mercredi, 09 mai 2007
Attention aux bonimenteurs
Seigneurs qui êtes venus ici,
petits et grands, jeunes et vieux,
vous avez de la chance,
sachez-le bien.
Je ne cherche pas à vous tromper :
vous vous en rendrez très bien compte
avant que je m'en aille.
Asseyez-vous, ne faites pas de bruit,
et écoutez, si cela ne vous ennuie pas :
je suis médecin,
j'ai été dans bien des pays.
Le seigneur du Caire m'a retenu
plus d'un été;
je suis resté longtemps avec lui,
j'y ai gagné beaucoup d'argent.
J'ai passé la mer
et je suis revenu par la Morée,
où j'ai fait un long séjour,
et par Salerne,
par Burienne et par Biterne.
En Pouille, en Calabre, à Palerme
j'ai recueilli des herbes
qui ont de grandes vertus
quel que soit le mal sur lequel on les applique,
ce mal s'enfuit.
Je suis allé jusqu'à la rivière qui résonne
jour et nuit de la cascade des pierres
pour en chercher.
Le Prêtre jean y faisait la guerre;
je n'osai pas entrer dans le pays
je m'enfuis jusqu'au port.
J'en rapporte des pierres très précieuses
qui peuvent ressusciter un mort :
ce sont des ferrites,
des diamants, des cresperites,
des rubis, des hyacinthes, des perles,
des grenats, des topazes,
des tellagons, des galofaces
(il ne craindra pas les menaces de la mort,
celui qui les porte;
il serait fou d'être inquiet :
il n'a pas à craindre qu'un lièvre l'emporte,
s'il reste ferme,
pas plus qu'il n'a à craindre les aboiements d'un chien
ni les braiments d'un vieil âne,
s'il n'est pas un couard;
il n'a rien à craindre d'aucun côté),
et aussi des escarboucles et des garcelars
qui sont tout bleus.
J'apporte des herbes des déserts de l'Inde
et de la Terre Lincorinde,
qui flotte sur l'onde
dans les quatre parties du monde
aussi loin qu'il s'étend,
vous pouvez m'en croire.
Vous ne savez pas qui vous avez en face de vous;
taisez-vous et asseyez-vous :
Je vous le dis, par Sainte Marie,
ce n'est pas le marché aux puces,
mais des produits de qualité.
J'ai l'herbe qui redresse les bittes
et celle qui rétrécit les cons
sans peine.
De toute fièvre, sauf la fièvre quarte,
je guéris en moins d'une semaine
à coup sûr;
je guéris aussi de la fistule;
si haute ou si basse qu'elle soit,
je la réduis complètement.
Si la veine du cul vous élance,
je vous en guérirai sans contestation,
et de la rage de dent
je guéris très habilement
avec un petit peu de l'onguent
que je vais vous dire :
écoutez comment je le préparerai;
je vais vous décrire sa préparation sans mentir,
je ne plaisante pas.
Prenez de la graisse de marmotte,
de la merde de linotte
le mardi matin,
de la feuille de plantain,
de l'étron de putain,
bien ignoble,
de la poussière d'étrille,
de la rouille de faucille,
de la laine,
de la balle d'avoine
pilée le premier jour de la semaine,
et vous en ferez
un emplâtre. Avec le jus, lavez
la dent; mettez l'emplâtre
sur la joue;
dormez un peu, je vous le conseille :
si au lever il n'y a pas de la merde et de la boue,
Dieu vous confonde !
Écoutez, si vous voulez bien :
vous n'avez pas perdu votre journée
quand vous pouvez faire cela à quelqu'un.
Et vous, que la maladie de la pierre fait hurler,
je vous en guérirai sans obstacle
si j'y mets mes soins.
De l'inflammation du foie, de la hernie
je guéris de façon extraordinaire
quoi qu'il arrive.
Et si vous connaissez un sourd,
faites-le venir chez moi;
il repartira complètement guéri :
Dieu protège mes mains que voici,
il n'a jamais entendu moins
qu'il n'entendra alors.
RUTEBEUF
Dit, seconde moitié du XIIIe siècle
le même en langue originale à l'annexe
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Écrit par : dmerlen | mercredi, 09 mai 2007
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