mardi, 06 janvier 2009
La France a froid ! "Mes amis, au secours !"
Alerte météo : 27 départements en vigilance orange neige-verglas, et on nous annonce que l'on va descendre en dessous de -10° à partir de mercredi ! vols annulés au départ de l'aéroport de Roissy et quelque 1.600 passagers qui n'ont pu embarquer au cours de la journée sont hébergés dans l'aéroport. La consommation française d'électricité a atteint un record historique ce lundi soir à 19h à 90.200 mégawatts, et la consommation pourrait même culminer à près de 91.000 MW mardi 6 et mercredi 7 janvier, selon RTE ... Bref, la France a froid ! "Mes amis, au secours !" criait l'abbé Pierre en 1954 ... et pourtant cette semaine encore, la mort de nombre de sans-logis, recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu, ouvrira les actualités du 20 heures.
Mais se souvient-on qu'il y a exactement 3 siècles, un hiver exceptionnellement froid s'abattait sur la France ? L'hiver de 1709 fut sans doute l'un des plus terribles. Les indications relevées dans les registres paroissiaux permettent d'établir une température de – 28° à – 30°C.
Dans les campagnes, les paysans grelottent et la famine menace. Les arbres éclatent sous l'effet du gel, les animaux crèvent à l'étable, la terre est si dure qu'il faut enterrer provisoirement les morts nombreux dans l'intérieur des églises. A Versailles, les cheminées, mal conçues, ne parviennent pas à réchauffer les appartements royaux. Des domestiques indiquent dans leurs mémoires que "le vin du roi gelait dans les carafes" et que "celui-ci l’exposait à la chaleur des flammes pour en boire". Louis XIV renonce un temps à ses sorties quotidiennes et demeure cloîtré dans ses logements. Son petit-fils, le duc de Berry, n’a pas la sagesse de l’imiter. Malgré les rigueurs de l’hiver, il part chasser dans la forêt de Versailles. L’un de ses valets, porteur des fusils royaux, revient au palais les doigts en si mauvais état qu’il faut l’amputer d’urgence …
La vague de froid est particulièrement incroyable entre le 10 et le 21 janvier. Les températures, de jour comme de nuit tournent alors autour de -20 ° à Paris. Vers les 13 et 14 janvier des températures descendent jusqu'à -23° et une température de -26° est enregistrée à Paris. A Bordeaux les températures descendent jusqu'à -20,5°, à Montpellier jusqu'à -16 ° et à Marseille jusqu'à –17,5°. Fleuves et rivières sont gelés, même le Rhône. La mer est bloquée par les glaces dans les ports et sur les côtes. Fin février la température est encore de -6,9° puis en mars elle remonte de quelques degrés. Le 15 mars débute alors une spectaculaire débâcle de la Seine générant une importante inondation rendant encore impossible le ravitaillement de Paris. La Seine entre en crue. Ses flots impétueux emportent dans leur course de nombreuses embarcations qui se fracassent violemment contre les piliers des ponts. Le 5 avril, Paris est approvisionné pour la première fois depuis trois mois ! Mais le constat est épouvantable, toutes les récoltes sont pourries. Le 23 avril, par arrêté royal, Louis XIV autorise à ressemer chaque parcelle de terrain.
De nombreux lettres, mémoires, et registres paroissiaux attestent de l'horreur de cet hiver 1709.
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mercredi, 03 décembre 2008
"La France c’est comme une mobylette, pour avancer il lui faut du mélange."
Il y a 25 ans, le 3 décembre 1983, quelques personnes parties de Marseille le 15 octobre, et des dizaines de milliers d’autres qui les avaient rejoints arrivaient à Paris après un périple de 1.700 kilomètres, dans la liesse et l’espoir d’une reconnaissance de leur identité et de leur volonté d’intégration ... 100.000 personnes accueillent la Marche contre le racisme, rebaptisée "Marche des beurs"
"Est-ce parce que certains en mettent dans le couscous ?" ironise Coluche dans son chmilblik. Mais eux ne rigolent pas. Ils marchent, parlent, expliquent, arpentent les cités, rencontrent les associations, secouent les rares élus qui les reçoivent, et plantent le mot égalité sur le terrain du racisme. Un mouvement est né.
A la bastille ce 3 décembre, on s'enlace, on s'embrasse, on chante "douce France" avec Rachid Taha et le groupe Carte de Séjour, on scande le slogan qui depuis des semaines a ouvert la marche des beurs: "La France, c'est comme une Mobylette, pour avancer, il faut du mélange."
L'histoire a commencé à l'été 1981 à Vénissieux, entre les tours des Minguettes. Dans les banlieues ouvrières, à Lyon comme ailleurs, la crise avec son lot de licenciements et de fermetures d’usines, aggrave les tensions et chasse les habitants. Aux Minguettes sur 9 200 logements, 2 000 à 3 000 sont vides. Alors, les jeunes "rouillent" au bas des tours, s’approprient caves ou appartements vides, et se débrouillent pour vivre. A défaut de travail, ils trouvent d’autres sources de revenus, plus ou moins licites. Mitterrand vient d’être élu, la gauche est au pouvoir et le gouvernement compte quatre ministres communistes. Les révoltes de la banlieue lyonnaise apparaissent alors comme les signes ultimes d’une période révolue. Mais les affrontements entre les jeunes et la police dans les banlieues de l’est lyonnais, médiatisés à travers les fameux "rodéos" automobiles, prennent un tournant politique. En effet, la droite, encore sous le coup de sa déroute électorale de 1981, a décidé de relever la tête en attaquant le gouvernement sur la question de l’immigration et de la sécurité. "Il faut arrêter cette invasion par une véritable politique de l’immigration [...]. Nous demandons l’expulsion des faux étudiants et des délinquants", lit-on par exemple dans les tracts de la liste UDF-RPR à Paris. À Grenoble, d’autres dénoncent les origines arabes du maire, Hubert Dubedout, battu par Alain Carignon au premier tour. Et mars 1983 marque la première percée du Front national dans plusieurs villes : dans le XXème arrondissement de Paris, où Jean-Marie Le Pen recueille plus de 11% des voix, et à Dreux où le RPR René-Jean Fontanille et le FN Jean-Pierre Stirbois présentent une liste commune au premier tour qui rassemble près de 31% des voix.
La haine aussi, qui ne se contient plus : rodéos au pied des tours, jets de pierres, voitures incendiées, policiers à cran qui rôdent, à la recherche surtout de jeunes issus de l’immigration qu’ils considèrent avant tout comme des "délinquants étrangers", et qui ne pardonnent pas au pouvoir socialiste d'avoir aboli la peine de mort, ni les nouvelles dispositions législatives protégeant les étrangers arrivés avant l’âge de dix ans et coupables de petits délits.
Mi mars, juste après les élections, le meurtrier du jeune Ahmed Boutelja de Bron est remis en liberté. Le surlendemain, une imposante descente de police aux Minguettes pour une histoire de recel se transforme en affrontement collectif. Les violences policières mettent le feu aux poudres, et les policiers sont obligés de battre en retraite. Les jours suivants, leurs syndicats se lancent dans une virulente campagne publique, menacent le pouvoir d’"actes d’indiscipline" et exigent "la reprise des expulsions et des peines exemplaires pour les meneurs et leurs complices, des opérations systématiques de police avec de nombreux effectifs équipés de moyens pour le maintien de l’ordre", ainsi que "le quadrillage de la commune".
