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lundi, 27 février 2012

Il y a 100 ans ... la retraite à 60 ans !

Eh oui, au moment où l'âge de la retraite est repoussé à 62 ans, qui se souvient qu'il y a 100 ans jour pour jour, les travailleurs pouvaient partir à 60 ans ?

En effet l’âge auquel on peut faire valoir ses droits à la retraite a varié à plusieurs reprises depuis qu’il existe une législation concernant les "retraites ouvrières".

 

La loi du 18 juin 1850 avait créé une caisse des retraites pour la vieillesse (qui deviendra avec les lois de 1884 et 1886 la Caisse nationale des retraites), à laquelle l'adhésion était "volontaire, spontanée et libre" donc facultatif. Le cotisant pouvait prendre sa retraite à sa guise à partir de cinquante ans, la rente qui lui était versée étant proportionnelle aux versements qu’il avait accomplis. Il n'y avait pas d’âge maximum au delà duquel le travailleur avait l'obligation de partir, du moins jusqu'à la loi du 20 juillet 1886 où le maximum fut alors fixé à 65 ans. C’était la première loi (capitalisation) qui concernait les salariés du secteur privé. Les ouvriers, aux capacités d’épargne limitées, n’y souscriront guère ...

Envisagé à partir de 1880, le principe des retraites ouvrières et paysannes (ROP) ne commence à être débattu véritablement que 10 ans plus tard. Avec l'entrée d'Alexandre Millerand dans le cabinet Waldeck-Rousseau en 1899, l'état s'implique dans ce dossier et soutient le projet du 14 mai 1901 de Paul Guieysse pour une Caisse nationale de retraite ouvrière inspirée de celle des mineurs. Il veut mettre en place un système plus efficace que les caisses de secours qui mécontentent tout le monde et dont l’équilibre financier est toujours incertain. Ils prétend, au nom de la laïcité, combattre aussi l’influence des sociétés de bienfaisance catholiques. La mutualité peut assurer des caisses de retraite, les sociétés de secours mutuels collecter les cotisations et prendre en charge le service des retraites. Mais la caisse d'Etat est privilégiée au détriment de la Caisse autonome, les concepteurs de la loi, René Viviani, Alexandre Millerand, tous deux anciens socialistes, estimant que les mutualistes ne sont pas capables de gérer techniquement ce système.

Jules Guesde et Paul Lafargue estiment que "la société bourgeoise et capitaliste qui crée et favorise l'exploitation du prolétariat doit pourvoir au bien-être et à la subsistance des vieux travailleurs" mais dénoncent en 1901 le projet qui veut rendre obligatoire les cotisations de retraite.

cgt_retraite 1912.jpgLe projet dans son ensemble fait d'ailleurs l’objet de vives critiques, venant de tous bords : d'un côté la droite, le monde paysan et le patronat qui dénoncent le coût de la mesure et "l’invitation à la paresse", ainsi que l'Eglise qui craint pour ses sociétés de bienfaisance, de l'autre côté la Mutualité, farouchement attachée à la cotisation volontaire et qui ne veulent pas admettre qu'à eux seuls ils n'ont pas les moyens d'assurer cette retraite, et les anarcho-syndicalistes (Jouhaux, Monatte, Merrheim) de la CGT qui estiment par contre que c'est à l'état de financer les retraites. Ces derniers dénoncent une "retraite pour les morts" compte tenu de l’espérance de vie peu élevée des ouvriers. Les cotisations apparaissent trop élevées pour des salaires misérables, et les pensions versées sont, de surcroît, très modiques. Ce nouveau dispositif est donc assimilé à "une vaste escroquerie étatiste, dont les travailleurs feront tous les frais", où "tous paieront pour cela et, de ce chef, des milliards s'entasseront bientôt dans les coffres de l'Etat" (L'Action syndicale du 3 mars 1910).

retraite 1910.jpg

Pourtant, peu à peu une minorité autour de Jean Jaurès, Edouard Vaillant, Albert Thomas, et Marcel Sembat, bientôt soutenue par les allemanistes et les syndicalistes réformistes, voire quelques guesdistes (Jean Ducasse, Victor Renard, Charles Goniaux ...), en est venu à défendre la loi sur les ROP, tout en la trouvant insuffisante. Tous soulignent l’importance d’inscrire dans la législation le passage de l’assistance au droit, la reconnaissance de la légitime intervention de l’État, le progrès de la socialisation des richesses et le potentiel d’émancipation ouvrière par la gestion des caisses de retraites.

Edouard Vaillant est favorable à l'assurance obligatoire, toutefois, comme il l'explique à la chambre des députés le 26 mars 1910, il refuse le principe de la retenue sur le salaire ouvrier. Quelques semaines plus tôt, il a fait adopter, par 197 voix contre 157 lors du VIIème congrès de la SFIO, un texte en faveur de la loi et de son amélioration immédiate sur la base de 3 principes : refus de la capitalisation, gestion ouvrière des caisses et abaissement rapide de l'âge de la retraite. En revanche Paul Lafargue s'y oppose au congrès de la SFIO de 1910 et Jules Guesde, à la Chambre des députés le 31 mars, persiste dans son opposition et est le seul député SFIO à voter contre. Comme la CGT, ils demandent que la retraite soit financée par un impôt spécial "n'atteignant que les privilégiés du capitalisme industriel et terrien.". Les autres votent pour ... Il sera toujours temps, considèrent-ils, d'améliorer ce système. Finalement les mutualistes, convaincus par Léopold Mabilleau, s'y rallient aussi.

huma 19100401_Jaures loi ROP.jpgJaurès écrit dans "l'Humanité" du 1er avril 1910 : "A la presque unanimité, la Chambre a voté hier soir la loi des retraites ouvrières et paysannes. Quels que soient les défauts de la loi que nous avons signalé et que nous corrigerons, c'est chose émouvante de voir consacré ainsi le principe même du droit à la vie et de l'assurance sociale. Ce qui était encore, il y a dix ans, l'utopie lointaine, la chimère raillée, devient par l'effort du prolétariat, par la revendication des travailleurs, la vérité légale, la réalité sociale [...] Dès maintenant, en ce qui concerne la loi même des retraites, notre plan est formé, selon la volonté du Parti, pour l'améliorer et la compléter [...]"

