jeudi, 03 février 2011
Le 3 février 1851, une loi vote un crédit spécial pour subventionner les lavoirs
Depuis les temps les plus reculés, laver le linge est une activité dévolue à la femme.
Une des plus ancienne description de lavage est sans doute extraite du chant VI de l'Odyssée d'Homère (traduction de Leconte de Lisle)
"[...] Et sa mère était assise au foyer avec ses servantes, filant la laine teinte de pourpre marine ; et son père sortait avec les rois illustres, pour se rendre au conseil où l'appelaient les nobles Phaiakiens. Et, s'arrêtant près de son cher père, elle lui dit :
- Cher père, ne me feras-tu point préparer un char large et élevé, afin que je porte au fleuve et que je lave nos beaux vêtements qui gisent salis ? Il te convient, en effet, à toi qui t'assieds au conseil parmi les premiers, de porter de beaux vêtements. Tu as cinq fils dans ta maison royale ; deux sont mariés, et trois sont encore des jeunes hommes florissants. Et ceux-ci veulent aller aux danses, couverts de vêtements propres et frais, et ces soins me sont réservés.
Elle parla ainsi, n'osant nommer à son cher père ses noces fleuries ; mais il la comprit et il lui répondit :
- Je ne te refuserai, mon enfant, ni des mulets, ni autre chose. Va, et mes serviteurs te prépareront un char large et élevé propre à porter une charge.
Ayant ainsi parlé, il commanda aux serviteurs, et ils obéirent. Ils firent sortir un char rapide et ils le disposèrent, et ils mirent les mulets sous le joug et les lièrent au char. Et Nausikaa apporta de sa chambre ses belles robes, et elle les déposa dans le char. Et sa mère enfermait d'excellents mets dans une corbeille, et elle versa du vin dans une outre de peau de chèvre. La jeune vierge monta sur le char, et sa mère lui donna dans une fiole d'or une huile liquide, afin qu'elle se parfumât avec ses femmes. Et Nausikaa saisit le fouet et les belles rênes, et elle fouetta les mulets afin qu'ils courussent ; et ceux-ci, faisant un grand bruit, s'élancèrent, emportant les vêtements et Nausikaa, mais non pas seule, car les autres femmes allaient avec elle.
Et quand elles furent parvenues au cours limpide du fleuve, là où étaient les lavoirs pleins toute l'année, car une belle eau abondante y débordait, propre à laver toutes les choses souillées, elles délièrent les mulets du char, et elles les menèrent vers le fleuve tourbillonnant, afin qu'ils pussent manger les douces herbes. Puis, elles saisirent de leurs mains, dans le char, les vêtements qu'elles plongèrent dans l'eau profonde, les foulant dans les lavoirs et disputant de promptitude. Et, les ayant lavés et purifiés de toute souillure, elles les étendirent en ordre sur les rochers du rivage que la mer avait baignés. Et s'étant elles-mêmes baignées et parfumées d'huile luisante, elles prirent leur repas sur le bord du fleuve. Et les vêtements séchaient à la splendeur de Hèlios."
Et c'est en rentrant au palais et qu'elles aperçurent Ulysse habillé seulement d'une branche chargée de feuilles ...
Mais ce travail n'est pas si paradisiaque ! Le métier de lavandière est un métier très pénible, la blanchisseuse est agenouillée toute la journée dans l'humidité, et l'hiver, il faut casser la glace du lavoir qui est gelé, battre le linge dans le froid et l'eau glacée et l'humidité ... Les lavandières ont souvent "l'onglée" aux doigts.
Dès XIIème siècle, la lessive du gros linge est en usage une fois l'an, puis deux fois l'an, voire trois fois au XIXème siècle et dure deux ou trois jours. A côté de ces temps forts, il y a naturellement des lessives plus modestes, le fameux "jour de lessive" destiné aux vêtements de travail, aux sous-vêtement et aux bas de coton, aux tabliers, aux mouchoirs ...
La lessive est effectuée à partir d'un point d'eau, fontaine, mare, étang, cours d'eau. Sur les bords de la seine, comme sur les rives de toutes les rivières de France, on pouvait donc rencontrer des lavandières qui se servaient d’une planche à laver, d’une petite caisse pour s’agenouiller près de l’eau, d’un planche à frotter et d’un battoir qu'elles transportaient dans leur brouette lourdement chargée. Elles installaient leur selle (sorte de planche sur deux trétaux) et, à genoux, avec des gestes immuables, elles savonnaient, battaient, malaxaient, roulaient et essoraient leur linge sur les bords du fleuve.
« C’est ici, du matin au soir,
Que par la langue et le battoir
On lessive toute la Ville.
On parle haut, on tape fort,
Le battoir bat, la langue mord !
Pour être une laveuse habile,
Il faut prouver devant témoins
Que le battoir est très agile,
Que la langue ne l’est pas moins."
Achille Millien
A Paris, les rues des Lavandières (ou encore Lavandières Saint-Jacques) et des avandières Sainte Opportune datent du XIIIème siècle et doivent leur nom aux lavandières que le voisinage de la rivière avait attirées. Une rue des Blanchisseuses fut également ouverte, vers 1810, entre le quai de Billy et la rue de Chaillot.
La Taille de 1292 cite 43 lavandiers ou lavandières, parmi lesquels "Jehanne, lavendière de l'abbaie" de Sainte-Geneviève ; elle habitait la "rue du Moustier" qui est devenue la rue des Prêtres-Saint-Étienne du Mont. Cependant, à cette époque et dans la plupart des communautés, les religieux lavaient eux-mêmes leurs vêtements et leur linge. On faisait chauffer l'eau à la cuisine. Les objets blanchis étaient ensuite étendus soit dans le cloître, soit dans un séchoir spécial.
Chargées de l'entretien du linge des familles aisées, les lavandières font partie du personnel habituel des "hôtels", tout comme les panetiers, les clercs de la paneterie des nappes, les clercs de la paneterie du commun, les charretiers de la paneterie des nappes, les "porte chapes" (ou maîtres traiteurs, du mot chape, couvercle qui sert à couvrir les plats afin de les maintenir chauds), les sommeliers, les gardes-chambre (ou chambellans), les portiers, les portefaix et les valets de la porte, les sommiers ou voituriers ... qui touchent des gages, reçoivent de l'avoine, des chandelles, du bois.
D'autres encore travaillent à la journée au service de particuliers, de maîtres de grandes maisons, de fermiers, de métayers, de notables, pour un maigre salaire en toutes saisons, sauf lorsque le fleuve était pris par les glaces. Une ordonnance du 30 janvier 1350 fixe à "un tournoi en toute saison le prix que pourront demander toutes manières de lavandières de chacune pièce de linge lavé." (source : "La vie privée d'autrefois: arts et métiers, modes, moeurs, usages des parisiens du XIIe au XVIIIe siècle d'après des documents originaux ou inédits). Elles côtoient les ménagères de condition modeste qui viennent laver elles-mêmes leur linge à la rivière. Ces opérations sont décrites ICI, avec un poème bien sympathique, ICI, ICI ou encore LA, avec des photos anciennes...
Bien que jamais érigées en corporation régulière, les blanchisseuses ou lavandières "professionnelles" doivent se plier à partir du XVIIe siècle aux exigences d'une administration parisienne veillant à la bonne hygiène ! Très tôt, les lois et les décrets visant l’existence et l’implantation d’établissements insalubres dans Paris poussent les industries du blanchissage à quitter la capitale pour s’installer dans les communes voisines.
Avec les progrès de l'hygiène, des locaux plus confortables et fonctionnels apparaissent, avec en particulier la construction de lavoirs. Choléra, variole et typhoïde ont marqué le XIXème siècle. Le linge peut véhiculer des germes malsains. Les habitants qui viennent s’approvisionner en eau trouvent l’eau des puits et des rivières souillée par les savons et les saletés. L’édification de lavoirs s’impose. Par la loi du 3 Février 1851, l'Assemblée législative vote un crédit spécial de 600 000 francs pour subventionner, à hauteur de 30 %, la construction d’établissement modèles de bains et lavoirs publics, gratuits ou à prix réduits. Chaque projet est subventionné à hauteur de 20 000 francs. Malgré les sommes à trouver pour compléter la subvention, de nombreuses communes, même modestes, engagent les travaux. La construction est commandée par les municipalités sous le contrôle de l'administration départementale. Les travaux sont mis alors en adjudication sur rabais à la chandelle, d'où une certaine similitude de conception et de matériaux. Il y a au moins un lavoir par village ou hameau et l'on peut estimer l'importance du village au nombre de ses lavoirs. Certains possèdent même un dispositif pour chauffer des lessiveuses et produire de la cendre qui blanchit le linge ... Les lavoirs seront utilisés jusqu'à l’arrivée de l’eau courante dans les maisons.
Lieu de convivialité, le lavoir est également un lieu de chant ; on y fredonne quelques airs à la mode et parfois on y va de ses commérages : "Au lavoir, on lave le linge, mais on salit les gens" dit-on !
A Paris et dans de nombreuses villes traversées par un fleuve, est-ce parce que les lavandières étaient réputées de mœurs légères et que les mauvais garçons se mêlaient souvent aux lessives que l'on décida de créer des endroits où les jeunes filles et les femmes honnêtes des classes populaires pourraient laver leur linge en toute tranquillité, les fameux bateaux-lavoirs ?
" Ô Lavandière "
Sachez qu'hier, de ma lucarne,
J'ai vu, j'ai couvert de clins d'yeux,
Une fille qui dans la Marne
Lavait des torchons radieux
Je pris un air incendiaire
Je m'adossais contre un pilier
Puis le lui dis " Ô Lavandière "
Blanchisseuse étant familier
La blanchisseuse gaie et tendre
Sourit et, dans la hameau noir
Au loin, sa mère cessa d'entendre
Le bruit vertueux du battoir.
Je m'arrête. L'idylle est douce
Mais ne veut pas, je vous le dis,
Qu'au delà du baiser on pousse
La peinture du paradis.
