mardi, 04 janvier 2011
Hiver, vous n’êtes qu’un vilain
Hiver, vous n’êtes qu’un vilain;
Eté est plaisant et gentil,
En témoin de mai et d’avril
Qui l’accompagnent soir et main;
Eté revêt champs, bois et fleurs
De sa livrée de verdure
et de maintes autres couleurs,
Par l’ordonnance de nature.
Mais vous, hiver, trop êtes plein
De neige, vent, pluie et grésil:
on vous dût bannir en exil.
Sans point flatter, je parle plain
Hiver, vous n’êtes qu’un vilain.
Charles d’Orléans
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jeudi, 02 septembre 2010
La haine des bourgeois
"Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j’en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est qu’ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons.
Je me suis fait très mal voir de la foule, en leur donnant quelques sols. Et j’ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre.
C’est la haine qu’on porte au Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au Solitaire, au Poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère. Il est vrai que beaucoup de choses m'exaspèrent. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton."
Gustave Flaubert, lettre à Georges Sand, Croisset le 12 juin 1867
17:53 Publié dans chronique à gauche, coup de coeur, coup de gueule, litterature, militance, mobilisation, peinture | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |
dimanche, 09 décembre 2007
Maillol, la peinture, la sculpture et Marly-le-Roi
J'aime bien quelques uns des sites qui nous racontent l'histoire au jour le jour. Je visite souvent le site "Hérodote" mais aussi une éphéméride sur l'art, assez "rustique" mais efficace, avec plein de liens sur des reproductions des tableaux dont parlent les articles ! A partir de là, je me promène ensuite sur internet à la recherche d'infos sur tel ou tel évènement, tel ou tel artiste, bref je continue à m'instruire !!!
Et hier, j'ai donc découvert que le sculpteur Maillol, né le 8 décembre 1861 (le même jour que Méliès), et dont on admire les sculptures monumentales de nus féminin au jardin des tuileries ou ailleurs, avait son atelier à Marly-le-Roi, dans les Yvelines, pas loin de chez moi donc !!! J'ai habité à Marly et je ne la savais pas ... Il faut dire qu'à l'époque mes promenades dans Marly se résumaient souvent à une ballade dans le parc avec le tricycle de mon fils alors bambin !!!
J'ai ainsi appris qu'Aristide Maillol avait commencé par peindre, se lia avec Gauguin et qu'un temps il fut très proche de Maurice Denis, Vuillard, Bonnard ... même s'il ne s'intégra jamais complètement au groupe des Nabis. Il fut aussi "designer" de tapisserie et son travail reflète sa grande admiration pour les Nabis, et l'utilisation de grands aplats de couleurs "sorties du tube", qui caractérisait leurs œuvres, se prêtait bien à une telle utilisation. J'ai découvert un site où l'on peut admirer plein de photos de ses peintures et tapisseries (http://pintura.aut.org/BU04?Autnum=12.889). J'ai ainsi pu ajouter une "femme lisant" à ma série !!!
Passionné d'art, Maillol et surtout sa muse et amie Dina Vierny avaient constitué une collection de tableaux des artistes qu'ils côtoyaient, Bonnard, Gauguin, Rousseau ... ainsi que de nombreux dessins de Suzanne Valadon, Picasso, Degas, Foujita ... que l'on peut admirer au Musée qui porte son nom.
Il avait presque 40 ans quand une maladie d'oeil le poussa à devenir plutôt sculpteur, mais il n'abandonna jamais la peinture. C'est en 1905 seulement, après la parution d'articles d'Octave Mirbeau, de Gide et de Maurice Denis dans La Revue en avril 1905, et le Salon d'automne où était présenté le plâtre de la Méditerranée, que Maillol s'imposa comme un sculpteur. "La Méditerranée" attira alors l'attention autant par la perfection et la sobriété des formes que par son "silence" (Gide). Refusant le pathétique, les attitudes lisses, "sereines" de ses nus féminins rompent avec le lyrisme et les représentations fortement émotionnelles, déchirées de son contemporain Auguste Rodin, et sa représentation du mouvement, plus figé, qui essaie de préserver et même d'épurer la tradition de sculpture tirée de la Grèce classique et de Rome, s'apparente parfois à un art primitif.
Je vous recommande aussi de lire sur l'histoire d'une des sculptures de Maillol, "L'action enchaînée : hommage à Blanqui", superbe statue de bronze placée à l'origine en face de l’église de Puget-Théniers et maintenant exilée dans un petit square étriqué pour ne pas choquer les bien-pensants par sa nudité !!! une autre version de cette statue fait partie des 18 du Carrousel ...
Enfin, un itinéraire de promenade à Marly-le-Roi
11:20 Publié dans art, femmes, peinture, sculpture | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook |
vendredi, 08 juin 2007
The night of loveless nights
Il y a les mains terribles
Main noircie d'encre de l'écolier triste
Main rouge sur le mur de la chambre du crime
Main pâle de la morte
Mains qui tiennent un couteau ou un revolver
Mains ouvertes
Mains fermées
Mains abjectes qui tiennent un porte-plume
O ma main toi aussi toi aussi
Ma main avec tes lignes et pourtant c'est ainsi
Pourquoi maculer tes lignes mystérieuses
Pourquoi? plutôt les menottes plutôt te mutiler plutôt, plutôt
Écris, écris car c'est une lettre que tu écris a elle et ce moyen impur est un moyen de la toucher
Mains qui se tendent mains qui s'offrent
Y a-t-il une main sincère parmi elles
Ah je n'ose plus serrer les mains
Mains menteuses mains lâches mains que je hais
Mains qui avouent et qui tremblent quand je regarde les yeux
Y a-t-il encore une main que je puisse serrer avec confiance
Mains sur la bouche de l'amour
Mains sur le cœur sans amour
Mains au feu de l'amour
Mains à couper du faux amour
Mains basses sur l'amour
Mains mortes à l'amour
Mains forcées pour l'amour
Mains tenues sur l'amour
Mains hautes sur l'amour
Mains tendues vers l'amour
Mains d'oeuvre d'amour
Mains heureuses d'amour
Mains à la pâte hors l'amour horribles mains
Mains liées par l'amour éternellement
Mains lavées par l'amour par des flots implacables
Mains à la main c'est l'amour qui rôde
Mains pleines c'est encore l'amour
Mains armées c'est le véritable amour
Mains de maître mains de l'amour
Main chaude d'amour
Main offerte à l'amour
Main de justice main d'amour
Main forte à l'amour !
Mains Mains toutes les mains
Un homme se noie une main sort des flots
Un homme s'en va une main s'agite
Une main se crispe un coeur souffre
Une main se ferme ô divine colère
Une main encore une main
Une main sur mon épaule
Qui est-ce ?
Est-ce toi enfin ?
Il fait trop sombre ! quelles ténèbres !
Je ne sais plus à qui sont les mains
Ce qu'elles veulent
Ce qu'elles disent
Les mains sont trompeuses
Je me souviens encore de mains blanches dans l'obscurité étendues sur une table dans l'attente
Je me souviens de mains dont l'étreinte m'était chère
Et je ne sais plus
Il y a trop de traîtres trop de menteurs
Ah même ma main qui écrit
Un couteau ! une arme ! un outil !
Tout sauf écrire !
Du sang du sang!
Patience! ce jour se lèvera. [...]
Robert Desnos
Robert Desnos est mort le 8 juin 1945 au camp de concentration de Theresienstadt en Tchécoslovaquie
un autre poème de Robert Desnos à l'annexe
12:00 Publié dans peinture, poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
jeudi, 24 mai 2007
Les femmes qui lisent sont dangereuses (suite)
Samedi dernier, visite dans une galerie rue Quincampoix où Pierre, un ami, expose ses sculptures. L'artiste est absent pour un petit moment et nous décidons de faire quelques emplettes dans le quartier avant de repasser à la galerie. Arrêt au "Comptoir aux écritures" pour acheter du fiel de bœuf que j'utilise en enluminure, puis retour par les boutiques à touristes en face de Beaubourg. Qui sait, peut être vais-je trouver une photo marrante à encadrer pour mes 2 puces ? Non, rien que des "merdouilles" et pourtant dans une de ces boutiques, un présentoir de cartes postales attire mon attention. Eh oui, rien que des reproductions de tableaux de femmes en train de lire ! Oui, vous savez, de ces femmes dangereuses dont parle le livre de Laure Adler et Stefan Bollman et dont j'avais fait une note en janvier ... et comme ces tableaux ne figurent pas dans le livre, je vous en fais profiter aussi.
