vendredi, 18 janvier 2008
Le bal des faux culs
Alors que l’on s’apprête à enterrer le vote du 29 mai 2005, je reprends à mon compte ce titre de Politis car certains de mes camarades socialistes continuent vraiment à nous prendre pour des cons!
Entre Manuel Valls et Jacques Lang qui votent les yeux fermés le nouveau traité, Ségolène Royal qui renie sans vergogne ses engagements de campagne, il existe heureusement encore des camarades qui ont le sens de la légitimité démocratique et sauvent un peu l’honneur du PS. En effet, 51 députés PS, dont Laurent Fabius, Henri Emmanuelli, Arnaud Montebourg et Michel Vauzelle ont voté contre afin de protester contre la décision du président Nicolas Sarkozy de passer par la voie parlementaire pour ratifier le nouveau traité et non par référendum.
Henri Emmanuelli, lui, ne mâche pas ses mots dans l’interview qu’il donne au journal Libération de mardi. Revenant sur le boycott du Congrès, il juge cette position « incompréhensible ». Pour lui, il ne fait aucun doute qu’il faut aller à Versailles pour voter non à la révision de la constitution afin d’exiger un référendum sur le nouveau traité. Qu’il parle de Jean-Marc Ayrault, François Hollande ou Ségolène Royal, Emmanuelli n’est pas tendre. « Je sais que ceux qui l’ont menée (ndlr : la campagne) pour le oui n’ont jamais admis le vote du peuple français. Mais qu’ils aient le courage de le dire et qu’ils arrêtent d’expliquer que ceux qui veulent le faire respecter sont des tacticiens. » Et on comprend pourquoi Henri Emmanuelli veut proposer que lors du prochain congrès socialiste, « le futur ou la future secrétaire s’achète une boussole ». Si c’est pour se diriger vers la droite, nul besoin. Le PS est pour l'instant dans la bonne direction.
A lire aussi "la peur du peuple" l'édito de Denis Siffert dans Politis
Et pour finir, une petite citation : "On ne ment jamais autant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse." (Otto von Bismarck)
02:42 Publié dans chronique à gauche, coup de gueule, mobilisation | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook |
mardi, 08 janvier 2008
"The world must be made safe for democracy"
Il y a 90 ans, le 8 Janvier 1918, le président américain Thomas Woodrow Wilson énonce, dans un discours retentissant, un programme en Quatorze Points pour mettre fin à la Grande Guerre.
Désormais il n'est plus seulement l'homme qui apporte à l'Europe le concours américain, il devient l'organisateur de la paix de demain, celui qui tiendra une place primordiale dans la reconstruction des relations internationales.
Déçu par l'attitude des nations en guerre, il récuse l’idée d’une diplomatie fondée sur l’équilibre des puissances qu’il considère comme la marque même de la décadence européenne, et veut mettre en place un nouvel ordre international fondé sur des appréciations morales et juridiques et non plus sur des considérations géopolitiques, un "nouveau monde" capable d'éviter les guerres.
S'alliant aux courants libéraux, il se pose donc en promoteur d'une diplomatie ouverte et propose la création d'une Société des Nations (premier et dernier points de son discours) en relation avec un libéralisme économique : liberté des mers et limitation des barrières douanières, réduction des armements nationaux (troisième et quatrième points). En héritier des "Pères fondateurs" des Etats-Unis, il consacre plusieurs points de son projet au droit des peuples colonisés de disposer d'eux-mêmes, ou aux tracés de frontières "selon les limites des nationalités", ce qui provoquera des différends avec les Anglais, les Français et les Italiens qui avaient, dès le Traité de Londres, établi un plan de partage de l'empire ottoman et sont bien décidés à se partager les anciens territoires coloniaux et zones d'influences allemandes.
Mais dans l'ensemble, la presse française témoigne son approbation, les uns parce qu'ils sont persuadés que le président Wilson vient d'annoncer un monde nouveau, débarrassé du fléau de la guerre, les autres parce qu'ils croient que le généreux programme américain ne sera appliqué qu'après le succès des armées alliées, tous parce qu'ils ont surtout retenu du message présidentiel le point 8, celui qui a trait à l'Alsace-Lorraine.