Victor Hugo
L'origine des bateaux-lavoirs remonterait au XVIIe siècle. Le 16 septembre 1623, un traité assure à un entrepreneur, Jean de la Grange, secrétaire du roi Louis XIII, divers droits à conditions qu'il poursuive l'aménagement de l'Ile Notre-Dame et de l'Ile aux vaches, dont celui de mette à perpétuité sur la Seine "des bateaux à laver les lessives, en telle quantité qu'il feroit avisé & en tel endroit qu'il jugerroit à propos; pourvû que ce fût sans empêchement de la navigation, ni que le bruit pût incommoder les maisons du Cloître Notre-Dame". (source : "traité de la police" de M.De la mare, volume 1 - page 100 de l'édition de 1722).
Mais c'est surtout au XIXème siècle que les bateaux-lavoirs se développent partout en France, un mouvement qu’accélère la loi du 3 février 1851. Un lavoir flottant établi à Paris même, la Sirène, propose déjà les appareils les plus perfectionnés de l’époque. Il a été détruit par les glaces durant les grands froids de 1830. Les lavoirs flottants sont pourvus de buanderies à partir de 1844 afin de lutter contre la forte concurrence des lavoirs publics et des grandes buanderies de banlieue qui ne cessent de se créer, véritables usines à laver qui mettent à disposition des laveuses eau chaude, essoreuses, séchoirs à air chaud et à air libre, réfectoire et même parfois salle de garde pour les enfants en bas âge. 25 à 30 mètres de long; au premier niveau se trouvent les postes des blanchisseuses et, au milieu, deux rangées de chaudières posées sur des briques. L’étage se partage entre l’habitation du patron et le séchoir.
En 1852, il existe dans Paris 93 lavoirs et buanderies, principalement répartis dans les divers quartiers pauvres, comme le Lavoir Moderne Parisien dans le quartier de la Goutte d'Or; les bateaux-lavoirs stationnant sur le canal Saint-Martin sont au nombre de 17, ceux sur la Seine s'élèvent à 64 ( source : Dictionnaire historique des rues et monuments de Paris en 1855 de Félix et Louis Lazare, page 111 et suivantes) Mais pour beaucoup de familles pauvres, l’usage des bateaux-lavoirs est trop onéreux et, depuis les quartiers éloignés, il est bien pénible de porter son linge aux bateaux-lavoirs sur une brouette … et bientôt le nombre des bateaux-lavoirs parisiens est en constante perte de vitesse. En 1880, il n'y a plus en Ile-de-France que 64 bateaux-lavoirs offrant 3800 places de laveuses. Vingt-trois de ces lavoirs flottants sont à Paris même, dont six sur le canal Saint-Martin et trente-cinq se répartissent en banlieue sur la Seine, la Marne et l’Oise. À la fin du XIXe siècle, la plupart de ces bateaux-lavoirs sont la propriété d’une seule famille en vertu d’un bail qui lui a été consenti, en 1892, par la Société du Canal Saint-Martin. Mais, les bateaux-lavoirs disparaissent inéluctablement dans la première moitié du XXe siècle.
Les 4 derniers bateaux-lavoirs sur la Seine disparaissent pendant la dernière guerre mondiale, sur ordre des allemands, pour faciliter la navigation : une vidéo de l'INA annonce cette décision ...
Au fait, vous souvenez-vous qu'une des insultes du capitaine Haddock est "Amiral de bateau-lavoir" ?
Emile Zola a décrit le travail des lavandières dans plusieurs de ses écrits :
"Un grand hangar, monté sur piliers de fonte, à plafond plat, dont les poutres sont apparentes. Fenêtres larges et claires. En entrant, à gauche, le bureau, où se tient la dame; petit cabinet vitré, avec tablette encombrée de registres et de papiers. Derrière les vitres, pains de savon, battoirs, brosses, bleu, etc. A gauche est le cuvier pour la lessive, un vaste chaudron de cuivre à ras de terre, avec un couvercle qui descend, grâce à une mécanique. A côté est l'essoreuse, des cylindres dans lesquels on met un paquet de linge, qui y sont pressés fortement, par une machine à vapeur. Le réservoir d¹eau chaude est là. la machine est au fond, elle fonctionne tout le jour, dans le bruit du lavoir; son volant ; on voit le pied rond et énorme de la cheminée, dans le coin. Enfin, un escalier conduit au séchoir, au-dessus du lavoir, une vaste salle fermée sur les deux côtés par des persiennes à petites lames ; on étend le linge sur des fils de laiton. A l'autre bout du lavoir, sont d'immenses réservoirs de zinc, ronds. Eau froide.
Le lavoir contient cent huit places. Voici maintenant de quoi se compose une place. On a, d¹un côté, une boite placée debout, dans laquelle la laveuse se met debout pour garantir un peu ses jupes. Devant elle, elle a une planche, qu'on appelle la batterie et sur laquelle elle bat le linge ; elle a à côté d'elle un baquet sur pied dans lequel elle met l'eau chaude, ou l'eau de lessive. Puis derrière, de l¹autre côté, la laveuse a un grand baquet fixé au sol, au-dessus duquel est un robinet d'eau froide, un robinet libre ; sur le baquet passe une planche étroite où l'on jette le linge; au-dessus; il y a deux barres, pour prendre le linge et l'égoutter. Cet appareil est établi pour rincer. La laveuse a encore un petit baquet sur pied pour placer le linge, et un seau dans lequel elle va chercher l'eau chaude et l'eau de lessive.
on a tout cela pour huit sous par jour. La ménagère paie un sou l'heure. L'eau de javel coûte deux sous le litre. Cette eau, vendue en grande quantité,est dans des jarres. Eau chaude et eau de lessive, un sou le seau. On emploie encore du bicarbonate - de la potasse pour couler. Le chlore est défendu."
Carnets d'enquêtes - La Goutte d'Or 1875
Sur le boulevard, Gervaise tourna à gauche et suivit la rue Neuve-de-la-Goutte-d'Or. En passant devant la boutique de Mme Fauconnier, elle salua d'un petit signe de tête. Le lavoir était situé vers le milieu de la rue, à l'endroit où le pavé commençait à monter. Au-dessus d'un bâtiment plat, trois énormes réservoirs d'eau, des cylindres de zinc fortement boulonnés, montraient leurs rondeurs grises ; tandis que, derrière, s'élevait le séchoir, un deuxième étage très haut, clos de tous les côtés par des persiennes à lames minces, au travers desquelles passait le grand air, et qui laissaient voir des pièces de linge séchant sur des fils de laiton. A droite des réservoirs, le tuyau étroit de la machine à vapeur soufflait, d'une haleine rude et régulière, des jets de fumée blanche. Gervaise, sans retrousser ses jupes, en femme habituée aux flaques, s'engagea sous la porte, encombrée de jarres d'eau de javel. Elle connaissait déjà la maîtresse du lavoir, une petite femme délicate, aux yeux malades, assise dans un cabinet vitré, avec des registres devant elle, des pains de savon sur des étagères, des boules de bleu dans des bocaux, des livres de bicarbonate de soude en paquets. Et, en passant, elle lui réclama son battoir et sa brosse, qu'elle lui avait donnés à garder, lors de son dernier savonnage. Puis, après avoir pris son numéro, elle entra. C'était un immense hangar, à plafond plat, à poutres apparentes, monté sur des piliers de fonte, fermé par de larges fenêtres claires. Un plein jour blafard passait librement dans la buée chaude suspendue comme un brouillard laiteux. Des fumées montaient de certains coins, s'étalant, noyant les fonds d'un voile bleuâtre. Il pleuvait une humidité lourde, chargée d'une odeur savonneuse, une odeur fade, moite, continue ; et, par moments, des souffles plus forts d'eau de javel dominaient. Le long des batteries, aux deux côtés de l'allée centrale, il y avait des files de femmes, les bras nus jusqu'aux épaules, le cou nu, les jupes raccourcies montrant des bas de couleur et de gros souliers lacés. Elles tapaient furieusement, riaient, se renversaient pour crier un mot dans le vacarme, se penchaient au fond de leurs baquets, ordurières, brutales, dégingandées, trempées comme par une averse, les chairs rougies et fumantes. Autour d'elles, sous elles, coulait un grand ruissellement, les seaux d'eau chaude promenés et vidés d'un trait, les robinets d'eau froide ouverts, pissant de haut, les éclaboussements des battoirs, les égouttures des linges rincés, les mares où elles pataugeaient s'en allant par petits ruisseaux sur les dalles en pente. Et, au milieu des cris, des coups cadencés, du bruit murmurant de pluie, de cette clameur d'orage s'étouffant sous le plafond mouillé, la machine à vapeur, à droite, toute blanche d'une rosée fine, haletait et ronflait sans relâche, avec la trépidation dansante de son volant qui semblait régler l'énormité du tapage."
L'Assommoir
A partir du XIXème siècle, la lessive se fait aussi "chez soi". En vue de ces lessives, on conserve la cendre de bois des cendriers et on la passe au tamis fin pour obtenir une poudre gris clair, fine et soyeuse au toucher. On chauffe de l'eau puis on la verse dans un cuvier chargé de linge recouvert de ces cendres, qui alors libèrent des sels de potasse qui traversent le linge. La première passe se fait avec de l'eau chaude, mais pas bouillante, pour ne pas "cuire les taches". ("coulage à froid"). L'eau qui s'écoule est récupérée, remise à chauffer et on recommence ainsi de suite pendant des heures ("coulage à chaud"). Le linge est alors sorti brûlant du cuvier avec de longues pincettes de bois et brossé ("lessivage") puis et mis à égoutter sur des tréteaux. Ensuite, le linge est rincé à la rivière ou au lavoir ("retirage"). Suit le tordage (le linge est frappé et tordu) et le séchage. S´il fait beau il est posé sur l´herbe pour y être azuré ("la mise au pré") ...
