mardi, 15 août 2006
Les Indiens d'Amérique ont-il... une âme ?
« La discussion s'arrête soudain. Voilà donc le philosophe qui vient de lancer son premier argument réel. Las Casas l'attendait, mais il ne savait pas s'il viendrait en premier (car il connaît aussi les autres). Voici donc surgir le spectre de la juste guerre, la guerre aimée de Dieu.
Au lieu de s'opposer brutalement à ce qui, au fond de lui-même, le scandalise et l'épouvante, Las Casas préfère feindre, et répondre à une question par une question :
- Et pourquoi donc l'a-t-il permis, à votre avis ?
- Je vais vous le dire.
Le philosophe fait rapidement glisser entre ses doigts quelques pages de notes. Son argumentation commence. Il met de l'ordre dans sa pensée, à l'aide de dix secondes de silence, puis il dit :
- D'abord les Indiens méritent leur sort parce que leurs péchés et leur idolâtrie sont une offense constante à Dieu. Et il en est ainsi de tous les idolâtres. Leur attitude lui répugne. Sans doute a-t-il tenté à plusieurs reprises, dans son infinie bonté, de les éclairer, de les ramener sur le bon chemin. Cependant, ils ont persisté dans le crime. Aussi, en fin de compte, a-t-il décidé de les punir. Et les Espagnols sont le bras de Dieu dans cette guerre, comme ils l'ont été contre les Maures.
Dans l'assistance, on voit se hocher plusieurs têtes. Il ne fait pas de doute que le raisonnement de Sépulvéda, dans une assemblée aussi pieuse, ne parvienne à convaincre certains, ou à les confirmer dans une conviction commode. Il est toujours très rassurant - pour la conscience en tout cas - de mettre Dieu de son côté, et qu'il partage la victoire.
- Mais de quels péchés parlez-vous ? demande le dominicain. De quels crimes ? Et pourquoi Dieu, à qui tout est possible, aurait-il échoué dans son entreprise de les convaincre ? Pourquoi ne leur a-t-il pas envoyé son fils ? Qui est brouillé, ici ? Qui est aveugle ?
Au lieu de répondre (d'ailleurs, s'agissait-il d'une question ? ), Sépulvéda lance une autre attaque, indirecte et inattendue. Il demande à Las Casas :
- Je vous pose une question : ce jeune garçon dont vous avez parlé, à qui un soldat perça le ventre et qui tenait ses entrailles à la main, vous l'avez vu ?
- De mes yeux vu.
- Et qu'avez-vous fait dans cette occasion ?
Assez désarçonné, Las Casas répond sincèrement :
- Je l'ai rattrapé, je lui ai vite parlé de Dieu, du Christ, comme je pouvais, je l'ai baptisé, il est mort dans mes bras.
- Le salut de son âme vous a donc paru important ?
- Évidemment je ne pouvais rien sauver d'autre.
Las Casas ne voit pas encore très clairement où le philosophe veut en venir. Celui-ci s'adresse maintenant au légat, comme pour marquer un point au passage, un avantage.
- Éminence, je retiendrai d'abord ce point-là. Le salut de l'âme.
- Vous supposez donc qu'ils en ont une ? demande le légat. »
La controverse de Valladolid de Jean-Claude Carrière
01:55 Publié dans à méditer | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook |
Commentaires
Un ce très grand moment de télé qui vous marque au fer rouge ; et la fin , le retournement vers l'interrogation au sujet de ces nègres d'Afrique,qui eux ne peuvent pas avoir d'âme, quel Dieu en aurait mis une ds un corps noir?(relire le plaidoyer au vitriol de Montesquieu ) et c'est le départ du comerce triangulaire .Il y a qqannées ,ns avions proposé à ns élèves de 2 ° une version théâtre avec la Troupe de la Mangrouve de Montauban, ce fut un flop et la grande désillusion de ma vie, les jeunes ne se sentant absolument concernés ....
Reste une oeuvre cinématographique exceptionnelle, tout comme " La conspiration de Saint Germain "Bonne journée, Framboisine
Écrit par : framboisine | lundi, 21 août 2006
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