Avec la loi du 5 avril 1910 qui crée les retraites ouvrières et paysannes, les ROP, pour les salariés gagnant moins de 3 000 francs (ce qui permet d’exempter ceux qui préfèreraient se constituer une épargne en achetant un bien immobilier ...), les salariés peuvent prendre leur retraite à 65 ans et recevoir une allocation viagère de l'Etat. Afin de financer celle-ci, une cotisation est prélevée sur les salaires.

La mise en œuvre de la loi fait l’objet d’un rapport annuel au président de la république et le suivi est effectué par un conseil supérieur des retraites ouvrières, composé de personnes qualifiées sur le sujet et de hauts fonctionnaires. En 1912, on constate que si près de 7,5 millions de travailleurs peuvent bénéficier de cette loi, ils ne sont en réalité que 2,65 millions à en profiter, les autres n'ayant versé aucune cotisation, d'ailleurs encouragés par les patrons qui ne voulaient pas de cette retraite obligatoire. Ces chiffres vont d'ailleurs décroître dans les années qui suivent.

La loi de finances du 27 février 1912 donne satisfaction à la revendication syndicale sur l'âge de départ, en abaissant à 60 ans l’âge auquel on pouvait faire valoir ses droits, étant entendu qu’il est possible d’attendre d’avoir atteint 65 ans ... Ce dispositif ne résistera pas à la première guerre et à l'inflation durable, l’employeur n’ayant de plus pas la possibilité d’imposer le prélèvement à ses salariés.

La loi du 5 avril 1928 et du 30 avril 1930 qui instituent, pour les salariés titulaires d'un contrat de travail, une assurance pour les risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès, conserve la disposition d'âge de départ acquise en 1912.

La loi du 14 mars 1941, relative à l’"allocation aux vieux travailleurs salariés", comporte une réforme majeure. En effet l'érosion monétaire ne permet plus de préserver le pouvoir d'achat des retraités, ce qui conduit à l'abandon du système de la capitalisation au profit de celui de la répartition, qui va permettre de verser rapidement des retraites aux personnes âgées. Mais l'âge "normal" de la retraite reste 60 ans, sauf pour l’allocation spéciale "aux vieux travailleurs français sans ressources suffisantes" qui n’ont pas cotisé assez longtemps ou pas cotisé du tout, qui n'est versée qu'à partir de 65 ans.

C'est l'ordonnance du 19 octobre 1945 qui, de fait, reculera l'âge de la retraite à 65 ans en minorant les droits acquis à 60 ans à seulement 20% du salaire

Il faudra attendre les deux ordonnances du 26 et du 30 mars 1982 pour revenir à l'âge de la retraite à 60 ans, avec une pension à taux plein pour 37 ans et demi de cotisation.

En repoussant l’âge de la retraite à 62 ans, le gouvernement a donc renié un acquis si longuement attendu par les salariés.

samedi, 25 février 2012

CE QUE DIT LE COCHON…

Porc_trait-par-Van-Dyck-Bridet.jpg

 

Pour parler, dit le cochon,

Ce que j’aime c’est les mots porqs :

glaviot grumeau gueule grommelle

chafouin pacha épluchure

mâchon moche miche chameau

empoté chouxgras polisson.

J’aime les mots gras et porcins :

jujube pechblende pépère

compost lardon chouraver

bouillaque tambouille couenne

navet vase chose choucroute.

Je n’aime pas trop potiron

et pas du tout arc-en-ciel.

Ces bons mots je me les fourre sous le groin

et ça fait un poëme de porq.

 

Jacques Roubaud

Les Animaux de tout le monde, 1983

 

illustration : "le Porc trait" par Van Dyck (Bridet, 1884).

jeudi, 23 février 2012

Le grand saut ...

Deux parachutistes, l'autrichien Felix Baumgartner et le français Michel André Fournier, poursuivent le rêve de sauter depuis 40 km d’altitude et de franchir le mur du son en chute libre.

L'autrichien est un passionné de base jump, époustouflante activité consistant à sauter en chute libre de falaises, de ponts ou de tours, et s'entraîne depuis plusieurs années avec l'aide financière de Red Bull, marque de boisson à la mode ...

Le français, qui totalise, selon son site web, plus de 8700 sauts en parachute, dont une centaine à très haute altitude (plus de 8500 mètres); et le record de France de saut en chute libre à 12 000 mètres, veut battre 4 records du monde :

-         Record d’altitude de vol humain sous un ballon, qui date de 1960. Le 16 août de cette année-là, Joe Kittinger, pilote de l’US Air Force, participant au projet Excelsior, s’élançait d’un ballon gonflé à l’hélium qui venait de grimper à 31 300 m au-dessus du sol, pour un vol de 13 minutes et 45 secondes au dessus du désert du Nouveau Mexique. Mais jusqu'à l'altitude d'environ 20 000 m, il a utilisé un petit parachute pour la stabilité avant d'ouvrir son parachute principal dans l'atmosphère plus dense. Son saut n’est donc pas homologué ...

-         Record d’altitude de saut en chute libre établi par Roger Eugène ANDREYEV (Russie) qui sauta à 24.483 mètres le 1er novembre 1962.