L'arrivée de l'eau courante dans les foyers achèvera l'histoire des lavoirs. L'"eau courante" dans les maisons se généralise vers 1950 dans les villes puis lentement dans les campagnes. On fait la lessive dans la buanderie où l'on ne craint pas de répandre de l'eau. Même si les machines à laver semi-automatiques existaient déjà depuis plus de 20 ans, elles étaient rares dans les familles et j'ai assisté dans mon enfance à ces séances de lavage, à peine modernisées ! On n'utilisait bien sûr plus de cuvier mais une lessiveuse "à champignon", la cendre était remplacée par du perborate acheté à la pharmacie. La lessiveuse était une grande marmite qui servait à faire bouillir le linge. Au fond se trouvait un double-fond, d'où remontait un tuyau avec, au bout, un pommeau. Après avoir été savonné sur la planche à laver, le linge était disposé dans la lessiveuse. On allumait le feu dans un petit poêle en dessous, et la chaleur faisant monter l'eau dans le tuyau et le pommeau qui arrosait le linge d'eau bouillante. L'eau redescendait en traversant le linge et retombait au fond pour remonter à nouveau ... ça sentait mauvais et il faisait une chaleur moite étouffante dans la buanderie. Ensuite ma mère laissait refroidir un peu la lessiveuse et une femme de ménage venait l'aider à la vider petit à petit dans un grand bac où le linge était rincé à l'eau froide. C'est ensuite toute la maison qui était mise à contribution pour essorer les grosses pièces que l'on prenait à chaque bout pour les tordre.Je me souviens toutefois d'une essoreuse électrique que mes parents avaient achetée à des américains d'un camp de l'OTAN ... Au milieu des années 60, le départ à la retraite de notre "lavandière" rendit nécessaire l'achat d'une machine à laver.
La deuxième partie du XXème siècle pensait en avoir fini avec les lavandières quand le fabricant de lave-linge Vedette se choisit la Mère Denis pour raviver un mythe forgé au cours des siècles autour de ce métier. Un petit chemin qui descend au lavoir, une brouette de linge, un battoir, une brosse et l'amour du travail bien fait.d eux bonnes grandes mains de lavandière et l'amour du travail bien fait ... Vedette mérite votre confiance, "C'est ben vrai ça!"
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dimanche, 23 janvier 2011
Dimanche
Charlotte
fait de la compote
Bertrand
suce des harengs
Cunégonde
se teint en blonde
Epaminondas
cire ses godasses
Thérèse
souffle sur la braise
Léon
peint des potirons
Brigitte
s'agite, s'agite
Adhémar
dit qu'il en a marre
La pendule
fabrique des virgules
Et moi dans tout cha ?
Et moi dans tout cha ?
Moi, ze ne bouze pas
Sur ma langue z'ai un chat
René de Obaldia
image http://www.gastonlagaffe.com/saga/franquin/
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mercredi, 12 janvier 2011
Lettre d'Eugène Delacroix à George Sand, 12 janvier 1861
Chère amie,
J’ai appris, je ne sais plus par qui, que vous étiez tout à fait bien et que vous alliez passer l’hiver je ne sais où pour vous remettre tout à fait. Tout ce que vous faites est bien, quoique je ne sois pas édifié sur le séjour des auberges pour remettre la santé. Le bon lit auquel on est habitué, dans le coin où le ciel nous a fait prendre racine, est comme le lait de la nourrice qui vous a mis au monde. Grâce au ciel, ma santé est très bonne et jusqu’ici je me vois dispensé, ainsi que je l’avais appréhendé après deux hivers passés au coin de mon feu, de courir les hasards et d’aller m’exposer aux aventures, pour me préserver de la fièvre. Depuis quatre mois je fais un métier qui m’a rendu cette santé que je croyais perdue. Je me lève le matin, je cours au travail hors de chez moi, je rentre le plus tard que je peux et je recommence le lendemain. Cette distraction continuelle et l’ardeur que je porte à une besogne de cheval de carrosse me font croire que je suis revenu à cet âge charmant où l’on court toujours et surtout chez les traîtresses qui nous [mot illisible] et nous charment. Rien ne me charme plus que la peinture et voilà que, par-dessus le marché, elle me donne une santé d’homme de trente ans. Elle est mon unique pensée et je n’intrigue que pour être tout à elle, c’est-à-dire que je m’enfonce dans mon travail comme Newton (qui mourut vierge) dans la fameuse recherche de la gravitation (je crois).
Mes pensées gravitent vers vous, chère et bonne et fidèle amie. Je dis que je n’intrigue pas et cependant je ne vous eusse peut-être pas écrit sans la rencontre que j’ai faite de Bertin, qui m’a conjuré de vous demander sur quoi il devait compter au sujet de la promesse que vous avez bien voulu lui faire de lui envoyer un roman. Il le désire vivement et me prie de vous le dire. Je sais que je m’expose à toutes les fureurs de notre ami Buloz, s’il vient à découvrir ma requête. Il me fit une scène à cette occasion cet été. Il me croit apparemment inféodé aux intérêts de la revue. Je le traitai comme je devais et il se calma. Dites-moi donc, si vous voulez, à moi, quelles sont vos intentions pour les Débats qui, je vous le répète, sont friands, je le crois sans peine, de ces pages qui ont plus de succès que jamais.
Je n’ai plus de place que pour vous dire que je vous aimerai toujours.
Eugène Delacroix
Après avoir été gravement malade de la fièvre typhoïde, George Sand est partie en convalescence à Tamaris (Var) de février à juin 1861. Après l’avoir déclinée, Sand finit par accepter la proposition de Bertin de publier à nouveau dans Le Journal des débats. Son roman La Famille de Germandre paraît dans le périodique du 7 au 29 août 1861. D’après les notes prises durant son séjour, elle écrit également Tamaris, publié en 1862, d’abord dans la Revue des Deux Mondes, puis en volume. En effet après avoir été brouillée avec François Buloz jusqu’en 1858, Sand se remet à publier plusieurs œuvres dans la Revue des Deux Mondes. Le directeur de la revue ne devait donc pas être enchanté par l’idée d’une collaboration de la romancière avec un autre périodique ...
Delacroix recopie l’intégralité de cette lettre dans son Journal, à la même date du 12 janvier 1861.
En 1834, Eugène Delacroix reçoit commande d’un portrait de George SAND en costume d’homme pour la Revue des Deux Mondes à laquelle elle collabore. Ce sera le début d’une amitié amoureuse intense, qui durera près de 30 ans, nourrie par une correspondance qui durera du 16 novembre 1834 jusqu'à la mort du peintre le 13 août 1863, et qui livre certains de leurs secrets.
George Sand conserva toute sa vie des goûts plutôt académiques. Sa rencontre avec Delacroix, le chef de l'école romantique, bouleversa son approche esthétique. Il lui fit découvrir son maître Géricault. Delacroix séjournait de temps en temps à Nohant et y avait un atelier à demeure.
Delacroix était très proche de Chopin et George Sand, dont il fit un tableau, sans doute au cours du printemps 1838, avant que leur liaison ne devienne officielle. Chopin a fait transporter un piano chez Delacroix pour que ce dernier puisse le peindre en compagnie de George Sand, lui au piano, elle dans la pénombre debout derrière lui, captivée par la musique de son amant. Chopin écrit : "Elle me regardait profondément dans les yeux pendant que je jouais." Le 5 septembre 1838, Delacroix écrit à son ami Pierret : "Autre commission que je réclame de ta bonté; ce serait, en te promenant, d'aller au coin de la rue Grange batelière et du boulevard, chez Pleyel, facteur de pianos, le prier de faire enlever chez moi, Delacroix, rue des Marais Saint-Germain 17 [actuellement rue Visconti], le piano que M. Chopin y a fait porter il y a deux mois environ."
Mais jamais Chopin, George Sand, pas plus que Delacroix, ne mentionnent cette œuvre dans leurs écrits. Ce tableau inachevé resta dans l'atelier de Delacroix jusqu'à sa mort en 1863. L'oeuvre passa ensuite dans la collection du peintre Constant Dutilleux, ami et exécuteur testamentaire. Après plusieurs changements de propriété, le portrait de George Sand est maintenant à l'Ordrupgaard Museum à Copenhague, celui de Chopin est maintenant au Louvre.
En janvier 1841, George Sand rend à Delacroix la monnaie de la pièce en traçant les portraits du peintre et du musicien dans ses Impressions et Souvenirs.
À la mort de Delacroix, en 1863, Sand qui possédait alors plus de vingt tableaux de l'artiste, décida de tout vendre. Elle ne conserva que le premier et dernier des présents que lui avait faits le peintre : La confession du Giaour et le Centaure
Sources :
http://www.correspondance-delacroix.fr/correspondances/bd...
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samedi, 08 janvier 2011
Il y a 50 ans, les français disent "oui" à l'indépendance de l'Algérie
Il y a 50 ans, le 8 janvier 1961 est organisé le premier référendum de la Ve République. Ont voté les électeurs de la métropole, de l'Algérie, mais aussi des DOM, des TOM et du Sahara français.
(cliquer ICI pour voir la vidéo des actualités françaises sur le site de l'INA ... après la pub ...)
En 1959, devant le refus de la «paix des braves», l'impossibilité d'une solution militaire qui rétablirait la sécurité et la poursuite des attentats, de Gaulle franchit une étape décisive en proposant une solution qui signifie implicitement le rejet de l'intégration, thème majeur des partisans de l'Algérie française.
Dans une allocution radio-télévisée prononcée au palais de l'Elysée le 16 septembre 1959, il annonce sa décision de recourir à l'autodétermination, c'est-à-dire le droit pour les populations d'Algérie de choisir librement leur destin par le suffrage et il propose trois solutions : la sécession, l'intégration ou l'association, promettant l'aide et la coopération de la France si la solution choisie est celle d'une Algérie indépendante associée à la France.
