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samedi, 10 janvier 2009

Anastasie fait son cinéma

andre-gill-censure.jpgQu'ont en commun les films "Zéro de conduite", "l'âge d'or", "Le Cuirassé Potemkine", "Quai des brumes", "La Bataille d'Alger", "Le Petit Soldat", "La religieuse", "l'Empire des sens", ou encore "La dernière tentation du Christ" ? Eh bien le fait d'avoir subi les foudres de la censure cinématographique !

Mais qui se souvient que celle-ci est née il y a cent ans, le 10 janvier 1909 ?

C'est une affaire criminelle qui en est l’origine, celle de la Bande à Pollet, dite aussi d’Hazebrouck. Forte d’une dizaine de bandits menés par les frères Abel et Auguste Pollet, elle écumait et terrorisait la région d’Hazebrouck de 1895 à 1905, la mettant à feu et à sang. Emprisonnés au début 1908, ils étaient accusés de sept assassinats et dix-huit tentatives d’assassinats suivis de vols. On les avait appelés « Les chauffeurs ». Tout bêtement parce qu’ils chauffaient les pieds de leurs victimes pour leur faire avouer où elles cachaient leur pécule.

En juin 1908, le prétoire des assises de Saint-Omer, trop étroit pour contenir les nombreux inculpés, doit être agrandi. La presse régionale et nationale est présente et les curieux sont venus en foule. Le vendredi 26 juin, les frères Pollet et leurs lieutenants Canut Vromant et Théophile Deroo sont condamnés à mort pour assassinats, le reste de la bande à de fortes peines de prison. La Cassation est refusée; de même la grâce du président de la République ...

Le 10 janvier 1909 la nouvelle se répand vite, les bois de la guillotine sont arrivés à Béthune ! Des centaines d'hommes, de femmes se rendent à pied au cours de la nuit vers le chef lieu d'arrondissement, 6 000 personnes attendent la venue des condamnés. 90 gendarmes à pied, 40 gendarmes à cheval, le bataillon du 73° en garnison à Béthune et 200 cavaliers du 21° Dragons de Saint-Omer assurent le service d'ordre ... La presse nationale et internationale et de nombreux journaux régionaux ont envoyé leurs propres journalistes pour couvrir les exécutions capitales. De plus les opérateurs Pathé sont aussi présents. En effet, le public du cinématographe raffole particulièrement d’un genre nouveau, les exécutions capitales dont les reconstitutions truquées virent parfois au ridicule. Une exécution capitale, filmée en réel et non reconstituée, passionne donc les opérateurs Pathé Actualités, attire journaux et badauds, mais affole au plus point les autorités, locales et nationales, alertées par un tapage médiatique exceptionnel et par une foule de plus en plus nombreuse et excitée.


censure.gifLe ministre de la Justice, craignant qu’une exécution capitale filmée n’entraîne un voyeurisme macabre, interdit l’usage de tout appareil ou procédé quelconque de reproduction cinématographique. Peine perdue, les opérateurs Pathé, désireux de filmer la mort en direct et de conquérir une clientèle en quête de nouvelles toujours plus sensationnelles, immortalisent l'exécution, déclenchant la colère ministérielle. Le ministre de l’Intérieur, interpellé par son confrère de la Justice, envoie à tous les préfets de France et d’Algérie une circulaire administrative qui interdit dorénavant tous les spectacles cinématographiques susceptibles de provoquer des manifestations troublant l’ordre et la tranquillité publics. La circulaire soumet à l'approbation préalable du maire la représentation de films cinématographiques au public : la censure du cinéma français est officiellement née ! Et l’histoire retiendra aussi qu’après les déchaînements de liesse qui ont accompagné leur exécution, ils auront été les derniers à être guillotinés en public ...

En juin 1916, un arrêté institue une commission, constituée de 5 fonctionnaires de police, chargée de l'examen et du contrôle des films et autorisée à délivrer les cartes permettant leur diffusion en France. Elle refuse alors 146 films. En 1919, un autre décret transfère la commission au ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts et exige que le film ait obtenu deux visas, l'un pour la représentation, l'autre pour l'exportation à l'étranger.

