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jeudi, 23 décembre 2010

Le veau - conte de noël pour Sara Salis

veau.jpgIl y avait une fois un petit garçon qui avait été bien sage, bien sage. Alors, pour son petit Noël, son papa lui avait donné un veau.

- Un vrai ?

- Oui, Sara, un vrai.

- En viande et en peau ?

- Oui, Sara, en viande et en peau.

- Qui marchait avec ses pattes ?

- Puisque je te dis un vrai veau

- Alors ?

- Alors, le petit garçon était bien content d'avoir un veau seulement, comme il faisait des saletés dans le salon...

- Le petit garçon ?

- Non, le veau... Comme il faisait des saletés et du bruit, et qu'il cassait les joujoux de ses petites soeurs...

- Il avait des petites soeurs, le veau ?

- Mais non, les petites soeurs du petit garçon... Alors on lui bâtit une petite cabane dans le jardin, une jolie petite cabane en bois...

- Avec des petites fenêtres ?

- Oui, Sara, des tas de petites fenêtres et des carreaux de toutes couleurs... Le soir, c'était le réveillon. Le papa et la maman du petit garçon étaient invités à souper chez une dame. Après dîner, on endort le petit garçon et ses parents s'en vont...

- On l'a laissé tout seul à la maison ?

- Non, il y avait sa bonne... Seulement, le petit garçon ne dormait pas. Il faisait semblant. Quand la bonne a été couchée, le petit garçon s'est levé et il a été trouver des petits camarades qui demeuraient à côté...

- Tout nu ?

- Oh ! non, il était habillé. Alors tous ces petits polissons, qui voulaient faire réveillon comme des grandes personnes, sont entrés dans la maison, mais ils ont été attrapés, la salle à manger et la cuisine étaient fermées. Alors, qu'est-ce qu'ils ont fait ?...

- Qu'est-ce qu'ils ont fait, dis ?

- Ils sont descendus dans le jardin et ils ont mangé le veau...

- Tout cru ?

- Tout cru, tout cru.

- Oh ! les vilains !

- Comme le veau cru est très difficile à digérer, tous ces petits polissons ont été très malades le lendemain. Heureusement que le médecin est venu ! On leur a fait boire beaucoup de tisane, et ils ont été guéris... Seulement, depuis ce moment-là, on n'a plus jamais donné de veau au petit garçon.

- Alors, qu'est-ce qu'il a dit, le petit garçon ?

- Le petit garçon..., il s'en fiche pas mal.

Alphonse Allais (À se tordre - 1891)

mercredi, 22 décembre 2010

demande au Père Noel

Cherche beau jeune homme ayant belles manières

Belles manières qu'on ne trouve plus guère

Ni dans nos villes ni dans nos chaumières.

 

picasso_portraitdejaimesabartes.jpg

 

Bien propre, bien soigné,

Bien astiqué, bien peigné,

Pouvant aller chez les comtesses

Sans pour autant pincer leurs fesses.

 

Poussant l'aveugle dans le noir

Cédant volontiers le trottoir.

Ouvrant la porte de la Mercédès

Au toutou de sa maîtresse.

S'aplatissant dans l'ascenseur

Jusqu'à réduire son épaisseur.

Toujours prêt à porter les bagages

Même si ça le met en nage.

Pressant entre ses mains la main des dames

Quand elles ont des états d'âme.

L'air le plus compréhensif

Devant le facultatif.

Connaissant l'heure des trains

La robe des meilleurs vins.

 

Une manière exquise de sourire

Et de parler pour ne rien dire.

 

René de Obadia de l'Académie française

Fantasmes de Demoiselles

Femmes faites ou défaites cherchant l'âme soeur

lundi, 20 décembre 2010

Il y a 25 ans, ouverture des premiers “ Restos du cœur ”.

Coluche.jpgIl y a 25 ans, le 21 décembre 1985, l'association de lutte contre la pauvreté fondée par le Coluche ouvre ses premiers centres de distribution de vivres dans toute la France.

Une rencontre insolite est à l’origine du concept des Restos du Cœur, celle de Coluche et du député belge au Parlement Européen José Happart. Celui-ci avait introduit une "motion sur la pauvreté" au Parlement de Strasbourg, où il demande que les surplus alimentaires chèrement stockés et détruits soient mis à la disposition de ceux qui en ont besoin. Malheureusement, celle-ci laisse tout le monde indifférent.

Dans les mois qui suivent, Coluche, profitant de l’antenne d’Europe 1, crie la détresse et la misère de certains face au monde, au gaspillage de la société de consommation, à la satisfaction des nantis, au dénuement, au paupérisme des autres. Cette série d’émissions lui vaut nombre d’appels de détresse. C’est à ce moment que lui revient en mémoire l’interpellation du député belge. Et le 26 septembre, Coluche dénonce lui aussi la destruction des surplus agricoles en France et en Europe. "J'ai une petite idée comme ça. Si des fois y'a des marques qui sont intéressées par sponsorer une cantine gratuite qu'on pourrait commencer par faire à Paris, nous on est prêts à aider une entreprise comme ça qui ferait un resto qui aurait comme ambition, au départ, de distribuer 2 000 à 3 000 couverts par jour [...] Quand il y a des excédents de bouffe à droite à gauche, et qu’on les détruit pour maintenir les prix sur le marché, on pourrait les récupérer [...]  et on essaiera de faire un grande cantine pour donner à manger à tous ceux qui ont faim."

 

 

 

 

L’idée des "restos du cœur" est lancée … Plus de 5 000 bénévoles se mettent au service de cette initiative. Jusqu'au 21 mars, au début du printemps, ils distribuent 8,5 millions de repas. Jean-Jacques Goldman crée la Chanson des Restos "Aujourd'hui, on n'a plus le droit, ni d'avoir faim ni d'avoir froid ..." qui va faire un tube et attirer l'attention de tous les médias. Une première émission de télévision est organisée face à l'événement : elle récoltera des millions de francs de dons.

 

 

 

 

Coluche ne veut pas en rester là et entend interpeller un maximum de responsables politiques. Il entre en contact avec José Happart en lui demandant une entrée au Parlement Européen. Happart accepte. En février 86, Coluche plaide la cause des Restos devant le Parlement européen en soulignant que les surplus de nourriture coûtent davantage si on les stocke que si on les distribue gratuitement aux pauvres. Il sera entendu et en 1987 le PEAD (Programme Européen d’Aide aux plus démunis) est institué ... Ces stocks sont distribués par quatre associations dès 1987 : la banque alimentaire de l'abbé Pierre, la Croix-Rouge, le Secours populaire et bien sûr les Restos du Coeur.

Durant l'hiver 1986-1987, une deuxième campagne s’organise, malgré la disparition de Coluche, des associations départementales se créent portant les nom et logo des Restos du Cœur. Ils distribuent 11,5 millions de repas et sont soutenus par 6 000 bénévoles. Le mouvement perdure et s'amplifie : l'année suivante, les Restos du Coeur organisent une autre campagne pour aider les plus démunis tout au long de l'année et non plus seulement en hiver. 22 millions de repas sont distribués par 7 300 bénévoles.

Peu de temps après avoir lancé les Restos du Cœur, Coluche constate que les plus nombreux donateurs sont ceux dont les revenus sont les plus bas. Or, rien ne les avantage fiscalement. Une injustice de plus !

