dimanche, 23 janvier 2011
Dimanche
Charlotte
fait de la compote
Bertrand
suce des harengs
Cunégonde
se teint en blonde
Epaminondas
cire ses godasses
Thérèse
souffle sur la braise
Léon
peint des potirons
Brigitte
s'agite, s'agite
Adhémar
dit qu'il en a marre
La pendule
fabrique des virgules
Et moi dans tout cha ?
Et moi dans tout cha ?
Moi, ze ne bouze pas
Sur ma langue z'ai un chat
René de Obaldia
image http://www.gastonlagaffe.com/saga/franquin/
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mardi, 04 janvier 2011
Hiver, vous n’êtes qu’un vilain
Hiver, vous n’êtes qu’un vilain;
Eté est plaisant et gentil,
En témoin de mai et d’avril
Qui l’accompagnent soir et main;
Eté revêt champs, bois et fleurs
De sa livrée de verdure
et de maintes autres couleurs,
Par l’ordonnance de nature.
Mais vous, hiver, trop êtes plein
De neige, vent, pluie et grésil:
on vous dût bannir en exil.
Sans point flatter, je parle plain
Hiver, vous n’êtes qu’un vilain.
Charles d’Orléans
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vendredi, 24 décembre 2010
Conte de Noël
Allez, un autre conte de Noel d'Alphonse Allais ...
Ce matin-là, il n’y eut qu’un cri dans tout le Paradis :
— Le bon Dieu est mal luné aujourd’hui. Malheur à celui qui contrarierait ses desseins!
L’impression générale était juste : le Créateur n’était pas à prendre avec des pincettes.
A l’archange qui vint se mettre à sa disposition pour le service de la journée, Il répondit sèchement :
— Zut! fichez-moi la paix!
Puis, Il passa nerveusement Sa main dans Sa barbe blanche, s’affaissa — plutôt qu’il ne s’assit — sur Son trône d’or, frappa la nue d’un pied rageur et s’écria :
— Ah! j’en ai assez de tous ces humains ridicules et de leur sempiternel Noël, et de leurs sales gosses avec leurs sales godillots dans la cheminée. Cette année, ils auront … la peau!
Il fallait que le Père Éternel fût fort en colère pour employer cette triviale expression, Lui d’ordinaire si bien élevé.
— Envoyez-moi le bonhomme Noël, tout de suite ! ajouta-t-Il.
Et comme personne ne bougeait :
— Eh bien! vous autres, ajouta Dieu, qu’est-ce que vous attendez? Vous, Paddy, vieux poivrot, allez me quérir le bonhomme Noël!
(Celui que le Tout-Puissant appelle familièrement Paddy n’est autre que saint Patrick, le patron des Irlandais.)
Et l’on entendit à la cantonade :
— Allo ! Santa Claus! Come along, old chappie!
Le bon Dieu redoubla de fureur :
— Ce pochard de Paddy se croit encore à Dublin, sans doute ! Il ne doit cependant pas ignorer que j’ai interdit l’usage de la langue anglaise dans tout le séjour des Bienheureux!
Le bonhomme Noël se présenta :
— Ah ! te voilà, toi!
— Mais oui, Seigneur!
— Eh bien! tu me feras le plaisir, cette nuit, de ne pas bouger du ciel…
— Cette nuit, Seigneur? Mais Notre-Seigneur n’y pense pas! C’est cette nuit… Noël!
— Précisément! précisément! fit Dieu en imitant, à s’y méprendre, l’accent de Raoul Ponchon.
— Et moi qui ai fait toutes mes petites provisions!…
— Le royaume des Cieux est assez riche pour n’être point à la merci même de ses plus vieux clients. Et puis … pour ce que ça nous rapporte !
— Le fait est !
— Ces gens-là n’ont même pas la reconnaissance du polichinelle… Je fais un pari qu’il y aura plus de monde, cette nuit, au Chat Noir qu’à Notre-Dame de Lorette. Veux-tu parier ?
— Mon Dieu, vous ne m’en voudrez pas, mais parier avec vous, la Source de tous les Tuyaux, serait faire métier de dupe.
— Tu as raison, sourit le Seigneur.
— Alors, c’est sérieux ? insista le bonhomme Noël.
— Tout ce qu’il y a de plus sérieux. Tu feras porter tes provisions de joujoux aux enfants des Limbes. En voilà qui sont autrement intéressants que les fils des Hommes. Pauvres gosses!
Un visible mécontentement se peignait sur la physionomie des anges, des saints et autres habitants du céleste séjour.
Dieu s’en aperçut.
— Ah! on se permet de ronchonner ! Eh bien ! mon petit père Noël, je vais corser mon programme ! Tu vas descendre sur terre cette nuit, et non seulement tu ne leur ficheras rien dans leurs ripatons, mais encore tu leur barboteras lesdits ripatons, et je me gaudis d’avance au spectacle de tous ces imbéciles contemplant demain matin leurs âtres veufs de chaussures.
— Mais… les pauvres ?… Les pauvres aussi ? Il me faudra enlever les pauvres petits souliers des pauvres petits pauvres ?
— Ah ! ne pleurniche pas, toi ! Les pauvres petits pauvres ! Ah! ils sont chouettes, les pauvres petits pauvres ! Voulez-vous savoir mon avis sur les victimes de l’Humanité Terrestre ? Eh bien ! ils me dégoûtent encore plus que les riches !… Quoi ! voilà des milliers et des milliers de robustes prolétaires qui, depuis des siècles, se laissent exploiter docilement par une minorité de fripouilles féodales, capitalistes ou pioupioutesques ! Et c’est à moi qu’ils s’en prennent de leurs détresses ! Je vais vous le dire franchement : Si j’avais été le petit Henry, ce n’est pas au café Terminus que j’aurais jeté ma bombe, mais chez un mastroquet du faubourg Antoine !
Dans un coin, saint Louis et sainte Élisabeth de Hongrie se regardaient, atterrés de ces propos :
— Et penser, remarqua saint Louis, qu’il n’y a pas deux mille ans, il disait : Obéissez aux Rois de la terre ! Où allons-nous, grand Dieu ! où allons-nous ? Le voilà qui tourne à l’anarchie !
Le Grand Architecte de l’Univers avait parlé d’un ton si sec que le bonhomme Noël se le tint pour dit.
Dans la nuit qui suivit, il visita toutes les cheminées du globe et recueillit soigneusement les petites chaussures qui les garnissaient.
Vous pensez bien qu’il ne songea même pas à remonter au ciel cette vertigineuse collection. Il la céda, pour une petite somme destinée à grossir le denier de Saint-Pierre, à des messieurs fort aimables, et voilà comment a pu s’ouvrir, hier, à des prix qui défient toute concurrence, 739, rue du Temple, la splendide maison:
AU BONHOMME NOËL
Spécialité de chaussures d’occasion en tous genres
pour bébés, garçonnets et fillettes.
Nous engageons vivement nos lecteurs à visiter ces vastes magasins, dont les intelligents directeurs, MM. Meyer et Lévy, ont su faire une des attractions de Paris.
Alphonse Allais
Deux et deux font cinq
1895
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jeudi, 23 décembre 2010
Le veau - conte de noël pour Sara Salis
Il y avait une fois un petit garçon qui avait été bien sage, bien sage. Alors, pour son petit Noël, son papa lui avait donné un veau.
- Un vrai ?
- Oui, Sara, un vrai.
- En viande et en peau ?
- Oui, Sara, en viande et en peau.
- Qui marchait avec ses pattes ?
- Puisque je te dis un vrai veau
- Alors ?
