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vendredi, 02 mars 2012

c'est l'histoire d'une femme qui élève seule son enfant ...

Dice che era un bell'uomo e veniva
veniva dal mare
parlava un'altra lingua
pero' sapeva amare
e quel giorno lui prese mia madre
sopra un bel prato
l'ora più dolce
prima d'essere ammazzato
Cosi' lei resto' sola nella stanza
la stanza sul porto
con l'unico vestito
ogni giorno più corto
e benchè non sapesse il nome
e neppure il paese
m'aspetto' come un dono d'amore
fino dal primo mese
Compiva sedici anni
quel giorno la mia mamma
le strofe di taverna
le cantò a ninna nanna
e stringendomi al petto che sapeva
sapeva di mare
giocava a far la donna
con il bimbo da fasciare
E forse fu per gioco
o forse per amore
che mi volle chiamare
come nostro Signore
Della sua breve vita il ricordo
il ricordo più grosso
e' tutto in questo nome
che io mi porto addosso
E ancora adesso che gioco a carte
e bevo vino
per la gente del porto mi chiamo
Gesù Bambino
E ancora adesso che gioco a carte
e bevo vino
per la gente del porto io sono
Gesu'Bambino
E ancora adesso che gioco a carte
e bevo vino
per la gente del porto mi chiamo
Gesu' Bambino
Gesu' Bambino

Une voix s'est éteinte ...

L'Italie pleure le chanteur Lucio Dalla !!!

Lucio Dalla était surtout connu pour le fameux air écrit en hommage au grand Enrico Caruso, un immense succès datant de 1986, qui se vendra à plus de 9 millions d'exemplaires : la chanson fera l'objet d'une trentaine d'interprétations, dont la plus célèbre reste celle de Pavarotti.

 

 

Mais moi qui ai un peu vécu à l'étranger, j'appréciais nombre de ses chansons, comme La casa in riva al mare qu'il chante ici avec Toquinho ...

 

dimanche, 13 novembre 2011

THE SONG OF WANDERING AENGUS

 

 

I went out to the hazel wood,

Because a fire was in my head,

And cut and peeled a hazel wand,

And hooked a berry to a thread;

And when white moths were on the wing,

And moth-like stars were flickering out,

I dropped the berry in a stream

And caught a little silver trout.

 

When I had laid it on the floor

I went to blow the fire a-flame,

But something rustled on the floor,

And some one called me by my name:

It had become a glimmering girl

With apple blossom in her hair

Who called me by my name and ran

And faded through the brightening air.

 

Though I am old with wandering

Through hollow lands and hilly lands,

I will find out where she has gone,

And kiss her lips and take her hands;

And walk among long dappled grass,

And pluck till time and times are done

The silver apples of the moon,

The golden apples of the sun.

 

William Butler Yeats

The Wind Among the Reeds - 1899.

 

mercredi, 08 juin 2011

Les revenants ...

BuchenwaldJeunesdetenusliberes041945.jpgIls sont en face de moi, l'œil rond, et je me vois soudain dans ce regard d'effroi : leur épouvante.

Depuis deux ans, je vivais sans visage. Nul miroir, à Buchenwald. Je voyais mon corps, sa maigreur croissante, une fois par semaine, aux douches. Pas de visage, sur ce corps dérisoire. De la main, parfois, je frôlais une arcade sourcilière, des pommettes saillantes, le creux d'une joue. J'aurais pu me procurer un miroir, sans doute. On trouvait n'importe quoi au marché noir du camp, en échange de pain, de tabac, de margarine. Même de la tendresse, à l'occasion.

Mais je ne m'intéressais pas à ces détails.

La preuve d'ailleurs, je suis là.

Ils me regardent, l'œil affolé, rempli d'horreur?

Mes cheveux ras ne peuvent pas être en cause, en être la cause. Jeunes recrues, petits paysans, d'autres encore, portent innocemment le cheveu ras. Banal, ce genre. Ca ne trouble personne, une coupe à zéro. Ca n'a rien d'effrayant. Ma tenue, alors? Sans doute a-t-elle de quoi intriguer: une défroque disparate. Mais je chausse des bottes russes, en cuir souple. J'ai une mitraillette allemande en travers de la poitrine, signe évident d'autorité par les temps qui courent. Ca n'effraie pas, l'autorité, ça rassure plutôt. Ma maigreur? Ils ont dû voir pire, déjà. S'ils suivent les armées alliées qui s'enfoncent en Allemagne en ce printemps, ils ont déjà vu pire, d'autres camps, des cadavres vivants.

Ca peut surprendre, intriguer, ces détails: mes cheveux ras, mes hardes disparates. Mais ils ne sont pas surpris, ni intrigués. C'est de l'épouvante que je lis dans leurs yeux.

Il ne reste que mon regard, j'en conclus, qui puisse autant les intriguer. C'est l'horreur de mon regard que révèle le leur, horrifié. Si leurs yeux sont un miroir, enfin, je dois avoir un regard de fou, dévasté.

Je voyais mon corps, de plus en plus flou, sous la douche hebdomadaire. Amaigri mais vivant : le sang circulait encore, rien à craindre. Ca suffirait, ce corps amenuisé mais disponible, apte à une survie rêvée, bien que peu probable.

On peut toujours tout dire, en somme. L'ineffable dont on nous rebattra les oreilles n'est qu'alibi. Ou signe de paresse. On peut toujours tout dire, le langage contient tout. On peut dire l'amour le plus fou, la plus terrible cruauté. On peut nommer le mal, son goût de pavot, ses bonheurs délétères. On peut dire Dieu et ce n'est pas peu dire. On peut dire la rose et la rosée, l'espace d'un matin. On peut dire la tendresse, l'océan tutélaire de la bonté. On peut dire l'avenir, les poètes s'y aventurent les yeux fermés, la bouche fertile.

On peut tout dire de cette expérience. Il suffit d'y penser. Et de s'y mettre. D'avoir le temps, sans doute, et le courage, d'un récit illimité, probablement interminable, illuminé –clôturé aussi, bien entendu- par cette possibilité de se poursuivre à l'infini. Quitte à tomber dans la répétition et le ressassement. Quitte à ne pas s'en sortir, à prolonger la mort, le cas échéant, à la faire revivre sans cesse dans les plis et les replis du récit, à n'être plus que le langage de cette mort, à vivre à ses dépens, mortellement.