Coluche décide de faire étudier le problème par des fiscalistes, et lance son idée au cours d'une émission télévisée réalisée en janvier 1986 sur TF1, quelques mois avant les élections législatives de décembre. Tous les leaders politiques, de la gauche à la droite, l'assurent alors de leur soutien à cette proposition de loi. Malheureusement, le 19 juin 1986 prive les partisans de ce texte de leur principal aiguillon, et un nouveau gouvernement oublie les engagements du précédent ... jusqu'en 1988, où Michel Charasse inscrit dans la Loi de Finances 1989 un texte proche de celui initialement proposé par Coluche. Et c'est à l'unanimité du Parlement que la "Loi Coluche" est votée en 1988, en référence au fondateur des Restaurants du Cœur. Son nom officiel est article 238 bis du Code Général des Impôts. Elle crée une réduction d'impôts supplémentaire pour les associations caritatives et humanitaires qui viennent en aide aux personnes en difficultés en fournissant de la nourriture, des soins ou un logement aux personnes dans la précarité. Comme le répondait Coluche à certains qui s'inquiétaient qu'il leur fasse de l'ombre : "Mais non ! Je vais vous faire du soleil !".

Cette même année, 25 millions de repas sont distribués par 8 500 bénévoles.

En 1989 a lieu la première tournée des Enfoirés, suivie d’un premier disque au profit de l’association.

affiche-resto-du-coeur.jpgAprès les Restos du Coeur, sont créés les Relais du Coeur destinés à aider les personnes dans leur démarche de réinsertion, les Camions du Coeur, quant à eux, vont dans les rues de Paris pour servir des repas chauds aux sans-abri. Mais la situation en France ne fait qu'empirer et les Restos doivent ouvrir les Toits du Coeur afin d'héberger des personnes en cours de réinsertion. Les chiffres des repas distribués et le nombre de bénévoles ne cessent d'augmenter année après année. Sont ensuite créés les Ateliers et les Jardins du Coeur pour redonner une vie sociale, un rythme de vie et un savoir-faire aux plus démunis. Les actions ne s'arrêtent pas là. Une maison de vacances est organisée à Châtellerault, les premiers relais bébés ouvrent leurs portes, la Péniche du Coeur est installée à Paris ainsi que des résidences sociales à Poissy, au Mans, à Dijon, etc ... des ateliers de lutte contre l'illettrisme sont mis en place ...

Aujourd'hui, la loi accorde aux particuliers qui font un don au profit de n'importe quelle association ou fondation, une réduction fiscale qui est fixée à 66% de la somme versée dans la limite de 20% du revenu imposable. L'amendement Coluche porte cette réduction d'impôt à 75% lorsque ces dons bénéficient aux associations comme les Restos du Coeur "qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté, qui contribuent à favoriser leur logement ou qui procèdent, à titre principal, à la fourniture gratuite de soins à des personnes en difficulté." (Art. 200-1 ter du code général des impôts).

Le consensus politique lors du vote de cette loi ne devait pourtant pas empêcher certains de la remettre en cause, comme ce fut le cas lors de l’examen de la loi sur le mécénat en plein mois d’août 2003 ... Mais grâce à l’intense mobilisation des bénévoles des Restos, la loi Coluche fut finalement sauvée et renforcée par les votes unanimes de l'Assemblée Nationale et du Sénat. Cette année encore, en septembre, dans un entretien aux Echos, le ministre du budget François Baroin ... dont la compagne, Michèle Laroque, ne cesse pourtant depuis des années de solliciter la générosité publique pour le Financement des Restos du Cœur avec Les Enfoirés … évoquait la possibilité de retoucher la loi "Coluche" sur les dons aux associations, alors que déjà les dons ont piqué du nez à cause de la crise économique ! Cette défiscalisation, est pourtant un moyens, pour les particuliers, de financer la vie associative, et notamment de soutenir des actions menées par les association suite au désengagement ou au désintérêt de l’état ! Et "la crise" a bien failli être le prétexte pour condamner a coup sûr l’ensemble des associations de Solidarité et d’entraide ! Alors que le slogan des Restos du Coeur est de plus en plus d'actualité ...

"On compte sur vous !"

Finalement le gouvernement a fait machine arrière ... mais pour combien de temps ?

mercredi, 15 décembre 2010

Le secret

arc_en_ciel_copie_m.jpgAllez, encore une petite "innocentine" ! quand on aime, on compte pas ...

 

Sur le chemin près du bois

J’ai trouvé tout un trésor :

Une coquille de noix

Une sauterelle en or

Un arc-en-ciel qu’était mort.

 

À personne je n’ai rien dit

Dans ma main je les ai pris

Et je l’ai tenue fermée

Fermée jusqu’à l’étrangler

Du lundi au samedi.

 

Le dimanche l’ai rouverte

Mais il n’y avait plus rien !

 

Et j’ai raconté au chien

Couché dans sa niche verte

Comme j’avais du chagrin.

 

Il m’a dit sans aboyer :

" Cette nuit, tu vas rêver. "

La nuit, il faisait si noir

Que j’ai cru à une histoire

Et que tout était perdu.

 

Mais d’un seul coup j’ai bien vu

Un navire dans le ciel

Traîné par une sauterelle

Sur des vagues d’arc-en-ciel !

 

René de Obaldia, in Innocentines, Poèmes pour enfants et quelques adultes.

mardi, 14 décembre 2010

Ca ne vient pas de weakileak, mais ...

126.jpg 

 

 

Coq au vin

 

Au cours d’un grand dîner, la marquise, sans cause apparente, rendit son coq au vin sur le plastron de l’ambassadeur. L’assemblée voulut ne rien remarquer : elle était composée de nombreux diplomates.

Jusqu’ici, la marquise, jeune et singulièrement troublante, abreuvait de joie l’ambassadeur. Comment ce dernier aurait-il soupçonné que d’une bouche aussi divine, d’une telle voix de cristal, pussent jaillir des quartiers de coq, arrosés de ce liquide violet et généreux ?

Cela va attirer des complications avec la Russie, pensa le Turc qui faisait face à la marquise. Et, de satisfaction, il lissa sa fine moustache. L’Angleterre, voisin de la beauté et heureux pendant de l’ambassadeur, ramena son genou à bâbord. Son désir de coloniser la marquise se trouva quelque peu refroidi. Wang-Wei-Tchou en profita pour soulever la question de l’Antarctique. Les points de vue échangés témoignèrent de l’intelligence des hommes d’Etat, ainsi que de leur amour réciproque pour les Esquimaux.

La France restera toujours fidèle à sa tradition chevaleresque, claironna le général Beauchamp de Bompierre de Prepucet. C’est à cet instant qu’une deuxième vague de coq au vin atteignit le Turc, un peu trop souriant, en pleine ceinture.

L’on craignit pour les Dardanelles. L’Amérique étala ses pieds sur la table. Un hobereau donna de la crête. Plus éthérée que jamais, la marquise souriait à tous et se jeta sur la glace à la vanille. L’Angleterre prit nettement le large. Tout de même, la paix fut sauvegardée dans le monde quelques mois encore.

 

René De Obaldia  in « Les richesses naturelles »

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lundi, 13 décembre 2010

Chez moi

 

1302294_cc049.jpg

Chez moi, dit la petite fille

On élève un éléphant.

Le dimanche son œil brille

Quand papa le peint en blanc

 

Chez moi, dit le petit garçon

On élève une tortue.