Le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) créé par le FLN le 19 septembre 1958, et qui entend avoir le monopole des discussions avec la France pour se constituer en gouvernement légitime de l'Algérie, refuse dès 28 septembre et exige, préalablement à toute discussion, l'indépendance totale. De même refus des activistes de l'Algérie française qui s'estiment trahis par de Gaulle et tentent de déclencher en janvier 1960, un 13 mai à rebours, la semaine des barricades. En février 60 les mouvements activistes sont dissous, Soustelle quitte le gouvernement, et on assiste à des sanctions et mutations dans l'armée (Limogeage de Bigeard et de Godard, Gardes, chef du 5e bureau, inculpé avec Lagaillarde, Sapin-Lignières, Perez et Susini.
Cette période voit en effet émerger de façon croissante une mouvance ultra de plus en plus organisée, appuyée par l'armée. L'affrontement des 2 communautés devient de plus en plus évident, d'autant que la radicalisation croissante de l'opinion des Français d'Algérie ne laisse que peu de place à des réformes des bases de la vie des communautés sur lesquelles reposait l'espoir de construction d'une Algérie fraternelle. Au printemps de 1960, la position de Général de Gaulle est bien arrêtée : l'intégration est une chimère, les Algériens ne sont pas et ne seront jamais des Français. Il n'existe pas d'autre alternative que la sécession. Mais il veut que celle-ci se fasse dans un cadre qui sera mis en place par la France. Le 14 juin, il propose aux "dirigeants de l’insurrection" de négocier. Le GPRA accepte, et le 25 juin 1960, s’ouvrent les rencontres de Melun. Les discussions se soldent alors par un échec car les divergences entre les deux parties sont profondes. Ainsi la France exige-t-elle une trêve en préalable à toute discussion, ce que le FLN refuse.
Contre les adversaires de sa politique, le Général déclare en Novembre 1960 qu'il est prêt à utiliser toutes les armes que lui fournit la Constitution, autrement dit le recours à l'article 16, le référendum ou la dissolution de l'Assemblée nationale si celle-ci s'opposait aux solutions retenues. Ce discours provoque la colère des colons qui manifestent en Algérie. Le GPRA demande un référendum sous contrôle de l'ONU
La question posée aux Français est : "Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant l'autodétermination des populations algériennes et l'organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l'autodétermination ?"
Les principales forces politiques sont partagées : la SFIO, le MRP et l'UNR sont pour; le PCF, le Parti Radical, le Regroupement national pour l'unité de la République de Jacques Soustelle et l'extrême droite sont contre; d'autres comme le PSU soutiennent l'autodétermination, mais s'opposent à la politique algérienne du général de Gaulle et au caractère plébiscitaire du référendum, certains préconisant le non, d’autres un vote blanc ou nul; le CNIP ne donne pas de consigne de vote ...
En décembre 60 certains dirigeants activistes de l’Algérie française, dont Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini, s’enfuient en Espagne et y rejoignent le général Salan. Des contacts en Algérie sont pris par l'intermédiaire du capitaine Pierre Sergent avec le général Jouhaud et le FAF clandestin pour préparer une nouvelle journée d'action lors de la visite du général de Gaulle en Algérie. Le putsch mené par Jouhaud et Dufour avorte tandis que des contre manifestations particulièrement massives pour l’indépendance de l’Algérie éclatent à Alger et à Oran puis dans le reste du pays. Ces manifestations, qui dureront plus d’une semaine, sont de véritables soulèvements populaires contre le colonialisme et la population affrontera directement les forces de l’ordre et les parachutistes, qui tirent sur la foule. Le bilan officiel est de 127 personnes tuées, dont 8 Européens, et 600 blessés. Véritables démonstrations de force, ces manifestations prouvent l’adhésion de la population à la lutte pour l’indépendance et son soutien au FLN qui a appelé au boycott du référendum. Le 20 décembre, les Nations unies reconnaissent à l'Algérie le droit à l'autodétermination.
L’avant-veille du scrutin, Charles de Gaulle apparaît à la télévision, s’adressant aux Français pour prôner le vote en faveur du OUI. L'Humanité du samedi 7 Janvier 1961 titre : "Demain, votez NON contre la guerre d'Algérie pour imposer la négociation pour la paix en Algérie"
32 520 233 personnes prennent part au vote, dont 4 470 215 en Algérie. Les résultats sont proclamés par le Conseil Constitutionnel, 14 janvier 1961 : 17 447 669 (75% des votants soit 54% des inscrits) ont voté "oui". Pour l'Algérie seule, 1 749 969 ont voté "oui" (69,5 % des votants, mais seulement 40% des inscrits). le "Oui" l’emporte massivement, même si L'Humanité du lundi 9 Janvier 1961 titre : « Malgré l'appui des forces réactionnaires, De Gaulle perd en voix et en pourcentage par rapport au 28 Septembre 1958. Dans les villes algériennes les électeurs musulmans répondant à l'appel du G.P.R.A. ont boycotté en masse le scrutin » et encore le lendemain "« Le référendum a montré que l'immense majorité des français veut la paix. Et maintenant négociation immédiate pour le cessez-le-feu et les garanties de l'autodétermination avec les représentants du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne »
Le lendemain du scrutin, Challe donne sa démission de commandant en chef de Centre Europe et le 11 février Lagaillarde, réfugié en Espagne, fonde l'OAS (Organisation Armée secrète). Néanmoins, conforté par les résultats globaux du référendum, le général de Gaulle poursuit la politique engagée : de nouvelles négociations s’ouvrent avec le gouvernement provisoire de la République Algérienne à l’été 1961, tandis que le putsch raté d’avril 1961 va définitivement marginaliser les tenants les plus radicaux du maintien de l’Algérie française.
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jeudi, 06 janvier 2011
Coeur de bois
Amandine si hautaine
Amandine au coeur de bois
Ce soir, je serai ton Roi.
Si tu veux, tu seras la Reine.
J'ai ôté mon tablier
J'ai mis mes plus beaux souliers
Dans ma poche des sous neufs
Pour les distribuer aux veufs.
Comme trône j'ai le fauteuil
Du Grand Oncle Cancrelat
Qui fume dans son cercueil
Une pipe en chocolat.
Ma couronne vif argent
Vient tout droit du pâtissier.
Sur mes épaules flotte un drap
On se cachera dedans.
Le fauteuil est à roulettes
Quelle aubaine pour un Roi !
Je le déplace et les traîtres
Frappent au mauvais endroit.
Amandine, tes yeux verts
Illuminent toutes mes nuits.
Je voudrais t'écrire en vers
Quand je serai plus instruit.
Amandine, tu m'as dit
« Je viendrai sept heures sonnées.
Je viendrai dans ton grenier
Avec ma chemise à plis. »
L'heure passe et je suis là
Ma couronne pour les rats !
Ah ! ce bruit de patinette !
Mais non, ce n'est pas ici.
Le sang me monte a la tête
J'entends les cloches aussi.
Et pourtant, je suis le Roi !
Tu devrais, genou en terre,
Baiser le bout de mon drap
Et pleurer pour la maniere !
« Madame, relevez-vous »
Te dirai-je noblement !
Et sur tes levres de houx
T'embrasserai jusqu'à cent.
L'heure fuit ; mes oripeaux
Juste bons pour les corbeaux !
Amandine, tu te moques
Tu te ris toujours de moi.
Quand tu remontes tes socques
Je tremble et ne sais pourquoi...
Amandine, je vais mourir
Si vraiment tu ne viens pas.
Je t'ordonne de courir
De grandir entre mes bras !
Le silence, seul, répond
Aile blanche sur mon front.
Le grenier comme un navire
Se balance dans la nuit.
Le trône vide chavire
L'Oncle fume en son réduit.
Amandine sans foi ni loi
Amandine ne viendra pas.
Jamais elle ne sera Reine
D'Occident ou de Saba.
Jamais elle ne régnera
Sur c'qu'il y a de plus sacré.
Peste noire ou choléra
Jamais ne pourra pleurer.
Et pourtant comme je l'aime
Amandine des chevaux d'bois
De Jean-Pierre et de Ghislaine
De tout le monde a la fois !
Et pourtant comme je l'aime
(A mes pieds tombe le drap)
Amandine si hautaine
Amandine au coeur de bois.
René de Obaldia
Innocentines
Photo : http://carla-marie.blogspace.fr/1468054/UN-PETIT-TOUR-DE-MANEGE-HASSAN-DANS-MES-FAVORIS-a-AUTEUR-COMPOSITEUR-a-ECRIT-UNE-BELLE-CHANSON/
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mercredi, 05 janvier 2011
Petite histoire des cartes de voeux
Avec la coutume des étrennes est née celle des vœux. En effet, on en profitait pour s’échanger des paroles d’amitié, se souhaitant bonheur et prospérité pour le reste de l’année. Les plus rapides s’y prennent dès le début du mois de décembre, les retardataires attendront fin janvier, avec un gros pic entre le 20 décembre et le 10 janvier. La tradition de l’échange des vœux évolue mais perdure. Cartes électroniques ou traditionnelles se côtoient aujourd'hui.
La tradition des cartes de vœux est née en Extrême-Orient Les cartes de vœux envoyées pour cette occasion étaient autrefois en papier de riz, les artistes les plus talentueux y dessinaient et traçaient les souhaits de Bonne Année à la main, à l'aide d’encres précieuses et leur dimension était proportionnelle au rang du destinataire, pouvant atteindre pour un mandarin la taille d’un devant de cheminée !