- Alors, le petit garçon était bien content d'avoir un veau seulement, comme il faisait des saletés dans le salon...
- Le petit garçon ?
- Non, le veau... Comme il faisait des saletés et du bruit, et qu'il cassait les joujoux de ses petites soeurs...
- Il avait des petites soeurs, le veau ?
- Mais non, les petites soeurs du petit garçon... Alors on lui bâtit une petite cabane dans le jardin, une jolie petite cabane en bois...
- Avec des petites fenêtres ?
- Oui, Sara, des tas de petites fenêtres et des carreaux de toutes couleurs... Le soir, c'était le réveillon. Le papa et la maman du petit garçon étaient invités à souper chez une dame. Après dîner, on endort le petit garçon et ses parents s'en vont...
- On l'a laissé tout seul à la maison ?
- Non, il y avait sa bonne... Seulement, le petit garçon ne dormait pas. Il faisait semblant. Quand la bonne a été couchée, le petit garçon s'est levé et il a été trouver des petits camarades qui demeuraient à côté...
- Tout nu ?
- Oh ! non, il était habillé. Alors tous ces petits polissons, qui voulaient faire réveillon comme des grandes personnes, sont entrés dans la maison, mais ils ont été attrapés, la salle à manger et la cuisine étaient fermées. Alors, qu'est-ce qu'ils ont fait ?...
- Qu'est-ce qu'ils ont fait, dis ?
- Ils sont descendus dans le jardin et ils ont mangé le veau...
- Tout cru ?
- Tout cru, tout cru.
- Oh ! les vilains !
- Comme le veau cru est très difficile à digérer, tous ces petits polissons ont été très malades le lendemain. Heureusement que le médecin est venu ! On leur a fait boire beaucoup de tisane, et ils ont été guéris... Seulement, depuis ce moment-là, on n'a plus jamais donné de veau au petit garçon.
- Alors, qu'est-ce qu'il a dit, le petit garçon ?
- Le petit garçon..., il s'en fiche pas mal.
Alphonse Allais (À se tordre - 1891)
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lundi, 20 décembre 2010
Il y a 25 ans, ouverture des premiers “ Restos du cœur ”.
Il y a 25 ans, le 21 décembre 1985, l'association de lutte contre la pauvreté fondée par le Coluche ouvre ses premiers centres de distribution de vivres dans toute la France.
Une rencontre insolite est à l’origine du concept des Restos du Cœur, celle de Coluche et du député belge au Parlement Européen José Happart. Celui-ci avait introduit une "motion sur la pauvreté" au Parlement de Strasbourg, où il demande que les surplus alimentaires chèrement stockés et détruits soient mis à la disposition de ceux qui en ont besoin. Malheureusement, celle-ci laisse tout le monde indifférent.
Dans les mois qui suivent, Coluche, profitant de l’antenne d’Europe 1, crie la détresse et la misère de certains face au monde, au gaspillage de la société de consommation, à la satisfaction des nantis, au dénuement, au paupérisme des autres. Cette série d’émissions lui vaut nombre d’appels de détresse. C’est à ce moment que lui revient en mémoire l’interpellation du député belge. Et le 26 septembre, Coluche dénonce lui aussi la destruction des surplus agricoles en France et en Europe. "J'ai une petite idée comme ça. Si des fois y'a des marques qui sont intéressées par sponsorer une cantine gratuite qu'on pourrait commencer par faire à Paris, nous on est prêts à aider une entreprise comme ça qui ferait un resto qui aurait comme ambition, au départ, de distribuer 2 000 à 3 000 couverts par jour [...] Quand il y a des excédents de bouffe à droite à gauche, et qu’on les détruit pour maintenir les prix sur le marché, on pourrait les récupérer [...] et on essaiera de faire un grande cantine pour donner à manger à tous ceux qui ont faim."
L’idée des "restos du cœur" est lancée … Plus de 5 000 bénévoles se mettent au service de cette initiative. Jusqu'au 21 mars, au début du printemps, ils distribuent 8,5 millions de repas. Jean-Jacques Goldman crée la Chanson des Restos "Aujourd'hui, on n'a plus le droit, ni d'avoir faim ni d'avoir froid ..." qui va faire un tube et attirer l'attention de tous les médias. Une première émission de télévision est organisée face à l'événement : elle récoltera des millions de francs de dons.
Coluche ne veut pas en rester là et entend interpeller un maximum de responsables politiques. Il entre en contact avec José Happart en lui demandant une entrée au Parlement Européen. Happart accepte. En février 86, Coluche plaide la cause des Restos devant le Parlement européen en soulignant que les surplus de nourriture coûtent davantage si on les stocke que si on les distribue gratuitement aux pauvres. Il sera entendu et en 1987 le PEAD (Programme Européen d’Aide aux plus démunis) est institué ... Ces stocks sont distribués par quatre associations dès 1987 : la banque alimentaire de l'abbé Pierre, la Croix-Rouge, le Secours populaire et bien sûr les Restos du Coeur.
Durant l'hiver 1986-1987, une deuxième campagne s’organise, malgré la disparition de Coluche, des associations départementales se créent portant les nom et logo des Restos du Cœur. Ils distribuent 11,5 millions de repas et sont soutenus par 6 000 bénévoles. Le mouvement perdure et s'amplifie : l'année suivante, les Restos du Coeur organisent une autre campagne pour aider les plus démunis tout au long de l'année et non plus seulement en hiver. 22 millions de repas sont distribués par 7 300 bénévoles.
Peu de temps après avoir lancé les Restos du Cœur, Coluche constate que les plus nombreux donateurs sont ceux dont les revenus sont les plus bas. Or, rien ne les avantage fiscalement. Une injustice de plus !
Coluche décide de faire étudier le problème par des fiscalistes, et lance son idée au cours d'une émission télévisée réalisée en janvier 1986 sur TF1, quelques mois avant les élections législatives de décembre. Tous les leaders politiques, de la gauche à la droite, l'assurent alors de leur soutien à cette proposition de loi. Malheureusement, le 19 juin 1986 prive les partisans de ce texte de leur principal aiguillon, et un nouveau gouvernement oublie les engagements du précédent ... jusqu'en 1988, où Michel Charasse inscrit dans la Loi de Finances 1989 un texte proche de celui initialement proposé par Coluche. Et c'est à l'unanimité du Parlement que la "Loi Coluche" est votée en 1988, en référence au fondateur des Restaurants du Cœur. Son nom officiel est article 238 bis du Code Général des Impôts. Elle crée une réduction d'impôts supplémentaire pour les associations caritatives et humanitaires qui viennent en aide aux personnes en difficultés en fournissant de la nourriture, des soins ou un logement aux personnes dans la précarité. Comme le répondait Coluche à certains qui s'inquiétaient qu'il leur fasse de l'ombre : "Mais non ! Je vais vous faire du soleil !".
Cette même année, 25 millions de repas sont distribués par 8 500 bénévoles.
En 1989 a lieu la première tournée des Enfoirés, suivie d’un premier disque au profit de l’association.
Après les Restos du Coeur, sont créés les Relais du Coeur destinés à aider les personnes dans leur démarche de réinsertion, les Camions du Coeur, quant à eux, vont dans les rues de Paris pour servir des repas chauds aux sans-abri. Mais la situation en France ne fait qu'empirer et les Restos doivent ouvrir les Toits du Coeur afin d'héberger des personnes en cours de réinsertion. Les chiffres des repas distribués et le nombre de bénévoles ne cessent d'augmenter année après année. Sont ensuite créés les Ateliers et les Jardins du Coeur pour redonner une vie sociale, un rythme de vie et un savoir-faire aux plus démunis. Les actions ne s'arrêtent pas là. Une maison de vacances est organisée à Châtellerault, les premiers relais bébés ouvrent leurs portes, la Péniche du Coeur est installée à Paris ainsi que des résidences sociales à Poissy, au Mans, à Dijon, etc ... des ateliers de lutte contre l'illettrisme sont mis en place ...