Dans ce contexte, une douzaine de jeunes décident d’une grève de la faim pour interpeller les pouvoirs publics sur une situation qui peut dégénérer à tout moment. Ils créent l’association SOS Avenir Minguettes et formulent une série de revendications concernant la police ou la justice, mais également la réhabilitation de la ZUP. Sur le terrain, les incidents se multiplient. A quelques jours de la destruction spectaculaire d’une première tour à Monmousseau, le 9 juin, la police fait une descente brutale dans le petit centre commercial et arrête Kamel, un des grévistes de la faim. Le 20 juin 1983, la police intervient de nouveau, elle lâche ses chiens. L'un d'entre eux attaque un jeune garçon. Toumi Djaidja tente d'éloigner l'animal. Un policier tire.
Pendant ce temps, éclate "l’été meurtrier" : Aux quatre coins de France, les crimes racistes se multiplient. Ce sont 19 maghrébins qui sont tués et plus d’une vingtaine blessés. Parmi eux, on dénombre beaucoup de jeunes, touchés par des balles tirées depuis les fenêtres du "Haut-du-Lièvre" à Nancy, des "3000" à Aulnay, des "Francs-Moisins" à Saint-Denis... A la cité "des 4000" de La Courneuve, c'est le drame, un habitant excédé vise un groupe d'enfants avec sa carabine, Toufik, 9 ans, tiré comme un pigeon, tombe au pied de sa barre la veille du 14 juillet. Au "Matin de Paris", les journalistes titrent "L'été des tontons-flingueurs". Un choc pour les jeunes issus de l’immigration qui n'ont que le mot égalité à la bouche. A côtés de ces jeunes se trouvent le père Christian Delorme, celui qu’on appelle le curé des Minguettes, et le pasteur Jean Costil. Surgit l’idée d’une marche sur une inspiration de Martin Luther King ou de Gandhi. . Deux revendications principales : une carte de séjour de dix ans et le droit de vote pour les étrangers
Mais il faut un peu de patience, une initiative d’une telle ampleur, ça s’organise. Les jeunes délèguent l’organisation à la Cimade de Lyon, ainsi qu’au MAN (mouvement pour une alternative non-violente). Christian Delorme et le pasteur Jean Costil obtiendront l’appui des réseaux chrétiens, humanistes et anti-racistes qui avaient permis à leur grève de la faim d’avril 1981 contre les expulsions d’aboutir. Le soutien des protestants, bien représentés au gouvernement, sera aussi particulièrement important pour la suite.
Voilà donc les jeunes de Vénissieux qui rejoignent ceux des quartiers Nord de Marseille. C’est parti. Dans l’indifférence quasi générale. A gauche, on s’en méfie, on les soupçonne même de vouloir gêner le gouvernement de Pierre Mauroy. La marche part de Marseille avec 32 personnes le 15 octobre 1983. Une seule personne, un étudiant les accueille à Salon de Provence, mais quelques jours plus tard, ils sont reçus par un millier de jeunes à Lyon, les partis de gauche appellent leurs militants à rejoindre les marcheurs et quelque soixante-dix associations, partis politiques et organisations syndicales apportent leur soutien. Des comités de soutien sont créés dans toute la France, qui récoltent des dons pour financer hébergement et repas. Bientôt, après les députés et les maires qui les reçoivent, ce sont des personnalités qui font quelques kilomètres avec eux, à commencer par Edmond Maire, le secrétaire général de la CFDT, puis Georgina Dufoix, alors ministre de la Famille, de la Population et des Travailleurs immigrés, Jack Lang, Monseigneur Lustiger ... mais ce sont donc les marcheurs qui décident et qui prennent la parole à chaque étape, davantage sur le mode affectif que politique. Craignant le risque de "récupération", ils interdisent banderoles et slogans jugés trop polémiques.
cependant les racistes ne désarment pas et pendant la marche, dont un des slogans est "Rengainez, on arrive", on apprend coup sur coup l'assassinat d'Habib Grimzi, un jeune algérien en visite chez sa famille à Bordeaux, jeté du train Bordeaux-Vintimille pendant la nuit du 14 novembre, après avoir été torturé par trois jeunes Français en route pour rejoindre la Légion étrangère, le meurtre d’un Maghrébin de 17 ans, tué par balles aux Minguettes, et d’autres incidents, toujours aux Minguettes ... A l’arrivée, 60 000 personnes défilent aux côtés des marcheurs avec les portraits des victimes des crimes racistes et sécuritaires, en scandant "Egalité des droits, justice pour tous", le gouvernement et des élus républicains des deux bords rejoignent en fanfare les marcheurs et 100 000 personnes envahissent la place de la Bastille, sous un beau ciel bleu. Georgina Dufoix, ministre des affaires sociales, assure que de nouvelles mesures contre le racisme vont être prises. Le président Mitterrand reçoit les marcheurs à l’Elysée (sauf, tout de même, les porteurs d’une inscription au casier judiciaire...) pendant trois quarts d’heure et annonce la création prochaine de la carte unique de dix ans pour les étrangers, (en remplacement des cartes de séjour et de travail), et "des mesures de principe pour que justice soit rendue aux jeunes victimes et à leur famille" (limitation des ventes d’armes, possibilité pour les associations de quartier de se constituer partie civile dans les affaires de crimes racistes, etc., mais il se contente de leur dire que le droit de vote pour les étrangers est "une de ses préoccupations". Vers 21 heures, ils reviennent à l’Espace Balard où se déroule une fête. La soirée est douce. Le rêve fou de quelques beurs obscurs et méprisés se transforme en formidable fête républicaine dont ils sont les héros. La "génération beur" vient-elle de naître ? Ils auraient tellement aimé le croire ...
Trois semaines seulement après l’euphorie de la Marche, les affrontements raciaux entre grévistes et non-grévistes à Talbot-Poissy sonnent déjà le glas de l’idylle. Les marcheurs soutiennent les travailleurs immigrés licenciés, signifiant par là-même leur refus de jouer la division entre les enfants, accueillis à bras ouverts au sein de la République, et les parents O.S. virés par milliers des usines.
Le 17 juillet 1984, l’Assemblée Nationale vote à l’unanimité la création d’une carte de résident de dix ans, délivrée "de plein droit" aux étrangers vivant en France. Mais dès le 4 décembre, le décret d’application lui adjoint une série de conditions restrictives, exigeant que les demandeurs fournissent la preuve de leur entrée régulière sur le territoire. En six mois, la principale conquête de la "Marche des Beurs" est venue buter sur la raison administrative, inaugurant vingt cinq ans d’une coexistence amère, et d’une politique d’immigration toujours plus suspicieuse ... jusqu'à mélanger les questions d'identité nationale avec d'autres questions, qui tiennent à l'origine !
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mardi, 15 avril 2008
Aujourd'hui, c'est la Sainte Anastasie
Mais en France, depuis le milieu du XIXe siècle, Anastasie évoque surtout un personnage une vieille femme bossue, ricanante, binoclarde, armée d'énormes ciseaux, personnifiant pour les journalistes et les écrivains la redoutable censure, aux ordres des pouvoirs publics. Elle deviendra l'allégorie caricaturale de la censure d'Etat sous la IIIe République, au moment des grands affrontements droite-gauche autour de 1900.
