lundi, 17 octobre 2011
Zarafa, la girafe du Roi au jardin des plantes
Il y a quelques jours, je visitais le jardin des plantes. Au cœur de Paris, son zoo abrite 1800 animaux dont un tiers représente des espèces menacées d’extinction. Ces espèces rares, plus extraordinaires les unes que les autres sont présentées dans un site exceptionnel par son architecture et sa végétation exubérante.
La présence d'une ménagerie dans un jardin est une tradition remontant à l'Antiquité et au Moyen-Age. A Vincennes, Louis XIV a déjà pu voir un "sérail" dans lequel se déroulaient des combats de fauves. Il fait donc édifier celle de Versailles par Le Vau entre 1663 et 1665. Les animaux rejoindront le Jardin des Plantes en l'an II.
Avec ses étonnants éléments d'architecture datant pour la plupart du XVIIIe et du XIXe siècle), la Ménagerie du Jardin des Plantes est le plus ancien zoo du monde conservé dans son aspect d'origine. Elle est officiellement ouverte le 11 décembre 1794 à l'initiative de Bernardin de Saint-Pierre, professeur de zoologie au Muséum national d'histoire naturelle. Les animaux proviennent d'animaux de foire de ménageries privées et foraines et par le transfert le 26 avril 1794 des animaux des Ménageries royales de Versailles et de ceux du Raincy appartenant au duc d'Orléans, le 27 mai 1794.
Au cours de son histoire, elle a présenté une quantité innombrable d'espèces animales, dont la première girafe présentée en France.
Le matin du 9 juillet 1826, une girafe se frayait un chemin dans Paris en liesse pour être reçue par Charles X et sa cour. C'était la première fois qu'un tel animal foulait le sol de France et la conclusion d'un étonnant périple de près de trois ans et quatre mille kilomètres.
C'est au sud de Khartoum que Zarafa, présent de Méhémet Ali, vice-roi d'Egypte, va commencer son voyage vers la France. L'Egypte était alors en froid avec la France à cause de sa participation à la répression de la révolte des Chrétiens grecs contre les Turcs. C'est pourquoi, lorsque Berbardino Drovetti, consul de France au Caire, reçoit une circulaire du Ministère des Affaires Étrangères rédigée par le Museum d’Histoire Naturelle qui y réclame des spécimens d’animaux exotiques, Méhémet Ali, désireux se soustraire à la tutelle du Sultan de Constantinople et de resserrer les liens avec l'occident, propose d'envoyer à Charles X l'un des 2 girafons qu'il vient de recevoir d'un seigneur soudanais. L'Angleterre demande pour son compte le second girafon ... On décide alors de tirer au sort les deux girafons et c’est le plus chétif qui échoie à l’Angleterre. Drovetti se vante alors que "notre girafe est ... solide et vigoureuse", tandis que celle qui a échu au roi d’Angleterre "est malade et ne vivra pas longtemps".
L'animal, baptisé Zarafa, de l'arabe zarafah "douceur de vivre", ou encore "gracieuse créature", embarque à Sennar sur une felouque, descend le Nil Bleu jusque Khartoum, et de là au Caire, puis à Alexandrie, est chargé à bord d'un navire sarde, I Due Fratelli, un deux-mâts qui fait la liaison Alexandrie-Libourne. Son capitaine s’appelle Stefano Manara. On installe la girafe dans une cale, mais on fait un trou sur le pont pour qu’elle puisse passer sa tête. La girafe porte autour du cou un gris-gris composé d’un ruban rouge et d’un pendentif en métal contenant des versets du Coran. On embarque avec elle ses deux palefreniers Atir et Hassan, les trois vaches soudanaises et un couple d’antilopes. La girafe anglaise, elle, passe l’hiver à Malte avant d’être embarqué par bateau pour Londres. Mais elle supporte mal le long voyage et meurt peu après son arrivée dans les bras du roi George.
Le 23 octobre 1826, Zarafa est accueillie à Marseille par le grand naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire et le préfet des Bouches-du-Rhône, le comte de Villeneuve-Bargemont, qui décide de l’installer pour l’hiver dans la cour de la Préfecture, où il a aménagé à son attention des appartements chauffés. Pendant des semaines la foule se presse pour admirer l'animal, que l'on appelle alors camélo-pardalis parce qu’on le croit issu des amours d’un léopard et d’une chamelle ! Jamais on n’avait vu pareil animal sur le sol de France. Même le grand Buffon, n’en avait jamais vu et s’était contenté d’en dresser le portrait d’après des témoignages erronés et d’anciennes lectures … "La Giraffe est un des premiers, des plus beaux, des plus grands des animaux, et qui sans être nuisible, est en même temps des plus inutiles " clame-t-il dans son Histoire Naturelle.