Mais peut-on tout entendre, tout imaginer ? Le pourra-t-on ? Et auront-ils la patience, la passion, la compassion, la rigueur nécessaire ? Le doute me vient, dès ce premier instant, cette première rencontre avec des hommes d'avant, du dehors –venus de la vie, à voir le regard épouvanté, presque hostile, méfiant du moins, des trois officiers.

Ils sont silencieux, ils évitent de me regarder.

Je me suis vu dans leur œil horrifié pour la première fois depuis deux ans. Ils m'ont gâché cette première matinée, ces trois zigues. Je croyais en être sorti, vivant. Revenu dans la vie, du moins. Ce n'est pas évident. A deviner mon regard dans le miroir du leur, il ne semble pas que je sois au-delà de tant de mort.

Une idée m'est venue, soudain –si l'on peut appeler idée cette bouffée de chaleur, tonique, cet afflux de sang, cet orgueil d'un savoir du corps, pertinent-, la sensation, en tout cas, soudaine, très forte, de ne pas avoir échappé à la mort, mais de l'avoir traversée. D'avoir été, plutôt, traversé par elle. De l'avoir vécue, en quelque sorte. D'en être revenu comme on revient d'un voyage qui vous a transformé : transfiguré, peut-être.

J'ai compris soudain qu'ils avaient raison de s'effrayer, ces militaires, d'éviter mon regard. Car je n'avais pas vraiment survécu à la mort, je ne l'avais pas évitée. Je n'y avais pas échappé. Je l'avais parcourue, plutôt, d'un bout à l'autre. J'en avais parcouru les chemins, m'y étais perdu et retrouvé, contrée immense où ruisselle l'absence. J'étais un revenant, en somme.

Cela fait toujours peur, les revenants.

Soudain, ça m'avait intrigué, excité même, que la mort ne fût plus à l'horizon, droit devant, comme le butoir imprévisible du destin, m'aspirant vers son indescriptible certitude. Qu'elle fût déjà dans mon passé, usée jusqu'à la corde, vécue jusqu'à la lie, son souffle chaque jour plus faible, plus éloigné de moi, sur ma nuque.

C'était excitant d'imaginer que le fait de vieillir, dorénavant, à compter de ce jour d'avril fabuleux n'allait pas me rapprocher de la mort, mais bien au contraire m'en éloigner.

Peut-être n'avais-je pas tout bêtement survécu à la mort mais en étais-je ressuscité : peut-être étais-je immortel, désormais. En sursis illimité, du moins, comme si j'avais nagé dans le fleuve Styx jusqu'à l'autre rivage.

Ce sentiment ne s'est pas évanoui dans les rites et les routines du retour à la vie, lors de l'été de ce retour. Je n'étais pas seulement sûr d'être vivant, j'étais convaincu d'être immortel. Hors d'atteinte, en tout cas. Tout m'était arrivé, rien ne pouvait plus me survenir. Rien d'autre que la vie, pour y mordre à pleines dents. C'est avec cette assurance que j'ai traversé, plus tard, dix ans de clandestinité en Espagne. (…)

Mais je suis encore dans la lumière du regard sur moi, horrifié, des trois officiers en uniforme britanniques.

Depuis bientôt deux ans, je vivais entouré de regards fraternels. Quand regard il y avait : la plupart des déportés en étaient démunis. Eteint, leur regard, obnubilé, aveuglé par la lumière crue de la mort. La plupart d'entre eux ne vivaient plus que sur la lancée : lumière affaiblie d'une étoile morte, leur œil.

Ils passaient, marchant d'une allure d'automates, retenue, mesurant leur élan, comptant leurs pas, sauf aux moments de la journée où il fallait justement le marquer, le pas, martial, lors de la parade devant les SS, matin et soir, sur la place d'appel, au départ et au retour des kommandos de travail, ils marchaient les yeux mi-clos, se protégeant ainsi des fulgurances brutales du monde, abritant des courants d'air glacial la petite flamme vacillante de leur vitalité.

Mais il était fraternel, le regard qui aurait survécu. D'être nourri de tant de mort, probablement. Nourri d'un si riche partage."

Jorge Semprun - L'écriture ou la vie

mardi, 10 mai 2011

Une rose dessine le mot espoir ...


Regarde :

Quelque chose a changé.

L'air semble plus léger.

C'est indéfinissable.

 

Regarde :

Sous ce ciel déchiré,

Tout s'est ensoleillé.

C'est indéfinissable.

 

Un homme,

Une rose à la main,

A ouvert le chemin

Vers un autre demain.

 

Les enfants,

Soleil au fond des yeux,

Le suivent deux par deux,

Le coeur en amoureux.

 

Regarde :

C'est fanfare et musique,

Tintamarre et magique,

Féerie féerique.

 

Regarde :

Moins chagrins, moins voûtés,

Tous, ils semblent danser

Leur vie recommencée.

 

Regarde :

On pourrait encore y croire.

Il suffit de le vouloir

Avant qu'il ne soit trop tard.

 

Regarde :

On en a tellement rêvé

Que, sur les mur bétonnés,

Poussent des fleurs de papier

 

Et l'homme,

Une rose à la main,

Etoile à son destin,

Continue son chemin.

 

Seul,

Il est devenu des milliers

Qui marchent, émerveillés

Dans la lumière éclatée.

 

Regarde :

On a envie de se parler,

De s'aimer, de se toucher

Et de tout recommencer.

 

Regarde :

Plantée dans la grisaille,

Par-delà les murailles,

C'est la fête retrouvée.

 

Ce soir,

Quelque chose a changé.

L'air semble plus léger.

C'est indéfinissable.

 

Regarde :

Au ciel de notre histoire,

Une rose, à nos mémoires,

Dessine le mot espoir...



mardi, 12 avril 2011

12 avril 1961 ... une date à part !

Toussaint-Jusqu'à la lune en fusée aérienne_1948.jpgSans doute va-t-on sourire si j'écris que cette journée fut celle qui a le plus décidé de mon avenir ! Et pourtant c'est bien à partir de ce moment que, petit à petit, a germé en moi l'idée de devenir ingénieure pour travailler dans le spatial ... et c'est finalement bien ce que j'ai fait. J'ai d'ailleurs tellement dû le répéter à mes camarades qu'en fin de seconde, elles m'avaient dédicacé une photo de classe avec ces mots "à notre future astronaute". Bon, je ne me suis jamais envolé dans le ciel, mais j'ai fait toute ma carrière professionnelle dans les fusées, en particulier ARIANE. Et j'avoue que je m'y suis "défoncée" !

