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mardi, 04 janvier 2011

Hiver, vous n’êtes qu’un vilain

 

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Hiver, vous n’êtes qu’un vilain;

Eté est plaisant et gentil,

En témoin de mai et d’avril

Qui l’accompagnent soir et main;

 

Eté revêt champs, bois et fleurs

De sa livrée de verdure

et de maintes autres couleurs,

Par l’ordonnance de nature.

 

Mais vous, hiver, trop êtes plein

De neige, vent, pluie et grésil:

on vous dût bannir en exil.

Sans point flatter, je parle plain

Hiver, vous n’êtes qu’un vilain.

 

Charles d’Orléans

jeudi, 02 septembre 2010

La haine des bourgeois

van_gogh_camp_tzigane_l.jpg"Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j’en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est qu’ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons.

Je me suis fait très mal voir de la foule, en leur donnant quelques sols. Et j’ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre.

C’est la haine qu’on porte au Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au Solitaire, au Poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère. Il est vrai que beaucoup de choses m'exaspèrent. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton."

Gustave Flaubert, lettre à Georges Sand, Croisset le 12 juin 1867

dimanche, 09 décembre 2007

Maillol, la peinture, la sculpture et Marly-le-Roi

dc2d1947e72c3c4966a461613669f362.jpgJ'aime bien quelques uns des sites qui nous racontent l'histoire au jour le jour. Je visite souvent le site "Hérodote" mais aussi une éphéméride sur l'art, assez "rustique" mais efficace, avec plein de liens sur des reproductions des tableaux dont parlent les articles ! A partir de là, je me promène ensuite sur internet à la recherche d'infos sur tel ou tel évènement, tel ou tel artiste, bref je continue à m'instruire !!!

Et hier, j'ai donc découvert que le sculpteur Maillol, né le 8 décembre 1861 (le même jour que Méliès), et dont on admire les sculptures monumentales de nus féminin au jardin des tuileries ou ailleurs, avait son atelier à Marly-le-Roi, dans les Yvelines, pas loin de chez moi donc !!! J'ai habité à Marly et je ne la savais pas ... Il faut dire qu'à l'époque mes promenades dans Marly se résumaient souvent à une ballade dans le parc avec le tricycle de mon fils alors bambin !!!

3c1c127d227c5041d42f02ea508e75f0.jpgJ'ai ainsi appris qu'Aristide Maillol avait commencé par peindre, se lia avec Gauguin et qu'un temps il fut très proche de Maurice Denis, Vuillard, Bonnard ... même s'il ne s'intégra jamais complètement au groupe des Nabis. Il fut aussi "designer" de tapisserie et son travail reflète sa grande admiration pour les Nabis, et l'utilisation de grands aplats de couleurs "sorties du tube", qui caractérisait leurs œuvres, se prêtait bien à une telle utilisation. J'ai découvert un site où l'on peut admirer plein de photos de ses peintures et tapisseries (http://pintura.aut.org/BU04?Autnum=12.889). J'ai ainsi pu ajouter une "femme lisant" à ma série !!!

Passionné d'art, Maillol et surtout sa muse et amie Dina Vierny avaient constitué une collection de tableaux des artistes qu'ils côtoyaient, Bonnard, Gauguin, Rousseau ... ainsi que de nombreux dessins de Suzanne Valadon, Picasso, Degas, Foujita ... que l'on peut admirer au Musée qui porte son nom.

d9ff43b87ca0c043480b03eb9220821b.jpgIl avait presque 40 ans quand une maladie d'oeil le poussa à devenir plutôt sculpteur, mais il n'abandonna jamais la peinture. C'est en 1905 seulement, après la parution d'articles d'Octave Mirbeau, de Gide et de Maurice Denis dans La Revue en avril 1905, et le Salon d'automne où était présenté le plâtre de la Méditerranée, que Maillol s'imposa comme un sculpteur. "La Méditerranée" attira alors l'attention autant par la perfection et la sobriété des formes que par son "silence" (Gide). Refusant le pathétique, les attitudes lisses, "sereines" de ses nus féminins rompent avec le lyrisme et les représentations fortement émotionnelles, déchirées de son contemporain Auguste Rodin, et sa représentation du mouvement, plus figé, qui essaie de préserver et même d'épurer la tradition de sculpture tirée de la Grèce classique et de Rome, s'apparente parfois à un art primitif.