Aujourd'hui, la loi accorde aux particuliers qui font un don au profit de n'importe quelle association ou fondation, une réduction fiscale qui est fixée à 66% de la somme versée dans la limite de 20% du revenu imposable. L'amendement Coluche porte cette réduction d'impôt à 75% lorsque ces dons bénéficient aux associations comme les Restos du Coeur "qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté, qui contribuent à favoriser leur logement ou qui procèdent, à titre principal, à la fourniture gratuite de soins à des personnes en difficulté." (Art. 200-1 ter du code général des impôts).
Le consensus politique lors du vote de cette loi ne devait pourtant pas empêcher certains de la remettre en cause, comme ce fut le cas lors de l’examen de la loi sur le mécénat en plein mois d’août 2003 ... Mais grâce à l’intense mobilisation des bénévoles des Restos, la loi Coluche fut finalement sauvée et renforcée par les votes unanimes de l'Assemblée Nationale et du Sénat. Cette année encore, en septembre, dans un entretien aux Echos, le ministre du budget François Baroin ... dont la compagne, Michèle Laroque, ne cesse pourtant depuis des années de solliciter la générosité publique pour le Financement des Restos du Cœur avec Les Enfoirés … évoquait la possibilité de retoucher la loi "Coluche" sur les dons aux associations, alors que déjà les dons ont piqué du nez à cause de la crise économique ! Cette défiscalisation, est pourtant un moyens, pour les particuliers, de financer la vie associative, et notamment de soutenir des actions menées par les association suite au désengagement ou au désintérêt de l’état ! Et "la crise" a bien failli être le prétexte pour condamner a coup sûr l’ensemble des associations de Solidarité et d’entraide ! Alors que le slogan des Restos du Coeur est de plus en plus d'actualité ...
"On compte sur vous !"
Finalement le gouvernement a fait machine arrière ... mais pour combien de temps ?
19:55 Publié dans chronique à gauche, coup de coeur, coup de gueule, militance, mobilisation | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
jeudi, 02 septembre 2010
La haine des bourgeois
"Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j’en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est qu’ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons.
Je me suis fait très mal voir de la foule, en leur donnant quelques sols. Et j’ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre.
C’est la haine qu’on porte au Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au Solitaire, au Poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère. Il est vrai que beaucoup de choses m'exaspèrent. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton."
Gustave Flaubert, lettre à Georges Sand, Croisset le 12 juin 1867
17:53 Publié dans chronique à gauche, coup de coeur, coup de gueule, litterature, militance, mobilisation, peinture | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |
mardi, 01 juin 2010
Palestine, pierre précieuse dans sa nuit sanglante
Mahmoud Darwich,
Deux extraits de Ne t'excuse pas, publié chez Actes Sud,
Pour notre patrie,
proche de la parole divine,
un toit de nuages.
Pour notre patrie,
distante des attributs du nom,
une carte de l'absence.
Pour notre patrie,
petite comme un grain de sésame,
un horizon céleste...et un abîme caché.
Pour notre patrie,
pauvre comme les ailes de la grouse,
des Livres saints...et une blessure à l'identité.
Pour notre patrie,
aux collines assiégées déchiquetées,
les embuscades du passé nouveau.
Pour notre patrie, butin de guerre,
le droit de mourir consumée d'amour.
Pierre précieuse dans sa nuit sanglante,
notre patrie resplendit au loin, au loin,
elle illumine à l'entour...
mais nous, en elle,
nous étouffons chaque jour davantage !
__________
Cadavres et anonymes.
Aucun oubli ne les réunit,
aucun souvenir ne les sépare...
Oubliés sur la voie publique,
dans l'herbe hivernale,
entre deux longs récits de bravoure
et de souffrances.
«Je suis la victime». «Non, je suis
l'unique victime». Ils n'ont pas répliqué:
«Une victime ne tue pas une autre,
et il y a dans cette histoire un assassin et une victime». Enfants,
ils cueillaient la neige sur les cyprès du Christ
et jouaient avec les angelots, car ils avaient
le même âge...Ils fuyaient
l'école pour échapper aux mathématiques
et à la vieille poésie héroïque. Aux barrages
ils jouaient avec les soldats au jeu innocent de la mort.
Ils ne leur disaient pas: «Laissez donc les fusils
et dégagez les routes que le papillon retrouve
sa mère auprès du matin,
que nous nous envolions avec le papillon
hors des rêves, car les rêves sont étroits
pour nos portes». Ils étaient petits,
ils jouaient et inventaient un conte pour la rose
rouge sous la neige, derrière deux longs récits
de bravoure et de souffrances,
puis ils s'échappaient
en compagnie des angelots
vers un ciel limpide.
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vendredi, 07 mai 2010
Songes drolatiques de Pantagruel ...
Internet est une mine, et mes recherches pour mes cours de peinture m'amènent parfois à faire des découvertes qui me passionnent.
Ainsi, alors que je recherchais des photos de tableaux avec des diamants, des perles et des pierres précieuses pour mon stage du week end dernier, j'ai découvert un peu de mon bonheur sur "le petit carnet de Maxence", puis sautant de post en post, des gravures qui me serviront de modèles pour faire quelques enluminures !!! Je cherchais des sujets non religieux, les voilà ... tirés d'un petit volume d'illustrations paru en 1565, 12 ans après la mort de Rabelais, Les Songes drolatiques de Pantagruel, où sont contenues plusieurs figures de l'invention de maistre François Rabelais: & dernière oeuvre d'iceluy, pour la récréation de bons esprits.
En effet ces gravures sont interprétées un peu à la manière des grotesques L'original, dont aucun des dessins n'est arrivé jusqu'à nous, a été publié par Richard Breton à Paris. La signification exacte des dessins n'est pas claire, car hormis un préambule qui n'explique pas grand-chose, il n'y a que des images. Certains chercheurs prétendent qu'il sont politiques et satiriques, arguant, par exemple, de la ressemblance avec le pape Jules II dans au moins de vingt et une gravures. En tous les cas, cette suite de cent vingt planches décline, avec une incroyable inventivité, le thème du monstre qui a fasciné la Renaissance, comme ceux décrits dans le fameux Des monstres et prodiges d'Ambroise Paré.
Dans l'introduction et la postface d'un livre paru en 2004, un historien de la littérature, Michel Jeanneret, et un historien de l'art, Frédéric Elsig, rappellent l'origine probable des Songes drolatiques : le milieu parisien des imprimeurs, des brodeurs et des décorateurs : ils leur servaient de source d'inspiration pour créer des costumes de carnaval ? Ils les rapprochent de la mode des grotesques dans les marges des enluminures de manuscrits du Moyen Age et de la renaissance, et les replacent dans la tradition des drôleries gothiques et flamandes, celle de Bosch et de Bruegel, qui étaient tous deux contemporains de Rabelais. Ils rappellent que l'univers mental de la Renaissance est peuplé de monstres et, pour saisir l'enjeu de ces gravures étranges, proposent une réflexion sur le rapport qu'entretiennent la peur et le rire, suggérant que, si l'attribution à François Rabelais est historiquement fausse, elle rejoint pourtant, dans l'esprit, les joyeuses aventures des Pantagruélistes.
La publication de Gargantua et de Pantagruel a rapidement inspiré imitations, parodies et commentaires par d'autres écrivains, l'un des premiers a été un long poème de François Habert, Le Songe de Pantagruel, avec la déploration de feu messire Anthoine Du Bourg, chevalier, chancellier de France, publié en 1542.
Je ne connais rien au tarot, mais des sites "spécialisés" indiquent que Rabelais en connaissait les cartes et font remarquer la similitude entre l'iconographie de certains arcanes du tarot et quelques-unes des 120 gravures.
Dali a été attiré par la fantaisie, la satire, la subversion, l'érotisme et le matériel onirique contenus dans les textes de Rabelais en raison de leur similitude avec les idées surréalistes. Il s'en est largement inspiré pour les 25 illustrations à la gouache et crayon feutre, Les chansons (Songes) drolatiques de Pantagruel, éditées en lithographies en 1973 Là non plus, aucun commentaire, uniquement une annotation alphabétique. Certaines de ces images ont également été influencées par le travail du peintre et graveur suisse Urs Graf (1485-c.1529).
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vendredi, 23 avril 2010
La cuisine selon Alexandre Dumas
"Nouvelle bouillabaisse dramatique par M. Dumas père"
Lithographie du caricaturiste Cham dans Le Charivari (1858)
Collection de la Société des Amis d'Alexandre Dumas. ©
http://www.dumaspere.com/pages/phototheque/caricatures.html
[...] Laissez-moi causer un peu cuisine avec vous, cher lecteur, en attendant ce fameux livre du Cuisinier pratique que je vous ferai un jour.
Vous aussi, vous pouvez vous trouver sur une plage dénuée de toute chose, et il n'y a pas de mal, lorsque l'on s'aventure dans une ville proclamée ville par l'empereur de Russie, d'étudier un peu son Robinson Crusoé de 1859.
Voici la carte du dîner d'inauguration de Poti comme ville :
Potage
Julienne.
Relevé de potage
Chou au porc frais.
Entrées
Schislik, avec amélioration.
Rognons de porc sautés au vin.
Poulets à la provençale.
Rôti
Deux canards et douze merles.
Entremets
Flageolets à l'anglaise ;
Œufs brouillés au jus de rognons.
Salade
Haricots verts.
Dessert
Noix sèches, thé, café, vodka,
Premier service : Vin de Mingrélie.
Deuxième service : Vin de Kakétie.
Troisième service : Vin de Gouriel.
Convenez que, pour des affamés de trois jours, c'était à faire venir l'eau à la bouche.
Maintenant, passons au procédé et détaillons la préparation de quelques-uns des plats que nous venons d'énumérer. D'abord, expliquons comment je comptais faire, sans bœuf, le bouillon dont j'avais la prétention de mouiller ma julienne.
Une entrecôte de mouton et une vieille poule bouillaient déjà, depuis deux heures, lorsque Moynet et Grégory revinrent de la chasse avec leurs deux canards, leurs douze merles et leurs trois pigeons ramiers.
Pendant que l'on plumait les pigeons ramiers, je pris mon fusil et tuai un corbeau. Ne méprisez pas le corbeau comme chair à bouillon, cher lecteur, vous ne savez pas ce que vous mépriseriez.
Un corbeau dans un pot-au-feu vaut deux livres de bœuf, croyez-en un chasseur; seulement, il faut, non pas le plumer comme un pigeon, mais le dépouiller comme un lapin.
Je mis le corbeau et les trois ramiers dans la marmite, et laissai réduire en mijotant. Puis, quand le bouillon eut atteint les deux tiers de sa force, je pris un magnifique chou pommé, je fonçai la casserole de bandes de porc entrelardé, de manière que le chou en fût cuirassé de tous les côtés, ayant soin que la casserole présentât seulement un intervalle de dix centimètres entre le cuivre et le chou.
Cet intervalle fut rempli de bouillon une première fois ; puis Vasili, placé, une cuiller à pot à la main, à portée à la fois de la marmite et de la casserole, fut chargé, au fur et à mesure que le bouillon de la casserole s'épuiserait, de le remplacer par le bouillon de la marmite.
Tout au contraire du pot-au-feu, qui devait mijoter, le chou devait être mené à grands bouillons.
Vasili remplit sa mission en homme qui n'eût fait que cela toute sa vie.
Le chou, une fois cuit, devait être servi sur le lard, et le bouillon de la casserole devait aller renforcer celui de la marmite.
C'était dans celui de la marmite que Moynet devait faire revenir les légumes conservés de la julienne.
Maintenant que vous savez comment, en pareille circonstance, vous devez, cher lecteur, faire votre potage et votre relevé de potage, passons au schislik avec amélioration. Vous savez comment se fait le schislik, n'est-ce pas ?
Voici l'amélioration que j'avais inventée :
Au lieu de couper le filet par morceaux de la grosseur d'une noix, je le laissais dans toute son intégrité.
Je l'enfilais à une baguette dans le sens de sa longueur ;
Je le saupoudrais convenablement de sel et de poivre ;
Je plaçais sur un pavé une des extrémités de la baguette ;
Je mettais l'autre extrémité à la main gauche de Vasili ;
J'armais sa main droite du kandjar le mieux affilé de tous mes kandjars ;
A mesure que la surface du filet rissolerait, Vasili couperait en longueur cette surface, en lui donnant l'épaisseur de deux ou trois centimètres :
Puis, pendant que l'on servirait cette première surface enlevée, il saupoudrerait de sel et de poivre la surface mise à vif par l'ablation de la croûte supérieure, et remettrait le reste sur le feu ;
Le rôti dûment rissolé, il enlèverait de nouveau et avec la même précaution la surface, qu'il ferait servir chaude comme la première, et ainsi de suite, jusqu'à la fin.
Les délicats mangeraient ces rissoles de viande avec du beurre frais et du persil haché.
Voici pour le schislik avec amélioration.
Venaient ensuite les rognons de porc sautés au vin.
Je crois que tout le monde sait faire les rognons sautés au vin ; nous disons les rognons en général, parce que nous ne nous servions de rognons de porc qu'à défaut de rognons de bœuf ou de rognons de mouton.
Consignons ici un fait peut-être assez inconnu : c'est que les rognons de mouton, meilleurs à la brochette que les autres rognons, leur sont inférieurs avec la sauce au vin.
Cependant, comme un voyageur peut se trouver, dont l'éducation n'ait pas été tournée vers la science culinaire, disons-lui en deux mots comment, en manquant à peu près de tous les condiments nécessaires à une bonne sauce au vin, il pourra faire un plat, sinon superfin, du moins très mangeable.
Il fera frire son beurre presque roux, y jettera une poignée d'oignons hachés, - il est rare qu'il y ait trop d'oignons ; il laissera frire ses oignons ; pendant ce temps, il taillera ses rognons en morceaux de l'épaisseur d'une pièce de cinq francs ; s'il répugne comme moi à toucher la viande avec ses doigts, il roulera ses rognons dans une serviette, où d'avance il aura jeté deux ou trois cuillerées de farine.
Les rognons en sortiront poudrés à blanc. Il mettra ses rognons dans la poêle, où seront déjà le beurre et les oignons. Il tournera avec une cuiller de bois jusqu'à ce que les rognons soient au quart de leur cuisson.
Alors, il prendra une bouteille de vin rouge, - les gros vins sont excellents pour cette sorte de sauce, - et en versera hardiment la moitié, les deux tiers, la totalité même, si la quantité de rognons coupés en tranches comporte la totalité de la bouteille ; puis il laissera cuire en tournant sur bon feu pendant dix minutes à peu près.