En France, depuis le Moyen âge, on envoyait de petits présents en l'accompagnant parfois d'une lettre de vœux peinte à la main. Cette tradition était réservée aux classes aristocratiques qui pouvaient se procurer encre et papier. De façon tout à fait rituelle et formelle, on rendait visite, dans les quinze jours qui suivaient le 1er janvier, à son entourage proche, famille et amis, patron et collègues de travail, et même à des familles pauvres ou des malades dont on embellissait ces jours festifs par des dons et des marques d'amitié. Cependant comme ces visites étaient très contraignantes, il était courant de s'abstenir d'une visite. Au cours du 17e siècle, on pouvait louer les services d'un gentilhomme en livrée noire et épée au côté, loué pour l’occasion et chargé de présenter les compliments de leur mandataire. Vers la fin du règne du Louis XIV, le gentilhomme fut progressivement remplacé par la remise d'une carte de visite, en laissant, pour preuve de son passage, une carte de visite qui, si elle était cornée en haut à droite, cela indiquait que l’on s’était déplacé soi-même pour la déposer. C'est ainsi qu'apparut l'habitude de remettre au concierge du domicile de ses proches le 1er janvier une carte de visite sur laquelle on avait écrit une formule de voeux. Cette tradition fut abolie en France de 1791 à 1797, car assimilées à un gage de vanité et de frivolité, elle fut même sources de sévères condamnation sous la Convention, mais ni le calendrier républicain ni les fêtes instituées par la Convention n’eurent raison de cette tradition séculaire.
Parallèlement on prenait prétexte des voeux à souhaiter pour renouer des amitiés distendues, ou se rappeler au bon souvenir de connaissances éloignées géographiquement en envoyant nombre de lettres. Mais même à cette époque, on n'a pas toujours le temps d'écrire toutes ses lettres de vœux ...
Dès 1796, l'auteur autrichien Aloys Senefelder (1771-1834) invente la lithographie qui permet de reproduire des impressions en grande quantité. Grâce à cette découverte technique, on parvient désormais à tirer des centaines d'images identiques pour une diffusion importante. Les marchands se mettent donc à expédier des cartes imprimées à leurs clients, pour les remercier de leur fidélité. Les Anglais mettent eux aussi à profit cette technique pour la transmission de leurs vœux du Nouvel An à partir de 1840, après l'impression massive d'enveloppes aux motifs de Noël et de la parution du premier timbre-poste.
La première carte imprimée de Noël est lancée en Angleterre par Sir Henry Cole (1808-1882), qui se voyant trop occupé pour écrire à ses amis, demande à l'artiste John Calcott Horsley de lui concevoir une carte. Le premier exemplaire représente une famille heureuse levant un verre comme pour porter un toast au destinataire. Elles est imprimée en noir et blanc puis mise en couleur à la main et porte l'inscription "Merry Christmas and happy new year", il n'a plus qu'à ajouter son nom et celui de son destinataire. Selon les notions de tempérance de l'époque, Horsley est critiqué pour "corruption morale" des enfants. A noter que parmi les mille cartes originales imprimées pour Henry Cole, douze existent encore aujourd'hui dans des collections privées.
Initialement, ces cartes sont imprimées et vendues à l'époque pour un schilling, en plus des frais de poste de un penny, la carte n'étant évidemment pas à la portée des budgets les plus humbles. Mais le développement rapide des techniques d'impression va rendre ces cartes extrêmement populaire et à la mode, et cette tradition va se diversifier considérablement en s'appliquant à tous les types d'événements de la vie humaine. Les premiers modèles de cartes de vœux sont étonnamment complexes, avec des cartes en forme de drapeaux, des cloches, d'oiseaux, et des bougies. Certaines cartes peuvent même être pliées comme des cartes ou emboîtés comme des puzzles. Curieusement, ils représentent rarement l'hiver, la neige, les arbres de Noël, ni des thèmes religieux, mais plutôt des fleurs, des fées et d'autres reproductions qui rappellent au destinataire l'approche du printemps. Les représentations humoristiques ou sentimentales d'enfants et d'animaux sont aussi très populaires.
En Amérique du Nord Louis Prang (1824-1909), un immigrant allemand, ouvre en 1860 un atelier de lithographie à Boston au Massachusetts. Dès 1873, il imprime des cartes de voeux pour le Nouvel An et commence à les vendre aux États-Unis l'année suivante. En 1885, il a d'ailleurs l'idée de représenter le Père-Noël (Santa Claus) dans un costume rouge, ce qui fait fureur auprès du public et officialise la couleur rouge pour désigner le jovial bonhomme à barbe blanche. Mais ses cartes sont chères, et sont rapidement imitées par des cartes de qualité moindre mais plus abordables, et finalement il est contraint à la faillite en 1890
Des multinationales telles que Hallmark, créée en 1910 par Joyce Clyde Hall (1891-1982), comprennent rapidement tout le profit à tirer d'une commercialisation des cartes de vœux. De même des associations caritatives telles l'Unicef : En 1949, Jitka Samkova, une petite Tchécoslovaque de 7 ans, fait en classe une peinture pour remercier cette nouvelle organisation d’avoir fourni des médicaments et du lait aux enfants de son village ravagé par la guerre. L’image, qu’elle a peinte sur un morceau de verre faute de papier, représente un groupe d’enfants en train de danser autour d’un "mât de fête" sous un grand soleil. Sa peinture est envoyée par son institutrice au bureau Unicef de Prague, qui la fait suivre à Vienne puis à New York où le dessin de Jitka inspire les équipes de l'Unicef pour la réalisation d'un projet de cartes de voeux. En octobre 1949, les toutes premières cartes de vœux de l’Unicef sont imprimées avec cette image, afin de collecter des fonds pour venir en aide aux enfants. Depuis, les cartes Unicef remportent un franc succès et à ce jour, le produit de la vente de plus de 4,7 milliards de cartes a secouru les enfants déshérités dans le monde entier.
Avec l'avènement d'Internet et les services de cartes en ligne, l'envoi de voeux prend maintenant un nouveau virage. On offre moins de cartes physiques, et les e-cartes ont pris le relais et permettent d'envoyer rapidement et sans délai postaux, des images originales. En moyenne, les Français achètent 14 cartes de voeux et fantaisie par an. C'est peu, au regard des habitudes des consommateurs anglais et américains, qui achètent respectivement 54 et 40 cartes par an.
Il n’empêche que le bonheur de décacheter une enveloppe ne s’épuise jamais et que rien ne remplacera la carte de voeux envoyée sous enveloppe que l'on place sur le manteau des cheminées ou sur les branches des sapins, ou encore que l'on garde précieusement entre les pages d’un livre.
Et n'oublions pas que "l’amitié double les joies et réduit de moitié les peines", comme nous le rappelle avec justesse Francis Bacon. L'envoi d'une carte de voeux accompagnée d'un mot gentil participe tout simplement à l'ensemble des jolis gestes qui soudent les amitiés.
02:10 Publié dans Bavardage, coup de gueule, Histoire, traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
mardi, 04 janvier 2011
Hiver, vous n’êtes qu’un vilain
Hiver, vous n’êtes qu’un vilain;
Eté est plaisant et gentil,
En témoin de mai et d’avril
Qui l’accompagnent soir et main;
Eté revêt champs, bois et fleurs
De sa livrée de verdure
et de maintes autres couleurs,
Par l’ordonnance de nature.
Mais vous, hiver, trop êtes plein
De neige, vent, pluie et grésil:
on vous dût bannir en exil.
Sans point flatter, je parle plain
Hiver, vous n’êtes qu’un vilain.
Charles d’Orléans
22:10 Publié dans art, coup de coeur, litterature, peinture, poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook |
samedi, 01 janvier 2011
Vous prendrez bien une petite verveine ?
Depuis quelques jours, une partie de mes occupations est liée à ces étranges coutumes des étrennes et des cartes de vœux. Je prépare avec soin les enveloppes destinées à mes éboueurs et à mon jardinier, j'écris maintes cartes, envoyées par la poste ou, de façon plus moderne et aussi plus rapide, par internet.
Mais voyons d'abord d’où vient la coutume des étrennes.
Un tour sur google m'apprend qu'un certain Jacob Spon, médecin et érudit lyonnais écrivit un petit livre qu'il intitula "De l’origine des étrennes" et qu'il offrit en 1674 comme étrennes à un conseiller du duc de Wurtemberg.
Cet homme était un érudit, un "curieux" comme on disait à cette époque. Un autre érudit de son époque, Charles César Baudelot de Dairval disait de lui "Lyon est tout plein d'habiles curieux, et quand ce ne seroit que M. Spon, il en vaut bien une douzaine d'autres", auquel il répondait : "Il est bien juste que je sois aussi un peu curieux, puisque je connois presque tous ceux de Lyon qui le sont ; et l'on sçait que cette maladie est contagieuse, quoy qu'elle ne soit pas mortelle". Bref, Jacob Spon avait étudié le grec ancien et le latin nécessaires à l'époque aux études de médecine et s'était passionné pour l'antiquité. Et en 1973, il s'était déjà fait remarquer par sa première publication, Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon, qui l'avait installé dans le cercle de la République des Lettres.
Pour son petit livre sur les étrennes, c'est Symmachus qui a fourni à Spon ses informations. Symmachus est surtout connu pour être le champion du Sénat romain païen opposé aux mesures prises par les empereurs chrétiens contre la vieille religion d'État vers la fin du IVe siècle. De lui nous sont parvenus 9 livres d'Épîtres, ainsi que deux lettres tirées du dixième livre, publiées juste après sa mort par son fils, soit environ 900 lettres, la plupart d'un intérêt relatif ... C'est à partir des informations du Liber X, épître 28 que Spon raconte que l’usage des étrennes fut introduit sous les premiers rois de Rome.
Symmachus y rapporte en effet que Tatius Sabinus, contemporain et adversaire de Romulus, aurait reçu comme augure des branches de verveine (verbena) dans un bois consacré à Strenia, déesse sabine de la force et de l'endurance : "qui verbenas felicis arboris ex luco Streniae anni novi auspices primus accepit.” Un temple dédié à Strenia se dressait en effet au bout de la Via Sacra, près du Colisée, et était entouré d’un bois sacré à l’image de tous les temples dédiés à la guérison, les Asklépeïon.
