samedi, 08 mai 2010
8 mai 1945 ... le retour, enfin !
Le 7 mai 1945, à 2 h 41, la reddition de l'armée allemande est signée à Reims ... Cette date correspond donc à la fin des combats en Europe de l'Ouest. Les journalistes occidentaux répandirent prématurément la nouvelle de la capitulation, précipitant ainsi les célébrations. Les combats continuèrent cependant sur le front de l'Est jusqu'à ce que les Allemands signent à nouveau un acte de capitulation spécifique avec les Soviétiques à Berlin. C'est donc peu avant minuit, le 8 mai, qu'une seconde reddition sans condition fut signée dans la banlieue Est de Berlin. Les représentants de l'URSS, de la Grande-Bretagne, de la France et des États-Unis arrivèrent peu avant minuit. Après que le maréchal Georgi Joukov eut ouvert la cérémonie, les représentants du Haut commandement allemand, emmenés par le maréchal Wilhelm Keitel, furent invités à signer l'acte de capitulation entrant en vigueur à 23 h 01, heure d'Europe centrale.
Per me si va nielle cita dolente,
Per me si va nell'eterno dolore,
Per me si va alla perduta gente.
Lasciate ogni speranza voi ch'entrate !
Par moi on pénètre dans la cité de la souffrance ;
Par moi on entre dans l'éternelle douleur,
Par moi, on marche vers le peuple des perdus.
Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance !
Dante Alighieri, La divine comédie, 1472.
Le lundi 7 mai 1945, le convoi ramenant Granny de Hanovre, via la Belgique, passait la frontière française, non loin de Lille. Le 8 mai à 9h, elle était à Paris ...
Une de ses amies, Simonne Rohner, déportée comme elle, a fait le récit de leur déportation à son retour. Ce récit, dont j'ai gardé précieusement une copie, je l'ai retrouvé un jour sur internet ...
Granny, c'est "Madeleine" - matricule 38990 - partie comme Simonne le 13 mai 1944 par le convoi I.212 qui ne transportait que des femmes, 552 en tout, et qui arriva à Ravensbrück le 18 mai 1944. Près des deux tiers de ces femmes ne restent pas dans ce camp de concentration, et sont ensuite transférées dans des Kommandos de travail, ("camp annexe" en allemand) souvent éloignés, produisant pour l'économie de guerre du Reich et dépendant d'autres camps. Simonne et Granny sont ainsi transférées le 21 Juin 1944 dans un "kommando" de travail, le Lager-Arbeit de Limmer près de Hanovre, dépendant du KL Neuengamme, pour y fabriquer des masques à gaz.
Libérées le 23 avril 1945 par la Croix-Rouge, leur retour, d'abord prévu en avion, se fit en fait en camion jusqu'à Clèves, sur des routes allemandes défoncées par les bombardements et la guerre, et enfin en train à travers la Hollande et la Belgique. Voilà le récit que Simone fit de la fin du voyage :
"Le train repartit, la plupart des camarades dormaient. Hélène et moi, enveloppées dans nos couvertures étions restées sur le marchepied, scrutant la nuit noire, nous étions silencieuses, toutes à nos pensées intimes. A chaque station, nous posions la question :
- Est-ce là la FRANCE ?
- Pas encore, bientôt !
A une toute petite station, le chef de gare nous dit :
- Vous en êtes à quelques kilomètres...
Comme nos coeurs battaient !
A l'arrêt suivant, des employés de la S.N.C.F. nous accueillirent, un grand cri s'éleva de tout le convoi :
- Nous sommes en FRANCE !
Personne ne pensait plus à dormir, on s'embrassait, on riait, on chantait et bientôt le train ralentit. Nous étions à LILLE, dans une gare de triage. Il était 3 h du matin. Des Officiers nous attendaient et nous firent le salut militaire puis nous partîmes en camions au travers de la ville endormie. Comme tout était calme, silencieux. On nous conduisit dans un ancien séminaire où un repas nous attendait. Nous n'avions guère faim, mais malgré tout nous fîmes honneur au saucisson, à la tranche de viande froide, pommes de terre et gâteaux, plus un grand verre de vin rouge, le premier depuis notre libération.