-         Record de durée en chute libre pour un vol d'environ 7min 25s

-         Record de vitesse en chute libre à environ 1 200 km/h

Ce grand saut sera surtout une expérience scientifique qui permettra de réaliser des avancées dans le domaine du tourisme spatial ... La tentative de Michel Fournier s'inscrit d'ailleurs dans la continuité du projet "S38" de l'Armée française à la fin des années 1980, prévoyant de tels sauts à 38 000 m pour mettre au point la capsule d'éjection du projet de navette européen Hermès. Les deux sélectionnés pour ces essais avaient été en 1987 Michel Fournier et Jean-François Clervoy, astronaute de l'Agence Spatiale Européenne, qui parraine l'exploit.

 

Comme il y a cent ans, à 8h15 le 4 février 1912 ! Ce jour-là, un tailleur pour dames dans le quartier de l'Opéra, Frantz Reichelt, se jette du haut de la tour Eiffel, muni d’une combinaison-parachute de sa fabrication et se tue. Les quotidiens du lendemain en font leur une, avec photos de la chute de la "tragique expérience". La tentative de Reichelt est filmée, ce qui contribue à sa notoriété.

 

 

Mais qu'est-ce qui a poussé Reichelt à faire cette expérience mortelle ?

Les débuts de l'aviation et les accidents qui endeuillent ce monde de pionniers entrainent différentes études sur la mise au point du parachute. A la fin de 1910, on compte déjà 28 morts. L'opinion publique s'émeut. Aussi dès 1910, l'aéroclub de France crée le prix Lalance doté de 10 000 francs pour récompenser la réalisation d'un parachute d'avion efficace, pliable, et d'un volume réduit au maximum. En août 1910, la conférence internationale  des lignes aériennes émet le vœu "qu'à chaque appareil soit annexé un dispositif formant parachute". Mais il faudra encore attendre au moins dix ans pour que le parachute devienne obligatoire.

Frantz Reichelt a choisi d’opter pour un parachute incorporé à la tenue même d’aviateur. Son système se compose d’une combinaison en toile caoutchoutée, munie d’ailes ressemblant à celles des chauves-souris, avec une surface portant de 12 mètres carrés. Reichelt procède à des essais avec des mannequins depuis la cour de son immeuble, au 8 rue Gaillon, puis se lance lui-même depuis une hauteur d'une dizaine de mètres à Joinville. La tentative est un échec et sa chute est amortie par de la paille au sol. Le Petit Journal rapporte qu'il a également réalisé un essai en novembre 2010 avec un mannequin depuis le premier étage de la tour Eiffel mais apparemment peu concluant.

Persuadé que l'échec vient du fait qu'il n'expérimente pas lui-même son système, Reichelt demande au préfet de police une nouvelle autorisation pour le 4 février 1912. En bas, une trentaine de personnes, journalistes, photographes ou curieux matinaux attendent la minute décisive. Il y a même Gaston Hervieu, qui, l'année précédente, a réussi une expérience similaire, mais avec un mannequin. Reichelt pose, se tient bien droit, face à l'objectif, fait un petit tour sur lui-même pour faire voir son habit-parachute. On tente de le dissuader, mais il monte à la première plateforme de la tour Eiffel, à environ 60m d'altitude Sur la bande d'actualité du Pathé journal, on voit Reichelt, saisi par le vertige, hésiter. Il sait qu'il risque sa vie, la veille il a rédigé son testament ! Mais plus personne pour empêcher le saut, sauf le caméraman qui filme. Il reste à Reichelt de franchir la rambarde pour sauter, mais il se recule instinctivement, prend un journal, le déchire et se rend compte de la violence du vent. Il hésite encore, va plus loin, s'empare d'une table, la dispose et s'apprête à s'élancer. Une fois encore, il recule, puis revient et prend une rapide décision devant l'opérateur qui tremble de tous ses membres. Il fait le mouvement du nageur qui va faire un plongeon, met la tête en avant, fait jouer les ressorts de son vêtement, s'élance, et s'écrase au sol.

En bas, un autre cameraman de Pathé filme la chute, puis la foule autour du cadavre. Le corps est conduit tout d’abord à l’hôpital Necker, où l’interne de service ne peut que constater le décès, puis au poste de police de la rue Amélie, et enfin rue Gaillon, au domicile du malheureux inventeur. (Sources : Le Petit Parisien du 5 février 1912 et Un-tailleur-pour-dames-au-temps-des-aéroplanes de David Darriulat)

Le lendemain, le fait divers fait la une de nombreux journaux nationaux et internationaux. On s'interroge ... comment le préfet a-t-il pu autoriser un tel saut, alors que personne ne croyait en ce costume-parachute ? Car en 1912, le parachutisme n'en est pas complètement à ses premiers pas !

Mais ça, je le raconterai peut être une autre fois ...

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dimanche, 13 novembre 2011

THE SONG OF WANDERING AENGUS

 

 

I went out to the hazel wood,

Because a fire was in my head,

And cut and peeled a hazel wand,

And hooked a berry to a thread;

And when white moths were on the wing,

And moth-like stars were flickering out,

I dropped the berry in a stream

And caught a little silver trout.

 

When I had laid it on the floor

I went to blow the fire a-flame,

But something rustled on the floor,

And some one called me by my name:

It had become a glimmering girl

With apple blossom in her hair

Who called me by my name and ran

And faded through the brightening air.

 

Though I am old with wandering

Through hollow lands and hilly lands,

I will find out where she has gone,

And kiss her lips and take her hands;

And walk among long dappled grass,

And pluck till time and times are done

The silver apples of the moon,

The golden apples of the sun.

 

William Butler Yeats

The Wind Among the Reeds - 1899.