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Je vous recommande le site de l'encyclopédie Insecula  ainsi que quelques photos des nus du Carrousel sur le blog "l'echo de mes pensées"  et sur un site australien 

Je vous recommande aussi de lire sur l'histoire d'une des sculptures de Maillol, "L'action enchaînée : hommage à Blanqui", superbe statue de bronze placée à l'origine en face de l’église de Puget-Théniers et maintenant exilée dans un petit square étriqué pour ne pas choquer les bien-pensants par sa nudité !!! une autre version de cette statue fait partie des 18 du Carrousel ...

Enfin, un itinéraire de promenade à Marly-le-Roi

vendredi, 08 juin 2007

The night of loveless nights

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Il y a les mains terribles

Main noircie d'encre de l'écolier triste

Main rouge sur le mur de la chambre du crime

Main pâle de la morte

Mains qui tiennent un couteau ou un revolver

Mains ouvertes

Mains fermées

Mains abjectes qui tiennent un porte-plume

O ma main toi aussi toi aussi

Ma main avec tes lignes et pourtant c'est ainsi

Pourquoi maculer tes lignes mystérieuses

Pourquoi? plutôt les menottes plutôt te mutiler plutôt, plutôt

Écris, écris car c'est une lettre que tu écris a elle et ce moyen impur est un moyen de la toucher

79802b4306dd09812a5533e3efc97578.jpgMains qui se tendent mains qui s'offrent

Y a-t-il une main sincère parmi elles

Ah je n'ose plus serrer les mains

Mains menteuses mains lâches mains que je hais

Mains qui avouent et qui tremblent quand je regarde les yeux

Y a-t-il encore une main que je puisse serrer avec confiance

Mains sur la bouche de l'amour

Mains sur le cœur sans amour

Mains au feu de l'amour

Mains à couper du faux amour

Mains basses sur l'amour

Mains mortes à l'amour

Mains forcées pour l'amour

d1efb7d5677033d982a083fcbd36cfef.jpgMains levées sur l'amour

Mains tenues sur l'amour

Mains hautes sur l'amour

Mains tendues vers l'amour

Mains d'oeuvre d'amour

Mains heureuses d'amour

Mains à la pâte hors l'amour horribles mains

Mains liées par l'amour éternellement

Mains lavées par l'amour par des flots implacables

Mains à la main c'est l'amour qui rôde

Mains pleines c'est encore l'amour

Mains armées c'est le véritable amour

Mains de maître mains de l'amour

Main chaude d'amour

Main offerte à l'amour

Main de justice main d'amour

Main forte à l'amour !

Mains Mains toutes les mains

Un homme se noie une main sort des flots

Un homme s'en va une main s'agite

Une main se crispe un coeur souffre

e0eeb94dd67132f968718e81ceb4ef2d.jpgUne main se ferme ô divine colère

Une main encore une main

Une main sur mon épaule

Qui est-ce ?

Est-ce toi enfin ?

Il fait trop sombre ! quelles ténèbres !

Je ne sais plus à qui sont les mains

Ce qu'elles veulent

Ce qu'elles disent

Les mains sont trompeuses

Je me souviens encore de mains blanches dans l'obscurité étendues sur une table dans l'attente

Je me souviens de mains dont l'étreinte m'était chère

Et je ne sais plus

4fd89cc9cac3941822f6de2ebe5a507f.jpgIl y a trop de traîtres trop de menteurs

Ah même ma main qui écrit

Un couteau ! une arme ! un outil !