A la cinquième minute, il salera et poivrera ; à la huitième minute, il jettera dans ses rognons plein le creux de la main de persil très fin ; pour qu'il conserve son goût, il est important qu'il ne bouille que deux minutes.
Enfin, au moment de servir, on enlèvera et mettra dans un récipient quelconque six ou huit cuillerées de cette sauce, qui doit avoir la consistance et la couleur d'une crème au chocolat battue. Cette sauce est destinée à donner de la couleur et du corps aux œufs brouillés.
Maintenant, passons aux poulets à la provençale, que je recommande comme la chose la plus prompte et la plus facile à faire.
Si vous êtes restreint pour l'huile, c'est-à-dire si vous vous trouvez dans le cas où nous nous trouvions, procurez-vous de la graisse de porc, nommée saindoux. Excepté dans les pays purement mahométans, vous en trouverez partout. Faites frire votre saindoux à la poêle ou à la casserole. Découpez votre poulet par morceaux, comme vous feriez s'il était cuit et que vous voulussiez le servir par petites portions à vos convives. Roulez ces morceaux, comme vous avez fait de vos rognons, dans une serviette blanchie de farine. Mettez-les dans votre friture au moment où elle a cessé de crier. Laissez-leur le temps de prendre une belle couleur dorée, et occupez ce temps à hacher une gousse d'ail et une poignée de persil.
Lorsque vos morceaux de poulet seront cuits et rissolés à point, dressez-les dans un plat creux, salez et poivrez. Substituez à votre friture un demi-verre d'huile d'olive ; davantage, si besoin est ; faites frire l'huile à son tour, saisissez le moment où elle bout sans être brûlée, jetez-y votre ail et votre persil hachés ensemble : trois secondes après, versez le tout sur votre poulet dressé, et servez bouillant.
Vous voyez que tout cela est d'une simplicité biblique ; c'est la cuisine du paradis terrestre. Pour le rôti, vous trouverez partout une ficelle ou un clou. Le rôti est meilleur pendu à une ficelle que cuit avec une broche passée dans le corps et qui lui fait perdre son jus par deux ouvertures.
Quant aux flageolets à l'anglaise, rien de plus simple : vous les faites bouillir à grande eau, jusqu'à ce qu'ils soient cuits ; vous les égouttez sur l'écumoire ou dans une passoire ; si vous n'avez ni écumoire ni passoire, - je parle pour les voyageurs, - dans un linge blanc, et vous les versez bouillants sur une montagne de beurre, pétrie de sel, de poivre, de persil et de civette, si vous en avez. La chaleur des haricots suffira à fondre le beurre.
La confection des œufs brouillés est un peu plus compliquée, mais néanmoins très facile.
Sur douze œufs, vous avez jeté six blancs et laissé six œufs entiers ; dans ces œufs, vous avez versé la valeur de deux cuillerées d'eau, - cet appendice est indispensable pour donner de la légèreté à vos œufs, - vous ajoutez votre sauce de rognons et vous battez le tout, en ayant soin de vous rappeler, quand vous salez et poivrez, que votre sauce de rognons est déjà salée et poivrée. - Ne mettez ni oignon ni persil, votre sauce en contient une quantité suffisante.
Vous jetez, en même temps que vos œufs, un gros morceau de beurre dans la casserole. Puis vous tournez sans cesser un instant votre mouvement de rotation, jusqu'à ce que vos œufs soient convenablement pris. N'oubliez pas, surtout, qu'ils continuent de prendre sur le plat, et qu'il est urgent, à cause de cette condensation postérieure, de les y verser un peu liquides.
Mais le beurre ! me direz-vous ; comment se procurer du beurre frais dans un pays où, par exemple, on ne fait pas de beurre ?
Partout où vous trouverez de bon lait, partout vous pourrez faire votre beurre vous-même. Il vous suffira de remplir une bouteille aux trois quarts et de la boucher, puis vous la ferez secouer violemment pendant une demi- heure. Au bout d'une demi-heure, pour trois quarts de bouteille de lait, vous aurez une motte de beurre de la grosseur d'un œuf de dinde. Etant frais, à l'aide de secousses réitérées, il passera en s'allongeant à travers le goulot de la bouteille.
Le thé, vous savez le faire, n'est-ce pas ?
Quant au café, il se fait de deux façons, à la française ou à la turque.
Pour le faire à la française, il y a dix mécaniques de formes différentes. La meilleure de toutes ces mécaniques est, à mon avis, la chausse de nos grand- mères. Mais toutes ces mécaniques peuvent vous manquer, et même, si simple qu'elle soit, la chausse de nos grand-mères peut ne pas se trouver sous votre main.
Alors, vous ferez votre café à la turque ; c'est bien plus simple et, selon moi, c'est meilleur.
Vous faites bouillir votre eau dans un marabout. Vous mettez autant de cuillerées à café de café pilé au mortier et réduit en poudre aussi impalpable que possible, et autant de cuillerées de sucre râpé que vous voudrez avoir de tasses pleines. Et vous laisserez votre marabout jeter trois gros bouillons ; après quoi, vous verserez le café bouillant dans les tasses. En quelques secondes, le marc se précipitera de lui-même au fond par sa propre pesanteur, et vous pourrez boire un café aussi clair et plus savoureux que s'il était filtré.
Il va sans dire que le prince Ingheradzé et notre marchand turc déclarèrent n'avoir jamais fait un dîner pareil.
Alexandre Dumas (Le Caucase - Chapitre LXII Les plaisirs de Poti)
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jeudi, 22 avril 2010
Il y a 50 ans, le 21 avril 1960, était inaugurée la ville de Brasília
Bâtie ad nihilo en 1.000 jours sous l'impulsion du Président Juscelino Kubitschek, la ville de Brasília était inaugurée le 21 avril 1960, il y a donc 50 ans.
Mais la justice s'est invitée à la fête. Une colossale affaire de corruption éclabousse une partie des responsables de la ville. L'ex-gouverneur José Arruda sort de deux mois de prison et la justice a cassé les contrats d'éclairage et de son des festivités du cinquantenaire. Des contrats de deux millions de dollars. Mais la fête a eu lieu. Les cloches des églises de la capitale brésilienne ont joué à l'unisson pour célébrer l'anniversaire, et des milliers d'habitants ont défilé sur l'avenue où sont érigés les palais futuristes et les bâtiments du pouvoir, lieux de spectacles.
Car Brasília symbolise les utopies urbaines du XXe siècle ! Il y a ceux qui la détestent et ceux qui l'adorent, les avis étant souvent tranchés. Certains apprécient son futurisme (Youri Gagarine disait en 1961 : "J'ai l'impression de débarquer sur une planète différente, pas sur la terre"), sa tranquillité, sa sécurité, bien loin de l'agitation de Rio de Janeiro et de São Paulo. D'autres critiquent une ville sans âme, où tout déplacement doit se faire en voiture, avec ses "favelas" misérables, loin du rêve de la ville idéale sans classes sociales imaginée par Oscar Niemeyer. Mais preuve de sa place dans l'histoire de l'architecture et de l'urbanisme, elle a été classée au patrimoine mondial de l'Unesco dès 1987.
Le chantier de Brasília a atteint tous les records : à peine 41 mois de travaux, avec des ouvriers travaillant 24h/24 dans des conditions très difficiles. Elle devait être prête à temps, Kubitschek avait promis aux Brésiliens de réaliser "50 ans de progrès en cinq ans". La conception même de la ville était révolutionnaire et osée pour l'époque. Et malgré tous ses détracteurs, Brasília a réussi son pari.
