dimanche, 11 mars 2007
« Pour la Patrie, les sciences et la gloire »
Au début de 1794, l'Etat manque dramatiquement de cadres scientifiques et techniques. A l'instigation de quelques savants réputés, ralliés aux nouvelles idées, parmi lesquels on trouve le géomètre Monge et le chimiste Fourcroy, le Comité de Salut public confie par un décret du 21 ventose de l'an II (11 mars 1794), à Jacques-Elie Lamblardie, Gaspard Monge, et Lazare Carnot la mission d'organiser une nouvelle École centrale des travaux publics, qui deviendra l’Ecole Polytechnique.
Dans la lignée des humanistes et de la révolution française, le droit divin est remplacé par le culte de la connaissance encyclopédique, des belles lettres et des belles sciences. L'école doit permettre aux plus méritants, aux esprits les plus fins d'accéder aux plus hautes fonctions et ceci quelle que soit leur condition de naissance. Ses enseignants sont nommés parmi les plus grands noms de la science et ses élèves sont recrutés par un concours qui se déroule dans toute la France. Pour que tous ceux jugés dignes par leurs connaissances et leur intelligence d'entrer dans la nouvelle école ne soient pas gênés par des problèmes d'argent, les futurs élèves reçoivent pour se rendre à Paris des frais de route et perçoivent un salaire.
La mise en place au XXIXème siècle des autres grandes écoles, les Mines fondée en 1783, Normale Supérieure qui a vu a également le jour en 1794, les Arts et Métiers créée en 1803, Centrale en 1829, etc. ... correspond à cette logique de sélection et de formation élitiste. En fait, c'est un système de sélection sociale qui se met peu à peu en place, réputé pourtant particulièrement objectif car fondé sur les capacités intellectuelles des individus et sur leur volonté d'apprendre sans autre considération, d’où le système des bourses, les internats, les aides diverses qui sont mises en place pour que les plus méritants ne soient pas arrêtés par des problèmes matériels.
En fait, les besoins sociaux montrent que l'on a un plus grand besoin d'exécutants que de dirigeants, on doit donc former une minorité d'intellectuels et une très large majorité de manuels, avec un corolaire, la sélection est la condition pérenne de la stabilité du système social.qui repose sur une convention sociale particulièrement forte : Diplôme = Niveau de qualification = Emploi = niveau de salaire Pour cela, la sélection s'opère à partir des connaissances scientifiques et littéraires, la partie « classique » de l'enseignement, les capacités à conceptualiser, abstraire, sont privilégiées. Les aspects de culture générale sont particulièrement prépondérants; le modèle mis en avant est celui de l'intellectuel cultivé, homme de « belles » lettres et de « fines » sciences. Cette organisation renforce la dualité entre l'« intellectuel », paré d'une certaine noblesse, et le « manuel », celui qui n'a pas réussi à atteindre cet idéal.
Mais cette organisation, qui a d’abord bien fonctionné et a permis à la France de réaliser sa mutation de l'agricole vers l'industriel, montre aujourd’hui ses limites. Jusqu'à la fin des années soixante, un échec scolaire n'était nullement synonyme d'échec social, et quel que soit le niveau de sortie de l'école, chaque individu trouvait un emploi, avait un salaire, était intégré socialement. Aujourd’hui la disparition des ouvriers, des chefs d'équipe, des agents de maîtrise, des cadres ou administratifs dans les usines montre que l'adaptation de l'individu à l'évolution de la société dans laquelle il vit est une nécessité permanente, un ouvrier ou un employé ne peut plus espérer aujourd’hui rester dans la même entreprise pendant 30 ou 40 ans, la perspective d’acquérir progressivement une qualification a disparu, et même avec deux ou trois années d'études supplémentaires, la jeune génération peut s'attendre en moyenne à un sort moins favorable que celui de ses parents. La promotion ne va plus de soi, l'inflation des diplômes encombre les itinéraires qui mènent au sommet ... Si «l'ascenseur social» est en panne, comme on le répète, c'est pour la raison très simple que les classes dirigeantes n'ont plus besoin, comme à l'époque de Jules Ferry et de l'essor industriel, du savoir et du savoir-faire de la majorité des citoyens : que ceux d'en bas restent donc au sous-sol ou dans les caves de la société !
Alors certes, notre pays doit continuer à former des « élites », mais le redémarrage de l’« ascenseur social » ne peut être basé seulement sur l’élitisme républicain et la proposition, comme on l’entend dans la campagne présidentielle, d’ouvrir l’accès aux classes préparatoires et aux écoles supérieures à des jeunes de ZEP ... Il est également impératif que l’ensemble des futurs citoyens puisse trouver une place où évoluer dans le monde contemporain !
Lire l’histoire de l’Ecole sur son site http://www.polytechnique.fr/institution/historique.php
Lire aussi un article sur le livres de Bruno Belhoste, La Formation d’une technocratie. L’École polytechnique et ses élèves de la Révolution au Second Empire (Paris, Belin, 2003) paru dans la revue les Annales historiques de la révolution française http://ahrf.revues.org/document1564.html.
Bruno Belhoste propose une analyse globale du système polytechnicien au XIXe siècle, de ses pouvoirs et de ses savoirs, et une étude détaillée des origines des élèves et de leurs destins. Il fournit ainsi une réponse documentée et argumentée à la question des origines de la technocratie française.
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Le symbole de l’école, le X, viendrait de l'importance des mathématiques dans son enseignement. : « C'est de l'importance même donnée à l'enseignement de l'ana, dont toute la langue est faite d'x et d'y qu'est venu le surnom d'X, universellement admis pour désigner les polytechniciens. Tous ne sont pas des mathématiciens, mais tous possèdent une connaissance du calcul différentiel et intégral suffisante pour les applications des services publics. Disons de plus qu'aux époques troublées de notre histoire, en 1830 et en 1848, cette connaissance leur a particulièrement servi à ne pas être confondus avec tous les individus qui se déguisaient en polytechniciens pour se donner l'apparence de défenseurs de l'ordre. À ceux-là, quand on les rencontrait, on leur demandait la différentielle de sin x ou de log x, et, s'ils ne répondaient pas, on les faisait immédiatement coffrer.» (L'argot de l'X de Lévy et Pinet - 1894). D'après certains, il viendrait également des deux canons croisés, symboles de l'artillerie, qui figurent sur le blason de l'école, mais cette explication n'est pas attestée par des sources vérifiables.
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Commentaires
Fin retour historique. Bravo.
Écrit par : FF | lundi, 12 mars 2007
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