Cette légende est cependant à prendre avec beaucoup de réserve car Symmachus ne cite pas ses sources. Et il est parfois considéré comme "un sot" par les historiens, comme Ferdinand Lot qui disait de lui : "Il a été considéré de son temps comme un fin lettré et révéré des païens, ses coreligionnaires, même des chrétiens. Saint Ambroise, Prudence n'osent s'égaler à son éloquence. Quand on lit ses œuvres, elles nous donnent l'impression que l'auteur était un honnête et digne homme, ami des belles-lettres, très poli dans les discussions, un homme de bonne société, mais d'une nullité intellectuelle affligeante. Il y a peu à tirer de sa correspondance." De quoi éveiller notre méfiance en effet ! Même si le "grand dictionnaire historique sur le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane" par Mgr Louis Morery, Prêtre et Docteur en Théologie, paru à Lyon à partir de 1674, reprend l'histoire écrite par Spon.
Ce qui est sûr, c'est que plus de 700 ans après Romulus et Tatius Sabinus, en 46 Av. J-C, quand Jules César établit le Calendrier Julien, le 1er janvier représente alors le jour du Nouvel An. Ce jour consacré à Janus est aussi la date d'élection des Consuls de Rome et on y échange des présents
La lecture d'Ovide nous indique en effet que la période du tout début de l'année est intimement liée à Janus, divinité aux deux visages regardant l'un l'année passée et l'autre la prochaine. Strenia, la déeese, strena,ae, l’étrenne, strenuus,a,um, fort, forte auraient, d’après de nombreux latinistes la même éthymologie ... Le mot "étrenne" vient-il donc bien de la légende rapportée par Symmachus, ou plus prosaïquement d'une association erronée entre Janus dieu des commencements, et Strenia-Salus, déesse de la santé et de la force, souvent évoqués ensemble ?
Et si le mot étrenne vient bien de Rome, il n’en va pas de même pour cette coutume sylvestre (tiens, encore une association avec le saint du jour ...) elle-même qui a toujours existé un peu partout. Sur nos vieux terroirs francais, ça n’est pas la verveine latine, mais le gui que les druides allaient cueillir pour l’an neuf !
Mais voyons ce qu'écrit Ovide dans son très long et magnifique poème Les Fastes, paru vers 15 ap. J.-C., portant sur le calendrier romain et les fêtes religieuses qui l'accompagnent. Ovide invoque Janus, qu'on représentait à deux visages, l'un devant et l'autre derrière, comme regardant l'année passée et la prochaine et donc patron du premier mois de l'année, en faveur des princes, du Sénat et du Peuple romain. Le premier janvier est marqué par l'ouverture des temples, par l'échange de voeux et de paroles de paix, par des sacrifices et des offrandes dans une atmosphère paisible et joyeuse, par une procession en vêtements blancs emmenant les nouveaux magistrats vers le mont Tarpée, où Janus avait un autel.
Germanicus, voici qu'il vient t'annoncer une année heureuse,
Janus, le premier dieu présent dans mon poème.
Janus aux deux visages, toi qui commences l'année au cours silencieux,
toi, le seul des dieux d'en haut à voir ton propre dos,
sois propice à nos princes dont le labeur apporte
la paix à la terre féconde et la paix à la mer.
Sois propice à tes sénateurs et au peuple de Quirinus,
et d'un signe de tête fais ouvrir les temples éclatants.
Un jour béni se lève : faites silence et recueillez-vous !
En ce beau jour, il faut prononcer des paroles de bonheur.
Que les oreilles soient exemptes de débats, et que d'emblée s'éloignent
les querelles insanes : diffère ton oeuvre, langue envieuse.
Vois-tu comment le ciel resplendit de feux parfumés,
et comment crépite le safran de Cilicie dans les foyers allumés ?
L'éclat de la flamme se reflète sur l'or des temples
et répand au sommet du sanctuaire sa lueur tremblante.
En vêtements sans taches, on se rend à la citadelle tarpéienne
et le peuple lui aussi porte la couleur qui s'accorde à sa fête.
Et en tête avancent les nouveaux faisceaux, la pourpre nouvelle brille
et, sur la chaise curule d'ivoire éclatant, siège un nouveau personnage.
De jeunes taureaux, ignorant les travaux et nourris d'herbages
dans les champs falisques, tendent leur cou au sacrificateur.
il ne peut rien apercevoir qui ne soit romain.
Salut, jour heureux, reviens-nous toujours meilleur,
digne d'être célébré par le peuple qui gouverne le monde !
Plus loin, Ovide tente d’expliquer pourquoi le premier janvier est le commencement de l’année :
"Allons, dis-moi pourquoi l'an neuf commence avec les frimas :
Ne devait-il pas de préférence débuter au printemps ?
Alors, tout fleurit, alors, c'est la saison nouvelle :
sur le sarment fécond le jeune bourgeon se gonfle,
et l'arbre se couvre de feuilles à peine formées ;
l'herbe aussi, sortie de la graine, pointe sa tige au ras du sol,
et les oiseaux de leurs concerts agrémentent la tiédeur de l'air,
tandis que les troupeaux jouent et s'ébattent dans les prairies.
Alors le soleil est doux ; l'hirondelle, oubliée, reparaît
et façonne son nid de boue à l'abri d'une haute poutre ;
alors le champ labouré souffre, la charrue le rend neuf.
C'est cette période qui méritait d'être appelée nouvel an".
Ma question avait été longue ; lui, sans beaucoup attendre,
concentra sa réponse dans ces deux vers :
"Le solstice d'hiver marque le premier jour du soleil nouveau
et le dernier de l'ancien : Phébus et l'an ont même commencement".
Après quoi, je m'étonnais du fait que ce premier jour
ne fût pas exempté de procès. Janus dit : "Apprends-en la cause !
J'ai confié à l'année naissante l'activité judiciaire, par crainte de voir
l'année tout entière dépourvue d'activité, à cause d'un tel auspice.
Pour la même raison, chacun s'adonne à ses activités propres,
ne faisant rien d'autre que témoigner de son travail habituel".
Si ce jour-là, les activités judiciaires et autres ne sont pas suspendues, c'est que le premier janvier est un jour faste, garantissant que l'année entière sera vouée à l'action ... A cette époque, il n'est donc pas question que le Jour de l'An soit férié !!!
Par ailleurs, l'échange ce jour-là de douceurs (datte, figue, miel) augure une année douce.
Aussitôt j'interviens : "Pourquoi, lorsque j'honore d'autres dieux,
dois-je commencer par t'offrir à toi, Janus, de l'encens et du vin ?"
"Pour que tu puisses, dit-il, grâce à moi, gardien des seuils,
accéder à ton gré auprès de tous les dieux".
"Mais pourquoi prononçons-nous des paroles joyeuses à tes Calendes,
et pourquoi faisons-nous cet échange de voeux ?"
Alors le dieu, appuyé sur le bâton qu'il tenait de la main droite, dit :
"D'habitude, les commencements comportent des présages.
À la première parole, vous tendez une oreille craintive
et c'est le premier oiseau entrevu que consulte l'augure.
Les temples des dieux sont ouverts, de même que leurs oreilles ;
nulle langue ne formule en vain des prières ; les paroles ont leur poids".
Janus en avait fini ; je ne gardai pas longtemps le silence,
et mes mots suivirent aussitôt ses dernières paroles :
"Que veulent dire la datte et la figue ridée", dis-je,
"et le miel qu'on offre, contenu dans une jarre blanche ?" Il dit :
"C'est pour le présage, pour que leur saveur s'attache aux choses
et que l'année achève son voyage en douceur comme il a commencé".
"Je vois pourquoi on offre des douceurs ; dis-moi aussi le pourquoi
de la pièce de monnaie, pour que rien ne m'échappe de ta fête".
Il rit et dit : "Combien tu es abusé sur les temps où tu vis,
si tu penses qu'il est plus doux de recevoir du miel qu'une obole !
Au temps où régnait Saturne, j'avais peine déjà à trouver quelqu'un
dont l'esprit n'appréciait pas les douceurs du profit.
Avec le temps grandit le désir de posséder, qui actuellement culmine ;
à peine est-il possible d'aller plus loin en cette voie.
Les richesses sont plus prisées maintenant que dans les premiers temps,
quand le peuple était pauvre, quand Rome était dans sa nouveauté,
quand une humble cabane accueillait Quirinus, le fils de Mars,
et quand les roseaux du fleuve lui servaient de petite couchette.
Jupiter tenait difficilement debout dans son temple étroit,
et en sa main droite, le foudre était d'argile.
On ornait le Capitole de feuillages, des gemmes aujourd'hui,
et le sénateur menait lui-même paître ses brebis ;
il n'était pas honteux de prendre un paisible repos sur une paillasse
ni de poser sous sa tête un coussin de foin.
Le préteur, sa charrue à peine posée, rendait la justice au peuple
et on pouvait vous faire grief de posséder une mince lame d'argent.
Mais lorsque la Fortune de ce lieu eut relevé la tête,
et que Rome du haut du front eut touché les demeures des dieux,
les richesses s'accrurent, de même qu'une furieuse envie de richesses ;
et, tout en possédant quantité de biens, on en réclama davantage.
On rivalisa pour gagner de quoi dépenser, et regagner sa dépense,
et cette alternance même alimenta les vices :
ainsi en va-t-il de ceux dont le ventre est gonflé par l'hydropisie,
plus ils ont bu d'eau, plus ils sont assoiffés.
Actuellement la valeur réside dans l'argent : le cens procure les honneurs ;
il procure aussi les amitiés ; le pauvre, où qu'il soit, reste sur le carreau.
Tu te demandes pourtant ce que peut valoir le présage d'une obole,
et pourquoi nous aimons tenir en mains de vieilles monnaies de bronze.
Jadis on offrait du bronze : maintenant, en or, le présage est meilleur
et l'antique monnaie, vaincue, a cédé le pas à la nouvelle.
Nous aussi, même si nous prisons les temples anciens, nous les aimons
quand ils sont dorés : cette majesté sied à un dieu.
Nous louons les temps révolus, mais nous vivons à notre époque :
de toute façon les deux coutumes méritent un égal respect".