Mais le gouvernement français craint que ce programme ne renforcer l'opposition à la politique du cabinet Clemenceau. En effet, les journaux socialistes approuvent le président américain avec enthousiasme.: "Ce sera l'honneur du président Wilson d'avoir, par ses messages répétés, obligé les nations de l'Entente à conformer leurs aspirations nationales à la justice." (Albert Thomas dans l'Information). La presse modérée s'inquiète: "Les socialistes et quelques autres penseurs prétendent nous imposer (...) la Société des Nations comme une chose révélée, échappant par là à la discussion et au doute." (Alfred Capus dans le Figaro). Et Paris invite discrètement le président Wilson à ne pas manifester des sympathies excessives à l'égard des socialistes et à soutenir la politique de Clemenceau. Entre le président du Conseil et le président des États-Unis des rapports complexes s'établissent. La France a besoin des troupes, du matériel, des dollars des États-Unis pour faire la guerre. L'Amérique, même si elle préfère Albert Thomas à Clemenceau, ne veut pas être le champion des mouvements révolutionnaires. Le réalisme les pousse donc à s'entendre ...
Certains points du programme de Thomas Woodrow Wilson serviront de base au Traité de Versailles de 1919. Mais Woodrow Wilson commet l’erreur de se rendre personnellement en France pour négocier le traité de paix et s’enlise dans des considérations assez éloignés de l’idéalisme affiché des 14 points. Au total, le Traité de Versailles aboutit aux objectifs inverses que souhaitait remplir Wilson. L’Allemagne se vit infliger d’importantes sanctions territoriales (perte de 13% de son territoire et de ses colonies), une sévère restriction militaire (une armée de 100.000 hommes avec une marine symbolique) et d’importantes compensations économiques. Et il réussit paradoxalement à renforcer le rôle géopolitique de l’Allemagne par la création d’une multitude d’Etats dont la puissance était insuffisante pour contenir les ambitions renaissantes de l’Allemagne.
Paradoxe : le Congrès des États-Unis refusera de signer ce traité ainsi que d'entrer dans la Société des Nations, certains de ses membres faisant ainsi payer à Wilson son refus de soutenir la cause indépendantiste du Sinn Fein irlandais.
Résumé des Quatorze Points :
I. Traités de paix conclus lors de négociations en pleine lumière, afin de mettre un terme à la diplomatie secrète.
II. Liberté de navigation sur les océans, à l'extérieur des eaux territoriales, à l'exception des zones fermées dans le cadre de l'application de traités internationaux.
III. Abolition, autant que possible, de toutes barrière douanières et l'instauration de conditions de commerces équitables au sein de toutes les nations consentantes à la paix et associés en vue de la préserver.
IV. Garanties que chaque nation s'engagera à réduire l'armement national au niveau le plus bas possible, compte tenu des exigences de leur sécurité domestique.
V. Règlement des conflits coloniaux, respectant le bien-être des populations concernées aussi bien que l'intérêt des nations colonisatrices.
VI. Évacuation des territoires russes occupés et règlement des questions relatives à la Russie favorable à son auto-détermination politique et à son insertion dans la société des nations libres.
VII. La Belgique devra être évacuée et retrouver son entière souveraineté.
VIII. Évacuation et rétablissement de tous les territoires français occupés, retour de l'Alsace-Lorraine à la France.
IX. Rectification des frontières italiennes sur une base nationaliste.
X. Autonomie des peuples composant l'Empire austro-hongrois.
XI. Évacuation de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro et restitution des territoires occupés; libre accès à la mer pour la Serbie; rectification des frontières dans les Balkans pour favoriser les aspirations nationales et historiques.
XII. Souveraineté pour la portion turque de l'Empire ottoman ; autonomie des états non-turcs ; liberté de passage dans le Bosphore et les Dardanelles.
XIII. Création d'un état polonais indépendant, avec libre accès à la mer.
XIV. Création d'une Société des Nations assurant l'indépendance politique et l'intégrité des États petits et grands.
23:25 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
jeudi, 03 janvier 2008
Le ciel sur la baie
Petite ballade en baie de Somme en photos et en musique sur une chanson de jean-francois barrez avec cette vidéo trouvée sur dailymotion (réalisation Philippe Chauchoy)
22:20 Publié dans Voyage | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |
mardi, 01 janvier 2008
Les Étrennes des orphelins
I
La chambre est pleine d'ombre ; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encore alourdi par le rêve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève...
- Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux ;
Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse,
Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant...
II
Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure...
Ils tressaillent souvent à la claire voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain métallique et son globe de verre...