Elle chante des chansons

En latin et en laitue.

 

Chez moi, dit la petite fille

Notre vaisselle est en or.

Quand on mange des lentilles

On croit manger un trésor.

 

Chez moi, dit le petit garçon

Nous avons une soupière

Qui vient tout droit de Soissons

Quand Clovis était notaire.

 

Chez moi, dit la petite fille

Ma grand-mère a cent mille ans.

Elle joue encore aux billes

Tout en se curant les dents.

 

Chez moi, dit le petit garçon

Mon grand-père a une barbe

Pleine pleine de pinsons

Qui empeste la rhubarbe.

 

Chez moi, dit la petite fille

Il y a trois cheminées

Et lorsque le feu pétille

On a chaud de trois côtés.

 

Chez moi, dit le petit garçon

Passe un train tous les minuits.

Au réveil mon caleçon

Est tout barbouillé de suie.

 

Chez moi, dit la petite fille

Le pape vient se confesser.

Il boit de la camomille

Une fois qu’on l’a fessé.

 

Chez moi, dit le petit garçon

Vit un Empereur chinois.

Il dort sur un paillasson

Aussi bien qu’un Iroquois.

 

Iroquois ! dit la petite fille

Tu veux te moquer de moi !

Si je trouve mon aiguille

Je vais te piquer le doigt !

 

Ce que c’est d’être une fille !

Répond le petit garçon.

Tu es bête comme une anguille

Bête comme un saucisson.

 

C’est moi qu’ai pris la Bastille

Quand t’étais dans les oignons.

Mais à une telle quille

Je n’en dirai pas plus long !

 

René de Obaldia (Innocentines")

jeudi, 02 septembre 2010

La haine des bourgeois

van_gogh_camp_tzigane_l.jpg"Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j’en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est qu’ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons.

Je me suis fait très mal voir de la foule, en leur donnant quelques sols. Et j’ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre.

C’est la haine qu’on porte au Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au Solitaire, au Poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère. Il est vrai que beaucoup de choses m'exaspèrent. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton."

Gustave Flaubert, lettre à Georges Sand, Croisset le 12 juin 1867

jeudi, 01 juillet 2010

C’est un trait de caractère. Pierre ne saura jamais le prix de l’argent !!!

293.jpgSoldes d'été, c'est parti pour cinq semaines de "bonnes affaires" : vêtements, chaussures, déco ... c'est, parait-il, Simon Mannoury, fondateur du premier grand magasin parisien Le "Petit Saint-Thomas" qui en aurait eu le premier l'idée ... la nouveauté de ce magasin créé en 1830, en plus de sa surface, c'est l'entrée libre, un large assortiment de produits réunis en un même endroit, les prix fixes particulièrement attractifs et clairement affichés grâce à l'étiquetage systématique des articles, la possibilité de les échanger, l'usage de la "réclame", et même la vente par correspondance, franco de port, ce qui va asseoir sa notoriété au-delà de la capitale !!! Mais la multiplication de produits entraîne des invendus en fin de saison, d'où l'idée de les liquider grâce à une forte réduction de prix. En 1872, le Littré appellera "solde" cette "marchandise vendue au rabais".

Boucicault, qui a travaillé au "Petit Saint Thomas", va s’inspirer de ces nouvelles méthodes de vente lorsqu’il va s’associer en 1852  à Paul Videau pour créer le magasin Le "Bon Marché Videau", qui dix ans plus tard ne s’appellera plus que "Le Bon Marché". D'autres grands magasins suivront, "Le Printemps" en 1865, "les Galeries Lafayette" en 1895, et enfin "le Bazar de l'Hôtel de Ville" en 1904,  suivi de la "Samaritaine" cette même année.

Avec le Bon Marché, une nouvelle histoire commence : celle des grands magasins que Zola décrit dans son "Bonheur des dames" ... Bon Marché "le magasin de la famille", comme disait la réclame! Mais auparavant, me direz-vous, comment faisaient les bonnes ménagères ? c'est ce que raconte le Petit Pierre d'Anatole France :

"[...] J’étais sur le point de vous dire que dans la troisième année de mon âge, dix-huitième et dernière du règne de Louis-Philippe premier, roi des Français, mon plus grand plaisir était la promenade. On ne m’envoyait pas au bois comme le petit Chaperon Rouge. J’étais moins agreste, hélas ! Né et nourri dans le cœur de Paris, sur le beau quai Malaquais, j’ignorais les plaisirs des champs. Mais la ville a bien son charme aussi ; ma chère maman me conduisait par la main le long des rues aux bruits sans nombre, pleines de couleurs vives, et tout égayées du mouvement des passants ; et, quand elle avait quelque emplette à faire, elle me menait avec elle dans les magasins. Nous n’étions pas riches ; elle ne faisait pas grande dépense ; mais les magasins où elle fréquentait me semblaient d’une étendue et d’une magnificence impossibles à surpasser. Le Bon Marché, le Louvre, le Printemps, les Galeries n’existaient pas encore. Les plus vastes établissements de ce genre, dans les dernières années de la royauté constitutionnelle, n’avaient qu’une clientèle de quartier. Ma mère, qui était du faubourg Saint-Germain, allait aux Deux-Magots et au Petit Saint-Thomas.

De ces deux magasins, situés l’un rue de Seine, l’autre rue du Bac, ce dernier seul subsiste encore, mais tellement agrandi et si différent, avec les mufles de lions qui horrifient sa façade, de ce qu’il était dans sa nouveauté gracile, que je ne le reconnais plus. Les Deux-Magots ont disparu et peut-être suis-je le seul au monde à me rappeler la grande peinture à l’huile qui y servait d’enseigne et représentait une jeune Chinoise entre deux de ses compatriotes. Sentant déjà avec vivacité la beauté des femmes, je trouvais cette jeune Chinoise charmante avec ses cheveux relevés par un grand peigne et ses accroche-cœurs sur les tempes. Mais des deux galants, de leur maintien, de leur regard, de leurs gestes, de leurs intentions, je ne saurais rien dire. J’ignorais tout de l’art de séduire.

Ce magasin me paraissait immense et rempli de trésors. C’est là, peut-être, que j’ai pris le goût des arts somptueux qui est devenu très fort en moi et ne m’a jamais quitté. La vue des étoffes, des tapis, des broderies, des plumes, des fleurs, me jetait dans une sorte d’extase, et j’admirais de toute mon âme les messieurs affables et les gracieuses demoiselles qui offraient en souriant ces merveilles aux clients indécis. Quand un commis, pour servir ma mère, mesurait une étoffe sur un mètre fixé horizontalement à une tige de cuivre qui descendait du plafond, j’estimais son sort magnifique et sa destinée glorieuse.

3215205344_6a343f9438_o.jpgJ’admirais aussi M. Augris, le tailleur de la rue du Bac, qui m’essayait des vestes et des culottes courtes. J’eusse préféré qu’il me fît un pantalon et une redingote comme en portaient les messieurs ; et ce désir devint très ardent un peu plus tard, quand je lus un conte de Bouilly sur un malheureux petit garçon recueilli par un savant bienfaisant et respectable qui l’employait comme secrétaire et l’habillait de ses vieux habits. Ce conte du bon Bouilly me fit faire une grande folie que je dirai une autre fois. Plein d’estime pour les arts et métiers, j’admirais M. Augris, le tailleur de la rue du Bac, qui n’était pas admirable, car il taillait ses étoffes tout de travers. Pour dire vrai, dans les habits de sa façon, j’avais l’air d’un singe.