Tout sauf écrire !

Du sang du sang!

 

Patience! ce jour se lèvera. [...]

 

Robert Desnos

 

Robert Desnos est mort le 8 juin 1945 au camp de concentration de Theresienstadt en Tchécoslovaquie

 

 

un autre poème de Robert Desnos à l'annexe

jeudi, 24 mai 2007

Les femmes qui lisent sont dangereuses (suite)

Samedi dernier, visite dans une galerie rue Quincampoix où Pierre, un ami, expose ses sculptures. L'artiste est absent pour un petit moment et nous décidons de faire quelques emplettes dans le quartier avant de repasser à la galerie. Arrêt au "Comptoir aux écritures" pour acheter du fiel de bœuf que j'utilise en enluminure, puis retour par les boutiques à touristes en face de Beaubourg. Qui sait, peut être vais-je trouver une photo marrante à encadrer pour mes 2 puces ? Non, rien que des "merdouilles" et pourtant dans une de ces boutiques, un présentoir de cartes postales attire mon attention. Eh oui, rien que des reproductions de tableaux de femmes en train de lire ! Oui, vous savez, de ces femmes dangereuses dont parle le livre de Laure Adler et Stefan Bollman et dont j'avais fait une note en janvier ... et comme ces tableaux ne figurent pas dans le livre, je vous en fais profiter aussi.

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La liseuse de Félix Vallotton,

 

 

 

 

 

 

 

 

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La liseuse au guéridon de Matisse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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et, trois siècles plus tôt, une vieille femme lisant, de Rembrandt.

 

 

 

 

 

 Ces trois peintres ont déja également peint d'autres femmes lisant, qui figurent dans le livre ...

mardi, 15 mai 2007

Soirs bleus

Sensation

 

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l'herbe menue,

Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

 

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

Mais l'amour infini me montera dans l'âme,

Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

 

Arthur Rimbaud

Mars 1870

 

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Un décriptage du tableau "soir bleu" de Hopper sur :

http://laboiteaimages.hautetfort.com/archive/2006/09/13/s...

Edward Hopper est mort le 15 mai 1967

jeudi, 26 avril 2007

La victoire de Guernica

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I

 

Beau monde des masures

De la nuit et des champs

 

II

 

Visages bons au feu visages bons au fond

Aux refus à la nuit aux injures aux coups

 

III

 

Visages bons à tout

Voici le vide qui vous fixe

Votre mort va servir d'exemple

 

IV

 

La mort coeur renversé

 

V

 

Ils vous ont fait payer le pain

Le ciel la terre l'eau le sommeil

Et la misère

De votre vie

 

VI

 

Ils disaient désirer la bonne intelligence

Ils rationnaient les forts jugeaient les fous

Faisaient l'aumône partageaient un sou en deux

Ils saluaient les cadavres

Ils s'accablaient de politesses

 

VII

 

Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde

 

VIII

 

Les femmes les enfants ont le même trésor

De feuilles vertes de printemps et de lait pur

Et de durée

Dans leurs yeux purs

 

IX

 

Les femmes les enfants ont le même trésor

Dans les yeux

Les hommes le défendent comme ils peuvent

 

X

 

Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges

Dans les yeux

Chacun montre son sang

 

XI

 

La peur et le courage de vivre et de mourir

La mort si difficile et si facile

 

XII

 

Hommes pour qui ce trésor fut chanté

Hommes pour qui ce trésor fut gâché

 

XIII

 

Hommes réels pour qui le désespoir

Alimente le feu dévorant de l'espoir

Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l'avenir

 

XIV

 

Parias la mort la terre et la hideur

De nos ennemis ont la couleur

Monotone de notre nuit

Nous en aurons raison.