- Puis, la chambre est glacée...on voit traîner à terre,
Épars autour des lits, des vêtements de deuil :
L'âpre bise d'hiver qui se lamente au seuil
Souffle dans le logis son haleine morose !
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose...
- Il n'est donc point de mère à ces petits enfants,
De mère au frais sourire, aux regards triomphants ?
Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée,
D'exciter une flamme à la cendre arrachée,
D'amonceler sur eux la laine de l'édredon
Avant de les quitter en leur criant : pardon.
Elle n'a point prévu la froideur matinale,
Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?...
- Le rêve maternel, c'est le tiède tapis,
C'est le nid cotonneux où les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !...
- Et là, - c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur,
Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ;
Un nid que doit avoir glacé la bise amère...
III
Votre cœur l'a compris : - ces enfants sont sans mère.
Plus de mère au logis ! - et le père est bien loin !...
- Une vieille servante, alors, en a pris soin.
Les petits sont tout seuls en la maison glacée ;
Orphelins de quatre ans, voilà qu'en leur pensée
S'éveille, par degrés, un souvenir riant...
C'est comme un chapelet qu'on égrène en priant :
- Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
Dans quelque songe étrange où l'on voyait joujoux,
Bonbons habillés d'or, étincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !
On s'éveillait matin, on se levait joyeux,
La lèvre affriandée, en se frottant les yeux...
On allait, les cheveux emmêlés sur la tête,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête,
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher...
On entrait !... Puis alors les souhaits... en chemise,
Les baisers répétés, et la gaieté permise !
IV
Ah ! c'était si charmant, ces mots dits tant de fois !
- Mais comme il est changé, le logis d'autrefois :
Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée,
Toute la vieille chambre était illuminée ;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer...
- L'armoire était sans clefs !... sans clefs, la grande armoire !
On regardait souvent sa porte brune et noire...
Sans clefs !... c'était étrange !... on rêvait bien des fois
Aux mystères dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ouïr, au fond de la serrure
Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure...
- La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui :
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui ;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises :
Partant, point de baisers, point de douces surprises !
Oh ! que le jour de l'an sera triste pour eux !
- Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus,
Silencieusement tombe une larme amère,
Ils murmurent : « Quand donc reviendra notre mère ? »
V
Maintenant, les petits sommeillent tristement :
Vous diriez, à les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible !
Les tout petits enfants ont le cœur si sensible !
- Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux,
Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose...
- Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond,
Doux geste du réveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux se pose...
Ils se croient endormis dans un paradis rose...
Au foyer plein d'éclairs chante gaiement le feu...
Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ;
La nature s'éveille et de rayons s'enivre...
La terre, demie-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil...
Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil :
Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire...
On dirait qu'une fée a passé dans cela !...
- Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris... Là,
Près du lit maternel, sous un beau rayon rose,
Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose...
Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants ;
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots gravés en or : « À NOTRE MÈRE ! »
Arthur Rimbaud, (1870)
07:15 Publié dans litterature, traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
lundi, 31 décembre 2007
NUIT DE NOËL
"Le Réveillon ! le Réveillon ! Ah ! mais non, je ne réveillonnerai pas !"
Le gros Henri Templier disait cela d'une voix furieuse, comme si on lui eût proposé une infamie.
Les autres, riant, s'écrièrent : "Pourquoi te mets-tu en colère ?"
Il répondit : "Parce que le réveillon m'a joué le plus sale tour du monde, et que j'ai gardé une insurmontable horreur pour cette nuit stupide de gaieté imbécile.
- Quoi donc ?
- Quoi ? Vous voulez le savoir ? Eh bien, écoutez :
Vous vous rappelez comme il faisait froid, voici deux ans, à cette époque ; un froid à tuer les pauvres dans la rue. La Seine gelait, les trottoirs glaçaient les pieds à travers les semelles des bottines ; le monde semblait sur le point de crever.
J'avais alors un gros travail en train et je refusai toute invitation pour le réveillon, préférant passer la nuit devant une table. Je dînai seul ; puis je me mis à l'oeuvre. Mais voilà que, vers dix heures, la pensée de la gaieté courant Paris, le bruit des rues qui me parvenait malgré tout, les préparatifs de souper de mes voisins, entendus à travers les cloisons, m'agitèrent. Je ne savais plus ce que je faisais ; j'écrivais des bêtises ; et je compris qu'il fallait renoncer à l'espoir de produire quelque chose de bon cette nuit-là.