Ce 12 avril donc, j'étais pensionnaire, car ma mère, atteinte d'un cancer, était soignée loin de nous, à l'institut Curie, elle allait mourir 4 mois plus tard et mes grands parents avaient déjà beaucoup de mal à s'occuper des plus jeunes pendant que mon père sillonnait les routes avec son métier et "montait" un week-end sur deux à Paris. C'est dire que ce qui se passait "dehors" ne me parvenait que très peu ... le procès d'Eichmann qui avait commencé la veille, la crise de Berlin avec le bouclage de la frontière entre l'est et l'ouest ce même 12 avril, le fiasco de la Baie des Cochons ou le putsch d'Alger quelques jours plus tard, tous des évènements importants qui ont fait la une des journaux et des radios, je n'en ai aucun souvenir personnel. Mais de Iouri Gagarine dans l'espace, si !!!

Pourtant à 12 ans, j'étais déjà très intéressée par l'actualité, à l'image de mes parents qui se passionnaient pour la politique, lisaient les journaux et écoutaient beaucoup la radio. Avant la maladie de ma mère, mon père avait d'ailleurs eu des velléités de militer ... je préfère ne pas trop savoir où ...

J'étais pensionnaire donc, dans une école privée, où la majorité des enseignants et encadrants étaient des laïcs, mais où quelques personnes de la cantine ou de l'internat étaient des religieuses. Nous avions donc comme surveillante une polonaise qui avait fui le communisme et était rentrée dans la congrégation à qui appartenait cette école. Très catholique, elle détestait les juifs et aurait bien pardonné à Adolf Eichmann ses crimes, mais elle détestait encore plus les communistes qui l'avaient obligée à fuir sa campagne polonaise pour ne pas renier sa religion. Elle était rondouillarde, avec un teint rouge, et ne parlais pas bien le français, c'est à peu près tout ce dont je me souviens d'elle car avec les années, ma mémoire la confond avec une autre religieuse polonaise, surveillante de cantine elle aussi, mais quelques années plus tard et dans une autre école. La première était une "peau de vache" aigrie, alors que la seconde était la crème des surveillante, chouchoutant les pensionnaires en leur donnant les meilleures parts au détriment des demi-pensionnaires, sous le prétexte que celles-ci mangeraient mieux le soir ...

Ce jour là donc, un mercredi, nous étions à la cantine. Peut être pour le repas de midi ou pour le gouter ... Bien sûr nous n'avions aucun écho de ce qui se passait dans le monde. Je vois encore très bien la grande salle où nous nous trouvions, donnant sur la cour de récréation par une large porte-fenêtre, avec une grande table en fer à cheval où nous prenions nos repas. Je tournais le dos à la fenêtre et faisais face à la porte qui menait à la cuisine, ça j'en suis sure. A ce moment notre surveillante polonaise, d'habitude peu loquace, est rentrée dans la salle en courant et surtout en criant "un homme dans l'espace, un homme dans l'espace !". Il lui fallut bien cinq minutes pour reprendre son souffle et nous raconter qu'un homme, un jeune Russe de 27 ans, était le premier à réaliser un vieux rêve humain, aller dans l'espace, et qu'il était revenu vivant et même en bonne santé de ces 108 minutes en apesanteur ... notre surveillante polonaise avait trouvé son héros, et le comble, c'était un russe !

illustration tirée du livre Jusqu'à la lune en fusée aérienne de Otfrid von Hanstein, paru en 1928 en Allemagne , traduit en France en 1948 par Tancrède Vallerey et finement illustré par Maurice Toussaint. 

samedi, 12 mars 2011

Pétronille

 

Scan20002_2.jpg

 

 

Je suis une petite fille

Mais je mets des pantalons.

J'ai beau m'appeler Pétronille

J'aime mieux etre un garçon.

 

Quand la crémiere m'interpelle

« Bonjour ma petite demoiselle »

Expres je lui réponds

« Bonjour M'sieur Potiron. »

 

Quand le boucher s'écrie

« Qu'est-ce que veut aujourd'hui Ma petite escalope ? »

Je fronce les sourcils

Et lui dis : « Du persil, Mademoiselle Pénélope. »

 

Ça crée la confusion.

 

J'ai beaucoup d'caractère

Beaucoup de formation

 

Et sous mes petits airs

Se cache un grand garçon

 

Je n'aime pas les filles

Aux réflexes sanguins

Moites sous les charmilles

Et pâles dans les trains.

 

Quand on est un garçon

On siffle dans ses doigts

On est Ali-Baba

On grimpe sur les toits.

 

On s'en va sur les mers

Où y'a plein de moutons.

On vole dans les airs

Avec les électrons.

 

Et devant ces exploits

Tout l'monde reste baba.

 

« Non Maman, pas ma robe, je veux mon pantalon

Ma ceinture de cuir, mon colt, mes munitions

Je vais faire un hold-up

A Plessis-Robinson. »

 

René de Obaldia

Innocentines

mardi, 08 mars 2011

MOI, CHRISTINE, QUI AI PLEURÉ

BL-pizan2.jpgChristine de Pisan (Venise vers 1363 -  vers 1430) est la première femme à vivre de sa plume.

Christine de Pizan est née à Venise, vraisemblablement en 1364. Son père, Tommasso di Benvenuto, originaire de Pizzano, près de Bologne, a étudié la médecine dans cette ville et y a enseigné l’astrologie, avant de devenir conseiller de la république de Venise. Peu après la naissance de Christine, il est appelé à Paris par Charles V comme médecin et astrologue. Très en faveur auprès du roi qui rétribue largement ses services, il fait venir sa famille d’Italie vers 1368. Christine reçoit de lui une instruction plus poussée qu’il n’était d’usage, jusqu’à son mariage, en 1379 ou 1380, avec Étienne du Castel, secrétaire du roi. La mort de Charles V, en 1380, affecte gravement la position de Thomas: il meurt dans la gêne vers 1387. Le mari de Christine s’éteint peu après, à l’automne 1390.

Veuve à 25 ans, Christine de Pisan reste seule avec sa mère et ses trois enfants, aux prises avec des débiteurs indélicats, en butte aux attaques des créanciers qui veulent lui enlever les biens hérités de son père, Thomas di Pizzano, et de son mari, Étienne de Castel. Elle se bat courageusement, défend sa famille, et réussit à éviter la ruine complète.