Certains pensent que le mot tire son origine d'Anastase Ier, 39ème pape de l'Église Catholique Romaine, de 399 à 401 qui inaugure la censure chrétienne en interdisant certains livres d'Origène et des donatistes, même si la censure a accompagné la liberté d'expression depuis le début de l'Histoire. Ainsi, l'origine du terme censure remonte au poste de censeur, crée à Rome en -443, dont le but était de maintenir les mœurs. Le plus célèbre cas de censure antique est celui de Socrate, condamné à boire la ciguë pour avoir incité les jeunes à la débauche.
Quand et comment apparaît Anastasie ? Les informations les plus précises et les plus sures que nous ayons trouvé sur "Anastasie" sont extraites du livre de Pascal Ory : La censure en France.
On lit en général que l’inventeur d’Anastasie est André Gill, le célèbre caricaturiste et on date même sa première apparition du 19 juillet 1874 à la une de l’Eclipse en vieille mégère aux ongles crochus, aux allures de concierge, portant une chouette sur son épaule et tenant une paire de ciseaux gigantesques … Si A Gill a rendu célèbre le personnage il n’en revendique pas la paternité…..
En effet, plus d'un demi-siècle plus tôt, le journal La Foudre (1821-1823) parle déjà de la "dame aux ciseaux" et dans Le Charivari du 15 avril 1850, Charles Vernier dessine une femme acariâtre au visage disgracieux barré de lunettes et portant des ciseaux.
Le nom même d'Anastasie est plus tardif. On lit notamment toujours dans Le Charivari du 3 décembre 1850, "taille de plume brevetée mais sans garanti du gouvernement, à l'usage de messieurs les journalistes. S'adresser à madame Anastasie qui taille, coupe et plume l'oie". Mais ce nom ne s'impose pas tout de suite, et au début des années 1870, on la nomme parfois Victorine.
Or ce nom n'est pas assez ridicule et c'est Touchatout, dans un dessin paru dans Le Trombinoscope en juillet 1874 qui la nomme ainsi : "Censure (Anastasie), illustre engin liberticide français, née à Paris sous le règne de Louis XIII. Elle est fille naturelle de Séraphine Inquisition, et compte de nos jours dans sa famille quelques autres personnages très connus : Ernest communiqué, Zoé Bonvouloir, Vicomte Butor de Saint arbitraire et agathe estampille, ses cousines, tantes et beaux-frères dont nous exquisserons les traits un de ces jours (…) "
Mais pourquoi Anastasie? Anastasie c’est en grec et en latin la résurrection ...
Anastasie représente la censure qu’on croit toujours enterrée et qui sans cesse ressuscite…
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lundi, 28 janvier 2008
Ballade à l'étang des Noës
Week-end ensoleillé qui donne envie de se balader ... direction l'étang des Noës !
Créé par Vauban en 1684, il fait partie d’un ensemble de lacs et d'étangs qui permettaient, jusqu'en 1977, de récupérer les eaux de pluie de Rambouillet à Trappes pour alimenter les fontaines et bassins du parc du château de Versailles.
Son rôle était de collecter les eaux du plateau de Maurepas et d’une partie de celui de Coignières. En amont, le réseau comprenait les étangs de Saint-Hubert, Pourras, Corbet, de Hollande, de la Tour et du Perray. Le drainage s’effectuait grâce à des rigoles, et ce chapelet d’étangs était relié par un “grand lit de rivière”, collecteur permettant d’alimenter l’étang de Trappes et, de là, les réservoirs de Montbauron. L’ensemble des étangs supérieurs comprenait 15 étangs, soit près de 200 km de rigoles et 25 aqueducs recueillant les eaux de surface de près de 13 000 hectares. Il était même prévu de prolonger ce système jusqu’à l’Eure par Maintenon, mais les travaux ne furent jamais achevés à cause des guerres et de la fin du règne de Louis XIV.
Un peu d'histoire
Quand, en 1661, Louis XIV âgé de vingt-trois ans accède enfin au trône, son choix est de transporter sa cour à Versailles, où ses parties de chasse l'ont souvent amené à se reposer dans un petit château de briques construit par son père en plein marais. Décision est prise d'y construire un nouveau château, mais aussi des jardins à la française, avec jeux de fontaines, de cascades et de jets d’eau ! mais Versailles est située dans un fond de vallon et ne bénéficie que du mince apport hydraulique du rû de Clagny. La course à l’eau est donc lancée et elle mobilisera pendant environ trente ans les savants, les ingénieurs et les techniciens les plus brillants de l’époque.
Colbert se mit donc à la tâche, de grands travaux sont lancés pour collecter, amener, stocker et même pomper par des moulins à vent les eaux des alentours. Mais cela ne suffisait pas, et le surintendant porta son attention à différents projets qui promettaient d’apporter une quantité plus importante d’eau. Parmi tous ces projets gigantesques, Ricquet, célèbre par la création du canal du Midi, proposa d’amener la Loire à Versailles. Colbert fut séduit et les travaux allaient être exécutés, moyennant la somme de deux millions quatre cent mille livres quand l'abbé Picard, brillant astronome membre de l'académie des sciences, affirmaque la chose était impossible, qu'il avait nivelé le terrain fort légèrement à la vérité, mais suffisamment pour pouvoir assurer qu'il n'y avait pas assez de pente pour amener l'eau jusqu'à Versailles. Colbert, prudent, fit donc réaliser une vérification par l’abbé Picard, qui avait créé des instruments de précision permettant des observations astronomiques et géodésiques, en particulier un niveau à lunettes pour la mesure des hauteurs du sol, avec précision de l’ordre d’1 cm par km.
L’abbé Picard alla calculer la pente qu’il pouvait y avoir de la Loire à Versailles. Les opérations eurent lieu en 1674 et démontrèrent que le niveau de la Loire au-dessus de Briare où Ricquet pensait le drainer était plus bas que celui du parc de Versailles et ce projet fut abandonné. Colbert demande alors à l'abbé Picart de faire des nivellements sur les plateaux environnants. Celui-ci découvre que les plaines de Trappes et Bois-d'Arcy sont à cinq mètres au-dessus du niveau du plus haut réservoir du château, situation permettant de collecter et d'acheminer de nouvelles quantités d'eau. Colbert donne l'ordre de commencer les travaux en 1677. ...
Une formidable réserve écologique
L’étang est une réserve écologique qui abrite 266 espèces de plantes et 96 espèces d’oiseaux (sur 354 en Ile-de-France). C'est pour cela qu'il est classé Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique, Floristique et Faunistique (ZNIEFF)
On y observe des milieux très variés : bois et lisières, prairies et roselières, mares, fossés et eaux libres.
Sur la rive sud de l'étang, on trouvent 270 espèces végétales, dont deux protégées au niveau régional, le Pâturin des marais et la Stellaire glauque.
L'étang accueille 96 espèces d'oiseaux en quête d'alimentation, des oiseaux nicheurs sédentaires et des migrateurs et 14 espèces de libellules ...
On peut observer notamment la Rousserolles effarvattes, Phragmites des joncs, Bouscarles de Cetti et Grèbes Huppés qui résident et nichent dans les roselières de l'étang. Le cri de ces derniers annonce dès le mois de février le début des parades amoureuses qui l'entraînent dans d'étonnantes cérémonies avec sa nouvelle compagne. Le couple fabrique le nid flottant dans la roselière, couve en alternance et promènera à tour de rôle les grébetons cachés sous les plumes du dos.