Mais au printemps, le Roi réclame "sa" girafe, que tout le monde appelle le bel animal du Roi. Un temps on pense la faire voyager sur le Rhône, la Saône puis les canaux jusqu’à Paris, ou encore par laMéditerranée, Gibraltar, le golfe de Gascogne et la Manche … Mais les deux solutions sont jugées dangereuses et on les abandonne, la girafe ira à pied jusqu’à Paris. Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, alors âgé de 55 ans, professeur de zoologie au Muséum et membre de l’Académie des sciences, prend la décision, malgré ses rhumatismes et une rétention d’urine, de faire les 880 kilomètres à pied, il ne laissera à personne la responsabilité de conduire l’étrange animal auprès du roi ! cela lui vaudra d'être parfois surnommé "Monsieur le comte de la girafe". Il lui fait confectionner un costume imperméable en toile gommée, boutonné par-devant, et frappé à la fois aux armes du Roi de France et à celles du Pacha d’Égypte et d'un bonnet qui couvre la tête et le cou. Et le 20 mai 1827, c'est un cortège surréaliste qui s'ébranle pour Paris, composé de la girafe, de ses gardes égyptiens Hassan le Bédouin et l’Africain Atir, tous deux enturbannés et vêtus de djellabas, et de leur interprète le jeune Joseph Ebeïd (dit Youssef), d'un jeune Marseillais du nom de Barthélemy Chouquet, d'employés de la préfecture et de quelques gendarmes à pied chargés de faire de la place, de trois vaches nourricières, précédés d'un peloton entier de gendarmes à cheval, sabres au clair. Suit une voiture tirée par un cheval sur laquelle on a chargé les bagages et une cage contenant les deux antilopes, un mouflon et quelques autres animaux exotiques. La progression est de 20 à 25 km par jour.... on nourrit la girafe de grain mélangé de maïs, d’orge et de fèves de marais brisées au moulin, et pour boisson, du lait matin et soir.
Pendant quarante et un jours, de ville en ville, Aix, puis à Avignon, Orange, Valence, Lyon, etc. cette extraordinaire caravane va susciter l'émerveillement, la curiosité et la stupeur de dizaines de milliers de personnes venues à sa rencontre.
Impatients et curieux, certains Parisiens n'attendent pas l'arrivée du cortège dans la capitale et se portent à sa rencontre. Fin juin, Georges Cuvier, directeur des Jardins du Roy, apprend que la girafe approche de Paris. Bien qu’opposé aux théories de Geoffroy Saint-Hilaire et brouillé avec lui, il ne peut manquer de s’intéresser vivement à l’arrivée de l’animal. Il organise un voyage en coche d’eau sur la Seine pour conduire à sa rencontre son épouse, de sa fille et de sa belle-fille, Sophie Duvaucel, que Stendhal courtise. Ils la voient passer sur la route à Corbeil, alors qu’ils déjeunent sur l’herbe. Stendhal, qui rapporte cette promenade dans une lettre du 2 juillet 1827 : "nous sommes allés par le Steamboat de la Seine, à Villeneuve-Saint-Georges au devant de la girafe, le 30 juin", est apparemment peu impressionné et poursuit le fil de sa correspondance sans autre forme de commentaire.
Théodore Chassériau, qui a alors huit ans, se poste lui aussi sur son passage et la croque, avec ses deux cornacs enturbannés : cette œuvre de jeunesse est conservée au Département des arts graphiques du Louvre.
Le 30 juin, la Girafe du Roi est donc au Jardin des Plantes à 5 h du soir. Elle vient de faire à pied 880 km. Un enclos spécial a été préparé pour la recevoir. Mais le 9 juillet, le Roi exige qu'on la conduise dans son château de Saint-Cloud : "C’est à la girafe d’être conduite au roi, et non pas au souverain de se précipiter comme le vulgaire au-devant du cadeau qu’on lui fait." La girafe porte son manteau armorié, on lui a mis une couronne de fleurs. Elle mange des pétales de roses dans la main du souverain. Le soir elle retrouve son enclos près du Muséum, où elle continue de recevoir d'innombrables visites. Près de 600.000 personnes se pressent ainsi pour l'admirer en l'espace d'un an seulement ... leur curiosité se partage alors entre "la belle égyptienne" et une troupe de Peaux Rouges – des Osages – ramenés en France depuis l’Oklahoma.