"Je suis veuve, seulette et noir vêtue

A triste vis simplement affublée ;

En grand courroux de manière adoulée

Porte le deuil très amer qui me tue.

De triste coeur, chanter joyeusement

Et rire en deuil, c’est chose forte à faire."

Christine de Pisan ne perd pas courage. Dès la mort de son père, elle cherche à se créer des ressources par ses talents. Le succès des poésies légères qu'elle a composées avec facilité la persuade de s'essayer à des écrits plus sérieux. Mais avant de rien entreprendre, elle se remet, pendant plusieurs années à l'étude des meilleurs auteurs anciens et modernes, qu'elle lit dans leur langue. "Tu ne dois pas te tenir pour malheureuse quand tu as, entre autres biens, une des choses du monde qui te cause le plus de délices et de plaisirs, c’est assavoir le doux goût de science." Ecrit-elle, ou encore "Ce n’est pas à la faiblesse de son esprit, mais à son manque d’instruction que la femme doit son infériorité."

A l’exception des lettres d’Amour d’Héloïse, de quelques oeuvres de nonnes érudites, les ouvrages littéraires écrits par des femmes sont rares. On peut donc dire que Christine de Pisan a été en France la première des femmes savantes et des femmes auteures. C'est d'ailleurs grâce à ses œuvres, riches en confidences autobiographiques, que son existence passablement mouvementée et son parcours littéraire sont relativement bien connus en France. Sa production est considérable. Elle en fait le bilan en 1405, dans le Livre de l’advision : "Depuis l’an 1399 que je commençai jusqu’à cette année 1405 auquel encore je ne cesse, j’ai compilé quinze volumes principaux sans les autres petits dictés, lesquels tout ensemble contiennent environ soixante-dix cahiers de grand volume."

Mais quoique ses diverses productions fussent toujours aussi bien accueillies par la cour et les lettrés, elles suffisent à grand-peine à la subsistance de la famille de Christine de Pisan. Heureusement, elle a nombre de mécènes pour qui elle compose poèmes, éloges et panégyriques. On rapporte aussi que Henri IV d'Angleterre lui offrit de se fixer à sa cour; mais elle ne se laisse pas séduire, et elle préfère rester avec peu d'aisance en France. Mais le premier poème de Christine, l’Épître au dieu d’Amour, écrit en 1399, sera traduit outre-Manche, dès 1402, par Thomas Occleve, lui-même auteur de renom.

pisan_cité dames.jpgEn 1399, le maréchal Jean II Le Maingre (en vieux français , Jehan le Meingre), appelé Boucicaut, fonde l'ordre de chevalerie L'Ecu vert à la Dame blanche un ordre chevaleresque inspiré par l'idéal de l'amour courtois dont la vocation est la défense des femmes. L'année suivante, le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, préside à la création de la fameuse "cour d'Amour" qui débat de casuistique amoureuse et se réunit à la Saint-Valentin pour un tournoi poétique en l'honneur des dames. Au même moment, en 1399, Christine se lance dans la polémique littéraire pour défendre les femmes, qui s'achèvera en 1405 par la rédaction de deux traités, la Cité des dames, suivi du Livre des Trois Vertus (ou Trésor de la Cité des Dames), véritable cours d'éducation à l'usage des femmes où la "dame" est une femme dont la noblesse est celle de l'esprit plutôt que de la naissance. Christine y fait une analyse lucide et précise de la société française, vue du côté féminin, détaillant tous les "états des femmes" et donnant de chacun, depuis celui des princesses jusqu’à celui des femmes de laboureur, une vision réaliste et positive. La première, elle a compris que les femmes ont une place à elles dans la société politique, et avec l'aide de Dame Raison, Droiture, Justice, elle veut construire la Cité imprenable où les femmes seront à l'abri des calomnies

Dans ces ouvrages la narratrice veut combattre les clichés qui circulent sur les femmes et leur infériorité "naturelle", en particulier dans des œuvres misogynes et cyniques comme la seconde partie du Roman de la rose (entre 1275 et 1280) de Jean de Meung, qui s’avère l’antithèse de la première partie écrite par Guillaume de Lorris (vers 1245). La quête amoureuse de la première partie a complètement disparu, en revanche, le mépris de la Femme y est ouvertement affiché et Christine de Pisan estime qu'on est passé d’un culte raffiné de la femme à la conception grossière qui va peu à peu faire d’elle un objet.: "Toutes êtes, serez et fûtes/De fait ou de volonté putes" écrit-il !

Christine de Pisan, qui connaît le latin, a aussi lu Les Lamentations de Matheolus, où l'auteur Matthieu de Boulogne-sur-Mer (vers 1260 – vers 1320) présente sa femme Péronnelle (eh oui, ce serait l'origine du mot ...) sous un jour très noir. Ces œuvres la remplissent d’horreur pour elle-même, "et pour le sexe féminin dans son entier, comme si nous étions des monstres de la nature". Jean Le Fèvre, officier au parlement de Paris qui a traduit les Lamentations de Matheolus, s'est lui aussi insurgé contre les propos misogynes, fréquents dans la littérature et a écrit Le Livre de leesce, sorte d'apologie de ce sexe que l'on dit faible, et qui présente pour la première fois Neuf Preuses,

 

christine_disput_harl4431.jpgLa Cité des dames n’est d'ailleurs pas le premier texte féministe de Christine de Pisan ; elle a déjà rédigé quelques années auparavant une Epistre au Dieu d’Amours (1399), une protestation contre les habitudes discourtoises de la société devenue misogyne, et une tentative de réhabilitation de la Femme comme un être moral : "Que les femmes aient de tels vices je le nie ; Je lève les bras pour les défendre …", et un Dit de la rose (14 février 1401, anc. st.), critique justement de la seconde partie du Roman de la rose, ce qui provoque, entre 1401 et 1405, un "débat sur le Roman de la Rose" avec des secrétaires du roi, Jean de Montreuil, prévôt de Lille, et Gontier Col, secrétaire et conseiller du roi, et des clercs, Pierre Col, frère du précédent et chanoine de Paris et Jean Gerson, chancelier de l'université de Paris.