D'autres espèces comme la Foulque macroule, le Bruant des roseaux et la Fauvette babillarde ont élu domicile aux Noës, rejoints à l’automne par le Canard souchet.
Plus communs, des canards Colvert et même un grand cygne blanc sont venus à ma rencontre, histoire de voir si je n'avais pas un peu de nourriture à leur donner ...
Malgré sa faible profondeur (87cm en moyenne) l'étang abrite aussi un grand nombre de poissons : brèmes, gardons, carpes, goujons, tanches, rotengles, perches, sandres, brochets et silures ... qui satisfont l'appétit des oiseaux et la passion des pêcheurs !
Le sentier PR 19 longeant l’étang au sud et à l’est, emprunte une remarquable allée plantée de pins noirs et pins sylvestres.
18:02 Publié dans balade, coup de gueule, Histoire, Voyage | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook |
mardi, 08 janvier 2008
"The world must be made safe for democracy"
Il y a 90 ans, le 8 Janvier 1918, le président américain Thomas Woodrow Wilson énonce, dans un discours retentissant, un programme en Quatorze Points pour mettre fin à la Grande Guerre.
Désormais il n'est plus seulement l'homme qui apporte à l'Europe le concours américain, il devient l'organisateur de la paix de demain, celui qui tiendra une place primordiale dans la reconstruction des relations internationales.
Déçu par l'attitude des nations en guerre, il récuse l’idée d’une diplomatie fondée sur l’équilibre des puissances qu’il considère comme la marque même de la décadence européenne, et veut mettre en place un nouvel ordre international fondé sur des appréciations morales et juridiques et non plus sur des considérations géopolitiques, un "nouveau monde" capable d'éviter les guerres.
S'alliant aux courants libéraux, il se pose donc en promoteur d'une diplomatie ouverte et propose la création d'une Société des Nations (premier et dernier points de son discours) en relation avec un libéralisme économique : liberté des mers et limitation des barrières douanières, réduction des armements nationaux (troisième et quatrième points). En héritier des "Pères fondateurs" des Etats-Unis, il consacre plusieurs points de son projet au droit des peuples colonisés de disposer d'eux-mêmes, ou aux tracés de frontières "selon les limites des nationalités", ce qui provoquera des différends avec les Anglais, les Français et les Italiens qui avaient, dès le Traité de Londres, établi un plan de partage de l'empire ottoman et sont bien décidés à se partager les anciens territoires coloniaux et zones d'influences allemandes.
Mais dans l'ensemble, la presse française témoigne son approbation, les uns parce qu'ils sont persuadés que le président Wilson vient d'annoncer un monde nouveau, débarrassé du fléau de la guerre, les autres parce qu'ils croient que le généreux programme américain ne sera appliqué qu'après le succès des armées alliées, tous parce qu'ils ont surtout retenu du message présidentiel le point 8, celui qui a trait à l'Alsace-Lorraine.
Mais le gouvernement français craint que ce programme ne renforcer l'opposition à la politique du cabinet Clemenceau. En effet, les journaux socialistes approuvent le président américain avec enthousiasme.: "Ce sera l'honneur du président Wilson d'avoir, par ses messages répétés, obligé les nations de l'Entente à conformer leurs aspirations nationales à la justice." (Albert Thomas dans l'Information). La presse modérée s'inquiète: "Les socialistes et quelques autres penseurs prétendent nous imposer (...) la Société des Nations comme une chose révélée, échappant par là à la discussion et au doute." (Alfred Capus dans le Figaro). Et Paris invite discrètement le président Wilson à ne pas manifester des sympathies excessives à l'égard des socialistes et à soutenir la politique de Clemenceau. Entre le président du Conseil et le président des États-Unis des rapports complexes s'établissent. La France a besoin des troupes, du matériel, des dollars des États-Unis pour faire la guerre. L'Amérique, même si elle préfère Albert Thomas à Clemenceau, ne veut pas être le champion des mouvements révolutionnaires. Le réalisme les pousse donc à s'entendre ...
Certains points du programme de Thomas Woodrow Wilson serviront de base au Traité de Versailles de 1919. Mais Woodrow Wilson commet l’erreur de se rendre personnellement en France pour négocier le traité de paix et s’enlise dans des considérations assez éloignés de l’idéalisme affiché des 14 points. Au total, le Traité de Versailles aboutit aux objectifs inverses que souhaitait remplir Wilson. L’Allemagne se vit infliger d’importantes sanctions territoriales (perte de 13% de son territoire et de ses colonies), une sévère restriction militaire (une armée de 100.000 hommes avec une marine symbolique) et d’importantes compensations économiques. Et il réussit paradoxalement à renforcer le rôle géopolitique de l’Allemagne par la création d’une multitude d’Etats dont la puissance était insuffisante pour contenir les ambitions renaissantes de l’Allemagne.
Paradoxe : le Congrès des États-Unis refusera de signer ce traité ainsi que d'entrer dans la Société des Nations, certains de ses membres faisant ainsi payer à Wilson son refus de soutenir la cause indépendantiste du Sinn Fein irlandais.
Résumé des Quatorze Points :
I. Traités de paix conclus lors de négociations en pleine lumière, afin de mettre un terme à la diplomatie secrète.
II. Liberté de navigation sur les océans, à l'extérieur des eaux territoriales, à l'exception des zones fermées dans le cadre de l'application de traités internationaux.
III. Abolition, autant que possible, de toutes barrière douanières et l'instauration de conditions de commerces équitables au sein de toutes les nations consentantes à la paix et associés en vue de la préserver.
IV. Garanties que chaque nation s'engagera à réduire l'armement national au niveau le plus bas possible, compte tenu des exigences de leur sécurité domestique.
V. Règlement des conflits coloniaux, respectant le bien-être des populations concernées aussi bien que l'intérêt des nations colonisatrices.
VI. Évacuation des territoires russes occupés et règlement des questions relatives à la Russie favorable à son auto-détermination politique et à son insertion dans la société des nations libres.
VII. La Belgique devra être évacuée et retrouver son entière souveraineté.
VIII. Évacuation et rétablissement de tous les territoires français occupés, retour de l'Alsace-Lorraine à la France.
IX. Rectification des frontières italiennes sur une base nationaliste.
X. Autonomie des peuples composant l'Empire austro-hongrois.
XI. Évacuation de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro et restitution des territoires occupés; libre accès à la mer pour la Serbie; rectification des frontières dans les Balkans pour favoriser les aspirations nationales et historiques.
XII. Souveraineté pour la portion turque de l'Empire ottoman ; autonomie des états non-turcs ; liberté de passage dans le Bosphore et les Dardanelles.
XIII. Création d'un état polonais indépendant, avec libre accès à la mer.
XIV. Création d'une Société des Nations assurant l'indépendance politique et l'intégrité des États petits et grands.
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vendredi, 28 décembre 2007
La première séance ...
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mardi, 20 novembre 2007
Il y a 30 ans, Sadate à Jérusalem ...