Ma chère maman achetait elle-même, en bonne ménagère, l’épicerie chez Courcelles, rue Bonaparte, le café chez Corcelet, au Palais-Royal, et le chocolat chez Debeauve et Gallais, rue des Saints-Pères. Soit qu’il donnât libéralement ses pruneaux à goûter, soit qu’il fît briller au soleil les cristaux d’un pain de sucre, soit que, d’un geste élégant et hardi, il tînt renversé un pot de gelée de groseilles pour en éprouver la consistance, M. Courcelles me charmait par ses grâces persuasives et ses démonstrations péremptoires. J’en voulais presque à ma chère maman d’accueillir avec un air de doute et d’incrédulité les affirmations toujours illustrées d’exemples que lui faisait cet éloquent épicier. J’ai su depuis que le scepticisme de ma chère maman était fondé.

Je vois encore la boutique de Corcelet[i], à l’enseigne du "Gourmand", petite et basse, avec son inscription en lettres d’or sur fond rouge. Elle exhalait un délicieux arôme de café et l’on y voyait une peinture déjà vieille à cette époque, qui représentait un gourmand, habillé à la mode de mon grand-père. Il était assis devant une table couverte de bouteilles, chargée d’un pâté monstrueux et ornée d’un ananas décoratif. Je puis dire, grâce à des clartés qui me sont venues beaucoup plus tard, que c’était un portrait de Grimod de la Reynière peint par Boilly. J’entrais avec respect dans cette maison qui me semblait d’un autre âge et me faisait remonter jusqu’au Directoire. L’employé de Corcelet pesait et servait en silence. Sa simplicité, qui contrastait avec les façons emphatiques de M. Courcelles, faisait impression sur moi, et il se peut qu’un vieux garçon épicier m’ait enseigné des premiers le goût et la mesure.

debauve___gallais-crest_001.jpgJe ne sortais jamais de chez Corcelet sans avoir pris un grain de café que je mâchais en chemin. Je me disais que c’était très bon et m’en croyais à demi. Je sentais intérieurement que c’était exécrable, mais n’étais pas encore capable de tirer au jour les vérités enfouies au dedans de moi-même. Si plaisant que me fût le magasin de Corcelet, à l’enseigne du "Gourmand", celui de Debeauve et Gallais[ii], fournisseurs des rois de France, m’agréait davantage et me charmait plus que tout autre. Il me semblait si beau que je ne m’estimais pas digne d’y entrer sans mes habits du dimanche, et j’examinais sur le seuil la toilette de ma chère maman pour m’assurer qu’elle était suffisamment élégante. Eh ! bien, je n’avais pas le goût si mauvais ! La chocolaterie Debeauve et Gallais, fournisseurs des rois de France, existe encore, et le décor n’en a pas beaucoup changé[iii]. Je puis donc en parler en toute connaissance et non sur des souvenirs infidèles. Elle a très bon air ; sa décoration date des premières années de la Restauration, alors que le style ne s’était pas encore trop alourdi ; elle est dans le caractère de Percier et Fontaine. Je songe, avec tristesse, en voyant ces motifs un peu secs, mais fins, mais purs et bien ordonnés, combien le goût a décliné en France depuis un siècle. Que nous sommes loin aujourd’hui de cet art décoratif de l’Empire, pourtant bien inférieur au Louis XVI et au Directoire ! Il faut louer dans ce vieux magasin l’enseigne en lettres bien proportionnées, bien carrées ; les fenêtres cintrées et leur imposte en éventail, le fond du magasin arrondi comme un petit temple, et le comptoir en hémicycle qui suit la forme de la salle. Je ne sais si je rêve ; mais je crois y avoir vu des trumeaux avec des Renommées qui pouvaient aussi bien célébrer Arcole et Lodi que la crème de cacao et les chocolats pralinés. Enfin tout cela relève d’un style, offre un caractère, présente une signification. Que fait-on à cette heure ? Il y a toujours des artistes de génie, mais les arts décoratifs sont tombés dans une ignominieuse décadence. Le style Troisième République fait regretter le Napoléon III, qui faisait regretter le Louis-Philippe, qui faisait regretter le Charles X, qui faisait regretter l’Empire, qui faisait regretter le Directoire, qui faisait regretter le Louis XVI. Le sens des lignes et des proportions est entièrement perdu. Aussi vois-je venir avec joie l’art nouveau, moins certes pour ce qu’il crée, que pour ce qu’il détruit.

debauve___gallais-counter1_001.jpgAi-je besoin de dire que, à trois ou quatre ans, je ne raisonnais pas sur la décoration ? Mais, en pénétrant dans la maison Debeauve et Gallais, je croyais entrer dans un palais de fées. Ce qui ajoutait à mon illusion c’était d’y voir de belles demoiselles en robe noire, et les cheveux tout brillants, assises derrière le comptoir en hémicycle avec une gracieuse solennité. Au milieu d’elles se tenait, douce et grave, une dame âgée qui écrivait dans des registres sur un grand pupitre et maniait des pièces de monnaie et des billets de banque. Il va bientôt paraître que je n’acquis point une suffisante intelligence des opérations qu’effectuait cette dame vénérable. A ses côtés, les jeunes filles brunes ou blondes s’occupaient, les unes à recouvrir les tablettes de chocolat d’une mince feuille de métal clair comme l’argent, les autres à envelopper deux par deux ces mêmes tablettes dans du papier blanc à vignettes et à fermer ces enveloppes avec de la cire qu’elles chauffaient à la flamme d’une petite lampe en fer-blanc. Elles accomplissaient ces tâches très adroitement et avec une célérité qui ressemblait à de l’allégresse. Je pense aujourd’hui qu’elles ne travaillaient point ainsi pour leur plaisir. Alors je pouvais m’y tromper, enclin comme j’étais à prendre tous les travaux pour des amusements. Il est certain du moins que c’était une joie des yeux que de voir courir les doigts fuselés de ces jeunes filles.

Quand maman avait fait son emplette, la matrone qui présidait cette assemblée de vierges sages prenait dans une coupe de cristal placée à son côté une pastille de chocolat qu’elle m’offrait avec un pâle sourire. Et ce présent solennel me faisait aimer et admirer plus que tout le reste la maison de MM. Debeauve et Gallais, fournisseurs des rois de France.