De ce "débat", on peut citer une lettre de Christine de Pisan adressée à Jean de Montreuil. La lettre répond à l’éloge du Roman de la Rose de Jean de Meung que Jean de Montreuil a écrit et fait circuler dans un petit traité aujourd’hui perdu, Opusculum gallicum. La correspondance qui en résulte provoque le premier débat épistolaire connu dans le monde littéraire français! Prenant le contre-pied de Montreuil, Christine attaque méthodiquement le Roman de la Rose de Jean de Meung comme un ouvrage immoral, misogyne et obscène, l'accusant d'enseigner les moyens de séduire les femmes sous le couvert d'un art d'aimer ... "Une honnête femme est aussi rare qu’un cygne noir" écrit Jean de Meung ! "Le talent de Christine de Pisan aidant, écrit Jean Favier dans sa Guerre de Cent Ans (où Christine n’est citée que trois fois ...), tout Paris se passionnait pour la grande querelle soulevée autour des thèses de l’antiféminisme clérical et du cynisme sentimental formulé au XIIIe siècle par le vieux Roman de la Rose. On était pour le Roman […] ou bien on était contre cette satire acerbe du naturel féminin qui avait fait la joie de générations d’hommes et particulièrement de clercs. Dans son Épître au dieu d’amour, Christine de Pizan se fit, en 1399, la théoricienne d’un équilibre entre les élans du cœur et le plaisir des sens."

querelle.jpgJean de Montreuil obtient le soutien de son collègue Gontier Col qui attaque vivement Christine dans deux épîtres lui demandant ouvertement de retirer ses affirmations qui, d'après lui, constituent une insulte à la plus grande œuvre littéraire contemporaine. "Folle outrecuidance. Parole trop tôt issue sans avis de la bouche d'une femme", s'écrie Pierre Col, le frère de Gontier. Jean de Montreuil, lui, menace : "Si tu continues à mal parler, sache qu'il y a des champions et des athlètes". Dans le débat, Christine peut compter sur l'appui de Jean de Gerson, auteur d'une Vision contre le Roman de la Rose, de Eustache Moel dit Deschamps, conseiller de Louis d'Orléans, de Guillaume de Tignonville, prévot de Paris, mais aussi de la Reine Isabeau de Bavière à qui elle a fait parvenir une lettre lui demandant son soutien. Quelques années plus tard, Mathieu Thomassin lui rendra hommage dans son Registre Delphinal, Martin Le Franc ne tarira pas d'éloge dans son Champion des Dames (1442). Plus tard Jean Boucher composera Le Jugement poétique de l'honneur féminin et sejour des illustres claires & honnestes Dames (1538), et enfin Clément Marot se fera l'interprète des mêmes sentiments dans La vray disant advocate des Dames

La querelle s'apaise peu à peu. Dans sa dernière lettre à Pierre Col datée du 2 octobre 1402, elle annonce qu'elle se retire du débat : "Non mie tairé pour doubte de mesprendre quant a oppinion, combien que faulte d'engin et de savoir me toult biau stile, mais mieulx me plaist d'excerciter en autre matiere a ma plaisance" [Je ne me tais pas non plus par peur d'être calomniée à cause de mes opinions, bien que je manque d'intelligence et d'un beau style. Je souhaite simplement me tourner vers un sujet qui me plaît davantage.] Christine sent très clairement que le Débat est une perte de temps pour quelqu'un qui a des affaires plus importantes à traiter. Et Philippe Le Hardi, duc de Bourgogne, qui fait confiance à son talent et son jugement, lui demande en 1404 d’écrire le récit du règne son frère, le Livre des faits et bonnes moeurs du sage roi Charles V.

Mais si dans le Livre de Mutacion de Fortune (1403), Christine de Pisan avoue comment le destin, en la faisant devenir écrivain, l'a fait changer de sexe : "de femelle devins masle", elle n'oubliera cependant jamais qu'elle doit défendre, contre les injustices de la société masculine, la dignité de son sexe. Ainsi, en 1405, paraît le Livre de la Cité des Dames ...

1405 marque une rupture. La situation politique en France devient de plus en plus grave, lucide, Christine voit monter le péril de la guerre civile. Les misères du temps, ravagé par la Guerre de Cent ans, expliquent que Christine de Pizan, Italienne devenue Française, ait senti le besoin d’exprimer son patriotisme, en participant, grâce à ses œuvres, aux douleurs publiques : en 1405 le Livre de la Prudence, paraphrasé de Sénèque, et le Trésor de la cité des dames, également appelé le Livre des trois vertus, dédié à la jeune dauphine de France Marguerite de Bourgogne, et dans lequel elle attire l’attention des femmes sur les conflits perpétuels que les hommes se livrent dans leur royaume, en 1407, le Livre du corps de policie (le mot "policie" désignant celui de politique) emprunté d’Aristote et de Plutarque, en 1410 le Livre des fais d’armes et de chevalerie, traité de guerre traduit principalement de Végèce, de Frontin, mais renfermant toutefois une partie originale, un code du droit des gens dans la société féodale, et Lamentation sur les maux de la France, et en 1413 le Livre de la paix, tous ces ouvrages ont désormais un but, sauver la France des divisions.

Elle emploie aussi d’excellents artistes pour illustrer ses livres, dont un grand recueil de ses oeuvres qui est offert à la reine Isabeau de Bavière en 1414. Ce manuscrit des Œuvres de Christine de Pisan (Londres, British Library, Harley 4431) est l'un des plus somptueux, des plus connus et des plus étudiés parmi ceux qui ont été réalisés à Paris en pleine apogée de l'enluminure parisienne.

Images_Online_025354.jpgLa guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons conduit à l’intervention étrangère. Ainsi, en 1415, c’est la terrible bataille d’Azincourt. Christine écrit une Epître de la prison de la vie humaine, dans laquelle elle déplore les bouleversements de la guerre et le comportement des Anglais, qui massacrent leurs prisonnier. Christine de Pisan fuit Paris, occupé par le parti bourguignon allié aux Anglais, et se réfugie dans un couvent, probablement l’abbaye des dominicaines de Saint-Louis de Poissy où sa fille est religieuse et dont la sœur de Charles VII, Marie, est devenue prieure. Elle consacre alors la fin de sa vie à un ouvrage d'inspiration purement religieuse, Les Heures de contemplation sur la Passion de Notre Seigneur, un livre pour les femmes, accablées comme elle, par les maux du temps. Mais après la prise de Paris par les Bourguignons et le traité de Troyes, elle sort du silence et écrit Les Lamentations sur les maux de la guerre civile (1420) inspiré par l’actualité de la guerre de Cent Ans :.