L'arrivée à Paris déclenche une véritable "girafomania"(Olivier Lebleu "Les Avatars de Zarafa, chronique d'une girafomania 1826-1845"). Sa renommée est telle que l'on voit fleurir son image un peu partout, sur des faïences, poteries, sculptures, peintures, bronzes, éventails, ombrelles, ou encore des étoffes, et elle envahit le langage, la mode, le mobilier la chansonnette, les pamphlets, les spectacles. Au théâtre du Vaudeville on donne une pièce intitulée La girafe ou une journée aux Jardins du Roy. Balzac écrit un pamphlet : Discours de la girafe au chef des six Osages prononcé le jour de leur visite aux Jardins du Roi et traduit de l’arabe par l’interprète de la girafe. Les dames adoptent la coiffure à la girafe. Les cravates se nouent à la girafe ... Le péage du pont d’Austerlitz, qui est alors l’une des voies d’accès à la ménagerie, fait une recette sans précédent, on s’arrache des billets vendus au double de leur prix pour contempler de plus près la vedette. Sa vogue est telle que sa haute silhouette, accompagnée de son cornac, est intégrée au moins dès 1830, à la galerie des trente-neuf personnages typiques du Carnaval de Paris, au même titre que Robert Macaire, Pierrot ou Polichinelle.
Cet engouement durera plus de trois ans, et la fin de la "mode girafe" coïncidera avec le déclin de la faveur dont bénéficiait Charles X dans l’opinion de ses sujets. Le voyage et le soin accordé à la girafe ne manquent pas de susciter la raillerie des opposants aux Bourbons : "Rien n'est changé en France si ce n'est qu'il s'y trouve une grande bête de plus". Cela n’a pas échappé à Honoré de Balzac, qui écrit ces lignes prophétiques dans une nouvelle publiée par le journal La Silhouette quelques semaines avant la Révolution de 1830 : "Elle n’est plus visitée que par le provincial arriéré, la bonne d’enfant désœuvrée. À cette leçon frappante, bien des hommes devraient s’instruire et prévoir le sort qui les attend". Durant la monarchie de Juillet, Louis-Philippe Ier sera alors caricaturé en girafe au long cou ...
Atir continue de partager sa vie : tous les jours il la lave et la peigne (d’où peut être l’expression peigner la girafe qui signifie faire un travail inutile et très long, ne rien faire d'efficace, mais que certains utilisent pour décrire des pratiques plus ... sexuelles !). Il porte un turban blanc et des babouches rouges. Il restera douze ans auprès d’elle.
Zarafa coule des jours paisibles jusqu'en 1845, où elle a atteint l'âge tout à fait respectable pour une girafe de 21 ans. Elle avait été rejointe en 1839 par une autre girafe, envoyée par Antoine Clot, dit Clot-Bey, médecin français devenu directeur de l’Ecole de médecine du Caire. Elle meurt le 12 janvier, sept mois après Geoffroy Saint-Hilaire. Elle est alors empaillée, on l’égare puis on l’oublie. A partir de 1914, le Muséum, manquant de place, commence à envoyer des animaux naturalisés vers des musées de province. La girafe du roi arrive ainsi au muséum d’histoire naturelle de La Rochelle en août 1931. A son cou, elle n’a plus le gris-gris, mais cette étiquette :
Girafe. Buffon. XIII. Camelopardalis girafe. Cervus camelopardalis, L., du Darfour. Donnée par S.A. le pacha d’Egypte, a vécu 17 ans et demi à la ménagerie.
Quelques sources :
Étienne Geoffroy Saint-Hilaire - Quelques Considérations sur la Girafe http://fr.wikisource.org/wiki/Quelques_Consid%C3%A9ration...
http://guimik.org/wp-content/2010/05/dossier-presentation...
http://www.vacarme.org/article1009.html
http://bibliotheque-desguine.hauts-de-seine.net/desguine/...
http://pdf.actualite-poitou-charentes.info/079/actu79janv...
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