La "censure" est supprimée en 1931, mais c'est juste le nom qui disparaît au profit d'un Comité National de la cinématographie (CNC), qui sera chargé du "contrôle et du classement" des films. La commission, dont les pouvoirs sont encore élargis en 1936, est modifiée par l'ordonnance de 1945 qui prévoit qu'elle serait désormais composée d'un nombre égal de professionnels du cinéma et des représentants du ministère. Et le contrôle passe entre les mains du ministère de l'information. Avec le décret du 18 janvier 1961, s'ajoutent des représentants des ministères de la Justice, de l'Éducation nationale, de la Santé publique et des représentants d'usagers. Le décret de 1961 accroit la censure en exigeant que les projets de films à long métrage obtiennent un avis préalable de la part de la commission, suivi d'une autorisation de tournage délivrée exclusivement par le Centre national de la cinématographie. Mais le visa émanant de la commission de censure n'empêche pas le maire, dans l'exercice de ses pouvoirs de police, ou au pouvoir exécutif, d'interdire la projection d'un film pour des motifs d'ordre public ... ainsi en 1953 à Nice, Jean Médecin tente d'interdire "Le Blé en herbe" d'Autant-Lara, tiré d'un roman de Colette.; en 1959 70 maires de France refusent la projection des "Liaisons dangereuses", de Vadim afin de "prévenir des troubles sérieux", puis entre 1959 et 1963 le film "Petit Soldat" de Godard et mis sous le boisseau et le député Jean-Marie Le Pen requiert l'"expulsion de ce cinéaste suisse" ... En 1966, Alain Peyrefitte alors ministre de l'Information interdit "La religieuse" de Jacques Rivette, alors que son collègue André Malraux le proposait dans la sélection du festival de Cannes. En 1979 Jacques Médecin, toujours lui, interdit la projection du "Pull-over rouge", de Michel Drach ... en 1988: des curés brûlent la salle Saint-Michel, à Paris, qui projette la "Dernière Tentation du Christ", de Scorsese. Et en 1992, Mme Briand, maire des Herbiers en Vendée interdit "Basic Instinct, déclenchant une polémique nationale. A l'heure où la liberté d'expression semble être un droit acquis et où la censure a pris sa place dans les livres d'histoire, les affiches elles-mêmes n'échappent pas aux censeurs comme celle de "Ave Maria" de Jacques Richard en 1984, celle de "Larry Flynt" de Milos Forman en 1997 ou celle de "Amen" de Costa-Gavras en 2002 ...

Le décret de mars 1962 stipule que la Commission nationale n'a pas à juger de l'état artistique du film, mais seulement de ses potentielles atteintes aux bonnes mœurs. Des catégories d'âge sont alors crées. Enfin c'est la loi du 30 décembre 1975 qui crée une catégorie particulière de films, appelée catégorie X, regroupant les films pornographiques ou incitant à la violence, soumis à un régime de distribution spécifique. Ainsi, les salles dans lesquelles ces films peuvent être projetés sont des salles spécifiques et distinctes qui ne peuvent appartenir au réseau de distribution des films traditionnels. De plus, le Centre national de la cinématographie n'est pas autorisé à accorder des subventions financières pour la production, l'exploitation et la distribution de ce type de films. Enfin, ces films sont plus fortement taxés sur le plan fiscal.

En 1990, pas vraiment de changements dans la législation. le décret 90-174 du 23 février 1990 qui est toujours en vigueur adoucit légèrement les règles de censure, notamment en ôtant à la "Commission de classification des œuvres cinématographiques" tout droit de modification des œuvres jugée. Finies les coupures sauvages, mais en pratique des modifications de montage sont parfois "suggérées" aux réalisateurs ou producteurs qui veulent obtenir leur visa ...

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