Ayant du goût pour les magasins, il était bien naturel que, rentré à la maison, j’essayasse dans mes jeux l’imitation des scènes que j’avais observées pendant que ma mère faisait ses emplettes. Aussi étais-je, au logis, pour moi seul et à l’insu de tout le monde, tour à tour, tailleur, épicier, commis de nouveautés et même, sans plus d’embarras, marchande de modes et chocolatière. Or, un soir, dans le petit cabinet tendu de boutons de roses où se tenait ma mère, sa broderie à la main, je m’appliquai avec plus de soin que de coutume à contrefaire les belles demoiselles de la maison Debeauve et Gallais. M’étant procuré des morceaux de chocolat en aussi grande quantité que possible, des bouts de papier, et même des lambeaux de ces feuilles métalliques que j’appelais emphatiquement du papier d’argent, le tout à vrai dire fort défraîchi, je m’installai dans ma petite chaise, don de ma tante Chausson, devant un tabouret garni de molesquine, et cela représentait à mes yeux l’élégant hémicycle du magasin de la rue des Saints-Pères. Enfant unique, habitué à jouer seul et toujours enfoncé dans quelque rêverie, vivant beaucoup enfin dans le monde des songes, il ne me fut pas difficile d’imaginer le magasin absent, ses lambris, ses vitrines, ses trumeaux ornés de Renommées et même les acheteurs qui affluaient, femmes, enfants, vieillards, tant je possédais le don d’évoquer à mon gré les scènes et les personnes. Je n’eus point de peine à devenir à moi seul les demoiselles, toutes les demoiselles chocolatières et la dame respectable qui tenait les registres et disposait de l’argent. Mon pouvoir magique était sans bornes et dépassait tout ce que j’ai lu depuis, dans l’Ane d’Or, des sorcières de Thessalie. Je changeais à mon gré de nature : j’étais capable de revêtir les figures les plus étranges et les plus extraordinaires, de devenir, par enchantement, roi, dragon, diable, fée… que dis-je ? de me changer en une armée, en un fleuve, en une forêt, en une montagne. Aussi ce que je tentais ce soir-là était pur badinage et ne souffrait pas la moindre difficulté. Donc, j’enveloppai, je cachetai, je servis la clientèle innombrable, femmes, enfants, vieillards. Pénétré de mon importance (dois-je l’avouer ?) je parlais fort sèchement à mes compagnes imaginaires, pressant leurs lenteurs et relevant sans bienveillance leurs méprises. Mais, quand il s’agit de faire la dame âgée et respectable, préposée à la caisse, je me trouvai soudain embarrassé. En cette conjoncture, je sortis du magasin et allai demander à ma chère maman un éclaircissement sur le point qui restait obscur pour moi. J’avais bien vu la dame âgée ouvrir son tiroir et remuer des pièces d’or et d’argent ; mais je ne me faisais pas une idée suffisamment exacte des opérations qu’elle effectuait. Agenouillé aux pieds de ma chère maman qui, dans sa bergère, brodait un mouchoir, je lui demandai :

— Maman, dans les magasins, est-ce celui qui vend ou celui qui achète, qui donne de l’argent ?

Maman me regarda avec une surprise qui lui arrondit les yeux et lui fit remonter les sourcils, et sourit sans me répondre. Puis elle demeura pensive. Mon père entra, en ce moment, dans la chambre :

— Mon ami, lui dit-elle, sais-tu ce que Pierrot vient de me demander ?… Tu ne le devinerais jamais… Il m’a demandé si c’est celui qui vend ou celui qui achète, qui donne de l’argent.

— Oh ! le petit nigaud ! fit mon père.

Ma mère reprit d’un ton sérieux, avec une sorte d’inquiétude sur le visage :

— Mon ami, ce n’est pas seulement une bêtise d’enfant ; c’est un trait de caractère. Pierre ne saura jamais le prix de l’argent.

Ma bonne mère avait reconnu mon génie et deviné ma destinée : elle prophétisait. Je ne devais jamais connaître le prix de l’argent. Tel j’étais à trois ans ou trois ans et demi dans le cabinet tapissé de boutons de roses, tel je restai jusqu’à la vieillesse, qui m’est légère, comme elle l’est à toutes les âmes exemptes d’avarice et d’orgueil. Non, maman, je n’ai jamais connu le prix de l’argent. Je ne le connais pas encore, ou plutôt je le connais trop bien. Je sais que l’argent est cause de tous les maux qui désolent nos sociétés si cruelles et dont nous sommes si fiers. Ce petit garçon que j’étais, qui, dans ses jeux, ignorait lequel doit payer du vendeur ou de l’acheteur, me fait songer tout à coup au fabricant de pipes que nous montre William Morris dans son beau conte prophétique, ce sculpteur ingénu qui, dans la cité future, fait des pipes d’une beauté non pareille parce qu’il les fait avec amour, et qu’il les donne et ne les vend pas.


[i] « …C'est un spectacle touchant que celui d'un riche magasin de comestibles au mois de février. Dans la boutique des Chevet et Corcelet, on voit se presser la dinde appétissante, le pâté de foies de canards, celui de Périgueux, de Chartres ou de Strasbourg,, la terrine de Nérac , la hure de Troyes, la truffe de Périgord, les produits nutritifs de la France entière…» ( Dictionnaire de cuisine et d'économie ménagère par Burnet - 1836 )

[ii] En 1825, Brillat-Savarin écrivit dans sa "Physiologie du goût": "les chocolats de M. Debauve doivent leur suprématie à un bon choix de matériaux, à une volonté ferme que rien d'inférieur ne sorte de sa manufacture et au coup d'œil du maître qui embrasse tous les détails de la fabrication".

[iii] En 1800, Sulpice Debauve, pharmacien du feu Roi Louis XVI, ouvre avec son neveu, Antoine Gallais, une chocolaterie tout près de l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Sa réputation en fit le fournisseur attitré des Rois Louis XVIII, puis Charles X et Louis-Philippe. Cette boutique a été réalisée à la fin du 19ème siècle en pur style Louis XVI gris et or, est un écrin soigneusement préservé dans lequel les bonbons de Debauve et Gallais, plus ancienne chocolaterie parisienne, sont admirablement présentés.

 

dimanche, 27 juin 2010

Bordeaux, Juin 1940 ...

Pour la troisième fois, pendant quelques jours, Bordeaux devient "capitale" française ...

 

Bordeaux au bout de l'exode - SudOuest.fr_1277251240164.pngDepuis Mai, l’invasion de la Belgique et l’avancée éclair de l’armée allemande, nombre de véhicules de toutes sortes, de toutes tailles, camionnettes, voitures avec ou sans remorques, charrettes à bras, venues de Belgique, du Luxembourg, de Lorraine, du Nord et de la région parisienne, surchargées de valises, de cartons, de baluchons mal ficelés surmontés de matelas fixés tant bien que mal pour protéger des mitraillages, fuient sur les chemins de l’exode, traversent l’unique pont de Bordeaux, déferlent sur les quais ... Au cours des semaines leur nombre augmente sans cesse

La population bordelaise assiste à un raz-de-marée humain de près de 1,5 million d’hommes, de femmes et d’enfants qui va tenter de trouver refuge dans la région. . La place des Quinconces, l'une des plus vastes du port de la lune, est noire de monde. Les réfugiés vivent dans la rue ... mais l'arrivée des réfugiés se concentre surtout dans deux lieux précis : À la gare Saint-Jean, tout d'abord, où s'entassent des centaines d'hommes, de femmes, d'enfants, effondrés sur leurs ballots. Des étudiants de Bordeaux sont mobilisés pour leur distribuer des repas froids; place Pey-Berland, ensuite, point de ralliement des réfugiés équipés de voitures et en partance pour l'Espagne, le Portugal ou le sud de la France, transformée en gare routière.