Je marchai un peu à travers ma chambre. Je m'assis, je me relevai. Je subissais, certes, la mystérieuse influence de la joie du dehors, et je me résignai.
Je sonnai ma bonne et je lui dis : "Angèle, allez m'acheter de quoi souper à deux : des huîtres, un perdreau froid, des écrevisses, du jambon, des gâteaux. Montez-moi deux bouteilles de champagne : mettez le couvert et couchez-vous."
Elle obéit, un peu surprise. Quand tout fut prêt, j'endossai mon pardessus, et je sortis.
Une grosse question restait à résoudre : Avec qui allais-je réveillonner ? Mes amies étaient invitées partout. Pour en avoir une, il aurait fallu m'y prendre d'avance. Alors, je songeai à faire en même temps une bonne action. Je me dis : Paris est plein de pauvres et belles filles qui n'ont pas un souper sur la planche, et qui errent en quête d'un garçon généreux. Je veux être la Providence de Noël d'une de ces déshéritées.
Je vais rôder, entrer dans les lieux de plaisir, questionner, chasser, choisir à mon gré.
Et je me mis à parcourir la ville.
Certes, je rencontrai beaucoup de pauvres filles cherchant aventure, mais elles étaient laides à donner une indigestion, ou maigres à geler sur pied si elles s'étaient arrêtées.
J'ai un faible, vous le savez, j'aime les femmes nourries. Plus elles sont en chair, plus je les préfère.. Une colosse me fait perdre la raison.
Soudain, en face du théâtre des Variétés, j'aperçus un profil à mon gré. Une tête, puis, par-devant, deux bosses, celle de la poitrine, fort belle, celle du dessous surprenante : un ventre d'oie grasse. J'en frissonnai, murmurant : "Sacristi, la belle fille !" Un point me restait à éclaircir : le visage.
Le visage, c'est le dessert ; le reste c'est... c'est le rôti.
Je hâtai le pas, je rejoignis cette femme errante, et , sous un bec de gaz, je me retournai brusquement. Elle était charmante, toute jeune, brune, avec de grands yeux noirs.
Je fis ma proposition qu'elle accepta sans hésitation.
Un quart d'heure plus tard, nous étions attablés dans mon appartement.
Elle dit en entrant : "Ah ! on est bien ici."
Et elle regarda autour d'elle avec la satisfaction visible d'avoir trouvé la table et le gîte en cette nuit glaciale. Elle était superbe, tellement jolie qu'elle m'étonnait, et grosse à ravir mon coeur pour toujours.
Elle ôta son manteau, son chapeau, s'assit et se mit à manger ; mais elle ne paraissait pas en train, et parfois sa figure un peu pâle tressaillait comme si elle eût souffert d'un chagrin caché.
Je lui demandai : "Tu as des embêtements ?"
Elle répondit : "Bah ! oublions tout."
Et elle se mit à boire. Elle vidait d'un trait son verre de champagne, le remplissait et le revidait encore, sans cesse.
Bientôt un peu de rougeur lui vint aux joues ; et elle commença à rire.
Moi, je l'adorais déjà, l'embrassant à pleine bouche, découvrant qu'elle n'était ni bête, ni commune, ni grossière comme les filles du trottoir. Je lui demandai des détails sur sa vie. Elle répondit : "Mon petit, cela ne te regarde pas !"
Hélas ! une heure plus tard ...
Enfin, le moment vint de se mettre au lit, et, pendant que j'enlevais la table dressée devant le feu, elle se déshabilla hâtivement et se glissa sous les couvertures.
Mes voisins faisaient un vacarme affreux, riant et chantant comme des fous ; et je me disais : "J'ai eu rudement raison d'aller chercher cette belle fille ; je n'aurai jamais pu travailler."
Un profond gémissement me fit retourner. Je demandai : "Qu'as-tu, ma chatte ?" Elle ne répondit pas, mais elle continuait à pousser des soupirs douloureux, comme si elle eût souffert horriblement.
Je repris : "Est-ce que tu te trouves indisposée ?" Et soudain elle jeta un cri, un cri déchirant. Je me précipitai, une bougie à la main.
Son visage était décomposé par la douleur, et elle se tordait les mains, haletante, envoyant du fond de sa gorge ces sortes de gémissements sourds qui semblent des râles et qui font défaillir le coeur.
Je demandai, éperdu : "Mais qu'as-tu ? dis-moi, qu'as-tu ?"
Elle ne répondit pas et se mit à hurler.