 

Paul Éluard

- 1938 -

 

Le 26 avril 1937, l’aviation allemande de la légion Condor, alliée de Franco, déverse 30 tonnes de bombes incendiaires sur la petite ville basque de Guernica. En trois heures, la ville est quasiment rasée. Combien de morts ? 800 ? 2 000 ? Un massacre délibéré de civils innocents pour terroriser la population. Sur place, un journaliste, George Steer, témoigne pour le Times et le New York Times, alors que les franquistes tentent par tous les moyens d’étouffer l’affaire et d’en faire disparaître les preuves. Picasso peint l’un de ses plus célèbres tableaux qu’il présente trois mois à l’exposition internationale de Paris. La toile résonne comme un cri de douleur face à l’horreur et à la barbarie, en même temps qu’elle appelle à la résistance. Choqué par le massacre de Guernica en 1937, Paul Eluard prend position en faveur de l’Espagne républicaine et écrit «la Victoire de Guernica» , (Cours naturel, 1938), puis s’engagera dans la Résistance.

samedi, 03 mars 2007

Promenades et souvenirs (I)

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LA BUTTE MONTMARTRE

Il est véritablement difficile de trouver à se loger dans Paris. Je n'en ai jamais été si convaincu que depuis deux mois. Arrivé d'Allemagne, après un court séjour dans une villa de la banlieue, je me suis cherché un domicile plus assuré que les précédents, dont l'un se trouvait sur la place du Louvre et l'autre dans la rue du Mail. Je ne remonte qu'à six années. Évincé du premier avec vingt francs de dédommagement, que j'ai négligé, je ne sais pourquoi, d'aller toucher à la Ville, j'avais trouvé dans le second ce qu'on ne trouve plus guère au centre de Paris : une vue sur deux ou trois arbres occupant un certain espace, qui permet à la fois de respirer et de se délasser l'esprit en regardant autre chose qu'un échiquier de fenêtres noires, où de jolies figures n'apparaissent que par exception. Je respecte la vie intime de mes voisins, et ne suis pas de ceux qui examinent avec des longues-vues le galbe d'une femme qui se couche, ou surprennent à l'œil nu les silhouettes particulières aux incidents et accidents de la vie conjugale. J'aime mieux tel horizon « à souhait pour le plaisir des yeux », comme dirait Fénelon, où l'on peut jouir, soit d'un lever, soit d'un coucher de soleil, mais plus particulièrement du lever. Le coucher ne m'embarrasse guère : je suis sûr de le rencontrer partout ailleurs que chez moi. Pour le lever, c'est différent: j'aime à voir le soleil découper des angles sur les murs, à entendre au dehors des gazouillements d'oiseaux, fût-ce de simples moineaux francs... Grétry offrait un louis pour entendre une chanterelle, je donnerais vingt francs pour un merle; les vingt francs que la ville de Paris me doit encore !

J'ai longtemps habité Montmartre; on y jouit d'un air très pur, de perspectives variées, et l'on y découvre des horizons magnifiques, soit « qu'ayant été vertueux, l'on aime à voir lever l'aurore », qui est très belle du côté de Paris, soit qu'avec des goûts moins simples, on préfère ces teintes pourprées du couchant, où les nuages déchiquetés et flottants peignent des tableaux de bataille et de transfiguration au-dessus du grand cimetière, entre l'arc de l'Étoile et les coteaux bleuâtres qui vont d'Argenteuil à Pontoise. Les maisons nouvelles s'avancent toujours, comme la mer diluvienne qui a baigné les flancs de l'antique montagne, gagnant peu à peu les retraites où s'étaient réfugiés les monstres informes reconnus depuis par Cuvier. Attaqué d'un côté par la rue de l'Empereur, de l'autre par le quartier de la mairie, qui sape les après montées et abaisse les hauteurs du versant de Paris, le vieux mont de Mars aura bien bientôt le sort de la butte des Moulins, qui, au siècle dernier, ne montrait guère un front moins superbe. Cependant, il nous reste encore un certain nombre de coteaux ceints d'épaisses haies vertes, que l'épine-vinette décore tour à tour de ses fleurs violettes et de ses baies pourprées.