Retirée depuis une dizaine d'années elle écrit son Ditié de la Pucelle, saluant l’épopée de Jeanne d’Arc qui venait de faire sacrer le roi (1429); ce sont les derniers vers qu'on a d'elle ... Christine de Pizan meurt en 1430.

 

jeanne arc.jpgEstimée des meilleurs écrivains de son temps, Christine de Pisan a joui jusqu’au début du XVIe siècle d’une grande réputation en France et dans plusieurs pays d’Occident, où certaines de ses oeuvres ont été traduites. Par la suite, elle plutôt maltraitée. Au XIXeme siècle, Gustave Lanson, historien de la littérature et critique littéraire, mais aussi témoin par excellence de la misogynie qu’il était de bon ton d’afficher à la fin du XIXe siècle, aura même ce jugement dans son Histoire de la littérature française : "Ne nous arrêtons pas à l’excellente Christine de Pisan, bonne fille, bonne épouse, bonne mère, du reste un des plus authentiques bas-bleus qu’il y ait dans notre littérature, la première de cette insupportable lignée de femmes auteurs, à qui nul ouvrage sur aucun sujet ne coûte, et qui pendant toute la vie que Dieu leur prête, n’ont affaire que de multiplier les preuves de leur infatigable facilité, égale à leur universelle médiocrité"

Certes elle n’a jamais été totalement oubliée, mais son œuvre est bien souvent réduite à la trop célèbre ballade Seulete sui et seulete veuil estre. Il faudra attendre Mathilde Laigle, l'une des premières bachelières françaises et également des premières femmes diplômées de l'enseignement supérieur américain et qui fut la première à avoir publié en 1912 une édition critique du Livre des Trois vertus de Christine de Pisan, Le livre des trois vertus de Christine de Pisan et son milieu historique et littéraire, pour qu'on commence à reconnaître timidement son intérêt historique et politique.

Mathilde Laigle écrit que "Les revendications qu'elle propose par le respect de l'usage, la pratique, les devoirs, le culte de l'honneur, tels qu'une femme sensée et vertueuse les concevait au XVe siècle. Il semble que l'antiféministe le plus convaincu ne pourrait que gracieusement s'incliner devant le féminisme de Christine de Pisan", mais ajoute que Christine de Pisan ne formule aucune des revendications que l'on pourrait à proprement appeler qualifier de féministes : "Le livre des Trois Vertus, tout attaché aux devoirs et non aux droits de la femme, ne porte aucune trace de ces timides protestations, et si Christine nourrissait quelques secrètes velléités de révolte contre le sort injuste réservé à ses sœurs, nous n'en savons rien. Elle n'en parle pas. La Cité des dames nous fournirait aussi bien son contingent d'idées anti-féministes.", ajoutant "Ce que Christine prêche, ce n'est pas le murmure, la rébellion contre les lois ou usages établis, c'est l'énergie personnelle, l'effort constant pour parer au mal : l'éviter, si possible, l'atténuer, si on ne peut l'anéantir, ou le subir avec courage, s'il est plus fort que la volonté humaine.". Pourtant les réactions à ses travaux sont parfois rudes : lors d'une conférence en 1912 à Strasbourg, Mathilde Laigle est interrompue par une personne de l'assistance qui lance à propos de Christine de Pisan : "Elle aurait mieux fait de se trouver un autre mari et de s'occuper des gamins" !

Il faudra donc attendre la seconde moitié du XXeme siècle, la naissance des sentiments féministes et le désir de réhabiliter la femme dans la littérature pour que son œuvre prenne vraiment place dans le milieu des études littéraires.

Certes si elle écrivait aujourd'hui, Christine de Pisan, soucieuse de sauvegarder les vertus féminines plus que de prôner liberté et émancipation, passerait pour une traîtresse à la cause féminine, prompte à ramper sous les fourches caudines du mâle ! En effet, si le discours de Christine de Pisan vise à préserver l'intégrité des femmes en tant que jeunes filles et jeunes femmes, il ne préconise pas vraiment une révolte par rapport à leur condition. Christine de Pisan encourage les femmes à se prendre en main afin de défendre et protéger leur honneur, les hommes n’en étant plus capables. Christine ne défend pas les femmes, mais leur honneur, la réalité de leurs capacités intellectuelles, de leur grandeur morale, de leur vertu. Jamais elle ne remet en cause la distribution des rôles des hommes et femmes dans la société. Il est donc délicat de la considérer comme féministe. Mais Christine de Pisan est surtout originale par le fait même qu'elle a pris la première la parole au nom des femmes, contre le flot de méchancetés que déversaient les écrivains de son temps, une position particulièrement inédite à l'époque, suffisamment provocatrice pour que nombre d'érudits l'aient aussitôt combattu.

En tous les cas, 550 ans avant le fameux "on ne naît pas femme, on le devient" de Simone de Beauvoir, Christine de Pisan attribue l'inégalité entre hommes et femmes non à la nature, mais à l'éducation et aux représentations d'elles-mêmes fournies aux femmes par le discours misogyne dominant.

 

Moi, Christine, qui ai pleuré

Onze ans en abbaye fermée,

Ou j'ai toujours demeuré depuis

Que Charles (c'est chose étrange !)

Le fils du roi, si j'ose rappeler ce souvenir,

S'enfuit de Paris, tout droit,

Par suite de la trahison là incluse :

Maintenant pour la première fois je me prends à rire.

 

L'an mil quatre cent vingt neuf

Recommença à luire le soleil ;

Il ramène le temps nouveau

Qu'on n'avait pas vu de l'oeil

Depuis longtemps ; dont plusieurs en deuil

Ont vécu. Je suis de ceux-là ;

Mais de rien je ne me chagrine plus,

Puisque maintenant je vois ce que je veux.

 

Qui vit donc chose advenir

Plus hors de toute atteinte,

Laquelle à noter et de laquelle se souvenir

Est bon en toute région :

C'est à savoir que France, de qui discours,

On faisait qu'à terre était renversée,

Soit par divine mission,

Du mal en si grand bien changée ?

 

Et cela par tel miracle vraiment

Que, si la chose n'était notoire

Et évidents le fait et la manière,

Il n'est homme qui pût le croire :

C'est une chose bien digne de mémoire

Que Dieu par une vierge tendre

Ait précisément voulu (c'est une chose vraie)

Sur la France si grande grâce étendre.

