu'une strophe
Est douce, n'est aucunement
Dérouté par cette apostrophe;
Et vite, enfonçant sur son front
Sa casquette, ignoble couvercle,
Il dit: Eh bien, quoi? Pas d'affront.
Je vole; après? C'est comme au Cercle!
Théodore de Banville
Nous tous
18 février 1884.
06:50 Publié dans litterature, peinture, poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook |
Commentaires
Les tables de jeu sont partout et les tricheurs ne manquent pas en haut lieu, c'est la seule différence avec l'univers décrit par Banville.
Écrit par : Tilia | dimanche, 20 mars 2011
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