BORDEAUX, Juin 1940 - Bertrand FAVREAU_1277230227511.pngLe "port de la lune" subit lui aussi les conséquences du conflit. De nombreux navires se rendant vers les ports de Bretagne et de la Manche sont détournés vers Bordeaux au fur et à mesure que les villes du Nord sont prises par les Allemands. L’embouchure de la Gironde reçoit dans un désordre général des dizaines de navires venus de toute la France. Bien sûr, l’intégralité des importations militaires est orientée vers Bordeaux. Le trafic passe de 65 000 t par semaine à 184 000 t pour la semaine du 30 mai au 5 juin. Mais cette joyeuse pagaille n’est que de courte durée car, bientôt, tout doit repartir. Casablanca, qui est proche de Bordeaux et a depuis longtemps des liens privilégiés avec elle, reçoit l’essentiel des navires en fuite. Les produits militaires sont réexpédiés vers les colonies nord-africaines ou l’Angleterre pour ne pas tomber entre les mains des Allemands. Les navires se trouvant dans le port de Bordeaux sont chargés de matériel aéronautique, comme le San Diego, de métaux, en particulier les Casamance ou le Sloga. Le contre-amiral Barnouin, qui sait que la Gironde nécessite des dragages fréquents, expédie la puissante drague Pierre Lefort à Casablanca, dans l'espoir de gêner l’exploitation économique du port par les nazis.

L’eau lourde (oxyde de deutérium) et le radium utilisés pour les expériences menées sur la fission de l'uranium et la réaction en chaîne, dans les laboratoires du collège de France, qui avaient été transportés en Gironde, sont envoyés en Angleterre. Le 18 juin Frédéric Joliot ayant décidé de rester en France, ses collègues Kowarski et Halban emmènent avec eux vingt-six bidons contenant le stock mondial d'eau lourde, soit cent quatre vingt cinq kilos, prêté en mars 1940 à la France de préférence à l'Allemagne par la Norvège, un mois avant son invasion par les troupes nazies. Ils sot munis d'un ordre de mission antidaté du ministre de l'Armement démissionnaire, Raoul Dautry, spécifiant "qu'ils sont chargés de poursuivre en Angleterre les recherches entreprises au Collège de France et sur lesquelles sera observé un secret absolu ". A Paris, les Allemands furieux convoquent Joliot-Curie. Trois bateaux avaient quitté Bordeaux ce jour-là. Deux ont été coulés par la Luftwaffe. Halban et Kowalski étaient sur le troisième. Avec beaucoup de sang froid, Joliot donne le nom d’un des bâtiments qui ont disparu. Les Allemands sont rassurés. Jusqu'à la fin de la guerre, ils ignoreront que l’eau lourde est à la disposition de l’effort de guerre allié ainsi que les deux ingénieurs français qui l’on emportée.

C’est aussi de Bordeaux que part une partie des réserves de la Banque de France, qui y a transféré son siège social. Des devises, de l’or, des titres et valeurs sont chargés sur quatre bâtiments qui partent pour le Maroc et le Canada. Les derniers navires quitteront Bordeaux le 24 juin, alors que l’armistice a déjà été signé à Compiègne. De même le personnel de la radio d'Etat est transféré de Paris à Bordeaux le 10 juin 1940.

A Bordeaux se replie aussi une partie de l'industrie : en 1938, l'expansion hitlérienne et les Accords de Munich avaient conduit le gouvernement français à inviter les industriels à créer des usines loin des zones présumées des futurs combats. La Société anonyme des automobiles Peugeot (SAAP), avait opté pour des usines en région bordelaise : une 18 quai de Queyrie dans une fabrique de conserves de fruits abandonnée depuis 7 ans, pour la fabrication des pièces du moteur Gnome-Rhone 14M, une 84 rue du Médoc au Bouscat dans les ateliers de réparation d'une de ses succursales pour la fabrication d'outillages, et la dernière à Mérignac, le château de Beauséjour à Arlac, destinée aux ateliers de carrosserie et de fonderie sur les 22 hectares du site, dans le but de fabriquer des trains  d'atterrissage, une partie de cellules d'avions Amiot et des compresseurs Gnome-Rhône, mais aussi avec l'arrière pensée d'installer une usine d'automobiles après la guerre ... Peugeot crée même une école d'apprentissage au Bouscat. En juin 1940, les usines Peugeot de la région bordelaise sont opérationnelles, et 4 000 salariés de Sochaux ainsi qu’une partie des archives sont évacués sur Bordeaux, à la demande du gouvernement. L'école Flornoy, dans le quartier Saint Augustin, accueille quelques uns de ces réfugiés. Le bombardement de Bordeaux de Juin 1940 par  les avions allemands fera rentrer chez eux la  plupart des Franc-Comtois. Pendant l'occupation, les troupes allemandes organiseront à Beauséjour un atelier de réparation des automobiles, en particulier celles récupérées sur les chemins de l'exode; mais un groupe de résistance "Peugeot" sabotera les machines-outils.

 

En quelques semaines, la population bordelaise est multipliée par deux, passant de 300 000 à 700 000 habitants. Une telle foule n'est plus contrôlable ... Le Ministre de l'intérieur Georges Mandel prend un arrêté obligeant les réfugiés de Belgique, de Hollande et du Luxembourg entrés en France depuis le 10 mai, à se présenter aux autorités, sous peine d'internement. Le 28 mai, le préfet demande aux non-Français (Belges et Luxembourgeois surtout) de se replier sur la Haute-Garonne, l'Hérault ou la Côte d'Or. Le 6 juin, le maire Adrien Marquet prend la décision de rationner l'eau. Le 10 juin, les réfugiés sont sommés de quitter Bordeaux et un périmètre de 20 kilomètres autour de Bordeaux avant le 13 juin, dernier délai ! Il s'agit de faire de la place pour le Gouvernement français qui a quitté Paris ...

Le préfet Bodeman ordonne que tous les navires quittant le port et à destination soit de l’Afrique du Nord, soit de l’Angleterre, soit des colonies, emmènent autant de passagers étrangers que possible. Cela diminue les interminables files d’attente devant les consulats des pays neutres (Etats-Unis, Espagne, Portugal) et de Grande-Bretagne, lesquels, de toute manière, ne délivrent les visas qu’au compte-gouttes. L’évacuation des ressortissants étrangers, mêlés aux civils français partant pour l’Afrique du Nord, dure ainsi jusqu’à ce que la Gironde et ses ports deviennent impraticables.

Culture - Nos lectures du Vendredi - -Aristides de Sousa Mendes, héros rebelle , Juin 1940- , éditions Confluences - Comité Aristides de Sousa Mendes. - AQUI !_1277251174074.pngLe consul portugais à Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes, homme de grande culture et de grande sensibilité, est au fait de la situation des réfugiés étrangers qui ont, pour la plupart, déjà fui le régime nazi quand il s’est installé dans leur pays natal. Confronté à une demande massive, il essaie chaque fois d'obtenir de son premier ministre l'autorisation de délivrance de visas, et se heurte à des refus systématiques, car Salazar, qui a peur de voir arriver chez lui trop de personnes jugées indésirables, a commis la fameuse circulaire numéro quatorze, du 11 novembre 1939, qui permet de trier les réfugiés et interdit aux consuls de délivrer des visas sans un accord préalable du ministère.  ... mi juin, Sousa Mendes décide de délivrer, sans aucun critère et sans aucune limite, des visas, des faux passeports à tous ceux qui en font la demande. "Je déclare que je donnerai, gratuitement, un visa à quiconque le réclamera. Je désire être du côté de Dieu contre l’homme, plutôt que de servir l’homme, contre Dieu." La nouvelle se répand comme une traînée de poudre parmi la population cosmopolite des réfugiés. L'espoir renaît. Entre le 17 et 21 juin il sauve ainsi plus de 30 000 personnes en mettant sa signature et son tampon sur des documents de toutes natures. Le 22 juin, Aristides de Sousa Mendes continue de délivrer les précieux sésames depuis Bayonne où il se réfugie, puis à Hendaye où il tient une sorte de permanence administrative à la terrasse des cafés. Le 23 juin, Salazar décrète que les visas émis par le consul général du Portugal à Bordeaux sont nuls et sans effet. Fin juin, les autorités allemandes et espagnoles félicitent Salazar pour sa décision de maintien de l'ordre et pour avoir mis un terme aux agissements de son consul général à Bordeaux. Salazar ordonne l'ouverture d'une procédure disciplinaire contre Aristides de Sousa Mendes quatre jours avant son retour au Portugal, le 4 juillet 1940. Ce même jour, il informe les autorités anglaises qu'il a mis fin aux dysfonctionnements qui se sont produits à Bordeaux et à Bayonne et que le consul a été relevé de ses fonctions. Aristides de Sousa Mendes prend alors la tête d’une colonne de réfugiés et se dirige vers la frontière espagnole. Il parvient à faire passer la frontière espagnole à tous les réfugiés, qui parviendront ainsi au Portugal. Rentré au Portugal le 8 juillet, Sousa Mendes se voit privé de nombreux droits : exercice de la profession, permis de conduire. Il survit alors grâce à la solidarité de la communauté juive de Lisbonne. Il mourra dans la misère le 3 avril 1954. Yad Vashem le fera Juste parmi les Nations.