 

O ! Quel honneur à la couronne

De France se voit par divine preuve !

C'est par les grâces qu'il lui donne

Il paraît combien Dieu l'approuve

Et que plus de foi d'autre part il trouve

En la maison royale, dont je lis

Que jamais (ce n'est pas une chose nouvelle)

En la foi errèrent les fleurs de lis.

 

Toi, Jeanne, à une bonne heure née,

Béni soit celui qui te créa !

Pucelle de Dieu envoyée

En qui le Saint Esprit fit rayonner

Sa grande grâce ; et qui eus et as

Toute largesse en son haut don,

Jamais ta requête ne te refusa

Et il te donnera assez grande récompense...

 

Et sa belle vie, par ma foi !

Montre qu'elle est en la grâce de Dieu,

C'est pourquoi on ajoute plus de foi

A son fait ; car, quoi qu'elle fasse,

Toujours à Dieu devant la face,

Qu'elle invoque, sert et prie

En actions, en paroles ; en quelque endroit qu'elle aille,

Elle ne retarde pas ses dévotions.

 

Oh ! comme alors cela bien parut

Quand le siège était à Orléans,

Où en premier lieu sa force apparut !

Jamais miracle, ainsi que je pense,

Ne fut plus clair ; car Dieu aux siens

Vint tellement en aide, que les ennemis

Ne se défendirent pas plus que chiens morts.

Là furent pris ou à mort mis.

 

Hé ! quel honneur au féminin

Sexe ! Que Dieu l'aime il paraît bien,

Quand tout ce grand peuple misérable comme chiens

Par qui tout le royaume était déserté

Par une femme est ressuscité et a recouvré ses forces,

Ce que hommes n'eussent pas fait,

Et les traîtres ont été traités selon leur mérite,

A peine auparavant l'auraient-ils cru.

 

Une fillette de seize ans

(N'est-ce pas une chose au-dessus de la nature ?)

A qui les armes ne sont pesantes,

Mais il semble que son éducation

Ait été faite à cela, tant elle y est forte et dure ;

Et devant elle vont fuyant

Les ennemis, et nul n'y résiste.

Elle fait cela, maint yeux le voyant.

 

Et elle va d'eux débarrassant la France

En recouvrant châteaux et villes,

Jamais force ne fut si grande,

Qu'ils soient par centaines ou par milliers...

lundi, 14 février 2011

Fantasmes de demoiselles ...

14 février, fête des "amoureux". Mais Cupidon n'a pas encore fait chavirer votre cœur, et vous avez beau jouer les célibataires faussement désinvoltes et vous dire que la Saint-Valentin c’est naze, ringard, commercial ... depuis ce matin vous lorgnez sur le parfum super-sexy ou le bouquet de rose qu'on ne vous offrira pas aujourd'hui.

Alors pourquoi ne pas passer quelques petites annonces. Je vous en propose quelques unes émises par des femmes faites et défaites cherchant l'âme sœur, fantasmes de demoiselles recueillies par René de Obaldia. Ce livre est un petit bijou de drôlerie et, mon dieu, de connaissance des femmes !

 

Magritte_Le_fils_de_l-homme.jpgCherche beau jeune homme aimant croquer la pomme

 

Cherche beau jeune homme

Aimant croquer la pomme

Beau comme un troubadour

Quand il me fera l'amour

(La nuit, propice à l'obscurité

Et a moult voluptés)

En son habit de velours

Sa mandoline à côté

Toutes les étoiles se mettront à pleurer

 

botero10.jpgCherche jeune et beau curé

 

Cherche jeune et beau curé

Tout prêt à se défroquer

Quand il me verra passer

Bouleverd Agrippa d'Aubigné

 

 

 

 

 

1971 caniche.jpgCherche beau jeune homme avec caniche

 

Cherche beau jeune homme avec caniche

Tout noir tout frisé

(Pas le jeune homme, mais le caniche)

Haut sur pattes, gueule distinguée

Amoureux de ma personnalité

 

 

 

 

botero_chasse.jpgCherche un garde-chasse

 

Cherche un garde-chasse

Ni beau ni laid

Mais doté d'un membre efficace

Tel l'amant de Lady Chatterley

 

 

 

 

 

Botero%20la%20familia%20%20Presid.jpgCherche un malabar

 

Cherche un malabar

Plaçant très haut la barre :

Trois Porsche, un sous-marin

Hôtel de luxe avec pingouins

Pédicure mexicain

Palanquin à Pékin

Case de bambou a Ouagadougou

Des tonnes et des tonnes de bagages

Et un tueur a gages.

 

Reçu par tous les Présidents

Du plus noir jusqu'au plus blanc

Avec tous les honneurs

Toute la raideur

Dus a son rang.

Et moi, sa ravissante épouse

Des perlouzes, des perlouzes, des perlouzes ...

 

image.axd.jpgCherche une femme exquise

 

Tant les hommes sont cons cherche une femme exquise

Douceur de lait, manière de Marquise

Tempérament de pharaon

 

 

René de Obaldia

Fantasmes de Demoiselles, femmes faites ou défaites cherchant l'âme soeur de (2006) chez Grasset

 

 

Bon, si vous n'avez pas celle qui vous convient, il y a encore quarante-cinq "petites-annonces" !

Et si l'an prochain, il n'est pas sûr que vous y gagniez roses, bijoux, lingerie fine et mots doux, au moins aurez-vous eu pendant un an battements de cœur affolés, soupirs d’extase, étreintes moites et souvenirs brûlants !

samedi, 05 février 2011

Un champ d'îles

Haiti_latortue.jpg

Savoir ce qui dans vos yeux berce

Une baie de ciel un oiseau

La mer, une caresse dévolue

Le soleil ici revenu

 

Beauté de l'espace ou otage

De l'avenir tentaculaire

Toute parole s'y confond

Avec le silence des Eaux

 

Beauté des temps pour un mirage

Le temps qui demeure est d'attente

Le temps qui vole est un cyclone

Où c'est la route éparpillée

 

L'après-midi s'est voilé

De lianes d'emphase et fureur

Glacée, de volcans amenés

Par la main à côté des sables

 

Le soir à son tour germera

Dans le pays de la douleur

Une main qui fuse le Soir

À son tour doucement tombera

 