La liseuse de Félix Vallotton,
La liseuse au guéridon de Matisse
et, trois siècles plus tôt, une vieille femme lisant, de Rembrandt.
Ces trois peintres ont déja également peint d'autres femmes lisant, qui figurent dans le livre ...
00:55 Publié dans femmes, litterature, peinture | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
mardi, 15 mai 2007
Soirs bleus
Sensation
Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue,
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.
Arthur Rimbaud
Mars 1870
Un décriptage du tableau "soir bleu" de Hopper sur :
http://laboiteaimages.hautetfort.com/archive/2006/09/13/s...
Edward Hopper est mort le 15 mai 1967
23:20 Publié dans peinture, poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
jeudi, 26 avril 2007
La victoire de Guernica
I
Beau monde des masures
De la nuit et des champs
II
Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups
III
Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d'exemple
IV
La mort coeur renversé
V
Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l'eau le sommeil
Et la misère
De votre vie
VI
Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l'aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s'accablaient de politesses
VII
Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde
VIII
Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs
IX
Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent
X
Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang
XI
La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile
XII
Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché
XIII
Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l'espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l'avenir
XIV
Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.
Paul Éluard
- 1938 -
Le 26 avril 1937, l’aviation allemande de la légion Condor, alliée de Franco, déverse 30 tonnes de bombes incendiaires sur la petite ville basque de Guernica. En trois heures, la ville est quasiment rasée. Combien de morts ? 800 ? 2 000 ? Un massacre délibéré de civils innocents pour terroriser la population. Sur place, un journaliste, George Steer, témoigne pour le Times et le New York Times, alors que les franquistes tentent par tous les moyens d’étouffer l’affaire et d’en faire disparaître les preuves. Picasso peint l’un de ses plus célèbres tableaux qu’il présente trois mois à l’exposition internationale de Paris. La toile résonne comme un cri de douleur face à l’horreur et à la barbarie, en même temps qu’elle appelle à la résistance. Choqué par le massacre de Guernica en 1937, Paul Eluard prend position en faveur de l’Espagne républicaine et écrit «la Victoire de Guernica» , (Cours naturel, 1938), puis s’engagera dans la Résistance.
01:20 Publié dans Histoire, peinture, poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
samedi, 03 mars 2007
Promenades et souvenirs (I)
LA BUTTE MONTMARTRE
Il est véritablement difficile de trouver à se loger dans Paris. Je n'en ai jamais été si convaincu que depuis deux mois. Arrivé d'Allemagne, après un court séjour dans une villa de la banlieue, je me suis cherché un domicile plus assuré que les précédents, dont l'un se trouvait sur la place du Louvre et l'autre dans la rue du Mail. Je ne remonte qu'à six années. Évincé du premier avec vingt francs de dédommagement, que j'ai négligé, je ne sais pourquoi, d'aller toucher à la Ville, j'avais trouvé dans le second ce qu'on ne trouve plus guère au centre de Paris : une vue sur deux ou trois arbres occupant un certain espace, qui permet à la fois de respirer et de se délasser l'esprit en regardant autre chose qu'un échiquier de fenêtres noires, où de jolies figures n'apparaissent que par exception. Je respecte la vie intime de mes voisins, et ne suis pas de ceux qui examinent avec des longues-vues le galbe d'une femme qui se couche, ou surprennent à l'œil nu les silhouettes particulières aux incidents et accidents de la vie conjugale. J'aime mieux tel horizon « à souhait pour le plaisir des yeux », comme dirait Fénelon, où l'on peut jouir, soit d'un lever, soit d'un coucher de soleil, mais plus particulièrement du lever. Le coucher ne m'embarrasse guère : je suis sûr de le rencontrer partout ailleurs que chez moi. Pour le lever, c'est différent: j'aime à voir le soleil découper des angles sur les murs, à entendre au dehors des gazouillements d'oiseaux, fût-ce de simples moineaux francs... Grétry offrait un louis pour entendre une chanterelle, je donnerais vingt francs pour un merle; les vingt francs que la ville de Paris me doit encore !
J'ai longtemps habité Montmartre; on y jouit d'un air très pur, de perspectives variées, et l'on y découvre des horizons magnifiques, soit « qu'ayant été vertueux, l'on aime à voir lever l'aurore », qui est très belle du côté de Paris, soit qu'avec des goûts moins simples, on préfère ces teintes pourprées du couchant, où les nuages déchiquetés et flottants peignent des tableaux de bataille et de transfiguration au-dessus du grand cimetière, entre l'arc de l'Étoile et les coteaux bleuâtres qui vont d'Argenteuil à Pontoise. Les maisons nouvelles s'avancent toujours, comme la mer diluvienne qui a baigné les flancs de l'antique montagne, gagnant peu à peu les retraites où s'étaient réfugiés les monstres informes reconnus depuis par Cuvier. Attaqué d'un côté par la rue de l'Empereur, de l'autre par le quartier de la mairie, qui sape les après montées et abaisse les hauteurs du versant de Paris, le vieux mont de Mars aura bien bientôt le sort de la butte des Moulins, qui, au siècle dernier, ne montrait guère un front moins superbe. Cependant, il nous reste encore un certain nombre de coteaux ceints d'épaisses haies vertes, que l'épine-vinette décore tour à tour de ses fleurs violettes et de ses baies pourprées.
Il y a là des moulins, des cabarets et des tonnelles, des élysées champêtres et des ruelles silencieuses, bordées de chaumières, de granges et de jardins touffus, des plaines vertes coupées de précipices, où les sources filtrent dans la glaise, détachant peu à peu certains îlots de verdure où s'ébattent des chèvres, qui broutent l'acanthe suspendue aux rochers; des petites filles à l'œil fier, au pied montagnard, les surveillent en jouant entre elles. On rencontre même une vigne, la dernière du cru célèbre de Montmartre, qui luttait, du temps des Romains, avec Argenteuil et Suresnes. Chaque année, cet humble coteau perd une rangée de ses ceps rabougris, qui tombent dans une carrière. - Il y a dix ans, j'aurais pu l'acquérir au prix de trois mille francs... On en demande aujourd'hui trente mille. C'est le plus beau point de vue des environs de Paris.
Ce qui me séduisait dans ce petit espace abrité par les grands arbres du Château des Brouillards, c'était d'abord ce reste de vignoble lié au souvenir de saint Denis, qui, au point de vue des philosophes, était peut-être le second Bacchus, Dionusisz, et qui a eu trois corps dont l'un a été enterré à Montmartre, le second à Ratisbonne et le troisième à Corinthe. C'était ensuite le voisinage de l'abreuvoir, qui, le soir, s'anime du spectacle de chevaux et de chiens que l'on y baigne, et d'une fontaine construite dans le goût antique, où les laveuses causent et chantent comme dans un des premiers chapitres de Werther. Avec un bas-relief consacré à Diane et peut-être deux figures de naïades sculptées en demi-bosse, on obtiendrait, à l'ombre des vieux tilleuls qui se penchent sur le monument, un admirable lieu de retraite, silencieux à ses heures, et qui rappellerait certains points d'étude de la campagne romaine. Au-dessus se dessine et serpente la rue des Brouillards, qui descend vers le chemin des Bœufs, puis le jardin du restaurant Gaucher, avec ses kiosques, ses lanternes et ses statues peintes... La plaine Saint-Denis a des lignes admirables, bornées par les coteaux de Saint-Ouen et de Montmorency, avec des reflets de soleil ou des nuages qui varient à chaque heure du jour. A droite est une rangée de maisons, la plupart fermées pour cause de craquements dans les murs. C'est ce qui assure la solitude relative de ce site : car les chevaux et les bœufs qui passent, et même les laveuses, ne troublent pas les méditations d'un sage, et même s'y associent. La vie bourgeoise, ses intérêts et ses relations vulgaires, lui donnent seuls l'idée de s'éloigner le plus possible des grands centres d'activité.
Il y a à gauche de vastes terrains, recouvrant l'emplacement d'une carrière éboulée, que la commune a concédés à des hommes industrieux qui en ont transformé l'aspect. Ils ont planté des arbres, créé des champs où verdissent la pomme de terre et la betterave où l'asperge montée étalait naguère ses panaches verts décorés de perles rouges.
On descend le chemin et l'on tourne gauche. Là sont encore deux ou trois collines vertes, entaillées par une route qui plus loin comble des ravins profonds, et qui tend à rejoindre un jour la rue de l'Empereur entre les buttes et le cimetière. On rencontre là un hameau qui sent fortement la campagne, et qui a renoncé depuis trois ans aux travaux malsains d'un atelier de poudrette. Aujourd'hui, l'on y travaille les résidus des fabriques de bougies stéariques. Que d'artistes repoussés du prix de Rome sont venus sur ce point étudier la campagne romaine et l'aspect des marais Pontins ! Il y reste même un marais animé par des canards, des oisons et des poules.
Il n'est pas rare aussi d'y trouver des haillons pittoresques sur les épaules des travailleurs. Les collines, fendues çà et là, accusent le tassement du terrain sur d'anciennes carrières; mais rien n'est plus beau que l'aspect de la grande butte, quand le soleil éclaire ses terrains d'ocre rouge veinés de plâtre et de glaise, ses roches dénudées et quelques bouquets d'arbres encore assez touffus, où serpentent des ravins et des sentiers.
La plupart des terrains et des maisons éparses de cette petite vallée appartiennent à de vieux propriétaires, qui ont calculé sur l'embarras des Parisiens à se créer de nouvelles demeures et sur la tendance qu'ont les maisons du quartier Montmartre à envahir, dans un temps donné, la plaine Saint-Denis. C'est une écluse qui arrête le torrent; quand elle s'ouvrira, le terrain vaudra cher. Je regrette d'autant plus d'avoir hésité, il y a dix ans, à donner trois mille francs du dernier vignoble de Montmartre.
Il n'y faut plus penser. Je ne serai jamais propriétaire : et pourtant que de fois, au 8 ou au 15 de chaque trimestre (près de Paris, du moins), j'ai chanté le refrain de M. Vautour :
Quand on n'a pas de quoi payer son terme
Il faut avoir une maison à soi !
J'aurais fait faire dans cette vigne une construction si légère !... Une petite villa dans le goût de Pompéi avec un impluvium et une cella, quelque chose comme la maison du poète tragique. Le pauvre Laviron, mort depuis sur les murs de Rome, m'en avait dessiné le plan. A dire le vrai pourtant, il n'y a pas de propriétaires aux buttes de Montmartre. On ne peut asseoir légalement une propriété sur des terrains minés par des cavités peuplées dans leurs parois de mammouths et de mastodontes. La commune concède un droit de possession qui s'éteint au bout de cent ans... On est campé comme les Turcs; et les doctrines les plus avancées auraient peine à contester un droit si fugitif où l'hérédité ne peut longuement s'établir.[1]
Gérard de NERVAL
Promenades et souvenirs a paru dans l'Illustration du 30 décembre 1854, puis des 6 janvier et 3 février 1855. Ce récit est donc le dernier à avoir été publié du vivant de Nerval.
______________________
1. Certains propriétaires nient ce détail, qui m'a été affirmé par d'autres. N'y aurait-il pas eu, là aussi, des usurpations pareilles à celles qui ont rendu les fiefs héréditaires sous Hugues Capet ?
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mardi, 30 janvier 2007
JUSTESSE DE GEORGES DE LA TOUR
L'unique condition pour ne pas battre en interminable retraite était d'entrer dans le cercle de la bougie, de s'y tenir, en ne cédant pas à la tentation de remplacer les ténèbres par le jour et leur éclair nourri par un terme inconstant.
Il ouvre les yeux. C'est le jour, dit-on. Georges de La Tour sait que la brouette des maudits est partout en chemin avec son rusé contenu. Le véhicule s'est renversé. Le peintre en établit l'inventaire. Rien de ce qui infiniment appartient à la nuit et au suif brillant qui en exalte le lignage ne s'y trouve mélangé.
Le tricheur, entre l'astuce et la candeur, la main au dos, tire un as de carreau de sa ceinture ;
des mendiants musiciens luttent, l'enjeu ne vaut guère plus que le couteau qui va frapper ;
la bonne aventure n'est pas le premier larcin d'une jeune bohémienne détournée ;
le joueur de vielle, syphilitique, aveugle, le cou flaqué d'écrouelles, chante un purgatoire inaudible.
C'est le jour, l'exemplaire fontainier de nos maux. Georges de La Tour ne s'y est pas trompé.
René Char - 26 janvier 1966
Georges de La Tour est mort le 30 janvier 1652
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jeudi, 25 janvier 2007
Mis à part les cadres, tout l'ensemble ne vaut pas plus de 5 £, et seulement pour le plaisir d'en faire un feu de joie.
Il est difficile, en 1939, alors qu'une exposition du centenaire de Cézanne se fait au bénéfice d'un grand hôpital, et qu'une foule d'admirateurs, d'adorateurs soumis, se presse chaque jour dans la galerie, d'imaginer la violence des réactions que provoquèrent ces tableaux il y a moins de trente ans. Les œuvres sont les mêmes; c'est le public qui a changé. Mais le fait n'est pas douteux. Le public de 1910 fut secoué par des paroxysmes de colère et de rire.
On allait de Cézanne à Gauguin, et de Gauguin à Van Gogh, on passait de Picasso à Signac, et de Derain à Friesz, et on éclatait de fureur. C'était une plaisanterie, c'était se moquer du monde. Une grande dame exigea qu'on raye son nom du comité. Un gentleman, devant un portrait de Mme Cézanne par le peintre, se mit à rire si fort, selon Desmond McCarthy, «qu'on dut le faire sortir et l'obliger à prendre l'air durant cinq minutes.
De belles dames firent tinter un rire artificiel et argentin.» Le secrétaire dut apporter un registre pour que le public puisse se plaindre par écrit. Pas moins de quatre cents personnes par jour visitèrent la galerie, et exprimèrent leurs opinions non seulement dans le registre du secrétaire, mais aussi dans des lettres au directeur lui-même. Cette peinture était scandaleuse, anarchiste et puérile. C'était une insulte au public britannique, et l'homme qui était responsable de cette insulte était soit un idiot, soit un imposteur, soit un gredin. Des caricatures d'un monsieur à la bouche grande ouverte et aux cheveux très ébouriffés parurent dans les journaux. Des parents envoyèrent des gribouillages de leurs enfants en affirmant qu'ils étaient très supérieurs aux œuvres de Cézanne. Cette tempête d'injures inquiéta vraiment Roger Fry, dit Mr. McCarthy.
Les critiques se montrèrent naturellement plus mesurés dans leurs reproches, mais ils restaient perplexes. Un seul critique londonien, sir Charles Holmes, selon Mr. McCarthy, prit le parti des postimpressionnistes. Le plus influent, le plus écouté, le critique du Times, écrivit ceci: «Lorsque [Roger Fry] place sous son autorité une exposition de ce genre, et laisse entendre qu'il considère les œuvres de Gauguin et de Matisse comme le fin mot de l'art, il est à craindre que d'autres commentateurs moins sincères suivront ses traces, et s'efforceront de persuader le public que les postimpressionnistes sont des gens bien, et que leur art est la chose qu'il faut admirer. Ils accuseront sans doute ceux qui ne sont pas d'accord avec eux d'être des réactionnaires de la pire espèce.
Il est légitime d'aller au-devant de ces accusations, et de déclarer que nous sommes convaincus que cet art en soi est un flagrant exemple de réaction. Il prétend à la simplicité, et pour simplifier il rejette toute la technique que les maîtres du passé ont longuement acquise, développée et transmise. Il reprend tout au début - et s'arrête là où s'arrêterait un enfant... L'art vraiment primitif est séduisant parce qu'il est spontané: mais cet art-là est calculé - c'est le refus de tout ce que la civilisation a accompli, le bon comme le mauvais... C'est encore la vieille histoire de l'époque de Théophile Gautier - le but de l'artiste doit être d'épater le bourgeois et surtout pas de lui plaire! Un tel but est parfaitement atteint par le peintre Henri Matisse, de la main de qui nous avons un paysage, un portrait et une sculpture. Nous aurions pu avoir davantage, mais il paraît que toutes ses œuvres appartiennent à une riche famille parisienne, qui sans doute s'en est tellement entichée qu'elle ne veut rien prêter. Trois œuvres suffisent pour nous permettre d'évaluer la profondeur de la chute, nous ne dirons pas depuis les maîtres anciens, mais depuis trois idoles d'hier - depuis Claude Monet, depuis Manet, et depuis Rodin.» Finalement, le critique du Times en fait appel au Temps - «le seul classificateur impeccable» - qui, conclut-il assez étourdiment, confirmera son verdict. [...]"
La vie de Roger Fry de Virginia Woolf
traduit de l'anglais par Jean Pavans.
Editions Payot.
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