 

À partir du 14 juin, le gouvernement français et tout l'appareil d'État, soit plus d'un millier de fonctionnaires, se replient à leur tour en Gironde. Le président de la République, Albert Lebrun, s’installe dans l’hôtel de préfecture et le président du Conseil, Paul Reynaud, également ministre des Affaires étrangères, de la Défense nationale et de la Guerre, dans l’hôtel du commandant de la XVIIIe région militaire, deux bâtiments situés rue Vital-Carles.

BORDEAUX, Juin 1940 - Bertrand FAVREAU_1277230741507.pngEtrange théâtre, ce 16 juin 1940, que la ville de Bordeaux, devenue la capitale improvisée d'une France déjà largement envahie par les troupes hitlériennes : trois conseils de ministres en vingt-quatre heures, présidés par deux chefs de gouvernement successifs, Paul Reynaud et le maréchal Pétain, l'un à bout de résistance, l'autre usé par l'âge et décidé à arrêter les combats. Un monde s'écroule au milieu d'un immense exode et d'un chaos indescriptible. Une république se meurt dans une indifférence quasi générale. Le 17 juin, Paul Reynaud démissionne, aussitôt remplacé par le maréchal Pétain, le "vainqueur de Verdun", qui invite le jour même, depuis le studio de la radio Bordeaux-Lafayette, les Français "à cesser le combat". Il demande l'armistice à l’Allemagne, signant la défaite de la France, la fin de la IIIe République et s’engageant dans la politique de collaboration avec l'occupant. Jusqu'au 29 juin, date du départ du gouvernement pour Vichy, Bordeaux est bien la capitale de la défaite. Le 27 juin, son maire, Adrien Marquet, devient le ministre de l'Intérieur de Philippe Pétain ...

Mais ce même 17 juin à Bordeaux, le général de Gaulle n’accepte pas de déposer les armes. En désaccord avec Pétain, il choisit de désobéir ! Il quitte la France et s'envole de Mérignac pour Londres, "emportant avec lui l'honneur de la France" comme l’écrivait sir Winston Churchill. Il y prononcera le lendemain sur les ondes de la BBC "radio Londres" le fameux Appel du 18 juin 1940 ... Le 23 juin, sera voté, à la demande du maréchal Pétain, un décret rétrogradant le général de Gaulle au rang de colonel et le mettant à la retraite d’office par mesure disciplinaire.

BORDEAUX, Juin 1940 - Bertrand FAVREAU_1277229578312.pngA peine arrivé à Bordeaux, le Gouvernement français envisage de s'installer à Alger. Le Conseil des ministres du 18 juin décide que le président Lebrun, accompagné d'une partie des ministres et des présidents des deux chambres, doit s'embarquer à Port-Vendres, tandis que le paquebot Massilia sera mis à la disposition des parlementaires au départ de Bordeaux. Sous l'influence de Laval, la décision n'est pas exécutée et le 20 juin 1940, 27 parlementaires seulement - dont Édouard Daladier, Georges Mandel arrêté le 17 juin et accusé d’avoir fomenté un coup d’Etat puis relaché, Jean Zay, Pierre Mendès France – appareillent du Verdon à bord du Massilia pour Casablanca, sous les insultes de l’équipage.

BORDEAUX, Juin 1940 - Bertrand FAVREAU_1277230681959.pngDans la nuit du 19 au 20 juin, aux alentours de minuit, douze bombardiers Heinkels He-111 du IV Fliegerkorps, basé à Dinard, font leur apparition au dessus de Bordeaux, larguant au hasard 61 bombes (88 au total dans l’agglomération), causant de nombreux dégâts matériels et humains : 185 blessés et 68 morts, dont certains, dans le quartier Saint Michel, noyés par la rupture de canalisations. Dans la nuit du 14 au 15 juin, des avions allemands avaient bien survolé Bordeaux, mais nul n’avait imaginé un bombardement !!!

Le 22 juin 1940, alors que le gouvernement français est toujours installé à Bordeaux, la France signe l'Armistice. Le IIIe Reich met en place toute une série de mesures pour limiter la circulation des personnes et instaure la ligne de démarcation.

 

carte-exode-250.jpgLe 10 juin 1940, Georges Mandel, ministre de l’Intérieur et ancien député de la Gironde, avait ordonné l’évacuation vers le sud de la population des prisons du Cherche-Midi et de la Santé. 1 865 détenus sont d'abord transférés à Bordeaux au Fort du Hâ ; 306 viennent du Cherche-Midi, 1 559 de la Santé. La plupart sont en attente de jugement devant les tribunaux militaires de Paris, déserteurs, insoumis, militaires détenus pour motifs de droit commun et politiques ... Le 21 juin 1940, au terme d’un exode éprouvant d’une dizaine de jours, 1020 des 1865 détenus parviennent au camp de Gurs, dans les Pyrénées Atlantiques. En route, des prisonniers épuisés ont été abattus, d'autres ont réussi à s'évader. Parmi eux, Henri Chamberlin dit Henri Lafont, qui deviendra chef de la gestapo à Paris, au 93 rue Lauriston

C'est à la prison militaire de Bordeaux, la caserne Boudet, à l’angle de la rue de Pessac et de la rue des Treuils, que sont remis, le 20 juin, dix hommes de ce convoi, condamnés à mort pour trahison par le 3e Tribunal militaire de Paris et dont la grâce a été refusée quelques jours plus tôt par le président de la République Albert Lebrun : Jean Amourelle (33 ans, espionnage), Jacques Ferréa (espionnage), Léon Lebeau (34 ans, sabotage), Maurice Lebeau (17 ans, sabotage), Charles Masson (44 ans, trahison), Marcel Rambaud (23 ans, sabotage), Roger Rambaud (17 ans, sabotage), René Spieth (24 ans, espionnage), Raymond Verdaguer (28 ans, espionnage) et Otto Weil (29 ans, espionnage).