Comme on peut le lire, ces douceurs ont été depuis toujours concurrencées par des pièces de monnaie. Après une évocation des temps anciens, où l'on vivait heureux dans la simplicité et la pauvreté, avant l'afflux des richesses et le règne de la cupidité, le dieu explique que, à cause de cette évolution, une pièce d'or est souvent préférée à une obole, mais que les deux coutumes sont défendables et qu'il faut vivre avec son temps ... Comme quoi la débauche de victuailles et de dépenses que nous voyons en cette période de l'année ne date pas d'hier !
Les présents habituel étaient des figues, des dattes et du miel. On envoyait ces douceurs à ses amis, pour leur témoigner qu'on leur souhaitait une vie douce et agréable. Les figues et les dattes étaient ordinairement couvertes d'une feuille d'or, ce qui n'était néanmoins que le présent des personnes les moins riches: Martial en parle ainsi dans ses Epigrammes :
Aurea porrigitur Jani car jota Calendis:
Sed tamen hoc munus pauperts ejfe folet.
On y joignait aussi quelque petite pièce d'argent.
Sous l'Empire d'Auguste, le peuple, les Chevaliers, et les Sénateurs lui présentaient des étrennes; et lorsqu'il était absent, ils les portaient dans le Capitole. L'argent de ces étrennes était employé à acheter des statues de quelques divinités, l'Empereur ne voulant pas utiliser à son profit particulier les libéralités de ses sujets.
"Omnes ordines in lacum Curti quotannis ex voto pro salute eius stipem jaciebant, item Kal. Jan. strenam in Capitolio etiam absenti, ex qua summa pretiosissima deorum simulacra mercatus vivatim dedicabat, ut Apollinem Sandaliarium et Jovem Tragoedum aliaque." "Chaque année, tous les ordres de l’État jetaient dans le gouffre de Curtius des pièces d’argent pour son salut. Aux calendes de janvier, lors même qu’il était absent, on lui portait des étrennes au Capitole. De cet argent il achetait les plus belles statues des dieux, et les faisait élever dans les divers quartiers de Rome, comme l’Apollon des Sandales, le Jupiter Tragédien et quelques autres".( Suétone, Auguste, chapitre 57)
Tibère désapprouva cette coutume, et fit un édit par lequel il défendait les étrennes, passé le premier jour de l'année, parce qu'auparavant le peuple s'occupait à ces cérémonies pendant huit jours.
"Cotidiana oscula edicto prohibuit, item strenarum commercium ne ultra Kal. Jan. exerceretur." "Il abolit par un édit l’usage de s’embrasser tous les jours, et défendit de prolonger l’échange des étrennes au-delà des calendes de janvier". (Suétone, Tibère, 34)
Mais Caligula fit savoir au peuple que lui accepterait les étrennes qu'on lui présenterait, contrairement à son prédécesseur tandis que Claude son successeur défendit qu'on l'importunât de ces présents ...
Les Grecs empruntèrent cet usage des Romains, mais ils n'avaient pas de mot pour qualifier ces étrennes. Mais les chrétiens s'élèvent contre cette coutume. Tertullien dans son livre de l'Idolâtrie en parle : "Mon âme, dit-il, a en horreur vos Sabbats, Nouvelles Lune et solennités. Comment pouvons-nous frequenter les fêtes Saturnales célébrer les Calendes de Januier, le solstice d'hiver, la fête des matrones, donner des présents ces jours-là, faire des étrennes, des jeux et banquets ..."
En 313, l'édit de Milan marque la reconnaissance quasi officielle du christianisme comme religion de l'Empire. Dès lors, encouragées par les faveurs du pouvoir, les troupes de choc de la nouvelle foi s'attaqueront avec zèle à la conversion des villes et des campagnes et à l'éradication des coutumes païennes ... ou plutôt, pure tartufferie, des fêtes chrétiennes remplaceront les joyeusetés idolâtres !
Pourtant dans les premiers siècles de l'Eglise, l'habitude d'envoyer des étrennes aux magistrats et aux Empereurs perdure. D'après Ferdinand Lot dans "La Fin du monde antique et les débuts du moyen âge" paru en 1951 (p.509), jusqu'en début du Vème siècle, l'aristocratie païenne fait servir, aux fins de sa propagande, l'habitude très ancienne d'offrir en cadeau, le jour de l'An, de vieilles pièces de monnaie (des "contorniates") représentant des empereurs païens restés populaires, ou Alexandre le Grand, le conquérant victorieux, par dérision contre le faible empereur chrétien. On en trouve même jusque sous le règne d'Anthémius (467-472), représentant l'empereur régnant avec des allusions politiques
Vers 515-520, saint Césaire (470-543), évêque d'Arles, fulmine dans un sermon contre les coutumes du jour de l'An : («... les uns ne revêtent que la peau d'un animal, d'autres en prennent la tête, d'autres se déguisent en femmes... ") et contre les pratiques de la fête des Morts du 22 février (« ... ils portent des mets et du vin sur les tombeaux des défunts... »). En 524, le concile d'Arles condamne les rites observés lors du jour de l'An. En 578, le concile d'Auxerre réitère l'interdiction de se déguiser en vaches et en cerfs à l'occasion des fêtes du jour de l'An. Le VIe concile oecuménique (7 novembre 680-16 septembre 681) qui met fin à la querelle monothélite condamne aussi ces fêtes.
En fait, ce sont plutôt les rites liés aux "saturnales" qui sont condamnés, cette succession non interrompue de réjouissances et de cérémonies qui commençait mi décembre, embrassait tout l'intervalle compris entre Noël et l'Epiphanie et qui s'est ensuite et progressivement étendue jusqu'au jour des cendres. Et l'église a toléré les étrennes à condition qu'elles ne soient plus que des marques d'amitié ou de soumission et que l'on s'abstienne des cérémonies païennes, comme d'offrir de la verveine ou certaines branches d'arbres (le gui ?), de mettre le jour des flambeaux allumés sur la table où l'on faisait des festins, de chanter et de danser dans les rues ...
A SUIVRE ... peut être ...
sources : http://www.france-pittoresque.com/traditions/58.htm et http://bcs.fltr.ucl.ac.be/fastam/f1-plan.html
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mercredi, 29 décembre 2010
Le code du travail a 100 ans.
Le code du travail a eu 100 ans hier. Gérard Filoche était hier matin sur France-Info pour en parler
Gerard FILOCHE et le centenaire du Code du travail
envoyé par FranceInfo. - L'info internationale vidéo.
Le "Code du Travail et de la Prévoyance Sociale" a été initialisé par la loi du 28 décembre 1910 portant codification des lois ouvrières.
Pendant la première moitié du XIXe siècle un certain nombre de voix s’élèvent pour critiquer le code civil qui n’a rien prévu pour les ouvriers. On lui reproche surtout l’inégalité des cocontractants dans le contrat de louage de services. A partir de 1830 des libéraux en réclament la révision pour y inclure une législation du travail. Sous la Monarchie de juillet, les socialistes et le parti républicain et démocrate réclament des réformes en faveur des ouvriers. Sous le Second Empire, en 1866 un comité se fonde pour étudier et préparer la refonte du code civil. La question est reprise sous la Troisième République à partir des années 1880.
La question de codification des lois ouvrières est posée pour la première fois en France devant le Parlement par le député socialiste Arthur Groussier, qui dépose le 14 avril 1896 une proposition de résolution chargeant la commission du travail de rassembler et réviser toutes les lois concernant la défense des intérêts des travailleurs et réglant leurs rapports avec leurs employeurs pour en faire un Code du travail.
Arthur Groussier reprend l’idée dans la législature suivante et dépose le 13 juin 1898, une proposition sur le code du travail où il a procédé lui-même à la codification.
La proposition Groussier réglemente la formation du contrat, les obligations qui en résultent, les indemnités qui doivent être allouées en cas de brusque rupture, la fixation et le mode de paiement des salaires. Elle proclame la limitation de la durée du travail effectif à huit heures par jour avec une seule exception : en cas de réparations ou travaux nécessités par un accident grave. Groussier écrivait dans l'exposé des motifs de sa proposition, que la diminution des heures de travail est le seul moyen, dans l'organisation sociale actuelle, d'amoindrir les misères et les souffrances du prolétariat. La proposition contient l'indication des mesures les plus essentielles pour assurer l'hygiène et la sécurité des travailleurs. Près de cent articles sont consacrés aux assurances du travail. Enfin, la proposition envisage la création de deux institutions nouvelles, celle des Chambres de travail qui établiront les statistiques relatives au travail, garantiront le bon fonctionnement de l'inspection et étudieront les questions concernant les rapports des travailleurs et de leurs employeurs, celle des Tribunaux du travail, composés de patrons et d'ouvriers, comme nos Conseils de prud'hommes actuels, mais qui n'auront pas seulement compétence pour trancher les litiges concernant les contrats de travail, mais régleront aussi les contestations ouvertes à la suite, soit d'un accident, soit d'une infraction aux dispositions sur l'hygiène et la sécurité du travailleur. En même temps qu'il comblait les lacunes de la législation sociale, Groussier s'efforçait de mettre en ordre les textes épars concernant les salariés et disséminés dans les nombreuses lois qui se sont succédé au cours du dix-neuvième siècle. "Chaque année, disait-il dans son exposé de motifs, de nouvelles lois viennent s'ajouter, contredisant quelquefois sans les abroger les textes existants. Les dispositions particulières au travail s'enchevêtrent dans des textes d'ordre différent concernant l'assistance, l'hygiène générale, la prévoyance, et ces lois le plus souvent n'intéressent qu'une profession, une catégorie de travailleurs. Aucune vue d'ensemble ne se dégage de leur examen.". Cette proposition n'est pas votée.
En 1900, pour remédier aux lenteurs de l’élaboration d’une législation du travail, le groupe socialiste de la Chambre propose la création d’un Ministère du travail et la mise à l’étude immédiate d’un code ouvrier, synthèse méthodique de toutes les lois votées. Le 26 mars 1901, le député Julien Goujon dépose un nouveau projet de loi codifiant les lois industrielles et ouvrières pour en faire un code du travail. En janvier 1903 le projet socialiste de code du travail est présenté à nouveau au Parlement par le député Victor Dejeante.