Oeuvre conjointe imaginée par l'urbaniste Lúcio Costa, le paysagiste Roberto Burle Marx et l'architecte Niemeyer, Brasília symbolisait un vieux rêve d'union nationale au centre du vaste pays.
Dès l'indépendance, en 1822, les hommes d'État brésiliens avaient en effet caressé le rêve de déplacer la capitale, Rio de Janeiro, pour la fixer au centre du pays et briser l'opposition entre le Brésil peuplé du littoral et le Brésil vide des immensités intérieures. La mise en valeur de l'époque coloniale avait, en effet, multiplié les villes du bord de la mer, ports destinés à embarquer les richesses brutes du pays vers le Portugal et à y apporter les produits fabriqués, mais exposés aux raids maritimes. La première capitale du Brésil, Salvador avait, elle aussi, été construite sur la côte.
En 1823, José Bonifacio de Andrade e Silva, l'un des mentors de l'Indépendance du Brésil (conquis en 1822), est l'un de proposer le déménagement, et propose déjà le nom de Brasília. Son plan est présenté à l'Assemblée, mais l'empereur Pedro I ayant dissous l'Assemblée, le projet de loi ne sera finalement pas adopté ...
Selon une légende, saint Don Bosco aurait fait, en 1883 un rêve prémonitoire dans lequel il aurait vu une ville futuriste au bord d'un lac, la future Brasília ! Aujourd'hui, une des principales églises de la ville porte son nom ...
En 1891, la première Constitution de la République brésilienne détermine qu'une nouvelle capitale devra être construite, et en 1894, une zone de 14.400 km² lui était réservée. Le 7 Septembre 1922, la première pierre de Brasília est même posée, dans un endroit qui est aujourd'hui Planaltina, l'une des villes satellites de Brasília.
Dans les années 50, le Brésil vit une période prospère, et en 1955, la Commission pour la nouvelle capitale fédérale choisit de nouveau un endroit pour Brasília. En 1956, Juscelino Kubitschek de Oliveira est élu président et crée la Société de l'urbanisation de la nouvelle capitale (NOVACAP). Kubitschek met un jeune architecte, Oscar Niemeyer, aux commandes du projet. En 1957, un concours public est gagné par l'urbaniste Lúcio Costa, pour ses idées innovante de la nouvelle capitale exposées dans son ouvrage maintenant connu sous le nom Plano Piloto (plan-pilote).
Le projet était donc d'attirer vers l'intérieur des terres la population et l'activité économique, jusqu'alors surtout concentrées dans les grandes villes côtières, l'objectif étant d'assurer une meilleure répartition des richesses, mais aussi d'apaiser l'affrontement entre les deux principales villes du pays, Rio de Janeiro et São Paulo. "Brasília n'est pas une improvisation, mais le résultat d'une maturation. Ce n'était pas qu'un changement de Capitale, mais l'annonce d'une réforme. Nous ne voulions pas seulement construire une ville, mais nous nous battions pour l'émancipation d'une région. Le Brésil dans toute son territoire, recevra, lui aussi, les avantages de l'internalisation de la capitale. Tel est l'objet du combat qui sous-tend l'impératif constitutionnel qui a déterminé le changement." écrivait Eduardo Silva en 1983.
Objectif atteint : Brasília a rapproché et réuni les diverses régions du pays. Ainsi, on rencontre à Brasília des gens qui viennent "do Oïapoque ao Chuí" (selon le dicton national qui sonne sur un air de "de Dunkerque à Tamanrasset" pour exprimer le Brésil dans toute son immensité) ... Et la capitale est devenue une énorme agora, un carrefour des plus importants de la culture brésilienne. Enfin, la réussite de Brasília a impliqué en une occupation beaucoup plus effective des régions qui se trouvent à l'arrière pays. Les nouvelles routes construites après le déplacement de la capitale depuis Rio aux hauts plateaux du centre du pays permettent aux voyageurs d'atteindre des localités lointaines, différentes, mais qui font partie de ce grand kaléidoscope brésilien. Et si Sao Paulo reste le centre des affaires et Rio de Janeiro la ville la plus agréable du pays et la plus prestigieuse, Brasília est indéniablement devenu le centre nerveux de toutes les décisions administratives et politiques.
***
Toute visite de Brasília commence par la Torre de Televisão, d'où l'on a une très belle vue de la ville. Surtout à la fin de la journée, au coucher du soleil. C'est bien par là que j'ai commencé ma visite de cette ville en juillet 1971, lors d'un séjour de 2 mois chez mes beaux-parents, alors en poste à Rio de Janeiro ... En effet, la torre da Televisão, haute de plus de 200 mètres, permet, depuis un belvédère à mi-hauteur, de se faire une idée de l'urbanisme de la ville.
En 1971, Brasília, bien que construite depuis onze ans déjà, ressemblait encore à un vaste chantier. Les ministères s'y étaient bien sûr installés, mais nombre d'administrations rechignaient encore à quitter Rio de Janeiro et ses plages de Copacabana et d'Ipanema pour regagner cette ville située au milieu du Mato Grosso, à 1 000m d'altitude, longtemps infectée de moustiques. L'ambassade de France était encore à Rio ... même si le gouvernement brésilien venait d'exiger que toutes les ambassades déménagent, ce qu'elles faisaient à reculons !
Ainsi à l'origine, le projet de l'Ambassade de France à Brasília avait été confié à Le Corbusier, compte tenu de ses étroites relations avec Lúcio Costa et Oscar Niemeyer. Lorsque j'ai séjourné au Brésil, Le Corbusier était mort depuis 6 ans et la décision définitive de construire la nouvelle ambassade venait juste d'être prise l'année précédente. Compte tenu de l'apparition de besoins supplémentaires en surface bâtie, un nouveau projet était en cours d'élaboration par de Guillermo Jullian de la Fuente, architecte d'origine chilienne, ancien collaborateur de l'atelier de Le Corbusier. L'Ambassade et la Résidence, construites entre janvier 1972 et décembre 1974, n'ont donc été inaugurées qu'en 29 janvier 1976, 16 ans après que Brasília soit devenue la capitale !
D'ailleurs, lors de l'inauguration, le 21 avril 1960, les futurs habitants pour qui la ville avait été conçue, les fonctionnaires de Rio de Janeiro, faisaient la moue et tentaient de refuser leur mutation dans le cerrado, alors que les bâtisseurs, les candangos, les habitants de fait, déjà plus de 70 000, étaient parqués à sa périphérie. Pour beaucoup, l'inauguration du Plan Pilote proclamait l'illégalité de leur situation urbaine : ils devaient quitter les cités de chantiers ou les lots mis à leur disposition par contrat jusqu'à ce jour fatal ...
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Nous étions arrivés de Rio par avion au petit matin. Après 1 000 km au dessus de la forêt vierge, nous avions survolé les petits villages construits pour loger les milliers de Brésiliens venus de tous les coins du pays, mais surtout du Nordeste pour construire Brasília, ces "candangos".censés rentrer à la maison quand Brasília serait terminé, mais qui, pour la plupart, ont vu à Brasília l'occasion d'une vie meilleure et y sont restés.
Depuis la torre da Televisão, nous découvrons le "Plano Piloto" imaginé par l'urbaniste Lucio Costa en forme de croix avec ses deux bras incurvés de sorte que l'ensemble ressemblait plutôt à un oiseau aux ailes déployées, ou à un avion se dirigeant vers le sud-est. "La ville est née d'un geste basique, celui que l'on fait pour indiquer un endroit ou en prendre possession : celui de la croix, avec deux axes qui se croisent en angle droit" expliquait son concepteur.