Tout à coup les voisins se turent, écoutant ce qui se passait chez moi.
Je répétais : "Où souffres-tu, dis-moi, où souffres-tu ?"
Elle balbutia : "Oh ! mon ventre ! mon ventre !" D'un seul coup je relevai la couverture, et j'aperçus...
Elle accouchait, mes amis.
Alors je perdis la tête ; je me précipitai sur le mur que je heurtai à coups de poing, de toute ma force, en vociférant : "Au secours, au secours !"
Ma porte s'ouvrit ; une foule se précipita chez moi, des hommes en habit, des femmes décolletées, des Pierrots, des Turcs, des Mousquetaires. Cette invasion m'affola tellement que je ne pouvais même plus m'expliquer.
Eux, ils avaient cru à quelque accident, à un crime peut-être, et ne comprenait plus.
Je dis enfin : "C'est... c'est... cette... cette femme qui... qui accouche."
Alors tout le monde l'examina, dit son avis. Un capucin surtout prétendait s'y connaître, et voulait aider la nature.
Ils étaient gris comme des ânes. Je crus qu'ils allaient la tuer ; et je me précipitai, nu-tête, dans l'escalier, pour chercher un vieux médecin qui habitait dans une rue voisine.
Quand je revins avec le docteur, toute ma maison était debout ; on avait rallumé le gaz de l'escalier ; les habitants de tous les étages occupaient mon appartement ; quatre débardeurs attablés achevaient mon champagne et mes écrevisses.
A ma vue, un cri formidable éclata, et une laitière me présenta dans une serviette un affreux petit morceau de chair ridée, plissée, geignante, miaulant comme un chat ; et elle me dit : "C'est une fille."
Le médecin examina l'accouchée, déclara douteux son état, l'accident ayant eu lieu immédiatement après un souper, et il partit en annonçant qu'il allait m'envoyer immédiatement une garde-malade et une nourrice.
Les deux femmes arrivèrent une heure après, apportant un paquet de médicaments.
Je passai la nuit dans un fauteuil, trop éperdu pour réfléchir aux suites.
Dès le matin, le médecin revint. Il trouva la malade assez mal.
Il me dit : "Votre femme, monsieur..."
Je l'interrompis : "Ce n'est pas ma femme."
Il reprit : "Votre maîtresse, peu m'importe." Et il énuméra les soins qu'il lui fallait, le régime, les remèdes.
Que faire ? Envoyer cette malheureuse à l'hôpital ? J'aurais passé pour un manant dans toute la maison, dans tout le quartier.
Je la gardai. Elle resta dans mon lit six semaines.
L'enfant ? Je l'envoyai chez des paysans de Poissy. Il me coûte encore cinquante francs par mois. Ayant payé dans le début, me voici forcé de payer jusqu'à ma mort.
Et, plus tard, il me croira son père.
Mais, pour comble de malheur, quand la fille a été guérie... elle m'aimait... elle m'aimait éperdument, la gueuse !
- Eh bien ?
- Eh bien, elle était devenue maigre comme un chat de gouttières ; et j'ai flanqué dehors cette carcasse qui me guette dans la rue, se cache pour me voir passer, m'arrête le soir quand je sors, pour me baiser la main, m'embête enfin à me rendre fou.
Et voilà pourquoi je ne réveillonnerai plus jamais.
Guy de Maupassant
Texte publié dans Gil Blas du 26 décembre 1882, puis dans le recueil Mademoiselle Fifi
20:30 Publié dans litterature, traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
dimanche, 30 décembre 2007
Heure exquise qui nous grise
La promesse, la caresse du moment
L'ineffable étreinte de nos désirs fous
Tout dit: Gardez-moi puisque je suis à vous
Sanglots profonds et longs des tendres violons
Mon coeur chante avec vous à casse-coeur, casse-cou
Brebis prends bien garde au loup
Le gazon glisse et l'air est doux
Et la brebis te dit; je t'aime loup
Heure exquise, qui nous grise lentement
La promesse, la caresse du moment
L'ineffable étreinte de non désirs fous
Tout dit: Gardez-moi puisque je suis à vous
Peut-être mes grands-parents ont-ils assisté à une de représentations de "La veuve joyeuse" au théâtre Mogador avec Marcel Merkès, ou bien ont-ils acheté le disque avec André Dassary (et, je crois, Mado Robin), toujours est-il que toute mon enfance j'ai entendu ma grand-mère chanter cet air à longueur de journée !
La première représentation de l'opérette de Franz Lehar avait eu lieu le 30 décembre 1905 à Vienne. Le livret mettait en scène le Paris frivole et galantdes années 1900, ville cosmopolite où le champagne coule à flot, avec ses bulles aussi légères que le french cancan, lieu mythique où tout est possible, même le sauvetage d’un pays en faillite grâce au mariage d’une riche veuve, arrangé au cours d’une grande fête donnée par l’ambassade du Pontevedrino.
Le succès est immédiat : Berlin le 1° novembre 1906, Londres le 8 juin 1907, New York le 20 octobre 1907, en 2 ans, l'opérette sera jouée dans 30 pays, totalisant plus de 18 000 représentations.
La première parisienne a lieu le 28 avril 1909 au théâtre de l’Apollo. La Veuve Joyeuse fait courir tout Paris et en janvier 1914, le théâtre fête la 1000ème représentation. La Veuve Joyeuse se joue aussi partout en province, mais avec la 1ère guerre mondiale l’œuvre devient indésirable en France et ne réapparaitra à Paris qu'en 1925 ...
"air de Vilya" par Felicity Lott, soprano, avec l'Orchestre National du Capitole de Toulouse sous la direction de Michel Plasson, Théâtre des Champs-Elysées le 14 mai 1990
et par June Anderson, New York Philharmonic New Year's Eve Gala sous la direction de Zubin Mehta, 31 December 1990
00:10 Publié dans musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
samedi, 29 décembre 2007
Le Facteur de la poste aux lettres
par
J. Hilpert
~ * ~
Vous avez passé la nuit au bal. - Il est midi. - Vous vous levez, l’oeil encore appesanti par le sommeil. On sonne à votre porte.
« Qui est-ce qui est là ? - Le Facteur qui demande à parler à monsieur. - Le diable t’emporte ! » Et tout en murmurant ces paroles d’un fatal augure pour le visiteur, vous ouvrez.
« Monsieur, c’est votre Facteur qui prend la liberté de vous souhaiter la bonne année et de vous offrir un almanach. »
A l’audition de cette formule, prononcée le plus souvent d’un air riant par un homme d’une quarantaine d’années, à la taille moyenne, aux formes nerveuses et ramassées ; à la vue de cette main qui, parmi plusieurs douzaines de cartons, choisit avec un tact tout particulier celui qui convient le mieux à vos goûts ou à votre condition, un frisson involontaire vous saisit. Ces trois mots - la bonne année - ont suffi pour faire dérouler devant votre esprit un cercle infini d’idées pauvres et maussades. Vous avez reconnu tout d’abord l’approche du 1er janvier, jour néfaste pour qui n’est plus un enfant, époque fatale où, de peur de manquer à des usages généralement reçus, on doit tout à la fois se faire banquier et comédien.
07:30 Publié dans litterature, traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
vendredi, 28 décembre 2007
La première séance ...
20:35 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook |
jeudi, 27 décembre 2007
L'Humanitaire
par Raymond BRUCKER (1800-1875)
tome 2 (1840) des Francais peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du XIXe siècle publiée par L. Curmer de 1840 à 1842
L’HUMANITAIRE est le zélateur d’une secte récente, née du dégoût de nos troubles politiques, et qui n’a de barbare que le nom ; mais les noms inusités blessent le tympan du vulgaire et sont frappés d’anathème, car l’inusité fait peur aux enfants. Or, les peuples sont des enfants irascibles et de piètre tolérance, témoin Socrate, empoisonné légalement pour avoir eu l’audace de faire planer un seul Dieu, l’éternel géomètre, sur la cohue lascive et déréglée des dieux de l’Olympe ; témoins les adeptes du Christ livrés aux jeux du Cirque.
L’humanitaire nous vient en droite ligne de Socrate ; il est parent, ou peu s’en faut, des premiers martyrs ; il en descend par la métempsycose, et ne voudrait pas y remonter par le calvaire. Nous souhaitons à l’humanitaire le triomphe des martyrs, moins leur présentation et, pour lui donner un coup de main amical dans ce défilé périlleux, nous essaierons de déblayer au profit de sa mission bruyante et conciliatrice les préjugés accumulés pour le moment sur sa route.
17:05 Publié dans litterature | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook |
mercredi, 26 décembre 2007
Qu'est ce t'as eu ?
13:05 Publié dans baptiste, julie, traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |