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samedi, 07 avril 2007

7 avril 1780 Inauguration du Grand Théâtre de Bordeaux

medium_plan_bordeaux_tourny.jpgA la fin du règne de Louis XIV, cinq kilomètres de remparts encerclaient encore Bordeaux et séparaient la cité des faubourgs en plein essor. Quarante ans plus tard, en 1755, quand le Maréchal de Richelieu (neveu du Cardinal) est nommé Gouverneur de Guyenne, la ville a connu une expansion économique, une explosion démographique et un embellissement qui impressionnent les visiteurs, elle sort peu à peu de ses murailles du XIVe siècle sous l'impulsion des intendants Claude Boucher (1720-1743), et Louis de Tourny (1743-1757) Avec les architectes Jacques-Ange Gabriel et André Portier, ils multiplient les opérations d’urbanisme pour rompre définitivement avec l’image d’une cité médiévale. Ces réalisations sont encore aujourd'hui primordiales dans la vie de la cité puisque l'architecture du XVIIIe siècle marque encore très fortement le centre ville : l'implantation de la place Royale (actuelle place de la Bourse), au droit des quais, et dont la construction, de 1730 à 1760, va représenter une ouverture sur le fleuve et donc sur le monde : « Il sera construit, suivant et conformément aux ordres donnés par le sieur Gabriel, d’autres bâtiments le long du port de Bordeaux depuis l’alignement des maisons qui font face sur la rue du Chapeau-Rouge et sur l’esplanade du château-Trompette, jusqu’au palais de la cour des Aides… dans lequel espace sera formée une place de soixante toises d’un sens, entre les pavillons de la tête de la dite place, sur quarante-cinq toises ou environ de l’autre, depuis le parapet de l’avance du mur du quai qui sera fait sur la rivière de Garonne, jusqu’au fossé de l’ouverture, dans le fond de la dite place qui servira de clôture à la ville laquelle ouverture aura dix-huit à dix-neuf toises de largeur sur quinze toises de profondeur ou environ, en sorte que l’alignement de la rue Saint-Rémy tombe obliquement au point de la statue équestre ».Ou encore la percée de cours (d'Aquitaine, d'Albret, ...) et d'allées conçus comme des promenades (Fossés de l'Hotel de ville, Fossés du Chapeau Rouge, Allées de Saint-Germain maintenant Tourny...), l’aménagement de places agrémentées de "portes", véritables arcs de triomphes, et de fontaines, la Place Saint-Julien (actuelle place de la Victoire) et sa porte monumentale d'Aquitaine achevées vers la fin des années 1750, la Place Dauphine dédiée à la jeune épouse du Dauphin, Marie Antoinette (aujourd'hui Place Gambetta), achevée en 1770.et sa Porte Dijeaux, terminée en 1748, et la Place Tourny, la Place de Bourgogne (Bir-Hakeim), les façades des quais, la réalisation du Jardin Royal (aujourd'hui Jardin Public), que Tourny surnomme "ses Tuileries", et de nombreux lotissements, le démantèlement du Château Trompette ... « Vers 1700, Bordeaux était un amas gothique de venelles. Le XVIIIe siècle métamorphose cette communauté en cité de pierre et d’axes glorieux. Cendrillon magnifiquement parée sort de sa citrouille girondine. L’ex-ville close du Moyen Âge devient l’ouverte agglomération bordelaise ; elle troue son anneau fortifié ; elle le troque pour une demi-ceinture de proto-boulevards ». (E. Leroy-Ladurie, Histoire de la France urbaine)

medium_Richelieu_marechal.jpgMais il manque à la ville un théâtre ! Les « théâtres de société », véritables scènes privées furent légion dans la France du 18e siècle ; ainsi que les salons particuliers qui dans le cadre de leurs activités littéraires mondaines firent représenter des pièces. Bordeaux ne pouvait échapper à la règle, et un assez grand nombre de salles de spectacle se sont succédées, mais elles ont été tour à tour incendiées, rue du chai-des farines, place de la mairie, Fossés de l'intendance, ... Les jurats ont bien fait construire en 1738 une salle en pierre dans les jardins de l'ancien l'hôtel de ville, alors situé à proximité de la Grosse-Cloche, sur les plans de l'architecte de la ville, Montégut. Mais ce théâtre d'une capacité de 1 500 places est détruit par un incendie dans la nuit du 28 au 29 décembre 1755. D'innombrables troupes de comédiens, baladins, danseurs de corde, et acteurs de foire se produisirent sur les places publiques, dressant des tréteaux pour quelques jours seulement. Dans l'attente de la reconstruction nécessaire bien qu'hypothétique de l'hôtel de ville qui devait intégrer une nouvelle salle de spectacle, un théâtre est aménagé en 1760, à l'entrée de la rue de la Corderie proche de la place Dauphine et du couvent des Récollets. Le Maréchal de Richelieu se passionne pour la Comédie ... et les comédiennes qui l'appellent "Papa maréchal" ... il sédentarise en 1761 une de ces troupes, qui obtient le monopole des spectacles. Le célèbre acteur Le Kain viendra jouer à plusieurs reprises dans la salle de la Corderie et y rencontrera un franc succès.

Le Maréchal de Richelieu entreprend donc de construire un "vauxhall" près du Château Trompette, à l'instar de Lyon ou Montpellier. Refusant un premier projet présenté par François Lhote, il fait venir Victor Louis, qui travaille déjà à restaurer son hôtel parisien rue Neuve Saint-Augustin. En 1173, celui-ci présente des plans que le Maréchal Richelieu fera modifier pour l'embellir. Le théâtre, dont la façade est orientée vers les Allées de Tourny, est construit en partie sur les glacis du château Trompette à l'emplacement du forum gallo-romain où se trouvait le temple des Piliers de Tutelle (du nom de la déesse Tutela protectrice de la ville). Il faut également couper 200 arbres que Tourny venait juste de planter le long du Chapeau-Rouge, malgré la réticence des jurats!

medium_victor_louis.jpgLes banquiers génois prêtent 600 000 livres, et l'état vend, mal, l'Îlot Louis pour financer les travaux, mais cela ne suffit pas. Pendant les 6 années de construction, Victor Louis dirige son chantier, jongle avec les créanciers pour payer ses ouvriers et se brouille finalement avec les jurats. Un jour que Beaumarchais, de passage à Bordeaux pour l'aider à trouver des fonds nécessaires à l'achévement, était venu le voir au milieu de ses échafaudages, le pauvre architecte lui confia ses chagrins et ses découragements. "Allons, lui dit-il en riant, faisant allusion aux appareils de toutes sortes qui l'environnaient, allons, en élevant cet édifice à ta gloire, ne t'attendais-tu pas à être encombré de grues ?". Mais lors de l'inauguration, le 8 avril 1780, une foule immense se bousculait devant les portes du nouveau bâtiment. Certes, on vint assister à Athalie de Racine et au Jugement d'Apollon de Blincourt mais on vint surtout admirer la construction. C'est un triomphe et le cousin du Roi, Philippe d'Orléans, confiera à Victor Louis la rénovation du Palais-Royal.

 

medium_theatre_bordeaux_1778.jpgLa façade de 47 mètres est ornée, réminiscence de l'Antiquité, de 12 colonnes corinthiennes surmontées de statues de pierre représentant les neuf muses (Euterpe, Uranie, Calliope, Terpsichore, Melpomène, Thalie, Polymnie, Érato, Clio) et trois déesses (Junon, Vénus, Minerve) imaginées par le sculpteur Burrer. Elle s'ouvre sur deux galeries latérales longues de 88 mètres, décorées de pilastres encadrant les arcades destinées à recevoir des boutiques, mais aussi un café et sa terrasse. Le théâtre abrite également une salle de concert, un corps de garde, des appartements et même des caves louées comme chais à des négociants.

A l'intérieur, le vestibule, avec ses 16 colonnes doriques et sa voûte à caissons et à rosaces, a très peu évolué depuis 1780. On y retrouve la blondeur nue des pierres Le grand escalier en T (le premier dans ce style) est surmonté d'une coupole de 19 m de hauteur, et donne accès à la salle de spectacle dont la porte principale est gardée par 2 cariatides, l’une représentant la comédie, l’autre la tragédie. 

medium_coupe_theatre_bordeaux.jpgL’escalier se divise en deux pour donner accès au deuxième étage paré, lui, de 8 colonnes ioniques, et au Grand Foyer, le foyer d'été et celui d'hiver. Le foyer des artistes est l'une des pièces les plus flamboyantes du Grand Théâtre. Il occupe en fait l'emplacement de l'ancienne salle de concert.

medium_garonne.jpgJean-Baptiste Robin reçut en 1774 la commande du plafond entièrement en bois et en forme de coupole de la salle de spectacle, qu'il peignit en 5 mois 1/2 en 1777. Avec ses sur 193 m2, c'était le plus grand plafond peint depuis celui du salon d'Hercule à Versailles. Robin orna "à la détrempe" en peignant directement sur ce matériau. Cette fresque représente la ville de Bordeaux offrant le nouveau théâtre à Appolon et aux Muses. Dans les angles, en pendentifs, il peignit Molière, Corneille, Rameau et Quinault portés par les génies tenant les attributs de leur art. Le plafond disparut dans un incendie en 1798. Pierre Lacour, qui avait été écarté 25 ans auparavant peignit un nouveau plafond. Mais en 1917 le peintre bordelais, Roganeau, reproduisit à l’identique le plafond initial. Les autres ornements furent peints par Taconnet, qui mourut d'une chute dans la salle alors qu'il venait d'en achever le décor

Pendant quelques années, en particulier sous la Révolution, les représentations furent orageuses, et au commencement de 1795, l'acteur Louis Compain, qui fut directeur du Théâtre de la Monnaie à Paris, est même massacré en plein théâtre ! un écrivain chroniqueur, Charles Monselet en fait une description pleine de gaieté et de naturel en 1874 dans "Les souliers de sterne" A la fin du XVIIIe puis au XIXe siècle, le théâtre  accueille les artistes les plus célèbres : Dauberval, Kreutzer, Liszt, Cinti-Damoreau, Falcon, Viardot, Talma, Nourrit, Duprez, Rubini, Petipa... Plus tard, il est aussi le cadre de fêtes. Dans son écrit "Souvenirs d'un voyage à Bordeaux en 1804", qu'il écrit avec sa mère Johanna, Arthur Schopenhauer évoque les bals masqués qu'on donnait "durant toutes les soirées du carnaval et même pendant les quatre semaines qui lui succèdent, et ceci pendant le carême, et ils ne désemplissent pas".

medium_victorhugo.jpgLe 28 janvier 1871, l'armistice est signé avec la Prusse. Le 8 février, aux élections législatives, Paris vote à gauche, la province à droite à une grosse majorité. Victor Hugo est élu à Paris. Le 13 février, l'Assemblée nationale se réunit à Bordeaux. Hugo y arrive le 14 et siège le 15. Le 26 février, les Parisiens s'emparent des canons de la garnison et les installent à Belleville et à Montmartre. Le 28 février, Thiers a soumis à l'Assemblée les préliminaires du traité de paix, comportant notamment la cession de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine. Le 1er mars 1871, l'assemblée Nationale est réunie au Grand Théâtre de Bordeaux. Les députés défilent à la tribune pour condamner la paix honteuse dont Thiers a demandé la ratification. Victor Hugo, alors député, y prononce un discours "J'ai parlé contre le traité de paix qui nous coûte deux provinces ( Alsace Lorraine) et cinq milliards". Le même jour, l'assemblée ratifiera les préliminaires de paix, malgré la protestation des députés alsaciens et lorrains, par 546 voix contre 107. "Aujourd'hui séance tragique. On a exécuté l'empire, - puis la France, hélas ! On a voté le traité Shylock-Bismarck. J'ai parlé (1). Louis Blanc a parlé après moi et supérieurement parlé. J'ai eu à dîner Louis Blanc et Charles Blanc. Le soir, je suis allé à la réunion rue Lafaurie-Monbadon, que j'ai cessé de présider. Schœlcher présidait. J'y ai parlé. Je suis content de moi." (Carnets Intimes de Victor Hugo 1870 – 1871). Les troupes allemandes entrent dans Paris, qu'elles quitteront le lendemain. Les 6 et 7 mars, Victor Hugo tente de faire venir à l'Assemblée un projet de décret prorogeant les députés d'Alsace et Lorraine dans leurs sièges « jusqu'au jour où ils pourront rendre à leurs commettants leur mandat dans les conditions où ils l'ont reçu ».Mais, le 8 mars, à l'occasion d'un incident concernant la validation du mandat de Garibaldi élu en Algérie, Victor Hugo démissionne en séance. Le 10 mars, l'Assemblée vote son transfert à Versailles par 427 voix contre 154.

 

medium_messaline.jpgA la fin de l'année 1900, Lautrec, malade, passe l'hiver à Bordeaux. Le Grand théâtre programme le 14 décembre la première représentation en France de Messaline, tragédie lyrique sur la musique de d'Isidore de Lara. Lautrec assiste à ce spectacle avec Paul Berthelot. . Dès l'apparition de Mademoiselle Ganne qui tient le rôle de Messaline, il en fera six tableaux appelés Messaline, il ne cesse de s'écier "Que c'est beau!" "Elle est divine!". Puis, quittant brusquement le théatre, peint pendant plusieurs jours fiévreusement des esquisses, il en fera six tableaux appelés Messaline, qui immortalise la comédienne.

 

 

 

 

medium_kokoschka_bdx_theatre.jpgEn 1925, Oskar Kokoschka en voyage à Bordeaux, consacrera une de ses toiles au Grand théâtre de Bordeaux

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