La ville s'organise autour de deux axes perpendiculaires : l'Eixo monumental et l'"Eixo Rodoviário" ou Eixāo. Au croisement des deux axes se trouve la rodoviária, station centrale de réseau autobus et terminal du métro. En 1971, lors de mon séjour au Brésil, j'avais d'ailleurs utilisé l'autobus pour visiter la ville ...
L'Eixo monumental (Voie Monumentale), orienté est-ouest, axe routier principal de la ville, suit évidemment le corps de l'animal. Elle formée de 2 fois 6 voies routières, séparées par un terre-plein engazonné.
Les bâtiments les plus impressionnants, la plupart dessinés par Oscar Niemeyer, se situent au niveau de la tête de l'"oiseau- Brasília". La Praça dos Três Poderes (la place des Trois Pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire) en forme, très logiquement, le sommet, avec les bâtiments du Congrès National (O Congresso Nacional) : coupole évasée concave, symbole d'ouverture, pour la Chambre des députés; coupole plus petite et renversée, symbole de réflexion, pour le Sénat; et deux gratte-ciel jumeaux administratif en guise de pivot, reliées entre eux et formant un H, symbole de l'Humanité. On m'a dit que l'axe est alignée de telle sorte que le soleil se lève précisément entre les deux tours du Congrès le 21 avril, journée marquant la mort de Joaquim Jose da Silva Xavier Tiradentes ("arracheur de dents" en français), martyr de l'indépendance du Brésil en 1792.
Pour compléter les "Trois Pouvoirs", deux bâtiments à l'architecture identique, avec leurs arcades en marbre qui leur donnent l'impression d'être à peine posées sur le sol : le palais du gouvernement (o Palácio do Planalto), avec sa rampe d'accès monumentale et le Tribunal de Justice Suprême Fédéral (O Tribunal Supremo Federal).
Je me souviens très bien de la célèbre sculpture "os Candangos" de Bruno Giorgi qui se dresse aussi sur cette place : deux figures abstraites en bronze symboles de l'esprit pionnier des travailleurs qui ont construit la ville. Élancés, avec des arêtes saillantes, deux personnages asexués, dont un seul repose sur le sol, portent chacun un bâton et se terminent par des têtes minuscules, ou plutôt par un énorme œil unique. L'ensemble semble en équilibre instable, avec une base trop étroite pour la hauteur. La position des pieds n'est pas naturelle, à 90 degrés du corps, et ils ressemblent plutôt à des pattes de coq ou d'oiseaux de proies. Appelés à l'origine "Os guerreiros" (les guerriers), ils semblent protéger le palais du Gouvernement mais aussi la démocratie, en référence à la célèbre sculpture grecque des "tyranicides" Harmodius et Aristogiton défendant les institutions démocratiques ! Vinicius de Moraes e Tom Jobim chantent ces travailleurs dans "Sinfonia da Alvorada" composée en décembre 1960 : "os trabalhadores, os homens simples e quietos, com pés de raiz, rostos de couro e mãos de pedra, e que, no calcanho, em carro de boi, em lombo de burro, em paus-de-arara...". Os Candangos était le terme peu flatteur employé autrefois par les Africains pour désigner les Portugais. Aujourd'hui, ce mot a perdu cette connotation péjorative et désigne les habitants de Brasília qui ont travaillé à sa construction. Les travailleurs des classes moyenne et supérieure (ingénieurs, médecins, etc.) furent, eux, désignés comme Pioneiros. Les Brésiliens de la nouvelle génération nés à Brasília, par dérision, s'appellent entre eux Calangos, terme qui désigne une espèce de lézard de la région.
Je n'ai en revanche aucun souvenir de la sculpture en granit devant le tribunal, sculptée par Alfredo Ceschiatti et représentant la Justice (A Justiça). Selon la tradition elle est représentée les yeux bandés, afin de démontrer son impartialité, et tient l'épée, symbole de la force qu'il faut pour faire respecter la loi.
Et tout au sommet du crâne de l'"oiseau- Brasília", le Palais de l'Alvorada (O Palácio da Alvorada). Ce palais de l'Aube est la résidence du Président de la République du Brésil. Il fut le premier édifice inauguré, en juin 1958. Il se trouve au bord du Lac Paranoá et à deux kilomètres de la Place des Trois Pouvoirs. Placé au milieu d'un immense jardin, il est connu pour ses façades en marbre et ses colonnes blanches qui s'ouvrent en demi cercles dont André Malraux assura qu'elles constituaient «l'événement architectonique le plus important depuis les colonnes grecques». Rappelant la forme de la Croix du Sud, elles sont devenues le symbole de la capitale, reprises dans les armes de Brasília. Ici on a l'impression d'une villa de vacances, toute ouverte, avec ses immenses baies vitrées, entourée d'eau grâce à la grande piscine, et la statue d'Alfredo Ceschiatti, As banhistas.
Derrière le "sommet du crâne" de l'oiseau- Brasília, en revenant vers la ville et ses habitations, le cerveau, c'est-à-dire l'esplanade des Ministères, cœur de la vie politique du Brésil. C'est une immense artère, longue de 2 kilomètres et large de 250 mètres, l'avenue la plus large du monde pour les Brésiliens ! De part et d'autre de l'artère se trouvent les ministères fédéraux, alignés dans un ordre impeccable, avec en particulier le célèbre Palácio do Itamaraty (Ministério das Relações Exteriores ou Ministère des affaires étrangères). Son nom (fleur de pierre) est d'origine indienne, il est aussi celui du premier ministre des Affaires Etrangères de la république du Brésil : Francisco da Rocha, Comte d'Itamaraty. Il venait d'être inauguré lorsque j'ai visité Brasília, et il m'avait particulièrement plu, avec son pont enjambant un grand bassin parsemé d'îles de plantes tropicales, œuvre du paysagiste Robert Burle Marx, et avec la sculpture en marbre de Carrare le "Météor", de Bruno Giorgi, représentant les cinq continents, qui semblait posée sur la surface de l'eau ... cet élégant palais détonnait à côté des bâtiments massifs des autres ministères ! Je regrette de ne pas avoir pu, comme les "grands de ce monde", pénétrer à l'intérieur pour admirer l'immense hall, sans colonne de soutien, qui s'ouvre sur un jardin, ni l'escalier sans pilier, qui tel un ruban de béton, monte à l'étage. Il parait que maintenant l'Itamaraty se visite, comme d'ailleurs la plupart des "monuments" de Brasília ...
Face à l'Esplanade des Ministères, La Catedral Metropolitana Nossa Senhora Aparecida do Brasília, conçue par l'architecte Oscar Niemeyer, présente une forme très atypique, constituée de seize paraboloïdes en béton de 40 mètres de haut et de 90 tonnes chacune, séparées de vitraux. Cette structure, d'un diamètre de 70 m, représente pour les uns des mains se rejoignant en direction du ciel, pour les autres une couronne d'épine ... j'opte pour la 1ère interprétation moins religieuse, donc plus universelle !
Construite en sous-sol, le haut de sa nef se trouve au niveau du sol. Son éclairage est naturel, grâce à des vitraux où dominent le blanc, le beige, le vert et le bleu. Ils ont été réalisés par Marianne Perretti. Toujours à l'intérieur, sculptés par Alfredo Ceschiatti, trois anges en aluminium, suspendus à des filins, volent "dans le ciel" de la Cathédrale. Des panneaux peints par l'artiste brésilien Di Cavalcanti représentent la Passion du Christ. L'autel est la réplique de celui du sanctuaire marial d'Aparecida do Norte à Sao paulo. Dans la crypte se trouve une reproduction du Saint Suaire de Turin. A l'extérieur, quatre statues géantes, également du sculpteur Alfredo Ceschiatti représentant les Évangélistes, Matthieu, Marc et Luc sur la gauche et Jean sur la droite, accueillent les visiteurs et les conduisent vers l'entrée. Les 4 cloches du clocher ont été offertes par le gouvernement espagnol et viennent des ateliers Pereira de Saragose. La Cathédrale peut accueillir 2 000 personnes.