Aucun rappel à la radio, à la télé, et pourtant, il y a 30 ans, le 19 novembre 1977, le président égyptien Anouar el-Sadate stupéfiait le monde entier en se rendant à Jérusalem pour y rencontrer le Premier ministre, Menahem Begin
“Un seul homme armé de courage vaut une majorité”, disait Andrew Jackson, eh bien Sadate était cet homme! Il était, comme il l’avait dit lui-même, allé “jusqu’au bout du monde”
Quelques jours plus tôt, le 9 novembre 1977, le président égyptien Anouar el-Sadate lance une "bombe" en pleine Assemblée nationale : "Je suis prêt à aller au bout du monde. Je suis prêt à aller dans leur pays, même à la Knesset, pour m'entretenir avec eux". Sadate vient d'appuyer sur l'accélérateur, et c'est l'Histoire qui s'emballe ... Yasser Arafat, présent, applaudit à tout rompre. Les conseillers du raïs sont atterrés, les Américains, consternés. Les analystes, sceptiques : Sadate bluffe, Sadate fanfaronne ! Mais les Israéliens prennent le président égyptien au mot et l'invitent à Tel-Aviv.
Cette visite est la première jamais effectuée par un chef d'Etat arabe en Israël depuis sa création en 1948. Accueilli à son arrivée par les membres du gouvernement, il se rend alors à la Knesset, à Jérusalem, où il prononce un discours qualifié d'historique : "Je suis venu à vous aujourd'hui sur deux pieds assurés, afin que nous puissions construire une vie nouvelle, afin que nous puissions établir la paix pour nous tous sur cette terre, la terre de Dieu - nous tous, musulmans, chrétiens et juifs [...].
Le destin a voulu que mon voyage - une mission de paix - coïncide avec la fête musulmane d'Al-Adha, la fête du sacrifice consenti quand Abraham - l'ancêtre des Arabes et des Juifs - obéit au commandement de Dieu et se remit à Lui, non par faiblesse mais par force spirituelle et dans une totale liberté, accepta de sacrifier son fils avec une foi inébranlable, établissant ainsi pour nous des idéaux qui donnent à la vie une profonde signification… le premier fait est qu'il ne peut y avoir de bonheur pour quiconque au prix du malheur d'autrui [...].
Vous voulez vivre avec nous dans cette région du monde, et je vous le dis en toute sincérité : nous vous accueillerons avec plaisir parmi nous, en sûreté et en sécurité [...].
Devant la Knesset, Sadate réitère fermement les conditions traditionnelles de l'Égypte pour arriver à une paix durable. Il exige le retrait total des territoires occupés par Israël depuis 1967 et réaffirme qu'il n'y aura pas de paix séparée avec l'État hébreu sans les Palestiniens.
Je vous le dis, en vérité, que la paix ne sera réelle que si elle est fondée sur la justice et non sur l'occupation des terres d'autrui. Il n'est pas admissible que vous demandiez pour vous-mêmes ce que vous refusez aux autres [...].
En toute honnêteté, je vous dis que la paix ne peut être obtenue sans les Palestiniens. Ce serait une grossière erreur, dont les conséquences seraient imprévisibles, que de détourner nos yeux du problème ou de le laisser de coté [...].
Si vous avez trouvé la justification légale et morale de l'établissement d'une patrie nationale sur un territoire qui n'était pas le vôtre, alors il vaut mieux que vous compreniez la détermination du peuple palestinien à établir son propre Etat, une fois de plus, dans sa patrie. Quand quelques extrémistes demandent que les Palestiniens abandonnent cet objectif suprême, cela signifie en réalité qu'on leur demande d'abandonner leur identité, et tous leurs espoirs pour l'avenir [...].
Permettez-moi de résumer la réponse à la question "Qu'est-ce que la paix pour Israël ?" La réponse est qu'Israël devrait vivre à l'intérieur de ses frontières, à coté de ses voisins arabes, en sécurité et en paix, dans le cadre de garanties acceptables que l'autre coté obtiendra également. Comment cela peut-il être réalisé ? Comment pouvons-nous arriver à ce résultat pour obtenir une paix permanente et juste ? Voici les faits auxquels on doit faire face avec courage et clarté. Il y a de la terre arabe qu'Israël a occupée et qu'il continue à occuper par la force des armes. Nous insistons sur un retrait complet de ce territoire arabe, y compris Jérusalem arabe, Jérusalem où je suis venu comme dans une cité de paix, la cité qui a été et qui sera toujours l'incarnation vivante de la coexistence entre les fidèles des trois religions [...].
Il est inacceptable que quiconque puisse penser à la position de Jérusalem en termes d'annexion ou d'expansion. Jérusalem doit être une ville libre, ouverte à tous les fidèles [...].
J'ai déclaré plus d'une fois qu'Israël est devenu un fait que le monde a reconnu et dont la sécurité et l'existence ont été garanties par les deux superpuissances [...].
Nous déclarons même que nous acceptons toutes les garanties internationales que vous pourriez imaginer, d'où qu'elles viennent [...].
L'expérience de l'histoire nous enseignera peut-être, à nous tous, que les fusées, les navires de guerre et les armes nucléaires ne peuvent établir la sécurité, mais, au contraire, détruisent tout ce qu'elle bâtit [...].
" La paix n’est pas une manipulation de slogans qui la réclament afin de défendre des convoitises ou de dissimuler des ambitions. La paix, dans son essence, est opposée à toutes les convoitises et toutes les ambitions [...].
La paix n'est pas seulement une signature apposée sous un texte. C'est une nouvelle écriture de l'Histoire." (source : http://medintelligence.free.fr/crisesMO.htm )
Discours sadate à la knesset le 20/11 (en anglais) http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/Peace/sadat_s...
"Non, monsieur, nous n’avons pris aucune terre étrangère. Nous sommes revenus dans notre patrie". La réponse du Premier ministre israélien n’apporte aucune ouverture de paix. Begin réitère la position de son pays qui refuse catégoriquement de reconnaître un État palestinien indépendant mais suggère que "tout puisse devenir négociable". Il propose donc un projet d’autonomie pour les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza qui pourront gérer leurs affaires économiques et civiles; Israël sera responsable de la sécurité.
Même si la visite de Sadate en sol israélien n'amène pas la paix dans la région, elle lève une barrière psychologique importante. Par contre, le rapprochement de l'Égypte avec Israël entraîne une vive condamnation de la plupart des gouvernements arabes. L'initiative de Sadate attire l'attention du monde entier, mais aggrave également la fracture au sein du monde arabe. Ce que les Arabes reprochent au président Sadate, c’est de ne pas avoir respecté la décision prise en commun, au lendemain de 1973, de n’accepter qu’une paix globale en échange d’un retrait total des territoires occupés en 1967 et la création d’un État palestinien. L’Algérie, la Libye, l’OLP, la Syrie et le Sud-Yémen constituent le Front de la fermeté et considèrent la visite de Sadate comme un acte de "haute trahison". Dans les territoires occupés, l’opposition s’affirme également : les maires des principales villes dénoncent toute initiative qui ignorerait l’OLP. Et lorsque le président égyptien invite les parties impliquées dans le conflit moyen-oriental à une conférence en décembre en Égypte, cinq de ses voisins refusent l'invitation et dénoncent les positions égyptiennes.
Le 5 décembre 1977, l'Égypte rompt ses relations avec l'Algérie, l'Iraq, la Libye, la Syrie et le Yémen sud. Néanmoins, les pourparlers se poursuivent avec Israël qui fait connaître ses propositions : évacuation du Sinaï, maintient des colons sous la protection de l’ONU et d’Israël, report de toute discussion sur les territoires occupés. Le 25 décembre, une rencontre entre Sadate et Begin aboutit à une impasse.