Il y a là des moulins, des cabarets et des tonnelles, des élysées champêtres et des ruelles silencieuses, bordées de chaumières, de granges et de jardins touffus, des plaines vertes coupées de précipices, où les sources filtrent dans la glaise, détachant peu à peu certains îlots de verdure où s'ébattent des chèvres, qui broutent l'acanthe suspendue aux rochers; des petites filles à l'œil fier, au pied montagnard, les surveillent en jouant entre elles. On rencontre même une vigne, la dernière du cru célèbre de Montmartre, qui luttait, du temps des Romains, avec Argenteuil et Suresnes. Chaque année, cet humble coteau perd une rangée de ses ceps rabougris, qui tombent dans une carrière. - Il y a dix ans, j'aurais pu l'acquérir au prix de trois mille francs... On en demande aujourd'hui trente mille. C'est le plus beau point de vue des environs de Paris.

Ce qui me séduisait dans ce petit espace abrité par les grands arbres du Château des Brouillards, c'était d'abord ce reste de vignoble lié au souvenir de saint Denis, qui, au point de vue des philosophes, était peut-être le second Bacchus, Dionusisz, et qui a eu trois corps dont l'un a été enterré à Montmartre, le second à Ratisbonne et le troisième à Corinthe. C'était ensuite le voisinage de l'abreuvoir, qui, le soir, s'anime du spectacle de chevaux et de chiens que l'on y baigne, et d'une fontaine construite dans le goût antique, où les laveuses causent et chantent comme dans un des premiers chapitres de Werther. Avec un bas-relief consacré à Diane et peut-être deux figures de naïades sculptées en demi-bosse, on obtiendrait, à l'ombre des vieux tilleuls qui se penchent sur le monument, un admirable lieu de retraite, silencieux à ses heures, et qui rappellerait certains points d'étude de la campagne romaine. Au-dessus se dessine et serpente la rue des Brouillards, qui descend vers le chemin des Bœufs, puis le jardin du restaurant Gaucher, avec ses kiosques, ses lanternes et ses statues peintes... La plaine Saint-Denis a des lignes admirables, bornées par les coteaux de Saint-Ouen et de Montmorency, avec des reflets de soleil ou des nuages qui varient à chaque heure du jour. A droite est une rangée de maisons, la plupart fermées pour cause de craquements dans les murs. C'est ce qui assure la solitude relative de ce site : car les chevaux et les bœufs qui passent, et même les laveuses, ne troublent pas les méditations d'un sage, et même s'y associent. La vie bourgeoise, ses intérêts et ses relations vulgaires, lui donnent seuls l'idée de s'éloigner le plus possible des grands centres d'activité.

Il y a à gauche de vastes terrains, recouvrant l'emplacement d'une carrière éboulée, que la commune a concédés à des hommes industrieux qui en ont transformé l'aspect. Ils ont planté des arbres, créé des champs où verdissent la pomme de terre et la betterave où l'asperge montée étalait naguère ses panaches verts décorés de perles rouges.

On descend le chemin et l'on tourne gauche. Là sont encore deux ou trois collines vertes, entaillées par une route qui plus loin comble des ravins profonds, et qui tend à rejoindre un jour la rue de l'Empereur entre les buttes et le cimetière. On rencontre là un hameau qui sent fortement la campagne, et qui a renoncé depuis trois ans aux travaux malsains d'un atelier de poudrette. Aujourd'hui, l'on y travaille les résidus des fabriques de bougies stéariques. Que d'artistes repoussés du prix de Rome sont venus sur ce point étudier la campagne romaine et l'aspect des marais Pontins ! Il y reste même un marais animé par des canards, des oisons et des poules.