La queue de l'oiseau présente actuellement le mémorial du président Juscelino Kubitschek, mais en 1971, celui-ci n'était pas encore construit, il ne le sera que 10 ans plus tard. Situé à l'Ouest de la ville ce monument est un hommage à l'ex-président Juscelino Kubitschek, "le père" de Brasília". Le Mémorial, qui abrite l'urne funéraire du Président, est constitué d'un piédestal de 28 m du haut duquel Juscelino Kubitschek semble saluer sa ville. La chambre mortuaire où repose l'ancien président est un salon circulaire de 10 mètres de diamètre sous un plafond de vitraux réalisés par Marianne Peretti.
Enfin, les ailes regroupent deux grands quartiers, l'un au nord et l'autre au sud, divisés en "superquadras", gros pâtés de maisons destinés à accueillir autant de "villages" dans la ville, quartiers résidentiels voulus semi-indépendants avec leurs propres magasins, écoles, etc ... L'Eixāo, courbe, d'axe nord-sud, dessert ces quartiers. Il est exclusivement réservé à la circulation des véhicules, des passages souterrains sont aménagés pour la traversée des piétons. Et les enfants qui habitent à l'intérieur des "quadras", les grands patios formés par les immeubles de logement, peuvent y jouer sans surveillance particulière.
Mais ces quartiers abritent essentiellement une population de fonctionnaires, les classes populaires s'entassent dans les 16 Cidades-Satélites (villes satellites maintenant reliées à Brasília par un métro) qui se sont construites en dehors du Plan-pilote, parmi lesquelles Taguatinga, Guará, Gama, Núcleo Bandeirante, Ceilândia, Aguas claras, Samambaia, Sobradinho ou encore Planatina, seule ville du District Fédéral antérieure à la construction de Brasília ... Ces villes concentrent, de nos jours, la majorité de la population des "brasilienses", ceux qui ont édifié Brasília, ainsi que les flots de migrants fuyant la misère des campagnes. Les bidonvilles ont grossi autour de l'"oiseau" et le fossé se creuse entre les différentes parties de la ville, au point d'attrister son créateur : "Les profondes disparités sociales de la nouvelle capitale m'attristent énormément", confie Oscar Niemeyer, fidèle à ses idéaux communistes.
Car planifiée pour compter 600.000 habitants en l'an 2000, le district de Brasília en a aujourd'hui cinq fois plus. Le "Plan pilote", resté par ailleurs inachevé, n'avait pas prévu leur présence ni planifié leur installation. Autour du centre classé, la spéculation immobilière fait rage, interdisant l'accès aux familles modestes. Et la ville reflète les contradictions de la société brésilienne, les très riches encerclés par les très pauvres.
Brasília est une des villes les plus inégales au monde, juste derrière trois villes d'Afrique du Sud, selon l'ONU. "Une carte postale cernée par la misère", selon le journal O Estado ... Le principal quartier résidentiel de la ville a un indice de développement humain du niveau de l'Allemagne tandis que les communes satellites ont des indices inférieurs ceux de la Guinée équatoriale.
Les détracteurs de Brasília critiquent aussi le "tout-voiture" - une obligation dans cette ville sans trottoirs où personne ne marche - et ses embouteillages. Ils s'élèvent également contre le cloisonnement des activités (le quartier des bureaux, des hôtels, des loisirs, des commerces...), ses immenses espaces vides et ses mornes fins de semaine que fuient tous ceux qui le peuvent. Ils critiquent enfin la dette abyssale de cette construction, que les brésiliens n'ont pas fini de rembourser ...
Mais pour les touristes, traverser Brasília en voiture, c'est parcourir un immense parc. L'architecture se dissout dans la végétation. Ainsi au bord du lac Paranoá, à l'écart du centre-ville, de nombreuses maisons de standing ont été construites sur une péninsule à l'extrémité nord; un quartier semblable existe au bord du lac sud. À l'origine, les urbanistes envisagé de vastes zones publiques le long des rives de ce lac artificiel , Mais les clubs privés, des hôtels, des restaurants et des résidences haut de gamme se sont installés pied dans l'eau. Brasília se distingue également par son écosystème unique dans lequel on recense 3 000 espèces végétales et 1 500 espèces animales connues ...
Aujourd'hui, qu'en est-il de tous ces beaux bâtiments ? Hâtivement construits et malmenés par le climat, les édifices les plus prestigieux, telle la cathédrale, souffrent de détériorations et présentent de profondes fissures. certains se trouvent en cours de restauration. Et des immeubles des années 60 ou 70, déjà en ruine, sur des trottoirs défoncés ! Pour traverser l'Eixo Monumental, la fameuse 6 voies, pas de passages souterrains, au milieu un terre-plein nu, pelé, à perte de vue, avec des bassins vides, car c'étaient le rendez-vous des moustiques propageant la dengue ... Et, en désaccord avec le "plan pilote" de Costa, certains immeubles ont été surélevés, des espaces libres ont été dénaturés par de nouvelles constructions et le réseau routier a été altéré. Il est vrai qu'avec la dictature militaire à partir de 1964, des milliers d'intellectuels brésiliens s'étaient exilés, dont Neimeyer, et le "Plano piloto" n'avait plus de pilote ! Depuis une vingtaine d'années pourtant, un travail de fond a été entrepris pour cesser les dérives et protéger les zones qui peuvent encore l'être en accord avec les principes urbains initiaux, revisités cependant par Lucio Costa lui-même pour tenir compte de l'expétience acquise. D'où cette remarque lue dans l'Estado de São Paulo, grand quotidien de référence: "Brasília est née d'un chantier et c'est comme chantier qu'elle commémorera ses cinquante ans" ...
***
Oscar Niemeyer est né le 15 décembre 1907 à Rio de Janeiro. Attiré par l'architecture moderne de Le Corbusier véhiculée au Brésil, entre autres, par l'architecte Lucio Costa, Oscar Niemeyer devient stagiaire dans l'agence de celui qui 25 plus tard dessinera Brasília. En 1956, le président Joscelino Kubitschek fait appel à Niemeyer pour concevoir les principaux équipements publics de la future capitale. La notoriété de l'architecte devient alors mondiale.
Exilé pendant la dictature en 1967, il reviendra au pays avec la démocratie pour s'installer dans sa ville natale. Dans son atelier de Copacabana, Oscar Niemeyer, ne cessera plus de dessiner et d'imaginer de nouveaux projets.
En exclusivité pour les Urbanités, Oscar Niemeyer a accepté à 102 ans de répondre à une interview, à la condition qu'elle soit écrite plutôt qu'enregistrée. Une occasion exceptionnelle d'effectuer un retour en arrière de 50 ans, lorsque Brasília devient la capitale du Brésil... (source : http://www.urbanews.fr/oscar-niemeyer-Brasília-represente...)
L'interview d'Oscar Niemeyer est sur http://urbanites.rsr.ch/blog/interview-exclusive-doscar-n...
Quelques autres liens :
Plan et description de Brasília sur http://www2.ac-lyon.fr/services/bresil05/pages/architectu...
Visite de Brasília sur http://www.photofiltregraphic.com/20albums/bresil_Brasíli...
18:56 Publié dans art, coup de coeur, Histoire, Voyage | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : brésil | Facebook |