Jean Amourelle, secrétaire sténographe au Sénat et membre du Parti socialiste (SFIO), a été convaincu d'espionnage pour avoir reçu 400 000 francs des agents nazis en échange des délibérations secrètes de la commission des affaires militaires du Sénat pour financer un journal qu’il avait le projet de fonder, "La Carmagnole". Roger Rambaud travaille comme ajusteur aux usines d’aviation Farman, à Boulogne-Billancourt. Son frère aîné est militaire au 503e régiment de chars de combat à Versailles tandis que Léon Lebeau appartient au 3e régiment de génie. Ils sont tous trois communistes et ont été reconnus coupables de sabotage d'avions de guerre. Roger Rambaud a sectionné, sur les conseils de son frère et de Léon Lebeau, des fils de laiton dans le but de favoriser l'explosion en vol des appareils. Tous les quatre sont "remis au commissaire du Gouvernement pour être conduit sur le terrain d’exécution".

Le frère de Léon Lebeau, Maurice Lebeau, condamné à mort lui aussi pour "complicité de destruction ou détérioration volontaire d’appareils de navigation aérienne ou toute installation susceptible d’être employée pour la Défense Nationale", voit sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité par décision présidentielle du 18 juin 1940. Le 23 juin, il est transféré à la prison du Fort du Hâ. Les cinq autres condamnés - Jacques Ferréa, Charles Masson, René Spieth, Raymond Verdaguer et Otto Weil - doivent rejoindre les autres prisonniers au camp de Gurs et seront finalement libérés par les autorités allemandes en gare d’Orthez, pendant leur transfert.

fusilles-de-pessac-22-juin-19401.jpgJean Amourelle, les frères Rambeau et Léon Lebeau sont exécutés le samedi 22 juin, à 5 heures 45, sur le champ de tir de Verthamon, qui jouxte les vignes du célèbre château Haut-Brion, à Pessac. La veille, le commandant de la place d’armes de Bordeaux a donné ses instructions concernant l’exécution, qui doit avoir lieu à 4 heures 30 du matin. Le 181e régiment régional est chargé de la besogne. Le peloton d’exécution se compose "d’un adjudant, un sous-officier armé du révolver [chargé de donner le coup de grâce] et 24 hommes (12 sergents et 12 caporaux)". La note précise aussi : "Assisteront au réveil des condamnés à 3 heures 45 le major de garnison ou son représentant, le commissaire du gouvernement, un juge d’instruction et un greffier désignés par le commissaire du gouvernement, un juge militaire désigné par l’état-major, l’officier comptable de la prison, un médecin désigné par le médecin-chef de la place, l’aumônier du culte catholique de l’hôpital Robert Picqué et un défenseur désigné par le bâtonnier de l’ordre des avocats à la cour de Bordeaux. Les condamnés seront ensuite transportés sur le lieu de l’exécution dans la voiture cellulaire de la place et escortés par huit gendarmes qui devront être rendus à la prison militaire à 3 heures 45." Sans doute craint-on que des communistes fomentent une action pour délivrer leurs camarades emprisonnés puisque la note précise encore : "Le service d’ordre sera assuré par un demi peloton de gardes mobiles qui devra être pour 3 heures 45 au stand de Verthamon.". Un procès-verbal confirme que l’exécution a bien eu lieu à 5 heures 45. Mais Roger Rambaud, exécuté au même âge que Guy Môquet, et ses compagnons ont été oubliés par l'histoire, vraisemblablement parce qu'ils sont tombés sous des balles républicaines et non allemandes..

 

carte.jpgSelon les clauses de l’armistice du 22 juin 1940, la France est coupée en deux par une ligne de démarcation. Pour des impératifs économiques et stratégiques, le littoral atlantique est englobé dans la zone occupée. Ainsi, les Allemands mettent la main sur Bordeaux et son port qui seront occupés le 1er juillet. Le 29 juin 1940, le gouvernement français quitte la ville pour s’installer trois jours plus tard à Vichy, choisie comme capitale de la zone dite "libre". Le 10 juillet, la Chambre des députés et le Sénat y sont réunis en congrès. Ils confèrent les fonctions de chef de l’Etat Français au maréchal Philippe Pétain ainsi que les pleins pouvoirs exécutifs et législatifs. Pierre Laval est nommé vice-président du Conseil. L’Etat Français, régime autoritaire et paternaliste, dont la devise est "Travail, Famille, Patrie", le programme la "Révolution Nationale", le symbole la "Francisque" et l’hymne "Maréchal, nous voilà !" remplace la Troisième République.

 

 

 

ligne de demarcation.JPG

Sources et images :

http://bertrandfavreau.net/bordeaux-juin1940.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_port_de_Bordeaux...

http://www.ajpn.org/commune-1940-33063.html

http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/06/10/sur-les-r...

http://www.editions-perrin.fr/_docs/9782262029647.pdf

http://sousamendes.org/Bordeaux-dans-la-tourmente.html

http://perso.numericable.fr/arts-et-l/arts-loisirs-arlac/...

http://www.criminocorpus.cnrs.fr/spip.php?article643

http://www.sudouest.fr//2010/06/22/opposes-a-la-guerre-fu...

http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/des-hommes/ces-qua...

http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/actualites/les-fus...

http://www.arkheia-revue.org/Pessac-ces-quatre-fusilles-d...

http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/varia/le-sabotage-...

mardi, 01 juin 2010

Palestine, pierre précieuse dans sa nuit sanglante

 

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Mahmoud Darwich,

Deux extraits de Ne t'excuse pas, publié chez Actes Sud,

 

Pour notre patrie,

proche de la parole divine,

un toit de nuages.

Pour notre patrie,

distante des attributs du nom,

une carte de l'absence.

Pour notre patrie,

petite comme un grain de sésame,

un horizon céleste...et un abîme caché.

Pour notre patrie,

pauvre comme les ailes de la grouse,

des Livres saints...et une blessure à l'identité.

Pour notre patrie,

aux collines assiégées déchiquetées,

les embuscades du passé nouveau.

Pour notre patrie, butin de guerre,

le droit de mourir consumée d'amour.

Pierre précieuse dans sa nuit sanglante,

notre patrie resplendit au loin, au loin,

elle illumine à l'entour...

mais nous, en elle,

nous étouffons chaque jour davantage !

 

__________

 

Cadavres et anonymes.

Aucun oubli ne les réunit,

aucun souvenir ne les sépare...

Oubliés sur la voie publique,

dans l'herbe hivernale,

entre deux longs récits de bravoure

et de souffrances.

«Je suis la victime». «Non, je suis

l'unique victime». Ils n'ont pas répliqué:

«Une victime ne tue pas une autre,

et il y a dans cette histoire un assassin et une victime». Enfants,

ils cueillaient la neige sur les cyprès du Christ

et jouaient avec les angelots, car ils avaient

le même âge...Ils fuyaient

l'école pour échapper aux mathématiques

et à la vieille poésie héroïque. Aux barrages

ils jouaient avec les soldats au jeu innocent de la mort.

Ils ne leur disaient pas: «Laissez donc les fusils

et dégagez les routes que le papillon retrouve

sa mère auprès du matin,

que nous nous envolions avec le papillon

hors des rêves, car les rêves sont étroits

pour nos portes». Ils étaient petits,

ils jouaient et inventaient un conte pour la rose

rouge sous la neige, derrière deux longs récits

de bravoure et de souffrances,

puis ils s'échappaient

en compagnie des angelots

vers un ciel limpide.