Il n'est pas rare aussi d'y trouver des haillons pittoresques sur les épaules des travailleurs. Les collines, fendues çà et là, accusent le tassement du terrain sur d'anciennes carrières; mais rien n'est plus beau que l'aspect de la grande butte, quand le soleil éclaire ses terrains d'ocre rouge veinés de plâtre et de glaise, ses roches dénudées et quelques bouquets d'arbres encore assez touffus, où serpentent des ravins et des sentiers.

La plupart des terrains et des maisons éparses de cette petite vallée appartiennent à de vieux propriétaires, qui ont calculé sur l'embarras des Parisiens à se créer de nouvelles demeures et sur la tendance qu'ont les maisons du quartier Montmartre à envahir, dans un temps donné, la plaine Saint-Denis. C'est une écluse qui arrête le torrent; quand elle s'ouvrira, le terrain vaudra cher. Je regrette d'autant plus d'avoir hésité, il y a dix ans, à donner trois mille francs du dernier vignoble de Montmartre.

Il n'y faut plus penser. Je ne serai jamais propriétaire : et pourtant que de fois, au 8 ou au 15 de chaque trimestre (près de Paris, du moins), j'ai chanté le refrain de M. Vautour :

Quand on n'a pas de quoi payer son terme

Il faut avoir une maison à soi !

J'aurais fait faire dans cette vigne une construction si légère !... Une petite villa dans le goût de Pompéi avec un impluvium et une cella, quelque chose comme la maison du poète tragique. Le pauvre Laviron, mort depuis sur les murs de Rome, m'en avait dessiné le plan. A dire le vrai pourtant, il n'y a pas de propriétaires aux buttes de Montmartre. On ne peut asseoir légalement une propriété sur des terrains minés par des cavités peuplées dans leurs parois de mammouths et de mastodontes. La commune concède un droit de possession qui s'éteint au bout de cent ans... On est campé comme les Turcs; et les doctrines les plus avancées auraient peine à contester un droit si fugitif où l'hérédité ne peut longuement s'établir.[1]

Gérard de NERVAL

Promenades et souvenirs a paru dans l'Illustration du 30 décembre 1854, puis des 6 janvier et 3 février 1855. Ce récit est donc le dernier à avoir été publié du vivant de Nerval.

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1. Certains propriétaires nient ce détail, qui m'a été affirmé par d'autres. N'y aurait-il pas eu, là aussi, des usurpations pareilles à celles qui ont rendu les fiefs héréditaires sous Hugues Capet ?

 

 

mardi, 30 janvier 2007

JUSTESSE DE GEORGES DE LA TOUR

L'unique condition pour ne pas battre en interminable retraite était d'entrer dans le cercle de la bougie, de s'y tenir, en ne cédant pas à la tentation de remplacer les ténèbres par le jour et leur éclair nourri par un terme inconstant.

Il ouvre les yeux. C'est le jour, dit-on. Georges de La Tour sait que la brouette des maudits est partout en chemin avec son rusé contenu. Le véhicule s'est renversé. Le peintre en établit l'inventaire. Rien de ce qui infiniment appartient à la nuit et au suif brillant qui en exalte le lignage ne s'y trouve mélangé.

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Le tricheur, entre l'astuce et la candeur, la main au dos, tire un as de carreau de sa ceinture ;

 

 

  

 

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des mendiants musiciens luttent, l'enjeu ne vaut guère plus que le couteau qui va frapper ;

  

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la bonne aventure n'est pas le premier larcin d'une jeune bohémienne détournée ;

  

 

 

 

 

 

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le joueur de vielle, syphilitique, aveugle, le cou flaqué d'écrouelles, chante un purgatoire inaudible.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
C'est le jour, l'exemplaire fontainier de nos maux. Georges de La Tour ne s'y est pas trompé.