Beauté d'attente Beauté des vagues

L'attente est presque un beaupré

Enlacé d'ailes et de vents

Comme un fouillis sur la berge

 

Chaque mot vient sans qu'on fasse

À peine bouger l'horizon

Le paysage est un tamis soudain

De mots poussés sous la lune

 

Savoir ce qui sur vos cheveux

Hagard étrenne ses attelages

Et le sel vient-il de la mer

Ou de cette voix qui circule

 

Abandonnés les tournoiements

D'aventure sur les tambours

L'assaut du sang dans les plaines

Son écume sur les Hauts

 

Abandonné le puits de souffrance

La souffrance au large du ciel emporte

Dans la foule des fromagers

Sa meute de mots et sa proie

 

Abandonnée tarie la mesure

Démesure des coutelas

Cette musique est au coeur

Comme un hameau de lassitude

 

Beauté plus rare que dans l'île

Ton grand chemin des hébétudes

Va-t-il enfouir son regard

Dans la terre, humide douce

 

Les hommes sortent de la terre

Avec leurs visages trop forts

Et l'appétit de leurs regards

Sur la voilure des clairières

 

Les femmes marchent devant eux

L'île toute est bientôt femme

Apitoyée sur elle-même mais crispant

Son désespoir dans son coeur nu

 

Et parmi les chants de midi

Ravinés de sueurs triomphales

Sur un cheval vient à passer

La morte demain la Pitié

 

L'île entière est une pitié

Qui sur soi-même se suicide

Dans cet amas d'argiles ruées

Ô la terre avance ses vierges

 

Apitoyée cette île et pitoyable

Elle vit de mots dérivés

Comme un halo de naufragés

À la rencontre des rochers

 

Elle a besoin de mots qui durent

Et font le ciel et l'horizon

Plus brouillés que les yeux de femmes

Plus nets que regards d'homme seul

 

Ce sont les mots de la Mesure

Et le tambour à peine tu

Au tréfonds désormais remue

Son attente d'autres rivages

 

L'après-midi le Soir les masures

Le poing calé dans le bois dur

La main qui fleurit la douleur

La main qui leva l'horizon

 

Sur vos chemins quelle chanson

A pu défendre la clarté

Sur vos yeux que l'amour brûla

Quelle terre s'est déposée

 

Outre mer est la chasteté

Des incendiaires dans les livres

Mais le feu dans le réel et le jour

C'est ce courage des vivants

 

Ils font l'oiseau ils font l'écume

Et la maison des laves parfois

Ils font la richesse des douves

Et la récolte du passé

 

Ils obéissent à leurs mains

Fabriquant des échos sans nombre

Et le ciel et sa pureté fuient

Cette pureté de rocailles

 

Ils font les terres qui les font

Les avenirs qui les épargnent

Ô les filaos les grandissent

Sur les crêtes du souvenir

 

Mulets serpents et mangoustes

Font ces hommes violents et doux

Et la lumière les aveugle

La nuit au bord des routes coloniales

 

Toute parole est une terre

Il est de fouiller son sous-sol

Où un espace meuble est gardé

Brûlant, pour ce que l'arbre dit

 

C'est là que dorment les tam-tams

Dormant ils rêvent de flambeaux

Leur rêve bruit en marée

Dans le sous-sol des mots mesurés

 

Leur rêve berce dans vos yeux

Des paniques des maelströms

Plus agités que la brousse profonde

Lorsque passe le clair disant

 

Beauté sanguine des golfes

Ô c'est une plaie une plaie

Où danse le ciel, grave et lent

De voir des hommes nus et tels

 

Et l'île toute enfin repose

Dans le chaud des maturités

Mûr est le silence sur la ville

Mûre l'étoile dans la faim

 

Ce qui berce dans vos yeux son chant

Est la parure des troupeaux

L'herbe à taureaux pour les misaines

Le dur reflet des sels au sud

 

Rien ne distrait d'ordre les vies

Les hommes marchent les enfants rient

Voici la terre bâtée, consentante

De courants d'eau, de voilures

 

Quelle pensée raide parcourt

Les fibres les sèves les muscles

De la douleur a-t-on fait un mot

Un mot nouveau qui multiplie

 

Celui qui parmi les neiges enfante

Un paysage une ville des soifs

Celui qui range ses tambours ses étoffes

Dans la sablure des paroles

 

Guettant le saut des Eaux immenses

Le grand éclat des vagues Midi

Plus ardent que la morsure des givres

Plus retenu que votre impatience d'épine

 

Celui que prolonge l'attente

Et toutes les mains dans sa tête

Et toutes splendeurs dans sa nuit

Pour que la terre s'émerveille

 

Il accepte le bruit des mots

Plus égal que l'effroi des sources

Plus uni que la chair des plaines

Déchirée ensemencée

 

Sa clarté est dans l'océan

Dans la patience que traîne

Vers où nul oeil ne se distend

La flore d'îles du Levant

 

Ce qui berce en vos yeux son chant

Pour atteindre le matin ô connue

Inconnue c'est la chaleur fauve

Du Chaos où l'oeil enfin touche

 

Île ces requins vos fumures

Le charroi de votre sang l'homme

Et sa colline la femme et les cases

L'avenue dans ces miroirs les Mains

 

Est-ce oiseau, une racine qui gicle

Est-ce moisson, l'amitié grandie de la terre

La même couleur éclabousse, caresse

La souffrance est de ne pas voir

 

Beauté de ce peuple d'aimants

Dans la limaille végétale et vous

Je vous cerne comme la mer

Avec ses fumures d'épaves

 

Beauté des routes multicolores

Dans la savane que rumine

L'autan plein de mots à éclore

Je vous mène à votre seuil

 

Écoutant ruisseler mes tambours

Attendant l'éclat brusque des lames

L'éveil sur l'eau des danseurs

Et des chiens qui entre les jambes regardent

 

Dans ce bruit de fraternité

La pierre et son lichen ma parole

Juste mais vive demain pour vous

Telle fureur dans la douceur marine,

 

Je me fais mer où l'enfant va rêver.

 Edouard Glissant

« Un champ d'îles » est la deuxième partie du poème du même nom, publié aux éditions Seuil en 1965, republié dans Poèmes complets. Paris: Gallimard, 1994

 

Edouard Glissant, poète, romancier, essayiste, efigure majeure de la littérature antillaise, est mort le 3 février 2011.