 

lundi, 17 octobre 2011

Zarafa, la girafe du Roi au jardin des plantes

jardin plantes-Plan-MNHN.jpgIl y a quelques jours, je visitais le jardin des plantes. Au cœur de Paris, son zoo abrite 1800 animaux dont un tiers représente des espèces menacées d’extinction. Ces espèces rares, plus extraordinaires les unes que les autres sont présentées dans un site exceptionnel par son architecture et sa végétation exubérante.

La présence d'une ménagerie dans un jardin est une tradition remontant à l'Antiquité et au Moyen-Age. A Vincennes, Louis XIV a déjà pu voir un "sérail" dans lequel se déroulaient des combats de fauves. Il fait donc édifier celle de Versailles par Le Vau entre 1663 et 1665. Les animaux rejoindront le Jardin des Plantes en l'an II.

Avec ses étonnants éléments d'architecture datant pour la plupart du XVIIIe et du XIXe siècle), la Ménagerie du Jardin des Plantes est le plus ancien zoo du monde conservé dans son aspect d'origine. Elle est officiellement ouverte le 11 décembre 1794 à l'initiative de Bernardin de Saint-Pierre, professeur de zoologie au Muséum national d'histoire naturelle. Les animaux proviennent d'animaux de foire de ménageries privées et foraines et par le transfert le 26 avril 1794 des animaux des Ménageries royales de Versailles et de ceux du Raincy appartenant au duc d'Orléans, le 27 mai 1794.

Au cours de son histoire, elle a présenté une quantité innombrable d'espèces animales, dont la première girafe présentée en France.

 

250px-ModernEgypt,_Muhammad_Ali_by_Auguste_Couder,_BAP_17996.jpgLe matin du 9 juillet 1826, une girafe se frayait un chemin dans Paris en liesse pour être reçue par Charles X et sa cour. C'était la première fois qu'un tel animal foulait le sol de France et la conclusion d'un étonnant périple de près de trois ans et quatre mille kilomètres.

C'est au sud de Khartoum que Zarafa, présent de Méhémet Ali, vice-roi d'Egypte, va commencer son voyage vers la France. L'Egypte était alors en froid avec la France à cause de sa participation à la répression de la révolte des Chrétiens grecs contre les Turcs. C'est pourquoi, lorsque Berbardino Drovetti, consul de France au Caire, reçoit une circulaire du Ministère des Affaires Étrangères rédigée par le Museum d’Histoire Naturelle qui y réclame des spécimens d’animaux exotiques, Méhémet Ali, désireux se soustraire à la tutelle du Sultan de Constantinople et de resserrer les liens avec l'occident, propose d'envoyer à Charles X l'un des 2 girafons qu'il vient de recevoir d'un seigneur soudanais. L'Angleterre demande pour son compte le second girafon ... On décide alors de tirer au sort les deux girafons et c’est le plus chétif qui échoie à l’Angleterre. Drovetti se vante alors que "notre girafe est ... solide et vigoureuse", tandis que celle qui a échu au roi d’Angleterre "est malade et ne vivra pas longtemps".

arrivée girafe.jpgL'animal, baptisé Zarafa, de l'arabe zarafah "douceur de vivre", ou encore "gracieuse créature", embarque à Sennar sur une felouque, descend le Nil Bleu jusque Khartoum, et de là au Caire, puis à Alexandrie, est chargé à bord d'un navire sarde, I Due Fratelli, un deux-mâts qui fait la liaison Alexandrie-Libourne. Son capitaine s’appelle Stefano Manara. On installe la girafe dans une cale, mais on fait un trou sur le pont pour qu’elle puisse passer sa tête. La girafe porte autour du cou un gris-gris composé d’un ruban rouge et d’un pendentif en métal contenant des versets du Coran. On embarque avec elle ses deux palefreniers Atir et Hassan, les trois vaches soudanaises et un couple d’antilopes. La girafe anglaise, elle, passe l’hiver à Malte avant d’être embarqué par bateau pour Londres. Mais elle supporte mal le long voyage et meurt peu après son arrivée dans les bras du roi George.

La_girafe_de_Levaillant.jpgLe 23 octobre 1826, Zarafa est accueillie à Marseille par le grand naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire et le préfet des Bouches-du-Rhône, le comte de Villeneuve-Bargemont, qui décide de l’installer pour l’hiver dans la cour de la Préfecture, où il a aménagé à son attention des appartements chauffés. Pendant des semaines la foule se presse pour admirer l'animal, que l'on appelle alors camélo-pardalis parce qu’on le croit issu des amours d’un léopard et d’une chamelle ! Jamais on n’avait vu pareil animal sur le sol de France. Même le grand Buffon, n’en avait jamais vu et s’était contenté d’en dresser le portrait d’après des témoignages erronés et d’anciennes lectures … "La Giraffe est un des premiers, des plus beaux, des plus grands des animaux, et qui sans être nuisible, est en même temps des plus inutiles " clame-t-il dans son Histoire Naturelle.

voyage girafe.jpgMais au printemps, le Roi réclame "sa" girafe, que tout le monde appelle le bel animal du Roi. Un temps on pense la faire voyager sur le Rhône, la Saône puis les canaux jusqu’à Paris, ou encore par laMéditerranée, Gibraltar, le golfe de Gascogne et la Manche … Mais les deux solutions sont jugées dangereuses et on les abandonne, la girafe ira à pied jusqu’à Paris. Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, alors âgé de 55 ans, professeur de zoologie au Muséum et membre de l’Académie des sciences, prend la décision, malgré ses rhumatismes et une rétention d’urine, de faire les 880 kilomètres à pied, il ne laissera à personne la responsabilité de conduire l’étrange animal auprès du roi ! cela lui vaudra d'être parfois surnommé "Monsieur le comte de la girafe". Il lui fait confectionner un costume imperméable en toile gommée, boutonné par-devant, et frappé à la fois aux armes du Roi de France et à celles du Pacha d’Égypte et d'un bonnet qui couvre la tête et le cou. Et le 20 mai 1827, c'est un cortège surréaliste qui s'ébranle pour Paris, composé de la girafe, de ses gardes égyptiens Hassan le Bédouin et l’Africain Atir, tous deux enturbannés et vêtus de djellabas, et de leur interprète le jeune Joseph Ebeïd (dit Youssef), d'un jeune Marseillais du nom de Barthélemy Chouquet, d'employés de la préfecture et de quelques gendarmes à pied chargés de faire de la place, de trois vaches nourricières, précédés d'un peloton entier de gendarmes à cheval, sabres au clair. Suit une voiture tirée par un cheval sur laquelle on a chargé les bagages et une cage contenant les deux antilopes, un mouflon et quelques autres animaux exotiques. La progression est de 20 à 25 km par jour.... on nourrit la girafe de grain mélangé de maïs, d’orge et de fèves de marais brisées au moulin, et pour boisson, du lait matin et soir.

1K103_0001_I.gifPendant quarante et un jours, de ville en ville, Aix, puis à Avignon, Orange, Valence, Lyon, etc. cette extraordinaire caravane va susciter l'émerveillement, la curiosité et la stupeur de dizaines de milliers de personnes venues à sa rencontre.

Impatients et curieux, certains Parisiens n'attendent pas l'arrivée du cortège dans la capitale et se portent à sa rencontre. Fin juin, Georges Cuvier, directeur des Jardins du Roy, apprend que la girafe approche de Paris. Bien qu’opposé aux théories de Geoffroy Saint-Hilaire et brouillé avec lui, il ne peut manquer de s’intéresser vivement à l’arrivée de l’animal. Il organise un voyage en coche d’eau sur la Seine pour conduire à sa rencontre son épouse, de sa fille et de sa belle-fille, Sophie Duvaucel, que Stendhal courtise. Ils la voient passer sur la route à Corbeil, alors qu’ils déjeunent sur l’herbe. Stendhal, qui rapporte cette promenade dans une lettre du 2 juillet 1827 : "nous sommes allés par le Steamboat de la Seine, à Villeneuve-Saint-Georges au devant de la girafe, le 30 juin", est apparemment peu impressionné et poursuit le fil de sa correspondance sans autre forme de commentaire.

Théodore_Chasseriau.jpgThéodore Chassériau, qui a alors huit ans, se poste lui aussi sur son passage et la croque, avec ses deux cornacs enturbannés : cette œuvre de jeunesse est conservée au Département des arts graphiques du Louvre.

GIRAFE_CC_1K103_0002.jpgLe 30 juin, la Girafe du Roi est donc au Jardin des Plantes à 5 h du soir. Elle vient de faire à pied 880 km. Un enclos spécial a été préparé pour la recevoir. Mais le 9 juillet, le Roi exige qu'on la conduise dans son château de Saint-Cloud : "C’est à la girafe d’être conduite au roi, et non pas au souverain de se précipiter comme le vulgaire au-devant du cadeau qu’on lui fait." La girafe porte son manteau armorié, on lui a mis une couronne de fleurs. Elle mange des pétales de roses dans la main du souverain. Le soir elle retrouve son enclos près du Muséum, où elle continue de recevoir d'innombrables visites. Près de 600.000 personnes se pressent ainsi pour l'admirer en l'espace d'un an seulement ... leur curiosité se partage alors entre "la belle égyptienne" et une troupe de Peaux Rouges – des Osages – ramenés en France depuis l’Oklahoma.

girafe_jardin des plantes.jpgL'arrivée à Paris déclenche une véritable "girafomania"(Olivier Lebleu "Les Avatars de Zarafa, chronique d'une girafomania 1826-1845"). Sa renommée est telle que l'on voit fleurir son image un peu partout, sur des faïences, poteries, sculptures, peintures, bronzes, éventails, ombrelles, ou encore des étoffes, et elle envahit le langage, la mode, le mobilier la chansonnette, les pamphlets, les spectacles. Au théâtre du Vaudeville on donne une pièce intitulée La girafe ou une journée aux Jardins du Roy. Balzac écrit un pamphlet : Discours de la girafe au chef des six Osages prononcé le jour de leur visite aux Jardins du Roi et traduit de l’arabe par l’interprète de la girafe. Les dames adoptent la coiffure à la girafe. Les cravates se nouent à la girafe ...  Le péage du pont d’Austerlitz, qui est alors l’une des voies d’accès à la ménagerie, fait une recette sans précédent, on s’arrache des billets vendus au double de leur prix pour contempler de plus près la vedette. Sa vogue est telle que sa haute silhouette, accompagnée de son cornac, est intégrée au moins dès 1830, à la galerie des trente-neuf personnages typiques du Carnaval de Paris, au même titre que Robert Macaire, Pierrot ou Polichinelle.

zarafa4-40adc.jpgCet engouement durera plus de trois ans, et la fin de la "mode girafe" coïncidera avec le déclin de la faveur dont bénéficiait Charles X dans l’opinion de ses sujets. Le voyage et le soin accordé à la girafe ne manquent pas de susciter la raillerie des opposants aux Bourbons : "Rien n'est changé en France si ce n'est qu'il s'y trouve une grande bête de plus". Cela n’a pas échappé à Honoré de Balzac, qui écrit ces lignes prophétiques dans une nouvelle publiée par le journal La Silhouette quelques semaines avant la Révolution de 1830 : "Elle n’est plus visitée que par le provincial arriéré, la bonne d’enfant désœuvrée. À cette leçon frappante, bien des hommes devraient s’instruire et prévoir le sort qui les attend". Durant la monarchie de Juillet, Louis-Philippe Ier sera alors caricaturé en girafe au long cou ...

Atir continue de partager sa vie : tous les jours il la lave et la peigne (d’où peut être l’expression peigner la girafe qui signifie faire un travail inutile et très long, ne rien faire d'efficace, mais que certains utilisent pour décrire des pratiques plus ... sexuelles !). Il porte un turban blanc et des babouches rouges. Il restera douze ans auprès d’elle.

GIRAFE_CC_398PEG004_0001.jpgZarafa coule des jours paisibles jusqu'en 1845, où elle a atteint l'âge tout à fait respectable pour une girafe de 21 ans. Elle avait été rejointe en 1839 par une autre girafe, envoyée par Antoine Clot, dit Clot-Bey, médecin français devenu directeur de l’Ecole de médecine du Caire. Elle meurt le 12 janvier, sept mois après Geoffroy Saint-Hilaire. 450px-RIMG0881.JPGElle est alors empaillée, on l’égare puis on l’oublie. A partir de 1914, le Muséum, manquant de place, commence à envoyer des animaux naturalisés vers des musées de province. La girafe du roi arrive ainsi au muséum d’histoire naturelle de La Rochelle en août 1931. A son cou, elle n’a plus le gris-gris, mais cette étiquette :

Girafe. Buffon. XIII. Camelopardalis girafe. Cervus camelopardalis, L., du Darfour. Donnée par S.A. le pacha d’Egypte, a vécu 17 ans et demi à la ménagerie.

 

Quelques sources :

Étienne Geoffroy Saint-Hilaire - Quelques Considérations sur la Girafe http://fr.wikisource.org/wiki/Quelques_Consid%C3%A9ration...

http://guimik.org/wp-content/2010/05/dossier-presentation...

http://www.vacarme.org/article1009.html

http://bibliotheque-desguine.hauts-de-seine.net/desguine/...

http://pdf.actualite-poitou-charentes.info/079/actu79janv...

mercredi, 08 juin 2011

Les revenants ...

BuchenwaldJeunesdetenusliberes041945.jpgIls sont en face de moi, l'œil rond, et je me vois soudain dans ce regard d'effroi : leur épouvante.

Depuis deux ans, je vivais sans visage. Nul miroir, à Buchenwald. Je voyais mon corps, sa maigreur croissante, une fois par semaine, aux douches. Pas de visage, sur ce corps dérisoire. De la main, parfois, je frôlais une arcade sourcilière, des pommettes saillantes, le creux d'une joue. J'aurais pu me procurer un miroir, sans doute. On trouvait n'importe quoi au marché noir du camp, en échange de pain, de tabac, de margarine. Même de la tendresse, à l'occasion.

Mais je ne m'intéressais pas à ces détails.

La preuve d'ailleurs, je suis là.

Ils me regardent, l'œil affolé, rempli d'horreur?

Mes cheveux ras ne peuvent pas être en cause, en être la cause. Jeunes recrues, petits paysans, d'autres encore, portent innocemment le cheveu ras. Banal, ce genre. Ca ne trouble personne, une coupe à zéro. Ca n'a rien d'effrayant. Ma tenue, alors? Sans doute a-t-elle de quoi intriguer: une défroque disparate. Mais je chausse des bottes russes, en cuir souple. J'ai une mitraillette allemande en travers de la poitrine, signe évident d'autorité par les temps qui courent. Ca n'effraie pas, l'autorité, ça rassure plutôt. Ma maigreur? Ils ont dû voir pire, déjà. S'ils suivent les armées alliées qui s'enfoncent en Allemagne en ce printemps, ils ont déjà vu pire, d'autres camps, des cadavres vivants.

Ca peut surprendre, intriguer, ces détails: mes cheveux ras, mes hardes disparates. Mais ils ne sont pas surpris, ni intrigués. C'est de l'épouvante que je lis dans leurs yeux.

Il ne reste que mon regard, j'en conclus, qui puisse autant les intriguer. C'est l'horreur de mon regard que révèle le leur, horrifié. Si leurs yeux sont un miroir, enfin, je dois avoir un regard de fou, dévasté.

Je voyais mon corps, de plus en plus flou, sous la douche hebdomadaire. Amaigri mais vivant : le sang circulait encore, rien à craindre. Ca suffirait, ce corps amenuisé mais disponible, apte à une survie rêvée, bien que peu probable.

On peut toujours tout dire, en somme. L'ineffable dont on nous rebattra les oreilles n'est qu'alibi. Ou signe de paresse. On peut toujours tout dire, le langage contient tout. On peut dire l'amour le plus fou, la plus terrible cruauté. On peut nommer le mal, son goût de pavot, ses bonheurs délétères. On peut dire Dieu et ce n'est pas peu dire. On peut dire la rose et la rosée, l'espace d'un matin. On peut dire la tendresse, l'océan tutélaire de la bonté. On peut dire l'avenir, les poètes s'y aventurent les yeux fermés, la bouche fertile.

On peut tout dire de cette expérience. Il suffit d'y penser. Et de s'y mettre. D'avoir le temps, sans doute, et le courage, d'un récit illimité, probablement interminable, illuminé –clôturé aussi, bien entendu- par cette possibilité de se poursuivre à l'infini. Quitte à tomber dans la répétition et le ressassement. Quitte à ne pas s'en sortir, à prolonger la mort, le cas échéant, à la faire revivre sans cesse dans les plis et les replis du récit, à n'être plus que le langage de cette mort, à vivre à ses dépens, mortellement.

Mais peut-on tout entendre, tout imaginer ? Le pourra-t-on ? Et auront-ils la patience, la passion, la compassion, la rigueur nécessaire ? Le doute me vient, dès ce premier instant, cette première rencontre avec des hommes d'avant, du dehors –venus de la vie, à voir le regard épouvanté, presque hostile, méfiant du moins, des trois officiers.

Ils sont silencieux, ils évitent de me regarder.

Je me suis vu dans leur œil horrifié pour la première fois depuis deux ans. Ils m'ont gâché cette première matinée, ces trois zigues. Je croyais en être sorti, vivant. Revenu dans la vie, du moins. Ce n'est pas évident. A deviner mon regard dans le miroir du leur, il ne semble pas que je sois au-delà de tant de mort.

Une idée m'est venue, soudain –si l'on peut appeler idée cette bouffée de chaleur, tonique, cet afflux de sang, cet orgueil d'un savoir du corps, pertinent-, la sensation, en tout cas, soudaine, très forte, de ne pas avoir échappé à la mort, mais de l'avoir traversée. D'avoir été, plutôt, traversé par elle. De l'avoir vécue, en quelque sorte. D'en être revenu comme on revient d'un voyage qui vous a transformé : transfiguré, peut-être.

J'ai compris soudain qu'ils avaient raison de s'effrayer, ces militaires, d'éviter mon regard. Car je n'avais pas vraiment survécu à la mort, je ne l'avais pas évitée. Je n'y avais pas échappé. Je l'avais parcourue, plutôt, d'un bout à l'autre. J'en avais parcouru les chemins, m'y étais perdu et retrouvé, contrée immense où ruisselle l'absence. J'étais un revenant, en somme.

Cela fait toujours peur, les revenants.

Soudain, ça m'avait intrigué, excité même, que la mort ne fût plus à l'horizon, droit devant, comme le butoir imprévisible du destin, m'aspirant vers son indescriptible certitude. Qu'elle fût déjà dans mon passé, usée jusqu'à la corde, vécue jusqu'à la lie, son souffle chaque jour plus faible, plus éloigné de moi, sur ma nuque.

C'était excitant d'imaginer que le fait de vieillir, dorénavant, à compter de ce jour d'avril fabuleux n'allait pas me rapprocher de la mort, mais bien au contraire m'en éloigner.

Peut-être n'avais-je pas tout bêtement survécu à la mort mais en étais-je ressuscité : peut-être étais-je immortel, désormais. En sursis illimité, du moins, comme si j'avais nagé dans le fleuve Styx jusqu'à l'autre rivage.

Ce sentiment ne s'est pas évanoui dans les rites et les routines du retour à la vie, lors de l'été de ce retour. Je n'étais pas seulement sûr d'être vivant, j'étais convaincu d'être immortel. Hors d'atteinte, en tout cas. Tout m'était arrivé, rien ne pouvait plus me survenir. Rien d'autre que la vie, pour y mordre à pleines dents. C'est avec cette assurance que j'ai traversé, plus tard, dix ans de clandestinité en Espagne. (…)

Mais je suis encore dans la lumière du regard sur moi, horrifié, des trois officiers en uniforme britanniques.

Depuis bientôt deux ans, je vivais entouré de regards fraternels. Quand regard il y avait : la plupart des déportés en étaient démunis. Eteint, leur regard, obnubilé, aveuglé par la lumière crue de la mort. La plupart d'entre eux ne vivaient plus que sur la lancée : lumière affaiblie d'une étoile morte, leur œil.

Ils passaient, marchant d'une allure d'automates, retenue, mesurant leur élan, comptant leurs pas, sauf aux moments de la journée où il fallait justement le marquer, le pas, martial, lors de la parade devant les SS, matin et soir, sur la place d'appel, au départ et au retour des kommandos de travail, ils marchaient les yeux mi-clos, se protégeant ainsi des fulgurances brutales du monde, abritant des courants d'air glacial la petite flamme vacillante de leur vitalité.

Mais il était fraternel, le regard qui aurait survécu. D'être nourri de tant de mort, probablement. Nourri d'un si riche partage."

Jorge Semprun - L'écriture ou la vie

mardi, 10 mai 2011

Une rose dessine le mot espoir ...


Regarde :

Quelque chose a changé.

L'air semble plus léger.

C'est indéfinissable.

 

Regarde :

Sous ce ciel déchiré,

Tout s'est ensoleillé.

C'est indéfinissable.

 

Un homme,

Une rose à la main,

A ouvert le chemin

Vers un autre demain.

 

Les enfants,

Soleil au fond des yeux,

Le suivent deux par deux,

Le coeur en amoureux.

 

Regarde :

C'est fanfare et musique,

Tintamarre et magique,

Féerie féerique.

 

Regarde :

Moins chagrins, moins voûtés,

Tous, ils semblent danser

Leur vie recommencée.

 

Regarde :

On pourrait encore y croire.

Il suffit de le vouloir

Avant qu'il ne soit trop tard.

 

Regarde :

On en a tellement rêvé

Que, sur les mur bétonnés,

Poussent des fleurs de papier

 

Et l'homme,

Une rose à la main,

Etoile à son destin,

Continue son chemin.

 

Seul,

Il est devenu des milliers

Qui marchent, émerveillés

Dans la lumière éclatée.

 

Regarde :

On a envie de se parler,

De s'aimer, de se toucher

Et de tout recommencer.

 

Regarde :

Plantée dans la grisaille,

Par-delà les murailles,

C'est la fête retrouvée.

 

Ce soir,

Quelque chose a changé.

L'air semble plus léger.

C'est indéfinissable.