René Char - 26 janvier 1966

 

Georges de La Tour est mort le 30 janvier 1652
 

 

jeudi, 25 janvier 2007

Mis à part les cadres, tout l'ensemble ne vaut pas plus de 5 £, et seulement pour le plaisir d'en faire un feu de joie.

medium_watts_Hope.2.jpg"[...] Ils étaient posés sur des chaises - ces tableaux qu'on devait montrer à la Grafton Gallery - audacieux, éclatants, presque impudents, par contraste avec le portrait par Watts d'une belle dame victorienne, qui était accroché au mur derrière eux. Et Roger Fry les contemplait, y plongeait les yeux comme un colibri butinant une fleur, immobile, mais vibrant. Puis, poussant un profond soupir de satisfaction, il se tournait vers le premier venu, par besoin d'échange. Quelque chose vous déroute? Mais quoi? Et il expliquait qu'il était très facile de faire la transition de Watts à Picasso; il n'y avait pas de rupture, c'était une continuité. Les choses étaient seulement poussées un peu plus loin. Il démontrait; il persuadait; il argumentait. L'argument jaillissait et s'élevait; il montait dans les nuages; puis il redescendait en piqué jusqu'au tableau. Et pas seulement jusqu'au tableau - jusqu'aux étoffes, jusqu'aux vases, jusqu'aux chapeaux.
medium_Picasso_vieux_Guitarist.jpgCet automne-là, Roger Fry paraissait ne pas pouvoir entrer dans une pièce sans un nouveau trophée en main. Il y avait les cotonnades de Manchester, tissées selon des motifs nègres. Ces cotonnades faisaient paraître les rideaux de chintz pâles et démodés comme le portrait de Watts. Il y avait les chapeaux, d'énormes chapeaux lourdement ornés, grossièrement tressés, faits pour résister au soleil tropical et pour ravir le goût inculte des négresses. Et quel goût splendide avaient les négresses incultes! Sa passion, son insistance, son influence reliaient tout, tableaux, chapeaux, cotonnades. Tout le monde discutait. Toute opinion - celle de sa bonne, celle de sa cuisinière - méritait d'être entendue. L'instruction n'avait aucune importance; toute l'importance était dans la réalité. Donc, dans cette salle, il discourait au milieu d'une foule égayée, s'absorbant dans ce qu'il disait, ne se rendant pas du tout compte de l'impression qu'il procurait; extravagant mais raisonnable, aimable mais fanatiquement têtu, intolérant mais réceptif à tout, et enflammé par la conviction que quelque chose de très important se produisait.
 
Ce fut en novembre 1910 que s'ouvrit aux Grafton Galleries la première exposition de tableaux postimpressionnistes - le terme fut lancé lors d'une conversation avec un journaliste qui voulait une étiquette commode, et le titre, pour être précis, était «Manet et les postimpressionnistes». Desmond McCarthy, qu'on arracha de son lit de malade, qu'on ressuscita grâce à une bouteille de champagne et à qui on assura que sa vraie tâche dans la vie était de faire de la critique d'art, avait écrit une introduction. De nos jours, elle paraît avoir un ton plutôt modéré, presque d'excuse: «On ne peut nier, écrit-il, que les œuvres des postimpressionnistes sont assez déconcertantes. Elles peuvent même paraître ridicules à ceux qui oublient le fait qu'un bon cheval à bascule est souvent plus proche d'un cheval véritable que ne l'est un instantané du gagnant du Derby.» Plusieurs personnages distingués, «bien que nullement responsables du choix des tableaux», permirent que leur nom figure au comité, et le vernissage fut d'une élégance conventionnelle. Et puis le grabuge s'éleva.

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Il est difficile, en 1939, alors qu'une exposition du centenaire de Cézanne se fait au bénéfice d'un grand hôpital, et qu'une foule d'admirateurs, d'adorateurs soumis, se presse chaque jour dans la galerie, d'imaginer la violence des réactions que provoquèrent ces tableaux il y a moins de trente ans. Les œuvres sont les mêmes; c'est le public qui a changé. Mais le fait n'est pas douteux. Le public de 1910 fut secoué par des paroxysmes de colère et de rire.