Des scouts, des dames de la CROIX-ROUGE nous entouraient s'informant de nos moindres désirs. Nous étions plus de mille. Tout à coup un soldat se leva et réclama la"MARSEILLAISE". Celle-ci fut chantée d'une voix vibrante, nous étions tous profondément émus. Quelques soldats chantèrent des chansons de camps et nous, nous entonnâmes le chant des"MARAIS". Lorsque nous eûmes terminées un silence de mort plana sur la salle, la plupart des soldats pleuraient, cette vision était bouleversante.
Enfin, l'ordre d'aller nous reposer quelques heures arriva et on nous conduisit dans des petites chambres où des lits bien blancs nous attendaient. Nous n'en pouvions plus d'émotion, de fatigue, de joie et le sommeil nous terrassa immédiatement.
Le soleil brillait déjà haut dans le ciel, lorsque nous ouvrîmes les yeux. On nous fit savoir que nous devions aller à la sécurité militaire, ainsi qu'à la visite médicale. Trois Officiers nous interrogeaient, compulsaient des fiches puis nous remirent nos feuilles de Rapatriés. Ensuite nous reçûmes une prime de 1 500 francs, plus une somme de 1 000 francs, offerte en réalité par les prisonniers porteurs de marks. Je remis ces 1 000 francs à Nicole, car je n'ignorais pas qu'elle était dans le plus grand dénuement, les Boches lui ayant tout pris. On nous fit prendre une douche, on nous vaccina, puis les Majors nous examinèrent, radioscopie, radio tirée ; je tombais sur un phénomène qui me demanda candidement :
- Vous n'avez pas été malheureuse en ALLEMAGNE ?
- Oh ! non, lui répondis-je en riant, c'était le paradis !"
[...]A midi 1/2, on nous fit remonter en camions et nous prîmes la direction de la gare. Les civils nous regardaient avec des airs méfiants, quelques huées furent lancées à notre adresse. Nous nous regardions surprises. Quoi ? La FRANCE ignorait-elle les déportés ? Nos costumes de bagnardes n'expliquaient donc rien ? A la gare ce fut pire, nous eûmes à subir des paroles cinglantes, nous en pleurions de rage. Où était l'ambiance la gentillesse des Hollandais, des Belges !
Nous recevions un accueil hostile, nous étions déroutées. Sur le quai, Alice avisa un jeune homme et le pria d'aider une de nos camarades qui n'arrivait plus à traîner son baluchon, il répondit brutalement :
- Elle est bien capable de le porter elle-même !
- Salaud ! lui cria Alice, elle écumait de colère. Ah ! on m'y reprendra de faire de la Résistance, ah ! les salauds ! être reçue de cette façon dans notre pays. Ah ! non, jamais je n'oublierai cela, après avoir souffert ce que nous avons souffert, c'est un peu violent !
Un des Officiers alla au haut-parleur et s'adressant aux civils, il prononça des paroles dures, blâmant une pareille attitude à notre égard. Le train démarra, nous étions installées dans un grand wagon de seconde classe à couloir central, affalées sur nos banquettes, silencieuses, le coeur lourd de larmes.
Peu de temps après le départ, un jeune homme et une jeune femme vinrent vers nous :
- Tout le monde a compris, dirent-ils, et nous venons chercher quelques-unes d'entre vous pour parcourir les wagons, nous avons organisé une collecte à votre profit !
En effet, un peu plus tard, elles revinrent toutes joyeuses, tenant dans leur robe de nombreux billets, lorsque le partage fut fait, nous reçûmes chacune 187,50 Frs... Alice riait aux larmes :
- J'empoche, dit-elle, car jusqu'à PARIS, je reste cloche et vis de la mendicité publique, cela me paiera mon métro !
La gaieté reparut et nous chantions à tue-tête.
A ARRAS, il y eut arrêt.
Des infirmières nous distribuèrent un casse-croûte et du vin. La ville était très abîmée, je la retrouvais comme en 1919... Puis le train roula, roula à travers la plaine de l'ARTOIS, de la SOMME, pays plat, riche en cultures, mes yeux se souvenaient de tous ces coins que j'avais parcouru chaque année lorsque nous allions sur la tombe de papa.
Nous approchâmes de CREIL, arrêt, puis la forêt de CHANTILLY avec ses frondaisons de printemps. Nous longions l'OISE où ses ponts sautés, ses villas endommagées nous montraient encore la figure sinistre de la guerre. Enfin, la banlieue avec ses petites maisons, puis le Sacré-Coeur se dessina et nous entrâmes en gare du Nord, il était 8 heures !
PARIS !
Nous étions enfin à PARIS...
Les employés nous aidèrent à descendre, nous souriaient, nous interrogeaient. Les scouts se précipitèrent et on nous entraîna dans une grande salle aménagée en Centre d'Accueil, personne n'avait faim. [...]
Je piétinais dans l'attente des autobus qui devaient venir nous chercher, les Officiers m'empêchèrent de rentrer par mes propres moyens :
- Vous devez passer par LUTETIA pour le contrôle !
Enfin, vers 9 heures, ils arrivèrent ornés de drapeaux, je restais sur la plate-forme avec Hélène, Nicole et Henriette.
Tout PARIS était dehors, les fenêtres étaient pavoisées et dans le ciel deux faisceaux lumineux formaient un grand V symbolique. Je ne retrouvais pas la liesse de BRUXELLES, ni le souvenir de la joie débordante de 1918, c'était autre chose, une joie presque grave. Le long du parcours, les gens nous saluaient, nous envoyaient des baisers, agitaient les mains et nos camarades criaient :
- Bonjour la FRANCE ! Bonjour PARIS !
PARIS intact, toujours beau sous son ciel de Mai, la nuit tombait poudrant tout d'une douceur inconnue en ALLEMAGNE. Je dévorais des yeux tous ces coins si connus, si aimés.
PARIS !
Mon PARIS, je le retrouvais... Combien de fois avais-je rêvé à lui, pendant les nuits d'usine où seule avec mes souvenirs, je voyais défiler toutes ses rues, ses boulevards, ses quartiers où j'avais laissé tant de moi-même, bons ou mauvais souvenirs.
Qu'importe, je l'aimais mon PARIS...
A LUTETIA, une foule attendait, visages crispés, torturés, des gens se précipitèrent, nous entourèrent, nous interrogèrent, il fallut que les scouts et les agents s'interposent pour nous laisser entrer. Nouveau contrôle militaire, puis enfin, je vis arriver Jo et Suzanne, après nous être embrassé en pleurant de joie, je les interrogeai avidement.
- Père et Jacques n'ont pas pu venir, ils sont très fatigués, mais ce ne sera rien, un peu de repos suffira !
Je pressais le pas, courant presque, une hâte d'arriver, de les voir. Lorsque la porte s'ouvrit, je vis Tito... hâve, décharné, semblable aux photos vues à HANOVRE. Il vint vers moi :
- Tu vois, me dit-il, ce que je suis devenu ?
Quel reproche dans sa voix... Je me sentis glacée.
- Où est Jacques ?
- Là-haut, il t'attend !
Je grimpais les escaliers en courant et bondis dans la petite chambre, un cadavre m'attendait. Il tourna les yeux vers moi et un pauvre sourire se dessina sur ses lèvres :
- Ah ! te voilà maman ! Tu es revenue toi aussi... Il referma les yeux, je posais mes lèvres sur sa face ruisselante de sueur, il ouvrit à nouveau les yeux et me dit :
- Ils ne m'ont pas eu les vaches !...
Puis il tourna la tête d'un air las.
Je restais près de lui, tenant sa main fiévreuse, effondrée devant la réalité brutale, une nouvelle lutte à soutenir m'attendait, lutte contre la mort que l'on sentait rôder dans la petite pièce étouffante.
Lorsque je gagnais mon lit, ce fut une nuit terrible, pleine de larmes et de sanglots. Ah ! ce n'était pas cela que j'avais rêvé... comme retour.
La vie me pesait.
Toute joie avait disparu de mon coeur.
Le cortège de soucis, d'angoisse, de lutte recommençaient.
C'était le 8 Mai 1945..."
A voir ! les dessins de l'article " l'art et les camps" http://pagesperso-orange.fr/d-d.natanson/art_et_camps
18:05 Publié dans femmes, Histoire, messages perso ... | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |
Commentaires
Un merci plein d'émotion pour ce récit.
Écrit par : La fargussienne | mardi, 11 mai 2010
Granny, c'est une de mes grand-mères, déportée car son mari Marcel Roclore (qui était son second mari, donc pas mon grand-père), médecin et maire de Saulieu en 1935, était résistant depuis 1940, et avait démissionné de son poste de maire en 1941 pour organiser les maquis de la région. Il a d'ailleurs été ministre après la guerre ... Granny parlait peu de son internement et c'est par hasard que j'ai trouvé ce récit sur internet, puis une copie carbone de l'original dans les papiers de mes parents ...
Écrit par : dominique | mardi, 11 mai 2010
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