 

Regarde :

Au ciel de notre histoire,

Une rose, à nos mémoires,

Dessine le mot espoir...



dimanche, 24 avril 2011

sur l'herbe

fragonard_escarpolette.jpg

 

- L'abbé divague. - Et toi, marquis,

Tu mets de travers ta perruque.

- Ce vieux vin de Chypre est exquis

Moins, Camargo, que votre nuque.

 

- Ma flamme... - Do, lui, sol, la, si.

L'abbé, ta noirceur se dévoile!

- Que je meure, Mesdames, si

Je ne vous décroche une étoile !

 

- Je voudrais être petit chien !

- Embrassons nos bergères l'une

Après l'autre. - Messieurs, eh bien ?

- Do, mi, sol. - Hé! bonsoir, la Lune!

 

Paul Verlaine

Fêtes galantes

 

Dans le tableau de Fragonard, les personnages sont bien là, l'abbé et le marquis ... mais il manque une ou plusieurs bergères ... et on peut faire un parallèle entre le vertige du mouvement de l’escarpolette et l’ivresse due au vin de Chypre. La lumière de la lune peut être celle dorée et argentée du tableau.

 

mardi, 12 avril 2011

12 avril 1961 ... une date à part !

Toussaint-Jusqu'à la lune en fusée aérienne_1948.jpgSans doute va-t-on sourire si j'écris que cette journée fut celle qui a le plus décidé de mon avenir ! Et pourtant c'est bien à partir de ce moment que, petit à petit, a germé en moi l'idée de devenir ingénieure pour travailler dans le spatial ... et c'est finalement bien ce que j'ai fait. J'ai d'ailleurs tellement dû le répéter à mes camarades qu'en fin de seconde, elles m'avaient dédicacé une photo de classe avec ces mots "à notre future astronaute". Bon, je ne me suis jamais envolé dans le ciel, mais j'ai fait toute ma carrière professionnelle dans les fusées, en particulier ARIANE. Et j'avoue que je m'y suis "défoncée" !

Ce 12 avril donc, j'étais pensionnaire, car ma mère, atteinte d'un cancer, était soignée loin de nous, à l'institut Curie, elle allait mourir 4 mois plus tard et mes grands parents avaient déjà beaucoup de mal à s'occuper des plus jeunes pendant que mon père sillonnait les routes avec son métier et "montait" un week-end sur deux à Paris. C'est dire que ce qui se passait "dehors" ne me parvenait que très peu ... le procès d'Eichmann qui avait commencé la veille, la crise de Berlin avec le bouclage de la frontière entre l'est et l'ouest ce même 12 avril, le fiasco de la Baie des Cochons ou le putsch d'Alger quelques jours plus tard, tous des évènements importants qui ont fait la une des journaux et des radios, je n'en ai aucun souvenir personnel. Mais de Iouri Gagarine dans l'espace, si !!!

Pourtant à 12 ans, j'étais déjà très intéressée par l'actualité, à l'image de mes parents qui se passionnaient pour la politique, lisaient les journaux et écoutaient beaucoup la radio. Avant la maladie de ma mère, mon père avait d'ailleurs eu des velléités de militer ... je préfère ne pas trop savoir où ...

J'étais pensionnaire donc, dans une école privée, où la majorité des enseignants et encadrants étaient des laïcs, mais où quelques personnes de la cantine ou de l'internat étaient des religieuses. Nous avions donc comme surveillante une polonaise qui avait fui le communisme et était rentrée dans la congrégation à qui appartenait cette école. Très catholique, elle détestait les juifs et aurait bien pardonné à Adolf Eichmann ses crimes, mais elle détestait encore plus les communistes qui l'avaient obligée à fuir sa campagne polonaise pour ne pas renier sa religion. Elle était rondouillarde, avec un teint rouge, et ne parlais pas bien le français, c'est à peu près tout ce dont je me souviens d'elle car avec les années, ma mémoire la confond avec une autre religieuse polonaise, surveillante de cantine elle aussi, mais quelques années plus tard et dans une autre école. La première était une "peau de vache" aigrie, alors que la seconde était la crème des surveillante, chouchoutant les pensionnaires en leur donnant les meilleures parts au détriment des demi-pensionnaires, sous le prétexte que celles-ci mangeraient mieux le soir ...

Ce jour là donc, un mercredi, nous étions à la cantine. Peut être pour le repas de midi ou pour le gouter ... Bien sûr nous n'avions aucun écho de ce qui se passait dans le monde. Je vois encore très bien la grande salle où nous nous trouvions, donnant sur la cour de récréation par une large porte-fenêtre, avec une grande table en fer à cheval où nous prenions nos repas. Je tournais le dos à la fenêtre et faisais face à la porte qui menait à la cuisine, ça j'en suis sure. A ce moment notre surveillante polonaise, d'habitude peu loquace, est rentrée dans la salle en courant et surtout en criant "un homme dans l'espace, un homme dans l'espace !". Il lui fallut bien cinq minutes pour reprendre son souffle et nous raconter qu'un homme, un jeune Russe de 27 ans, était le premier à réaliser un vieux rêve humain, aller dans l'espace, et qu'il était revenu vivant et même en bonne santé de ces 108 minutes en apesanteur ... notre surveillante polonaise avait trouvé son héros, et le comble, c'était un russe !

illustration tirée du livre Jusqu'à la lune en fusée aérienne de Otfrid von Hanstein, paru en 1928 en Allemagne , traduit en France en 1948 par Tancrède Vallerey et finement illustré par Maurice Toussaint. 

vendredi, 08 avril 2011

no gazaran (suite)

46 minutes pour comprendre les enjeux de la mobilisation contre les gaz et huiles de schiste.

Ames sensibles, attention !

 

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Et pour ceux qui ont le temps, le film intégral ... 1 h 3/4 quand même !