On allait de Cézanne à Gauguin, et de Gauguin à Van Gogh, on passait de Picasso à Signac, et de Derain à Friesz, et on éclatait de fureur. C'était une plaisanterie, c'était se moquer du monde. Une grande dame exigea qu'on raye son nom du comité. Un gentleman, devant un portrait de Mme Cézanne par le peintre, se mit à rire si fort, selon Desmond McCarthy, «qu'on dut le faire sortir et l'obliger à prendre l'air durant cinq minutes. 

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De belles dames firent tinter un rire artificiel et argentin.» Le secrétaire dut apporter un registre pour que le public puisse se plaindre par écrit. Pas moins de quatre cents personnes par jour visitèrent la galerie, et exprimèrent leurs opinions non seulement dans le registre du secrétaire, mais aussi dans des lettres au directeur lui-même. Cette peinture était scandaleuse, anarchiste et puérile. C'était une insulte au public britannique, et l'homme qui était responsable de cette insulte était soit un idiot, soit un imposteur, soit un gredin. Des caricatures d'un monsieur à la bouche grande ouverte et aux cheveux très ébouriffés parurent dans les journaux. Des parents envoyèrent des gribouillages de leurs enfants en affirmant qu'ils étaient très supérieurs aux œuvres de Cézanne. Cette tempête d'injures inquiéta vraiment Roger Fry, dit Mr. McCarthy. 

 

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Les critiques se montrèrent naturellement plus mesurés dans leurs reproches, mais ils restaient perplexes. Un seul critique londonien, sir Charles Holmes, selon Mr. McCarthy, prit le parti des postimpressionnistes. Le plus influent, le plus écouté, le critique du Times, écrivit ceci: «Lorsque [Roger Fry] place sous son autorité une exposition de ce genre, et laisse entendre qu'il considère les œuvres de Gauguin et de Matisse comme le fin mot de l'art, il est à craindre que d'autres commentateurs moins sincères suivront ses traces, et s'efforceront de persuader le public que les postimpressionnistes sont des gens bien, et que leur art est la chose qu'il faut admirer. Ils accuseront sans doute ceux qui ne sont pas d'accord avec eux d'être des réactionnaires de la pire espèce.

Il est légitime d'aller au-devant de ces accusations, et de déclarer que nous sommes convaincus que cet art en soi est un flagrant exemple de réaction. Il prétend à la simplicité, et pour simplifier il rejette toute la technique que les maîtres du passé ont longuement acquise, développée et transmise. Il reprend tout au début - et s'arrête là où s'arrêterait un enfant... L'art vraiment primitif est séduisant parce qu'il est spontané: mais cet art-là est calculé - c'est le refus de tout ce que la civilisation a accompli, le bon comme le mauvais... C'est encore la vieille histoire de l'époque de Théophile Gautier - le but de l'artiste doit être d'épater le bourgeois et surtout pas de lui plaire! Un tel but est parfaitement atteint par le peintre Henri Matisse, de la main de qui nous avons un paysage, un portrait et une sculpture. Nous aurions pu avoir davantage, mais il paraît que toutes ses œuvres appartiennent à une riche famille parisienne, qui sans doute s'en est tellement entichée qu'elle ne veut rien prêter. Trois œuvres suffisent pour nous permettre d'évaluer la profondeur de la chute, nous ne dirons pas depuis les maîtres anciens, mais depuis trois idoles d'hier - depuis Claude Monet, depuis Manet, et depuis Rodin.» Finalement, le critique du Times en fait appel au Temps - «le seul classificateur impeccable» - qui, conclut-il assez étourdiment, confirmera son verdict. [...]"

La vie de Roger Fry de Virginia Woolf

traduit de l'anglais par Jean Pavans.

Editions Payot.