Les négociations continuent cependant, longues, laborieuses, et l'intervention du président américain Jimmy Carter sont à plusieurs reprises nécessaires, et ce n'est qu'en juillet 1978, à la conférence tripartite de Leeds qui réunit les ministres des Affaires étrangères d'Israël, d'Égypte et des États-Unis, que l'on commence à entrevoir une solution.
Le 5 septembre 1978, Jimmy Carter convoque Sadate et Begin pour un sommet à Camp David.
Le 17 septembre 1978, les deux États signent des accords de paix qui comprennent deux "accords-cadres" :
· le premier concerne la conclusion de la paix entre l’Égypte et Israël : en échange de l’établissement de relations normales entre l’Égypte et Israël, Begin s’engage à rendre aux Egyptiens.par étape toute la péninsule du Sinaï occupé en 1973 (l’Égypte récupérera le Sinaï le 25 avril 1982) et à y démanteler ses implantations de colons. L’Égypte ne peut y effectuer qu’un déploiement militaire limité. L'Egypte permet en outre à Israël d'emprunter le Canal de Suez.
· en revanche, dans le second texte consacré aux Palestiniens, "Cadre pour la paix au Proche-Orient", si Israël a dû accepter que la résolution 242 reste le cadre de référence des négociations, pour la Cisjordanie et Gaza, les parties appellent à la conclusion d’accords transitoires d’un période de cinq ans. Le processus proposé est mort-né, et c’est en vain que l’Égypte tente d’entraîner la Jordanie et l’OLP dans la négociation, et, le 19 septembre, l’OLP condamne la "reddition" de Sadate et son passage du côté des intérêts américano-israéliens.
La question de l’autonomie palestinienne est donc reléguée en annexe, ce qui satisfait le Premier ministre israélien, qui, quelques jours auparavant, à la Knesset, affirme : "Israël ne reviendra jamais aux frontières d’avant la guerre de 1967, Israël ne permettra jamais que soit créé un État palestinien en Cisjordanie. Jérusalem, une et réunifiée, restera pour l’éternité la capitale d’Israël". La Syrie prend la tête de l’opposition au président Sadate. Yasser Arafat déclare que ""la Palestine a été vendue, et les droits nationaux du peuple palestinien ont été vendus pour une poignée de sable du Sinaï".
Ces accords séparés, qui ne règlent donc pas la question palestinienne, isolent donc l'Égypte pour un temps, mais un tabou est brisé, les ennemis commencent à se parler ... et à la Knesset, Bégin conclut, après la présentation du texte de ces accords : "La nation subit les contractions d’une naissance. Toute grande chose naît dans la douleur...Pour cette paix, nous avons sacrifié douze mille de nos fils, parmi les meilleurs, au cours de cinq guerres .Nous voulons mettre fin à cela. Adoptons la résolution et commençons à discuter".
Le 10 décembre 1978, Menahem Bégin et Anouar el.Sadate reçoivent le prix Nobel de la paix.
Les négociations reprennent ensuite avec lenteur, et le traité de paix définitif est signé le 26 mars 1979 à Washington.
Du 27 au 31 mars 1979, une nouvelle conférence arabe déclare que l’appartenance de l’Égypte à la Ligue arabe est suspendue. Le 12 juin 1979, le siège de la Ligue arabe est transféré à Tunis. (Mais, en 1987, au sommet d’Amman, les dirigeants arabes décideront de renouer leurs relations diplomatiques avec l’Égypte, qui est réintégrée au sein de l’organisation en 1989. Le siège de la Ligue regagne alors la capitale égyptienne).
Les négociations sur l'autonomie palestinienne s’ouvrent le 25 mai 1979. Les négociateurs ne parviennent pas à s’entendre, ce qui conduit progressivement à une crise.
Le premier échange d'ambassadeurs entre Israël et l'Egypte a lieu en février 1980.
Le 14 mai 1980, Jérusalem-Est est annexée par la Knesset. En multipliant les créations de colonies et les expropriations de terres palestiniennes, le gouvernement israélien entend isoler les villes palestiniennes les unes des autres ; en outre, un réseau de routes nouvelles quadrille la Cisjordanie afin de relier les colonies entre elles. Les autorités israéliennes s’emparent des ressources hydrauliques et prennent le contrôle de la distribution d’électricité. L’objectif de Begin est clair : gagner du temps pour modeler en Cisjordanie des réalités nouvelles qui videront de toute signification l’autonomie palestinienne, si jamais elle voit le jour. Il déclare que "la Palestine tout entière appartient au peuple juif. C’est le droit de chaque juif de s’installer là où il le désire sur ce territoire".
Le 6 octobre 1981, le président Sadate était assassiné par des extrémistes musulmans, et Hosni Moubarak lui succédait. De ses funérailles, on retiendra une image marquante, celle de quatre présidents américains (Reagan alors en fonction, Carter, Nixon et Ford) présents au Caire, alors qu’aucun chef d’Etat du monde arabe n’a fait le déplacement. Tout un symbole, en forme de cinglant désaveu.
30 ans après ...
D'après un rapport de l'organisation non gouvernementale israélienne La Paix maintenant, publié le mercredi 7 novembre, la construction de nouvelles implantations bat toujours son plein dans les territoires palestiniens ... Citant les chiffres officiels du bureau israélien central des statistiques, La Paix maintenant indique qu'il y a désormais 267 500 Israéliens vivant dans les colonies (sans compter les habitants des quartiers de colonisation situés à l'est de Jérusalem) et que l'augmentation s'effectue au rythme annuel de 5,8 % alors que la progression démographique n'est que de 1,8 % en Israël.
"Si cela continue, il n'y aura plus d'Etat palestinien mais un Etat de colons", a souligné Yariv Oppenheimer, secrétaire général de l'organisation La Paix maintenant. En effet, au fur et à mesure que le temps passe, la Cisjordanie est grignotée par la colonisation, ce qui rend de plus en plus improbable la création d'un Etat palestinien auquel doit normalement aboutir le processus qui sera engagé lors de la réunion israélo-palestinienne qui doit se tenir le 26 novembre aux Etats-Unis, à Annapolis. La réunion d'Annaplois est censée relancer les négociations israélo-palestinienne, dans l'impasse depuis sept ans ...
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dimanche, 04 novembre 2007
Buffon et Linné, éternels rivaux de la biologie ?
Historiquement, Buffon et Linné ont marqué de façon décisive l’histoire des sciences de la vie. Ces deux naturalistes du XVIIIe siècle entreprirent de mettre un peu d’ordre dans le foisonnement des espèces vivantes.
Carl von Linné (1707-1778), médecin et botaniste suédois, s’attacha à classifier les trois règnes, animal, végétal et minéral. Il s’était fixé pour objectif de répertorier l’ensemble du règne végétal et animal en le classifiant selon le principe d’une nomenclature binominale en latin, toujours en vigueur, malgré les innombrables modifications imposées par les nouvelles découvertes de la science. Dans ce système, chaque être vivant est systématiquement identifié par deux noms. Le premier s’écrivant avec une majuscule, correspondant à un "genre" (par exemple "Homo" pour l’homme) et le second (avec une minuscule) à une espèce "sapiens" pour l’homme moderne, "habilis" pour le plus ancien humain fossile, etc.). Ce nom en latin, compréhensible dans le monde entier, a ainsi permis aux botanistes du monde entier de s'affranchir des noms locaux et d'échanger des graines ou des informations de manière plus sûre. En 1735, le scientifique suédois Carl Linné présenta pour la première fois son système de classification à partir des caractéristiques sexuelles des plantes
Le second, Georges Louis Leclerc, comte de Buffon (1707 - 1788), était adversaire des classifications car il estimait les êtres vivants trop complexes pour être classés selon quelques caractères comme l’avait fait son confrère suédois. Il ébaucha une théorie de l’évolution. Il écrivit une Histoire naturelle du monde, où il étudia et décrivit les êtres vivants, mais s’attacha peu à en classer les éléments. Il nota systématiquement pour chacune des espèces ses traits caractéristiques, son environnement, les mœurs de chaque individu qu’il avait observé. Ainsi, il décrivit le cheval comme "la plus noble conquête que l’homme", le lion "roi des animaux" et sous sa plume, le chat devint "un domestique infidèle" avec "un caractère faux" qu'on ne conserve que pour mieux l'opposer à la souris, "encore plus incommode"... Mais si ces descriptions font aujourd’hui sourire, Buffon n’en a pas moins fait de nombreuses observations pertinentes en signalant, par exemple, que "les chauve-souris n’ont de commun que le vol avec les oiseaux". Il a influencé des générations de naturalistes, parmi lesquels notamment Jean-Baptiste de Lamarck et Charles Darwin, et a posé les bases de la réflexion écologique.
Si, depuis trois cents ans, le monde scientifique les oppose, par un clin d’oeil de l’histoire, les deux hommes se sont retrouvés unis à l'occasion du tricentenaire de leur naissance, alors qu’ils ne se sont jamais rencontrés de leur vivant et qu’ils ne s’appréciaient guère et se critiquaient vertement. Mais le recul montre que leurs approches étaient complémentaires.
Ainsi L’exposition "Buffon et Linné, un regard croisé sur la nature" organisée par le Muséum d’histoire naturelle de Paris les réunit sur les grilles du Jardin des Plantes. Le long des grilles de l'école de botanique, 21 reproductions d'aquarelles, de gravures, de documents de "l'Histoire naturelle" de Buffon issus de la Bibliothèque centrale du Muséum, succèdent aux macrophotographies d'étamines et de pistils de la photographe suédoise Helene Schmitz, qui a cherché à illustrer la classification linnéenne, réconciliant les deux admirateurs de la nature. À découvrir aussi, le "Jardin de Buffon" où germent les nombreuses plantes introduites dans le Jardin du Roy au cours du XVIIIe siècle : l'héliotrope du Pérou, le kiwi de Chine ou encore l'hortensia japonais. En s'entourant des meilleurs botanistes (André Michaux, Joseph Jussieu...), Buffon avait réussi à créer ce qui fut le premier jardin botanique de son époque. Un parcours historique se poursuit dans le Jardin des Plantes.
A Lyon, le Jardin botanique de la Ville, l’Université Claude Bernard-Lyon I et la Société Linnéenne de Lyon proposent une exposition intitulée « Explorer et classer : la quête scientifique », du 18 octobre 2007 au 6 janvier 2008.
Quels sont les systèmes ingénieux que l’homme a mis au point pour collecter ? Comment décrit-on et nomme-t-on une espèce ? Quels sont les critères permettant de classer un objet ou un être vivant ? Au cours de l’exposition, on découvre comment et surtout pourquoi l’on classe le monde environnant : classer pour améliorer la connaissance et la conservation de la biodiversité; classer pour comprendre l’évolution de la vie et la parenté entre les êtres vivants; ou encore classer pour mettre en œuvre des projets de développement durable. Au travers d’exemples historiques, ludiques, actuels, on peut appréhender l’importance des classifications, l’éclairage qu’elles apportent sur le monde, mais aussi leur côté arbitraire et leurs limites.
Et dans l'orangerie du parc, on peut admirer des objets scientifiques, herbiers, animaux naturalisés, ouvrages anciens ... comprendre la démarche scientifique à l'aide de jeux ou de films et participer à de nombreuses animations
A lire :
· Gallimard réédite l'œuvre monumentale de Buffon, publiée pour la première fois en 36 volumes entre 1749 et 1788. Les plus grands naturalistes qui succèderont à Buffon, comme Lacépède ou Cuvier, par exemple, réimprimeront une quarantaine de fois ses œuvres complètes rivalisant avec L’Encyclopédie de Diderot.
· Les fondements de la botanique: Linné et sa classification par Giulio Barsanti, Pietro Corsi, Jean-Marc Drouin... sous la direction de Thierry Hoquet; avec le concours de Gérald Dubois B.Biblio. (Vuibert – 2005)
· Linné : le rêve de l'ordre dans la nature par Hélène Schmitz, Nils Uddenberg et Michel Laurin (Belin – 2007)
· Buffon: la nature en majesté par Yves Laissus (Gallimard – 2007)
· Buffon illustré: les gravures de l'Histoire naturelle (1749-1767) par Thierry Hoquet (Éditeur : Muséum national d'histoire naturelle – 2007) Contient les fac-simile. de l'ensemble des planches de Jacques de Sève et Buvée "l'Américain" illustrant illustrant les quinze premiers volumes de l'"Histoire naturelle" de Buffon, édités entre 1749 et 1767.
· Buffon/Linné : Éternels rivaux de la biologie ? par Thierry Hoquet (Dunod – 2007)
18:42 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
mercredi, 17 octobre 2007
Il y a 50 ans, le gouvernement le plus court !!!
Nommé président du Conseil le 17 octobre 1957, Antoine Pinay ne sera pas investi par l'Assemblée Nationale et il démissionnera le 18. Son gouvernement n'aura duré qu'une journée !!! Le 22 octobre, Guy Mollet lui succédera comme Président du Conseil ... pour 6 jours !
Retour sur l'année 1957 ... Le 7 janvier 1957, le gouvernement français confie au général Jacques Massu les pleins pouvoirs de police sur le Grand Alger. 8 000 hommes de la dixième division parachutiste de retour d’Égypte, où ils ont participé à la campagne de Suez, entrent dans Alger avec pour mission de "pacifier" la ville. La division est commandé par le Général Jacques Massu, à qui Robert Lacoste vient de donner les pleins pouvoirs, assisté des colonels Marcel Bigeard, Roger Trinquier et Yves Godard. Les parachutistes traquent les terroristes dans toute l'agglomération et pratiquent la torture pour faire parler les personnes suspectes d'avoir caché des bombes. Ils se justifient de leurs actes au nom de la nécessité. C'est le début de la "bataille d'alger"
La presse publie des témoignages qui dénoncent la torture, les exécutions sommaires de suspects, les jugements expéditifs par les tribunaux militaires, les centres de détention clandestins, etc. ... le 21 juillet, une commission d'enquête rend un rapport accablant, le quotidien Le Monde le publie le 6 octobre, ce qui lui vaut d'être saisi.
Sur le plan politique, en 1956 le gouvernement de Guy Mollet veut faire progresser l’intégration administrative de l'Algérie en remplaçant le gouverneur général par un ministre résident, en dissolvant l’Assemblée algérienne et en multipliant les communes, les arrondissements et les départements, sans toutefois procéder à des élections pour cause d’insécurité. Mais il propose aussi un nouveau statut à négocier entre le gouvernement français et les futurs élus des Algériens, devant concilier la "personnalité algérienne" et le maintien de "liens indissolubles" avec la France. Les divisions déchirent les partis, provoquent la rupture de la majorité de Front républicain au pouvoir depuis janvier 1956, et le retour à l'instabilité ministérielle des législatures précédentes Abandonné par la droite qui lui reproche sa politique financière et sociale, le gouvernement Mollet, qui lui, détient le record de longévité de la IVe République (16 mois ...) est mis en minorité par l'Assemblée nationale sur des mesures fiscales et démissionne en mai 1957. Il est remplacé par le gouvernement de Maurice Bourgès-Maunoury
Pendant ce temps le ministre résident Robert Lacoste élabore un projet de "loi-cadre", qui maintient l’Algérie sous la souveraineté de la France, mais qui la divise en territoires autonomes fédérés entre eux, dotés d’assemblées territoriales et d’une assemblée fédérative élues au suffrage universel dans un collège unique. Ce projet, approuvé en conseil des ministres le 13 septembre 1957, inquiète les Français d’Algérie et les défenseurs de l’intégration pure et simple. Le 30 septembre le projet est repoussé essentiellement par les communistes, les poujadistes et les gaullistes par 279 voix contre 253 et est refusée par le FLN. Le gouvernement Bourgès-Maunoury démissionne.
Son successeur Félix Gaillard fera adopter le 31 janvier 1958 un projet amendé, qui équilibre les assemblées élues au collège unique par des conseils représentant paritairement deux collèges homogènes suivant le statut civil "de droit commun" ou "de droit local" (musulman ou berbère). Mais cette loi-cadre ne sera jamais appliquée, à cause du renversement de la IVème République.
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mardi, 16 octobre 2007
il y a cinquante ans, le prix Nobel de littérature était attribué à Albert Camus
Après une conférence de presse donnée par Albert Camus à l'Ambassade de France à Stockholm le 9 décembre 1957, au cours de laquelle il évoquera entre autres les raisons de son départ de Combat, son adaptation des Possédés de Dostoïevski, la possibilité d'une communauté franco-musulmane en Algérie, son " optimisme indéracinable ", sa référence à saint Augustin et Pascal à l'égard du " sacré ", à la tradition classique française ; ou bien encore son sentiment de " fraternité " avec Simone Weil et René Char et son admiration pour l'oeuvre d'André Malraux, son discours d'acceptation du prix Nobel 1957 a été prononcé le lendemain, à l'Hôtel de Ville de Stockholm.
Sire, Madame, Altesses Royales, Mesdames, Messieurs,
En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m'honorer, ma gratitude était d'autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m'a pas été possible d'apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d'une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l'amitié, n'aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d'un coup, seul et réduit à lui-même, au centre d'une lumière crue ? De quel cœur aussi pouvait-il recevoir cet honneur à l'heure où, en Europe, d'autres écrivains, parmi les plus grands, sont réduits au silence, et dans le temps même où sa terre natale connaît un malheur incessant ?
J'ai connu ce désarroi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m'a fallu, en somme, me mettre en règle avec un sort trop généreux. Et, puisque je ne pouvais m'égaler à lui en m'appuyant sur mes seuls mérites, je n'ai rien trouvé d'autre pour m'aider que ce qui m'a soutenu tout au long de ma vie, et dans les circonstances les plus contraires : l'idée que je me fais de mon art et du rôle de l'écrivain. Permettez seulement que, dans un sentiment de reconnaissance et d'amitié, je vous dise, aussi simplement que je le pourrai, quelle est cette idée.
Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S'il m'est nécessaire au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l'artiste à ne pas se séparer ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent apprend bien vite qu'il ne nourrira son art, et sa différence, qu'en avouant sa ressemblance avec tous. L'artiste se forge dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher. C'est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s'obligent à comprendre au lieu de juger. Et s'ils ont un parti à prendre en ce monde ce ne peut être que celui d'une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge, mais le créateur, qu'il soit travailleur ou intellectuel.
Le rôle de l'écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Ou sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie avec leurs millions d'hommes ne l'enlèveront pas à la solitude, même et surtout s'il consent à prendre leur pas. Mais le silence d'un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l'autre bout du monde, suffit à retirer l'écrivain de l'exil chaque fois, du moins, qu'il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence, et à le relayer pour le faire retentir par les moyens de l'art.
Aucun de nous n'est assez grand pour une pareille vocation. Mais dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s'exprimer, l'écrivain peut retrouver le sentiment d'une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu'il accepte, autant qu'il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté. Puisque sa vocation est de réunir le plus grand nombre d'hommes possible, elle ne peut s'accommoder du mensonge et de la servitude qui, là où ils règnent, font proliférer les solitudes. Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s'enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l'on sait et la résistance à l'oppression.
Pendant plus de vingt ans d'une histoire démentielle, perdu sans secours, comme tous les hommes de mon âge, dans les convulsions du temps, j'ai été soutenu ainsi : par le sentiment obscur qu'écrire était aujourd'hui un honneur, parce que cet acte obligeait, et obligeait à ne pas écrire seulement. Il m'obligeait particulièrement à porter, tel que j'étais et selon mes forces, avec tous ceux qui vivaient la même histoire, le malheur et l'espérance que nous partagions. Ces hommes, nés au début de la première guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment où s'installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires, qui furent confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d'Espagne, à la deuxième guerre mondiale, à l'univers concentrationnaire, à l'Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd'hui élever leurs fils et leurs œuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire. Personne, je suppose, ne peut leur demander d'être optimistes. Et je suis même d'avis que nous devons comprendre, sans cesser de lutter contre eux, l'erreur de ceux qui, par une surenchère de désespoir, ont revendiqué le droit au déshonneur, et se sont rués dans les nihilismes de l'époque. Mais il reste que la plupart d'entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d'une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l'instinct de mort à l'œuvre dans notre histoire.
Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la servante de la haine et de l'oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d'elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d'établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu'elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d'alliance. Il n'est pas sûr qu'elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l'occasion, sait mourir sans haine pour lui. C'est elle qui mérite d'être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C'est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond, je voudrais reporter l'honneur que vous venez de me faire.
Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d'écrire, j'aurais remis l'écrivain à sa vraie place, n'ayant d'autres titres que ceux qu'il partage avec ses compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, sans cesse partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu'il essaie obstinément d'édifier dans le mouvement destructeur de l'histoire. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu'exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d'avance de nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain, dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? Quant à moi, il me faut dire une fois de plus que je ne suis rien de tout cela. Je n'ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d'être, à la vie libre où j'ai grandi. Mais bien que cette nostalgie explique beaucoup de mes erreurs et de mes fautes, elle m'a aidé sans doute à mieux comprendre mon métier, elle m'aide encore à me tenir, aveuglément, auprès de tous ces hommes silencieux qui ne supportent, dans le monde, la vie qui leur est faite que par le souvenir ou le retour de brefs et libres bonheurs.
Ramené ainsi à ce que je suis réellement, à mes limites, à mes dettes, comme à ma foi difficile, je me sens plus libre de vous montrer pour finir, l'étendue et la générosité de la distinction que vous venez de m'accorder, plus libre de vous dire aussi que je voudrais la recevoir comme un hommage rendu à tous ceux qui, partageant le même combat, n'en ont reçu aucun privilège, mais ont connu au contraire malheur et persécution. Il me restera alors à vous en remercier, du fond du cœur, et à vous faire publiquement, en témoignage personnel de gratitude, la même et ancienne promesse de fidélité que chaque artiste vrai, chaque jour, se fait à lui-même, dans le silence.
Et aussi, un autre merveilleux discours, avec la voix de l'écrivain
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