Le Ministre en charge du commerce et de l’industrie dans le gouvernement Waldeck-Rousseau, Alexandre Millerand, à la suite d’une autre proposition par Charles Benoist invitant le gouvernement à préparer un code du travail, institue une commission extra-parlementaire, chargée de la codification des lois du travail, mais il interdit à la commission d’introduire dans la législation une seule disposition nouvelle : son mandat unique est de codifier les lois en vigueur. Elle va travailler et aboutir à un projet d’ensemble divisé en six livres, dont elle présente les cinq premiers en avril 1904. Arthur Groussier a très activement collaboré à la rédaction des deux premiers livres, avec un juriste, Paul Sumien.
En février 1905, le gouvernement s’approprie, sans changement, le texte préparé par la commission extraparlementaire, et dépose sur le bureau de la chambre, un projet englobant les livres I à V. La chambre le vote le 15 avril 1905 sans discussion et après de courtes observations du ministre du commerce Fernand Dubief, et des députés Jean Jaurès et Charles Benoist, rapporteur de la loi. Le Sénat est saisi, mais limite son examen au 1er livre malgré le rapport d’ensemble qui lui a été présenté par le sénateur Paul Strauss le 6 mars 1906
Le Sénat fait traîner son étude du texte transmis après le vote de la Chambre ; il disjoint les livres, fait des changements de détail et finalement vote le 7 juin 1910. La Chambre saisie à nouveau, conformément au rapport Groussier, pour accélérer le processus, vote le texte sénatorial qui devient la loi du 28 décembre 1910 qui sera complétée par un décret du 12 janvier 1911. Le livre I du code du travail rentre en vigueur le jour même de la publication du décret, soit le 18 janvier 1911. Ce livre contient 106 articles qui remplacent seize lois.
Seul le livre I est donc adopté ("Des conventions relatives au travail") par la loi du 28 décembre 1910, C’est un texte incomplet, promulgué hâtivement, qui ne change rien à la législation existante, mais qui constitue une "codification des lois ouvrières" dans lequel sont rassemblés tous les textes qui assurent la protection légale des travailleurs, ou qui leur garantissent tant le droit d'association, que la possibilité de faire juger leurs différends par une juridiction professionnelle. Certes, ce code n’a pas créé pour les travailleurs des droits nouveaux, mais ce rassemblement des textes a été fait avec méthode, afin de faire ressortir les insuffisances et les superfétations de la législation existante. Il constitue un document précis, dans lequel employeurs et travailleurs trouvent facilement la définition de leurs droits et devoirs.
Le Livre II traite de la réglementation du travail. C'est dans ce livre que se trouvent codifiées les lois sur la limitation des heures de travail et sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs. Il sera adopté en juin 1912
Le Livre III a trait aux Groupements professionnels, livre IV concerne la juridiction et la représentation professionnelles. Les livres IV et III seront adoptés successivement en 1924 et 1927, après avoir perdu entre temps la partie V relative à la "prévoyance sociale".
Le code du travail concerne les salariés sous contrat de travail de droit privé, les salariés de secteur public étant soumis à des statuts particuliers.
Sa première grande refonte a eu lieu en 1973.
Plus récemment le gouvernement a mené entre février 2005 et mai 2008 une réécriture du code, dans le but affiché de le simplifier et de supprimer des dispositions jugées "obsolètes", ce qui a abouti en 2008 ... à doubler le nombre d'articles ! De plus ce Code du travail, a été largement affaibli par la loi TEPA qui vide de sa substance toute référence à une durée légale du travail, et par la réduction des moyens de contrôles de l'inspection du travail.
Des "bruits" courent que, à la demande du Medef, le gouvernement pourrait instituer une nouvelle mission d'étude pour le début d"année prochaine, devant se prononcer sur une nouvelle "simplification"...
19:40 Publié dans chronique à gauche, Histoire, militance | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
vendredi, 24 décembre 2010
Conte de Noël
Allez, un autre conte de Noel d'Alphonse Allais ...
Ce matin-là, il n’y eut qu’un cri dans tout le Paradis :
— Le bon Dieu est mal luné aujourd’hui. Malheur à celui qui contrarierait ses desseins!
L’impression générale était juste : le Créateur n’était pas à prendre avec des pincettes.
A l’archange qui vint se mettre à sa disposition pour le service de la journée, Il répondit sèchement :
— Zut! fichez-moi la paix!
Puis, Il passa nerveusement Sa main dans Sa barbe blanche, s’affaissa — plutôt qu’il ne s’assit — sur Son trône d’or, frappa la nue d’un pied rageur et s’écria :
— Ah! j’en ai assez de tous ces humains ridicules et de leur sempiternel Noël, et de leurs sales gosses avec leurs sales godillots dans la cheminée. Cette année, ils auront … la peau!
Il fallait que le Père Éternel fût fort en colère pour employer cette triviale expression, Lui d’ordinaire si bien élevé.
— Envoyez-moi le bonhomme Noël, tout de suite ! ajouta-t-Il.
Et comme personne ne bougeait :
— Eh bien! vous autres, ajouta Dieu, qu’est-ce que vous attendez? Vous, Paddy, vieux poivrot, allez me quérir le bonhomme Noël!
(Celui que le Tout-Puissant appelle familièrement Paddy n’est autre que saint Patrick, le patron des Irlandais.)
Et l’on entendit à la cantonade :
— Allo ! Santa Claus! Come along, old chappie!
Le bon Dieu redoubla de fureur :
— Ce pochard de Paddy se croit encore à Dublin, sans doute ! Il ne doit cependant pas ignorer que j’ai interdit l’usage de la langue anglaise dans tout le séjour des Bienheureux!
Le bonhomme Noël se présenta :
— Ah ! te voilà, toi!
— Mais oui, Seigneur!
— Eh bien! tu me feras le plaisir, cette nuit, de ne pas bouger du ciel…
— Cette nuit, Seigneur? Mais Notre-Seigneur n’y pense pas! C’est cette nuit… Noël!
— Précisément! précisément! fit Dieu en imitant, à s’y méprendre, l’accent de Raoul Ponchon.
— Et moi qui ai fait toutes mes petites provisions!…
— Le royaume des Cieux est assez riche pour n’être point à la merci même de ses plus vieux clients. Et puis … pour ce que ça nous rapporte !
— Le fait est !
— Ces gens-là n’ont même pas la reconnaissance du polichinelle… Je fais un pari qu’il y aura plus de monde, cette nuit, au Chat Noir qu’à Notre-Dame de Lorette. Veux-tu parier ?
— Mon Dieu, vous ne m’en voudrez pas, mais parier avec vous, la Source de tous les Tuyaux, serait faire métier de dupe.
— Tu as raison, sourit le Seigneur.
— Alors, c’est sérieux ? insista le bonhomme Noël.
— Tout ce qu’il y a de plus sérieux. Tu feras porter tes provisions de joujoux aux enfants des Limbes. En voilà qui sont autrement intéressants que les fils des Hommes. Pauvres gosses!
Un visible mécontentement se peignait sur la physionomie des anges, des saints et autres habitants du céleste séjour.
Dieu s’en aperçut.
— Ah! on se permet de ronchonner ! Eh bien ! mon petit père Noël, je vais corser mon programme ! Tu vas descendre sur terre cette nuit, et non seulement tu ne leur ficheras rien dans leurs ripatons, mais encore tu leur barboteras lesdits ripatons, et je me gaudis d’avance au spectacle de tous ces imbéciles contemplant demain matin leurs âtres veufs de chaussures.
— Mais… les pauvres ?… Les pauvres aussi ? Il me faudra enlever les pauvres petits souliers des pauvres petits pauvres ?
— Ah ! ne pleurniche pas, toi ! Les pauvres petits pauvres ! Ah! ils sont chouettes, les pauvres petits pauvres ! Voulez-vous savoir mon avis sur les victimes de l’Humanité Terrestre ? Eh bien ! ils me dégoûtent encore plus que les riches !… Quoi ! voilà des milliers et des milliers de robustes prolétaires qui, depuis des siècles, se laissent exploiter docilement par une minorité de fripouilles féodales, capitalistes ou pioupioutesques ! Et c’est à moi qu’ils s’en prennent de leurs détresses ! Je vais vous le dire franchement : Si j’avais été le petit Henry, ce n’est pas au café Terminus que j’aurais jeté ma bombe, mais chez un mastroquet du faubourg Antoine !
Dans un coin, saint Louis et sainte Élisabeth de Hongrie se regardaient, atterrés de ces propos :
— Et penser, remarqua saint Louis, qu’il n’y a pas deux mille ans, il disait : Obéissez aux Rois de la terre ! Où allons-nous, grand Dieu ! où allons-nous ? Le voilà qui tourne à l’anarchie !
Le Grand Architecte de l’Univers avait parlé d’un ton si sec que le bonhomme Noël se le tint pour dit.
Dans la nuit qui suivit, il visita toutes les cheminées du globe et recueillit soigneusement les petites chaussures qui les garnissaient.
Vous pensez bien qu’il ne songea même pas à remonter au ciel cette vertigineuse collection. Il la céda, pour une petite somme destinée à grossir le denier de Saint-Pierre, à des messieurs fort aimables, et voilà comment a pu s’ouvrir, hier, à des prix qui défient toute concurrence, 739, rue du Temple, la splendide maison:
AU BONHOMME NOËL
Spécialité de chaussures d’occasion en tous genres
pour bébés, garçonnets et fillettes.
Nous engageons vivement nos lecteurs à visiter ces vastes magasins, dont les intelligents directeurs, MM. Meyer et Lévy, ont su faire une des attractions de Paris.
Alphonse Allais
Deux et deux font cinq
1895
16:30 Publié dans coup de coeur, litterature, rire, traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |