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samedi, 12 mars 2011

Pétronille

 

Scan20002_2.jpg

 

 

Je suis une petite fille

Mais je mets des pantalons.

J'ai beau m'appeler Pétronille

J'aime mieux etre un garçon.

 

Quand la crémiere m'interpelle

« Bonjour ma petite demoiselle »

Expres je lui réponds

« Bonjour M'sieur Potiron. »

 

Quand le boucher s'écrie

« Qu'est-ce que veut aujourd'hui Ma petite escalope ? »

Je fronce les sourcils

Et lui dis : « Du persil, Mademoiselle Pénélope. »

 

Ça crée la confusion.

 

J'ai beaucoup d'caractère

Beaucoup de formation

 

Et sous mes petits airs

Se cache un grand garçon

 

Je n'aime pas les filles

Aux réflexes sanguins

Moites sous les charmilles

Et pâles dans les trains.

 

Quand on est un garçon

On siffle dans ses doigts

On est Ali-Baba

On grimpe sur les toits.

 

On s'en va sur les mers

Où y'a plein de moutons.

On vole dans les airs

Avec les électrons.

 

Et devant ces exploits

Tout l'monde reste baba.

 

« Non Maman, pas ma robe, je veux mon pantalon

Ma ceinture de cuir, mon colt, mes munitions

Je vais faire un hold-up

A Plessis-Robinson. »

 

René de Obaldia

Innocentines

mardi, 08 mars 2011

MOI, CHRISTINE, QUI AI PLEURÉ

BL-pizan2.jpgChristine de Pisan (Venise vers 1363 -  vers 1430) est la première femme à vivre de sa plume.

Christine de Pizan est née à Venise, vraisemblablement en 1364. Son père, Tommasso di Benvenuto, originaire de Pizzano, près de Bologne, a étudié la médecine dans cette ville et y a enseigné l’astrologie, avant de devenir conseiller de la république de Venise. Peu après la naissance de Christine, il est appelé à Paris par Charles V comme médecin et astrologue. Très en faveur auprès du roi qui rétribue largement ses services, il fait venir sa famille d’Italie vers 1368. Christine reçoit de lui une instruction plus poussée qu’il n’était d’usage, jusqu’à son mariage, en 1379 ou 1380, avec Étienne du Castel, secrétaire du roi. La mort de Charles V, en 1380, affecte gravement la position de Thomas: il meurt dans la gêne vers 1387. Le mari de Christine s’éteint peu après, à l’automne 1390.

Veuve à 25 ans, Christine de Pisan reste seule avec sa mère et ses trois enfants, aux prises avec des débiteurs indélicats, en butte aux attaques des créanciers qui veulent lui enlever les biens hérités de son père, Thomas di Pizzano, et de son mari, Étienne de Castel. Elle se bat courageusement, défend sa famille, et réussit à éviter la ruine complète.

"Je suis veuve, seulette et noir vêtue

A triste vis simplement affublée ;

En grand courroux de manière adoulée

Porte le deuil très amer qui me tue.

De triste coeur, chanter joyeusement

Et rire en deuil, c’est chose forte à faire."

Christine de Pisan ne perd pas courage. Dès la mort de son père, elle cherche à se créer des ressources par ses talents. Le succès des poésies légères qu'elle a composées avec facilité la persuade de s'essayer à des écrits plus sérieux. Mais avant de rien entreprendre, elle se remet, pendant plusieurs années à l'étude des meilleurs auteurs anciens et modernes, qu'elle lit dans leur langue. "Tu ne dois pas te tenir pour malheureuse quand tu as, entre autres biens, une des choses du monde qui te cause le plus de délices et de plaisirs, c’est assavoir le doux goût de science." Ecrit-elle, ou encore "Ce n’est pas à la faiblesse de son esprit, mais à son manque d’instruction que la femme doit son infériorité."

A l’exception des lettres d’Amour d’Héloïse, de quelques oeuvres de nonnes érudites, les ouvrages littéraires écrits par des femmes sont rares. On peut donc dire que Christine de Pisan a été en France la première des femmes savantes et des femmes auteures. C'est d'ailleurs grâce à ses œuvres, riches en confidences autobiographiques, que son existence passablement mouvementée et son parcours littéraire sont relativement bien connus en France. Sa production est considérable. Elle en fait le bilan en 1405, dans le Livre de l’advision : "Depuis l’an 1399 que je commençai jusqu’à cette année 1405 auquel encore je ne cesse, j’ai compilé quinze volumes principaux sans les autres petits dictés, lesquels tout ensemble contiennent environ soixante-dix cahiers de grand volume."

Mais quoique ses diverses productions fussent toujours aussi bien accueillies par la cour et les lettrés, elles suffisent à grand-peine à la subsistance de la famille de Christine de Pisan. Heureusement, elle a nombre de mécènes pour qui elle compose poèmes, éloges et panégyriques. On rapporte aussi que Henri IV d'Angleterre lui offrit de se fixer à sa cour; mais elle ne se laisse pas séduire, et elle préfère rester avec peu d'aisance en France. Mais le premier poème de Christine, l’Épître au dieu d’Amour, écrit en 1399, sera traduit outre-Manche, dès 1402, par Thomas Occleve, lui-même auteur de renom.

pisan_cité dames.jpgEn 1399, le maréchal Jean II Le Maingre (en vieux français , Jehan le Meingre), appelé Boucicaut, fonde l'ordre de chevalerie L'Ecu vert à la Dame blanche un ordre chevaleresque inspiré par l'idéal de l'amour courtois dont la vocation est la défense des femmes. L'année suivante, le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, préside à la création de la fameuse "cour d'Amour" qui débat de casuistique amoureuse et se réunit à la Saint-Valentin pour un tournoi poétique en l'honneur des dames. Au même moment, en 1399, Christine se lance dans la polémique littéraire pour défendre les femmes, qui s'achèvera en 1405 par la rédaction de deux traités, la Cité des dames, suivi du Livre des Trois Vertus (ou Trésor de la Cité des Dames), véritable cours d'éducation à l'usage des femmes où la "dame" est une femme dont la noblesse est celle de l'esprit plutôt que de la naissance. Christine y fait une analyse lucide et précise de la société française, vue du côté féminin, détaillant tous les "états des femmes" et donnant de chacun, depuis celui des princesses jusqu’à celui des femmes de laboureur, une vision réaliste et positive. La première, elle a compris que les femmes ont une place à elles dans la société politique, et avec l'aide de Dame Raison, Droiture, Justice, elle veut construire la Cité imprenable où les femmes seront à l'abri des calomnies

Dans ces ouvrages la narratrice veut combattre les clichés qui circulent sur les femmes et leur infériorité "naturelle", en particulier dans des œuvres misogynes et cyniques comme la seconde partie du Roman de la rose (entre 1275 et 1280) de Jean de Meung, qui s’avère l’antithèse de la première partie écrite par Guillaume de Lorris (vers 1245). La quête amoureuse de la première partie a complètement disparu, en revanche, le mépris de la Femme y est ouvertement affiché et Christine de Pisan estime qu'on est passé d’un culte raffiné de la femme à la conception grossière qui va peu à peu faire d’elle un objet.: "Toutes êtes, serez et fûtes/De fait ou de volonté putes" écrit-il !

Christine de Pisan, qui connaît le latin, a aussi lu Les Lamentations de Matheolus, où l'auteur Matthieu de Boulogne-sur-Mer (vers 1260 – vers 1320) présente sa femme Péronnelle (eh oui, ce serait l'origine du mot ...) sous un jour très noir. Ces œuvres la remplissent d’horreur pour elle-même, "et pour le sexe féminin dans son entier, comme si nous étions des monstres de la nature". Jean Le Fèvre, officier au parlement de Paris qui a traduit les Lamentations de Matheolus, s'est lui aussi insurgé contre les propos misogynes, fréquents dans la littérature et a écrit Le Livre de leesce, sorte d'apologie de ce sexe que l'on dit faible, et qui présente pour la première fois Neuf Preuses,

 

christine_disput_harl4431.jpgLa Cité des dames n’est d'ailleurs pas le premier texte féministe de Christine de Pisan ; elle a déjà rédigé quelques années auparavant une Epistre au Dieu d’Amours (1399), une protestation contre les habitudes discourtoises de la société devenue misogyne, et une tentative de réhabilitation de la Femme comme un être moral : "Que les femmes aient de tels vices je le nie ; Je lève les bras pour les défendre …", et un Dit de la rose (14 février 1401, anc. st.), critique justement de la seconde partie du Roman de la rose, ce qui provoque, entre 1401 et 1405, un "débat sur le Roman de la Rose" avec des secrétaires du roi, Jean de Montreuil, prévôt de Lille, et Gontier Col, secrétaire et conseiller du roi, et des clercs, Pierre Col, frère du précédent et chanoine de Paris et Jean Gerson, chancelier de l'université de Paris.

De ce "débat", on peut citer une lettre de Christine de Pisan adressée à Jean de Montreuil. La lettre répond à l’éloge du Roman de la Rose de Jean de Meung que Jean de Montreuil a écrit et fait circuler dans un petit traité aujourd’hui perdu, Opusculum gallicum. La correspondance qui en résulte provoque le premier débat épistolaire connu dans le monde littéraire français! Prenant le contre-pied de Montreuil, Christine attaque méthodiquement le Roman de la Rose de Jean de Meung comme un ouvrage immoral, misogyne et obscène, l'accusant d'enseigner les moyens de séduire les femmes sous le couvert d'un art d'aimer ... "Une honnête femme est aussi rare qu’un cygne noir" écrit Jean de Meung ! "Le talent de Christine de Pisan aidant, écrit Jean Favier dans sa Guerre de Cent Ans (où Christine n’est citée que trois fois ...), tout Paris se passionnait pour la grande querelle soulevée autour des thèses de l’antiféminisme clérical et du cynisme sentimental formulé au XIIIe siècle par le vieux Roman de la Rose. On était pour le Roman […] ou bien on était contre cette satire acerbe du naturel féminin qui avait fait la joie de générations d’hommes et particulièrement de clercs. Dans son Épître au dieu d’amour, Christine de Pizan se fit, en 1399, la théoricienne d’un équilibre entre les élans du cœur et le plaisir des sens."

querelle.jpgJean de Montreuil obtient le soutien de son collègue Gontier Col qui attaque vivement Christine dans deux épîtres lui demandant ouvertement de retirer ses affirmations qui, d'après lui, constituent une insulte à la plus grande œuvre littéraire contemporaine. "Folle outrecuidance. Parole trop tôt issue sans avis de la bouche d'une femme", s'écrie Pierre Col, le frère de Gontier. Jean de Montreuil, lui, menace : "Si tu continues à mal parler, sache qu'il y a des champions et des athlètes". Dans le débat, Christine peut compter sur l'appui de Jean de Gerson, auteur d'une Vision contre le Roman de la Rose, de Eustache Moel dit Deschamps, conseiller de Louis d'Orléans, de Guillaume de Tignonville, prévot de Paris, mais aussi de la Reine Isabeau de Bavière à qui elle a fait parvenir une lettre lui demandant son soutien. Quelques années plus tard, Mathieu Thomassin lui rendra hommage dans son Registre Delphinal, Martin Le Franc ne tarira pas d'éloge dans son Champion des Dames (1442). Plus tard Jean Boucher composera Le Jugement poétique de l'honneur féminin et sejour des illustres claires & honnestes Dames (1538), et enfin Clément Marot se fera l'interprète des mêmes sentiments dans La vray disant advocate des Dames

La querelle s'apaise peu à peu. Dans sa dernière lettre à Pierre Col datée du 2 octobre 1402, elle annonce qu'elle se retire du débat : "Non mie tairé pour doubte de mesprendre quant a oppinion, combien que faulte d'engin et de savoir me toult biau stile, mais mieulx me plaist d'excerciter en autre matiere a ma plaisance" [Je ne me tais pas non plus par peur d'être calomniée à cause de mes opinions, bien que je manque d'intelligence et d'un beau style. Je souhaite simplement me tourner vers un sujet qui me plaît davantage.] Christine sent très clairement que le Débat est une perte de temps pour quelqu'un qui a des affaires plus importantes à traiter. Et Philippe Le Hardi, duc de Bourgogne, qui fait confiance à son talent et son jugement, lui demande en 1404 d’écrire le récit du règne son frère, le Livre des faits et bonnes moeurs du sage roi Charles V.

Mais si dans le Livre de Mutacion de Fortune (1403), Christine de Pisan avoue comment le destin, en la faisant devenir écrivain, l'a fait changer de sexe : "de femelle devins masle", elle n'oubliera cependant jamais qu'elle doit défendre, contre les injustices de la société masculine, la dignité de son sexe. Ainsi, en 1405, paraît le Livre de la Cité des Dames ...

1405 marque une rupture. La situation politique en France devient de plus en plus grave, lucide, Christine voit monter le péril de la guerre civile. Les misères du temps, ravagé par la Guerre de Cent ans, expliquent que Christine de Pizan, Italienne devenue Française, ait senti le besoin d’exprimer son patriotisme, en participant, grâce à ses œuvres, aux douleurs publiques : en 1405 le Livre de la Prudence, paraphrasé de Sénèque, et le Trésor de la cité des dames, également appelé le Livre des trois vertus, dédié à la jeune dauphine de France Marguerite de Bourgogne, et dans lequel elle attire l’attention des femmes sur les conflits perpétuels que les hommes se livrent dans leur royaume, en 1407, le Livre du corps de policie (le mot "policie" désignant celui de politique) emprunté d’Aristote et de Plutarque, en 1410 le Livre des fais d’armes et de chevalerie, traité de guerre traduit principalement de Végèce, de Frontin, mais renfermant toutefois une partie originale, un code du droit des gens dans la société féodale, et Lamentation sur les maux de la France, et en 1413 le Livre de la paix, tous ces ouvrages ont désormais un but, sauver la France des divisions.

Elle emploie aussi d’excellents artistes pour illustrer ses livres, dont un grand recueil de ses oeuvres qui est offert à la reine Isabeau de Bavière en 1414. Ce manuscrit des Œuvres de Christine de Pisan (Londres, British Library, Harley 4431) est l'un des plus somptueux, des plus connus et des plus étudiés parmi ceux qui ont été réalisés à Paris en pleine apogée de l'enluminure parisienne.

Images_Online_025354.jpgLa guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons conduit à l’intervention étrangère. Ainsi, en 1415, c’est la terrible bataille d’Azincourt. Christine écrit une Epître de la prison de la vie humaine, dans laquelle elle déplore les bouleversements de la guerre et le comportement des Anglais, qui massacrent leurs prisonnier. Christine de Pisan fuit Paris, occupé par le parti bourguignon allié aux Anglais, et se réfugie dans un couvent, probablement l’abbaye des dominicaines de Saint-Louis de Poissy où sa fille est religieuse et dont la sœur de Charles VII, Marie, est devenue prieure. Elle consacre alors la fin de sa vie à un ouvrage d'inspiration purement religieuse, Les Heures de contemplation sur la Passion de Notre Seigneur, un livre pour les femmes, accablées comme elle, par les maux du temps. Mais après la prise de Paris par les Bourguignons et le traité de Troyes, elle sort du silence et écrit Les Lamentations sur les maux de la guerre civile (1420) inspiré par l’actualité de la guerre de Cent Ans :.

Retirée depuis une dizaine d'années elle écrit son Ditié de la Pucelle, saluant l’épopée de Jeanne d’Arc qui venait de faire sacrer le roi (1429); ce sont les derniers vers qu'on a d'elle ... Christine de Pizan meurt en 1430.

 

jeanne arc.jpgEstimée des meilleurs écrivains de son temps, Christine de Pisan a joui jusqu’au début du XVIe siècle d’une grande réputation en France et dans plusieurs pays d’Occident, où certaines de ses oeuvres ont été traduites. Par la suite, elle plutôt maltraitée. Au XIXeme siècle, Gustave Lanson, historien de la littérature et critique littéraire, mais aussi témoin par excellence de la misogynie qu’il était de bon ton d’afficher à la fin du XIXe siècle, aura même ce jugement dans son Histoire de la littérature française : "Ne nous arrêtons pas à l’excellente Christine de Pisan, bonne fille, bonne épouse, bonne mère, du reste un des plus authentiques bas-bleus qu’il y ait dans notre littérature, la première de cette insupportable lignée de femmes auteurs, à qui nul ouvrage sur aucun sujet ne coûte, et qui pendant toute la vie que Dieu leur prête, n’ont affaire que de multiplier les preuves de leur infatigable facilité, égale à leur universelle médiocrité"

Certes elle n’a jamais été totalement oubliée, mais son œuvre est bien souvent réduite à la trop célèbre ballade Seulete sui et seulete veuil estre. Il faudra attendre Mathilde Laigle, l'une des premières bachelières françaises et également des premières femmes diplômées de l'enseignement supérieur américain et qui fut la première à avoir publié en 1912 une édition critique du Livre des Trois vertus de Christine de Pisan, Le livre des trois vertus de Christine de Pisan et son milieu historique et littéraire, pour qu'on commence à reconnaître timidement son intérêt historique et politique.

Mathilde Laigle écrit que "Les revendications qu'elle propose par le respect de l'usage, la pratique, les devoirs, le culte de l'honneur, tels qu'une femme sensée et vertueuse les concevait au XVe siècle. Il semble que l'antiféministe le plus convaincu ne pourrait que gracieusement s'incliner devant le féminisme de Christine de Pisan", mais ajoute que Christine de Pisan ne formule aucune des revendications que l'on pourrait à proprement appeler qualifier de féministes : "Le livre des Trois Vertus, tout attaché aux devoirs et non aux droits de la femme, ne porte aucune trace de ces timides protestations, et si Christine nourrissait quelques secrètes velléités de révolte contre le sort injuste réservé à ses sœurs, nous n'en savons rien. Elle n'en parle pas. La Cité des dames nous fournirait aussi bien son contingent d'idées anti-féministes.", ajoutant "Ce que Christine prêche, ce n'est pas le murmure, la rébellion contre les lois ou usages établis, c'est l'énergie personnelle, l'effort constant pour parer au mal : l'éviter, si possible, l'atténuer, si on ne peut l'anéantir, ou le subir avec courage, s'il est plus fort que la volonté humaine.". Pourtant les réactions à ses travaux sont parfois rudes : lors d'une conférence en 1912 à Strasbourg, Mathilde Laigle est interrompue par une personne de l'assistance qui lance à propos de Christine de Pisan : "Elle aurait mieux fait de se trouver un autre mari et de s'occuper des gamins" !

Il faudra donc attendre la seconde moitié du XXeme siècle, la naissance des sentiments féministes et le désir de réhabiliter la femme dans la littérature pour que son œuvre prenne vraiment place dans le milieu des études littéraires.

Certes si elle écrivait aujourd'hui, Christine de Pisan, soucieuse de sauvegarder les vertus féminines plus que de prôner liberté et émancipation, passerait pour une traîtresse à la cause féminine, prompte à ramper sous les fourches caudines du mâle ! En effet, si le discours de Christine de Pisan vise à préserver l'intégrité des femmes en tant que jeunes filles et jeunes femmes, il ne préconise pas vraiment une révolte par rapport à leur condition. Christine de Pisan encourage les femmes à se prendre en main afin de défendre et protéger leur honneur, les hommes n’en étant plus capables. Christine ne défend pas les femmes, mais leur honneur, la réalité de leurs capacités intellectuelles, de leur grandeur morale, de leur vertu. Jamais elle ne remet en cause la distribution des rôles des hommes et femmes dans la société. Il est donc délicat de la considérer comme féministe. Mais Christine de Pisan est surtout originale par le fait même qu'elle a pris la première la parole au nom des femmes, contre le flot de méchancetés que déversaient les écrivains de son temps, une position particulièrement inédite à l'époque, suffisamment provocatrice pour que nombre d'érudits l'aient aussitôt combattu.

En tous les cas, 550 ans avant le fameux "on ne naît pas femme, on le devient" de Simone de Beauvoir, Christine de Pisan attribue l'inégalité entre hommes et femmes non à la nature, mais à l'éducation et aux représentations d'elles-mêmes fournies aux femmes par le discours misogyne dominant.

 

Moi, Christine, qui ai pleuré

Onze ans en abbaye fermée,

Ou j'ai toujours demeuré depuis

Que Charles (c'est chose étrange !)

Le fils du roi, si j'ose rappeler ce souvenir,

S'enfuit de Paris, tout droit,

Par suite de la trahison là incluse :

Maintenant pour la première fois je me prends à rire.

 

L'an mil quatre cent vingt neuf

Recommença à luire le soleil ;

Il ramène le temps nouveau

Qu'on n'avait pas vu de l'oeil

Depuis longtemps ; dont plusieurs en deuil

Ont vécu. Je suis de ceux-là ;

Mais de rien je ne me chagrine plus,

Puisque maintenant je vois ce que je veux.

 

Qui vit donc chose advenir

Plus hors de toute atteinte,

Laquelle à noter et de laquelle se souvenir

Est bon en toute région :

C'est à savoir que France, de qui discours,

On faisait qu'à terre était renversée,

Soit par divine mission,

Du mal en si grand bien changée ?

 

Et cela par tel miracle vraiment

Que, si la chose n'était notoire

Et évidents le fait et la manière,

Il n'est homme qui pût le croire :

C'est une chose bien digne de mémoire

Que Dieu par une vierge tendre

Ait précisément voulu (c'est une chose vraie)

Sur la France si grande grâce étendre.

 

O ! Quel honneur à la couronne

De France se voit par divine preuve !

C'est par les grâces qu'il lui donne

Il paraît combien Dieu l'approuve

Et que plus de foi d'autre part il trouve

En la maison royale, dont je lis

Que jamais (ce n'est pas une chose nouvelle)

En la foi errèrent les fleurs de lis.

 

Toi, Jeanne, à une bonne heure née,

Béni soit celui qui te créa !

Pucelle de Dieu envoyée

En qui le Saint Esprit fit rayonner

Sa grande grâce ; et qui eus et as

Toute largesse en son haut don,

Jamais ta requête ne te refusa

Et il te donnera assez grande récompense...

 

Et sa belle vie, par ma foi !

Montre qu'elle est en la grâce de Dieu,

C'est pourquoi on ajoute plus de foi

A son fait ; car, quoi qu'elle fasse,

Toujours à Dieu devant la face,

Qu'elle invoque, sert et prie

En actions, en paroles ; en quelque endroit qu'elle aille,

Elle ne retarde pas ses dévotions.

 

Oh ! comme alors cela bien parut

Quand le siège était à Orléans,

Où en premier lieu sa force apparut !

Jamais miracle, ainsi que je pense,

Ne fut plus clair ; car Dieu aux siens

Vint tellement en aide, que les ennemis

Ne se défendirent pas plus que chiens morts.

Là furent pris ou à mort mis.

 

Hé ! quel honneur au féminin

Sexe ! Que Dieu l'aime il paraît bien,

Quand tout ce grand peuple misérable comme chiens

Par qui tout le royaume était déserté

Par une femme est ressuscité et a recouvré ses forces,

Ce que hommes n'eussent pas fait,

Et les traîtres ont été traités selon leur mérite,

A peine auparavant l'auraient-ils cru.

 

Une fillette de seize ans

(N'est-ce pas une chose au-dessus de la nature ?)

A qui les armes ne sont pesantes,

Mais il semble que son éducation

Ait été faite à cela, tant elle y est forte et dure ;

Et devant elle vont fuyant

Les ennemis, et nul n'y résiste.

Elle fait cela, maint yeux le voyant.

 

Et elle va d'eux débarrassant la France

En recouvrant châteaux et villes,

Jamais force ne fut si grande,

Qu'ils soient par centaines ou par milliers...

lundi, 14 février 2011

Fantasmes de demoiselles ...

14 février, fête des "amoureux". Mais Cupidon n'a pas encore fait chavirer votre cœur, et vous avez beau jouer les célibataires faussement désinvoltes et vous dire que la Saint-Valentin c’est naze, ringard, commercial ... depuis ce matin vous lorgnez sur le parfum super-sexy ou le bouquet de rose qu'on ne vous offrira pas aujourd'hui.

Alors pourquoi ne pas passer quelques petites annonces. Je vous en propose quelques unes émises par des femmes faites et défaites cherchant l'âme sœur, fantasmes de demoiselles recueillies par René de Obaldia. Ce livre est un petit bijou de drôlerie et, mon dieu, de connaissance des femmes !

 

Magritte_Le_fils_de_l-homme.jpgCherche beau jeune homme aimant croquer la pomme

 

Cherche beau jeune homme

Aimant croquer la pomme

Beau comme un troubadour

Quand il me fera l'amour

(La nuit, propice à l'obscurité

Et a moult voluptés)

En son habit de velours

Sa mandoline à côté

Toutes les étoiles se mettront à pleurer

 

botero10.jpgCherche jeune et beau curé

 

Cherche jeune et beau curé

Tout prêt à se défroquer

Quand il me verra passer

Bouleverd Agrippa d'Aubigné

 

 

 

 

 

1971 caniche.jpgCherche beau jeune homme avec caniche

 

Cherche beau jeune homme avec caniche

Tout noir tout frisé

(Pas le jeune homme, mais le caniche)

Haut sur pattes, gueule distinguée

Amoureux de ma personnalité

 

 

 

 

botero_chasse.jpgCherche un garde-chasse

 

Cherche un garde-chasse

Ni beau ni laid

Mais doté d'un membre efficace

Tel l'amant de Lady Chatterley

 

 

 

 

 

Botero%20la%20familia%20%20Presid.jpgCherche un malabar

 

Cherche un malabar

Plaçant très haut la barre :

Trois Porsche, un sous-marin

Hôtel de luxe avec pingouins

Pédicure mexicain

Palanquin à Pékin

Case de bambou a Ouagadougou

Des tonnes et des tonnes de bagages

Et un tueur a gages.

 

Reçu par tous les Présidents

Du plus noir jusqu'au plus blanc

Avec tous les honneurs

Toute la raideur

Dus a son rang.

Et moi, sa ravissante épouse

Des perlouzes, des perlouzes, des perlouzes ...

 

image.axd.jpgCherche une femme exquise

 

Tant les hommes sont cons cherche une femme exquise

Douceur de lait, manière de Marquise

Tempérament de pharaon

 

 

René de Obaldia

Fantasmes de Demoiselles, femmes faites ou défaites cherchant l'âme soeur de (2006) chez Grasset

 

 

Bon, si vous n'avez pas celle qui vous convient, il y a encore quarante-cinq "petites-annonces" !

Et si l'an prochain, il n'est pas sûr que vous y gagniez roses, bijoux, lingerie fine et mots doux, au moins aurez-vous eu pendant un an battements de cœur affolés, soupirs d’extase, étreintes moites et souvenirs brûlants !

samedi, 05 février 2011

Un champ d'îles

Haiti_latortue.jpg

Savoir ce qui dans vos yeux berce

Une baie de ciel un oiseau

La mer, une caresse dévolue

Le soleil ici revenu

 

Beauté de l'espace ou otage

De l'avenir tentaculaire

Toute parole s'y confond

Avec le silence des Eaux

 

Beauté des temps pour un mirage

Le temps qui demeure est d'attente

Le temps qui vole est un cyclone

Où c'est la route éparpillée

 

L'après-midi s'est voilé

De lianes d'emphase et fureur

Glacée, de volcans amenés

Par la main à côté des sables

 

Le soir à son tour germera

Dans le pays de la douleur

Une main qui fuse le Soir

À son tour doucement tombera

 

Beauté d'attente Beauté des vagues

L'attente est presque un beaupré

Enlacé d'ailes et de vents

Comme un fouillis sur la berge

 

Chaque mot vient sans qu'on fasse

À peine bouger l'horizon

Le paysage est un tamis soudain

De mots poussés sous la lune

 

Savoir ce qui sur vos cheveux

Hagard étrenne ses attelages

Et le sel vient-il de la mer

Ou de cette voix qui circule

 

Abandonnés les tournoiements

D'aventure sur les tambours

L'assaut du sang dans les plaines

Son écume sur les Hauts

 

Abandonné le puits de souffrance

La souffrance au large du ciel emporte

Dans la foule des fromagers

Sa meute de mots et sa proie

 

Abandonnée tarie la mesure

Démesure des coutelas

Cette musique est au coeur

Comme un hameau de lassitude

 

Beauté plus rare que dans l'île

Ton grand chemin des hébétudes

Va-t-il enfouir son regard

Dans la terre, humide douce

 

Les hommes sortent de la terre

Avec leurs visages trop forts

Et l'appétit de leurs regards

Sur la voilure des clairières

 

Les femmes marchent devant eux

L'île toute est bientôt femme

Apitoyée sur elle-même mais crispant

Son désespoir dans son coeur nu

 

Et parmi les chants de midi

Ravinés de sueurs triomphales

Sur un cheval vient à passer

La morte demain la Pitié

 

L'île entière est une pitié

Qui sur soi-même se suicide

Dans cet amas d'argiles ruées

Ô la terre avance ses vierges

 

Apitoyée cette île et pitoyable

Elle vit de mots dérivés

Comme un halo de naufragés

À la rencontre des rochers

 

Elle a besoin de mots qui durent

Et font le ciel et l'horizon

Plus brouillés que les yeux de femmes

Plus nets que regards d'homme seul

 

Ce sont les mots de la Mesure

Et le tambour à peine tu

Au tréfonds désormais remue

Son attente d'autres rivages

 

L'après-midi le Soir les masures

Le poing calé dans le bois dur

La main qui fleurit la douleur

La main qui leva l'horizon

 

Sur vos chemins quelle chanson

A pu défendre la clarté

Sur vos yeux que l'amour brûla

Quelle terre s'est déposée

 

Outre mer est la chasteté

Des incendiaires dans les livres

Mais le feu dans le réel et le jour

C'est ce courage des vivants

 

Ils font l'oiseau ils font l'écume

Et la maison des laves parfois

Ils font la richesse des douves

Et la récolte du passé

 

Ils obéissent à leurs mains

Fabriquant des échos sans nombre

Et le ciel et sa pureté fuient

Cette pureté de rocailles

 

Ils font les terres qui les font

Les avenirs qui les épargnent

Ô les filaos les grandissent

Sur les crêtes du souvenir

 

Mulets serpents et mangoustes

Font ces hommes violents et doux

Et la lumière les aveugle

La nuit au bord des routes coloniales

 

Toute parole est une terre

Il est de fouiller son sous-sol

Où un espace meuble est gardé

Brûlant, pour ce que l'arbre dit

 

C'est là que dorment les tam-tams

Dormant ils rêvent de flambeaux

Leur rêve bruit en marée

Dans le sous-sol des mots mesurés

 

Leur rêve berce dans vos yeux

Des paniques des maelströms

Plus agités que la brousse profonde

Lorsque passe le clair disant

 

Beauté sanguine des golfes

Ô c'est une plaie une plaie

Où danse le ciel, grave et lent

De voir des hommes nus et tels

 

Et l'île toute enfin repose

Dans le chaud des maturités

Mûr est le silence sur la ville

Mûre l'étoile dans la faim

 

Ce qui berce dans vos yeux son chant

Est la parure des troupeaux

L'herbe à taureaux pour les misaines

Le dur reflet des sels au sud

 

Rien ne distrait d'ordre les vies

Les hommes marchent les enfants rient

Voici la terre bâtée, consentante

De courants d'eau, de voilures

 

Quelle pensée raide parcourt

Les fibres les sèves les muscles

De la douleur a-t-on fait un mot

Un mot nouveau qui multiplie

 

Celui qui parmi les neiges enfante

Un paysage une ville des soifs

Celui qui range ses tambours ses étoffes

Dans la sablure des paroles

 

Guettant le saut des Eaux immenses

Le grand éclat des vagues Midi

Plus ardent que la morsure des givres

Plus retenu que votre impatience d'épine

 

Celui que prolonge l'attente

Et toutes les mains dans sa tête

Et toutes splendeurs dans sa nuit

Pour que la terre s'émerveille

 

Il accepte le bruit des mots

Plus égal que l'effroi des sources

Plus uni que la chair des plaines

Déchirée ensemencée

 

Sa clarté est dans l'océan

Dans la patience que traîne

Vers où nul oeil ne se distend

La flore d'îles du Levant

 

Ce qui berce en vos yeux son chant

Pour atteindre le matin ô connue

Inconnue c'est la chaleur fauve

Du Chaos où l'oeil enfin touche

 

Île ces requins vos fumures

Le charroi de votre sang l'homme

Et sa colline la femme et les cases

L'avenue dans ces miroirs les Mains

 

Est-ce oiseau, une racine qui gicle

Est-ce moisson, l'amitié grandie de la terre

La même couleur éclabousse, caresse

La souffrance est de ne pas voir

 

Beauté de ce peuple d'aimants

Dans la limaille végétale et vous

Je vous cerne comme la mer

Avec ses fumures d'épaves

 

Beauté des routes multicolores

Dans la savane que rumine

L'autan plein de mots à éclore

Je vous mène à votre seuil

 

Écoutant ruisseler mes tambours

Attendant l'éclat brusque des lames

L'éveil sur l'eau des danseurs

Et des chiens qui entre les jambes regardent

 

Dans ce bruit de fraternité

La pierre et son lichen ma parole

Juste mais vive demain pour vous

Telle fureur dans la douceur marine,

 

Je me fais mer où l'enfant va rêver.

 Edouard Glissant

« Un champ d'îles » est la deuxième partie du poème du même nom, publié aux éditions Seuil en 1965, republié dans Poèmes complets. Paris: Gallimard, 1994

 

Edouard Glissant, poète, romancier, essayiste, efigure majeure de la littérature antillaise, est mort le 3 février 2011.

jeudi, 03 février 2011

Le 3 février 1851, une loi vote un crédit spécial pour subventionner les lavoirs

lavandiere_2.jpgDepuis les temps les plus reculés, laver le linge est une activité dévolue à la femme.

Une des plus ancienne description de lavage est sans doute extraite du chant VI de l'Odyssée d'Homère (traduction de Leconte de Lisle)

"[...] Et sa mère était assise au foyer avec ses servantes, filant la laine teinte de pourpre marine ; et son père sortait avec les rois illustres, pour se rendre au conseil où l'appelaient les nobles Phaiakiens. Et, s'arrêtant près de son cher père, elle lui dit :

- Cher père, ne me feras-tu point préparer un char large et élevé, afin que je porte au fleuve et que je lave nos beaux vêtements qui gisent salis ? Il te convient, en effet, à toi qui t'assieds au conseil parmi les premiers, de porter de beaux vêtements. Tu as cinq fils dans ta maison royale ; deux sont mariés, et trois sont encore des jeunes hommes florissants. Et ceux-ci veulent aller aux danses, couverts de vêtements propres et frais, et ces soins me sont réservés.

lavandiere_3.jpgElle parla ainsi, n'osant nommer à son cher père ses noces fleuries ; mais il la comprit et il lui répondit :

- Je ne te refuserai, mon enfant, ni des mulets, ni autre chose. Va, et mes serviteurs te prépareront un char large et élevé propre à porter une charge.

Ayant ainsi parlé, il commanda aux serviteurs, et ils obéirent. Ils firent sortir un char rapide et ils le disposèrent, et ils mirent les mulets sous le joug et les lièrent au char. Et Nausikaa apporta de sa chambre ses belles robes, et elle les déposa dans le char. Et sa mère enfermait d'excellents mets dans une corbeille, et elle versa du vin dans une outre de peau de chèvre. La jeune vierge monta sur le char, et sa mère lui donna dans une fiole d'or une huile liquide, afin qu'elle se parfumât avec ses femmes. Et Nausikaa saisit le fouet et les belles rênes, et elle fouetta les mulets afin qu'ils courussent ; et ceux-ci, faisant un grand bruit, s'élancèrent, emportant les vêtements et Nausikaa, mais non pas seule, car les autres femmes allaient avec elle.

lavandiere_4.jpgEt quand elles furent parvenues au cours limpide du fleuve, là où étaient les lavoirs pleins toute l'année, car une belle eau abondante y débordait, propre à laver toutes les choses souillées, elles délièrent les mulets du char, et elles les menèrent vers le fleuve tourbillonnant, afin qu'ils pussent manger les douces herbes. Puis, elles saisirent de leurs mains, dans le char, les vêtements qu'elles plongèrent dans l'eau profonde, les foulant dans les lavoirs et disputant de promptitude. Et, les ayant lavés et purifiés de toute souillure, elles les étendirent en ordre sur les rochers du rivage que la mer avait baignés. Et s'étant elles-mêmes baignées et parfumées d'huile luisante, elles prirent leur repas sur le bord du fleuve. Et les vêtements séchaient à la splendeur de Hèlios."

Et c'est en rentrant au palais et qu'elles aperçurent Ulysse habillé seulement d'une branche chargée de feuilles ...

 

Mais ce travail n'est pas si paradisiaque ! Le métier de lavandière est un métier très pénible, la blanchisseuse est agenouillée toute la journée dans l'humidité, et l'hiver, il faut casser la glace du lavoir qui est gelé, battre le linge dans le froid et l'eau glacée et l'humidité ... Les lavandières ont souvent "l'onglée" aux doigts.

lavandieres_2_m.jpgDès XIIème siècle, la lessive du gros linge est en usage une fois l'an, puis deux fois l'an, voire trois fois au XIXème siècle et dure deux ou trois jours. A côté de ces temps forts, il y a naturellement des lessives plus modestes, le fameux "jour de lessive" destiné aux vêtements de travail, aux sous-vêtement et aux bas de coton, aux tabliers, aux mouchoirs ...

La lessive est effectuée à partir d'un point d'eau, fontaine, mare, étang, cours d'eau. Sur les bords de la seine, comme sur les rives de toutes les rivières de France, on pouvait donc rencontrer des lavandières qui se servaient d’une planche à laver, d’une petite caisse pour s’agenouiller près de l’eau, d’un planche à frotter et d’un battoir qu'elles transportaient dans leur brouette lourdement chargée. Elles installaient leur selle (sorte de planche sur deux trétaux) et, à genoux, avec des gestes immuables, elles savonnaient, battaient, malaxaient, roulaient et essoraient leur linge sur les bords du fleuve.

« C’est ici, du matin au soir,

Que par la langue et le battoir

On lessive toute la Ville.

On parle haut, on tape fort,

Le battoir bat, la langue mord !

Pour être une laveuse habile,

Il faut prouver devant témoins

Que le battoir est très agile,

Que la langue ne l’est pas moins."

Achille Millien

 

A Paris, les rues des Lavandières (ou encore Lavandières Saint-Jacques) et des avandières Sainte Opportune datent du XIIIème siècle et doivent leur nom aux lavandières que le voisinage de la rivière avait attirées. Une rue des Blanchisseuses fut également ouverte, vers 1810, entre le quai de Billy et la rue de Chaillot.

La Taille de 1292 cite 43 lavandiers ou lavandières, parmi lesquels "Jehanne, lavendière de l'abbaie" de Sainte-Geneviève ; elle habitait la "rue du Moustier" qui est devenue la rue des Prêtres-Saint-Étienne du Mont. Cependant, à cette époque et dans la plupart des communautés, les religieux lavaient eux-mêmes leurs vêtements et leur linge. On faisait chauffer l'eau à la cuisine. Les objets blanchis étaient ensuite étendus soit dans le cloître, soit dans un séchoir spécial.

Jean-Baptiste_Siméon_Chardin_019.jpgChargées de l'entretien du linge des familles aisées, les lavandières font partie du personnel habituel des "hôtels", tout comme les panetiers, les clercs de la paneterie des nappes, les clercs de la paneterie du commun, les charretiers de la paneterie des nappes, les "porte chapes" (ou maîtres traiteurs, du mot chape, couvercle qui sert à couvrir les plats afin de les maintenir chauds), les sommeliers, les gardes-chambre (ou chambellans), les portiers, les portefaix et les valets de la porte, les sommiers ou voituriers ... qui touchent des gages, reçoivent de l'avoine, des chandelles, du bois.

D'autres encore travaillent à la journée au service de particuliers, de maîtres de grandes maisons, de fermiers, de métayers, de notables, pour un maigre salaire en toutes saisons, sauf lorsque le fleuve était pris par les glaces. Une ordonnance du 30 janvier 1350 fixe à "un tournoi en toute saison le prix que pourront demander toutes manières de lavandières de chacune pièce de linge lavé." (source : "La vie privée d'autrefois: arts et métiers, modes, moeurs, usages des parisiens du XIIe au XVIIIe siècle d'après des documents originaux ou inédits). Elles côtoient les ménagères de condition modeste qui viennent laver elles-mêmes leur linge à la rivière. Ces opérations sont décrites ICI, avec un poème bien sympathique, ICI, ICI ou encore LA, avec des photos anciennes...

Bien que jamais érigées en corporation régulière, les blanchisseuses ou lavandières "professionnelles" doivent se plier à partir du XVIIe siècle aux exigences d'une administration parisienne veillant à la bonne hygiène ! Très tôt, les lois et les décrets visant l’existence et l’implantation d’établissements insalubres dans Paris poussent les industries du blanchissage à quitter la capitale pour s’installer dans les communes voisines.

lavandiere.jpgAvec les progrès de l'hygiène, des locaux plus confortables et fonctionnels apparaissent, avec en particulier la construction de lavoirs. Choléra, variole et typhoïde ont marqué le XIXème siècle. Le linge peut véhiculer des germes malsains. Les habitants qui viennent s’approvisionner en eau trouvent l’eau des puits et des rivières souillée par les savons et les saletés. L’édification de lavoirs s’impose. Par la loi du 3 Février 1851, l'Assemblée législative vote un crédit spécial de 600 000 francs pour subventionner, à hauteur de 30 %, la construction d’établissement modèles de bains et lavoirs publics, gratuits ou à prix réduits. Chaque projet est subventionné à hauteur de 20 000 francs. Malgré les sommes à trouver pour compléter la subvention, de nombreuses communes, même modestes, engagent les travaux. La construction est commandée par les municipalités sous le contrôle de l'administration départementale. Les travaux sont mis alors en adjudication sur rabais à la chandelle, d'où une certaine similitude de conception et de matériaux. Il y a au moins un lavoir par village ou hameau et l'on peut estimer l'importance du village au nombre de ses lavoirs. Certains possèdent même un dispositif pour chauffer des lessiveuses et produire de la cendre qui blanchit le linge ... Les lavoirs seront utilisés jusqu'à l’arrivée de l’eau courante dans les maisons.

Lieu de convivialité, le lavoir est également un lieu de chant ; on y fredonne quelques airs à la mode et parfois on y va de ses  commérages : "Au lavoir, on lave le linge, mais on salit les gens" dit-on !

 

A Paris et dans de nombreuses villes traversées par un fleuve, est-ce parce que les lavandières étaient réputées de mœurs légères et que les mauvais garçons se mêlaient souvent aux lessives que l'on décida de créer des endroits où les jeunes filles et les femmes honnêtes des classes populaires pourraient laver leur linge en toute tranquillité, les fameux bateaux-lavoirs ?

 

" Ô Lavandière "

 

Sachez qu'hier, de ma lucarne,

J'ai vu, j'ai couvert de clins d'yeux,

Une fille qui dans la Marne

Lavait des torchons radieux

 

Je pris un air incendiaire

Je m'adossais contre un pilier

Puis le lui dis " Ô Lavandière "

Blanchisseuse étant familier

 

La blanchisseuse gaie et tendre

Sourit et, dans la hameau noir

Au loin, sa mère cessa d'entendre

Le bruit vertueux du battoir.

 

Je m'arrête. L'idylle est douce

Mais ne veut pas, je vous le dis,

Qu'au delà du baiser on pousse

La peinture du paradis.

 

Victor Hugo

 

L'origine des bateaux-lavoirs remonterait au XVIIe siècle. Le 16 septembre 1623, un traité assure à un entrepreneur, Jean de la Grange, secrétaire du roi Louis XIII, divers droits à conditions qu'il poursuive l'aménagement de l'Ile Notre-Dame et de l'Ile aux vaches, dont celui de mette à perpétuité sur la Seine "des bateaux à laver les lessives, en telle quantité qu'il feroit avisé & en tel endroit qu'il jugerroit à propos; pourvû que ce fût sans empêchement de la navigation, ni que le bruit pût incommoder les maisons du Cloître Notre-Dame". (source : "traité de la police" de M.De la mare, volume 1 - page 100 de l'édition de 1722).

Bateau-lavoir-2.jpgMais c'est surtout au XIXème siècle que les bateaux-lavoirs se développent partout en France, un mouvement qu’accélère la loi du 3 février 1851. Un lavoir flottant établi à Paris même, la Sirène, propose déjà les appareils les plus perfectionnés de l’époque. Il a été détruit par les glaces durant les grands froids de 1830. Les lavoirs flottants sont pourvus de buanderies à partir de 1844 afin de lutter contre la forte concurrence des lavoirs publics et des grandes buanderies de banlieue qui ne cessent de se créer, véritables usines à laver qui mettent à disposition des laveuses eau chaude, essoreuses, séchoirs à air chaud et à air libre, réfectoire et même parfois salle de garde pour les enfants en bas âge. 25 à 30 mètres de long; au premier niveau se trouvent les postes des blanchisseuses et, au milieu, deux rangées de chaudières posées sur des briques. L’étage se partage entre l’habitation du patron et le séchoir.

3309-14.jpgEn 1852, il existe dans Paris 93 lavoirs et buanderies, principalement répartis dans les divers quartiers pauvres, comme le Lavoir Moderne Parisien dans le quartier de la Goutte d'Or; les bateaux-lavoirs stationnant sur le canal Saint-Martin sont au nombre de 17, ceux sur la Seine s'élèvent à 64 ( source : Dictionnaire historique des rues et monuments de Paris en 1855 de Félix et Louis Lazare, page 111 et suivantes) Mais pour beaucoup de familles pauvres, l’usage des bateaux-lavoirs est trop onéreux et, depuis les quartiers éloignés, il est bien pénible de porter son linge aux bateaux-lavoirs sur une brouette … et bientôt le nombre des bateaux-lavoirs parisiens est en constante perte de vitesse. En 1880, il n'y a plus en Ile-de-France que 64 bateaux-lavoirs offrant 3800 places de laveuses. Vingt-trois de ces lavoirs flottants sont à Paris même, dont six sur le canal Saint-Martin et trente-cinq se répartissent en banlieue sur la Seine, la Marne et l’Oise. À la fin du XIXe siècle, la plupart de ces bateaux-lavoirs sont la propriété d’une seule famille en vertu d’un bail qui lui a été consenti, en 1892, par la Société du Canal Saint-Martin. Mais, les bateaux-lavoirs disparaissent inéluctablement dans la première moitié du XXe siècle.

Les 4 derniers bateaux-lavoirs sur la Seine disparaissent pendant la dernière guerre mondiale, sur ordre des allemands, pour faciliter la navigation : une vidéo de l'INA annonce cette décision ...

retrouver ce média sur www.ina.fr

 

Au fait, vous souvenez-vous qu'une des insultes du capitaine Haddock est "Amiral de bateau-lavoir" ?

 

Emile Zola a décrit le travail des lavandières dans plusieurs de ses écrits :

"Un grand hangar, monté sur piliers de fonte, à plafond plat, dont les poutres sont apparentes. Fenêtres larges et claires. En entrant, à gauche, le bureau, où se tient la dame; petit cabinet vitré, avec tablette encombrée de registres et de papiers. Derrière les vitres, pains de savon, battoirs, brosses, bleu, etc. A gauche est le cuvier pour la lessive, un vaste chaudron de cuivre à ras de terre, avec un couvercle qui descend, grâce à une mécanique.  A côté est l'essoreuse, des cylindres dans lesquels on met un paquet de linge, qui y sont pressés fortement, par une machine à vapeur. Le réservoir d¹eau chaude est là. la machine est au fond, elle fonctionne tout le jour, dans le bruit du lavoir; son volant  ; on voit le pied rond et énorme de la cheminée, dans le coin. Enfin, un escalier conduit au séchoir, au-dessus du lavoir, une vaste salle fermée sur les deux côtés par des persiennes à petites lames ; on étend le linge sur des fils de laiton. A l'autre bout du lavoir, sont d'immenses réservoirs de zinc, ronds. Eau froide.

Le lavoir contient cent huit places. Voici maintenant de quoi se compose une place. On a, d¹un côté, une boite placée debout, dans laquelle la laveuse se met debout pour garantir un peu ses jupes. Devant elle, elle a une planche, qu'on appelle la batterie et sur laquelle elle bat le linge ; elle a à côté d'elle un baquet sur pied dans lequel elle met l'eau chaude, ou l'eau de lessive. Puis derrière, de l¹autre côté, la laveuse a un grand baquet fixé au sol, au-dessus duquel est un robinet d'eau froide, un robinet libre ; sur le baquet passe une planche étroite où l'on jette le linge; au-dessus; il y a deux barres, pour prendre le linge et l'égoutter. Cet appareil est établi pour rincer. La laveuse a encore un petit baquet sur pied pour placer le linge, et un seau dans lequel elle va chercher l'eau chaude et l'eau de lessive.

on a tout cela pour huit sous par jour. La ménagère paie un sou l'heure. L'eau de javel coûte deux sous le litre. Cette eau, vendue en grande quantité,est dans des jarres. Eau chaude et eau de lessive, un sou le seau. On emploie encore du bicarbonate - de la potasse pour couler. Le chlore est défendu."

Carnets d'enquêtes - La Goutte d'Or 1875

Sur le boulevard, Gervaise tourna à gauche et suivit la rue Neuve-de-la-Goutte-d'Or. En passant devant la boutique de Mme Fauconnier, elle salua d'un petit signe de tête. Le lavoir était situé vers le milieu de la rue, à l'endroit où le pavé commençait à monter. Au-dessus d'un bâtiment plat, trois énormes réservoirs d'eau, des cylindres de zinc fortement boulonnés, montraient leurs rondeurs grises ; tandis que, derrière, s'élevait le séchoir, un deuxième étage très haut, clos de tous les côtés par des persiennes à lames minces, au travers desquelles passait le grand air, et qui laissaient voir des pièces de linge séchant sur des fils de laiton. A droite des réservoirs, le tuyau étroit de la machine à vapeur soufflait, d'une haleine rude et régulière, des jets de fumée blanche. Gervaise, sans retrousser ses jupes, en femme habituée aux flaques, s'engagea sous la porte, encombrée de jarres d'eau de javel. Elle connaissait déjà la maîtresse du lavoir, une petite femme délicate, aux yeux malades, assise dans un cabinet vitré, avec des registres devant elle, des pains de savon sur des étagères, des boules de bleu dans des bocaux, des livres de bicarbonate de soude en paquets. Et, en passant, elle lui réclama son battoir et sa brosse, qu'elle lui avait donnés à garder, lors de son dernier savonnage. Puis, après avoir pris son numéro, elle entra. C'était un immense hangar, à plafond plat, à poutres apparentes, monté sur des piliers de fonte, fermé par de larges fenêtres claires. Un plein jour blafard passait librement dans la buée chaude suspendue comme un brouillard laiteux. Des fumées montaient de certains coins, s'étalant, noyant les fonds d'un voile bleuâtre. Il pleuvait une humidité lourde, chargée d'une odeur savonneuse, une odeur fade, moite, continue ; et, par moments, des souffles plus forts d'eau de javel dominaient. Le long des batteries, aux deux côtés de l'allée centrale, il y avait des files de femmes, les bras nus jusqu'aux épaules, le cou nu, les jupes raccourcies montrant des bas de couleur et de gros souliers lacés. Elles tapaient furieusement, riaient, se renversaient pour crier un mot dans le vacarme, se penchaient au fond de leurs baquets, ordurières, brutales, dégingandées, trempées comme par une averse, les chairs rougies et fumantes. Autour d'elles, sous elles, coulait un grand ruissellement, les seaux d'eau chaude promenés et vidés d'un trait, les robinets d'eau froide ouverts, pissant de haut, les éclaboussements des battoirs, les égouttures des linges rincés, les mares où elles pataugeaient s'en allant par petits ruisseaux sur les dalles en pente. Et, au milieu des cris, des coups cadencés, du bruit murmurant de pluie, de cette clameur d'orage s'étouffant sous le plafond mouillé, la machine à vapeur, à droite, toute blanche d'une rosée fine, haletait et ronflait sans relâche, avec la trépidation dansante de son volant qui semblait régler l'énormité du tapage."

L'Assommoir

 

lina bill_lavandière en provence.jpegA partir du XIXème siècle, la lessive se fait aussi "chez soi". En vue de ces lessives, on conserve la cendre de bois des cendriers et on la passe au tamis fin pour obtenir une poudre gris clair, fine et soyeuse au toucher. On chauffe de l'eau puis on la verse dans un cuvier chargé de linge recouvert de ces cendres, qui alors libèrent des sels de potasse qui traversent le linge. La première passe se fait avec de l'eau chaude, mais pas bouillante, pour ne pas "cuire les taches". ("coulage à froid"). L'eau qui s'écoule est récupérée, remise à chauffer et on recommence ainsi de suite pendant des heures ("coulage à chaud"). Le linge est alors sorti brûlant du cuvier avec de longues pincettes de bois et brossé ("lessivage") puis et mis à égoutter sur des tréteaux. Ensuite, le linge est rincé à la rivière ou au lavoir ("retirage"). Suit le tordage (le linge est frappé et tordu) et le séchage. S´il fait beau il est posé sur l´herbe pour y être azuré ("la mise au pré") ...

museeagricole.botans.free.fr_automne2005_IMG_2162 B.jpgL'arrivée de l'eau courante dans les foyers achèvera l'histoire des lavoirs. L'"eau courante" dans les maisons se généralise vers 1950 dans les villes puis lentement dans les campagnes. On fait la lessive dans la buanderie où l'on ne craint pas de répandre de l'eau. Même si les machines à laver semi-automatiques existaient déjà depuis plus de 20 ans, elles étaient rares dans les familles et j'ai assisté dans mon enfance à ces séances de lavage, à peine modernisées ! On n'utilisait bien sûr plus de cuvier mais une lessiveuse "à champignon", la cendre était remplacée par du perborate acheté à la pharmacie. La lessiveuse était une grande marmite qui servait à faire bouillir le linge. Au fond se trouvait un double-fond, d'où remontait un tuyau avec, au bout, un pommeau. Après avoir été savonné sur la planche à laver, le linge était disposé dans la lessiveuse. On allumait le feu dans un petit poêle en dessous, et la chaleur faisant monter l'eau dans le tuyau et le pommeau qui arrosait le linge d'eau bouillante. L'eau redescendait en traversant le linge et retombait au fond pour remonter à nouveau ... ça sentait mauvais et il faisait une chaleur moite étouffante dans la buanderie. Ensuite ma mère laissait refroidir un peu la lessiveuse et une femme de ménage venait l'aider à la vider petit à petit dans un grand bac où le linge était rincé à l'eau froide. C'est ensuite toute la maison qui était mise à contribution pour essorer les grosses pièces que l'on prenait à chaque bout pour les tordre.Je me souviens toutefois d'une essoreuse électrique que mes parents avaient achetée à des américains d'un camp de l'OTAN  ... Au milieu des années 60, le départ à la retraite de notre "lavandière" rendit nécessaire l'achat d'une machine à laver.

meredenis.jpg

La deuxième partie du XXème siècle pensait en avoir fini avec les lavandières quand le fabricant de lave-linge Vedette se choisit la Mère Denis pour raviver un mythe forgé au cours des siècles autour de ce métier. Un petit chemin qui descend au lavoir, une brouette de linge, un battoir, une brosse et l'amour du travail bien fait.d eux bonnes grandes mains de lavandière et l'amour du travail bien fait ... Vedette mérite votre confiance, "C'est ben vrai ça!"

dimanche, 23 janvier 2011

Dimanche

 

 

 

repos.jpg

 

 

 

Charlotte

fait de la compote

 

Bertrand

suce des harengs

 

Cunégonde

se teint en blonde

 

Epaminondas

cire ses godasses

 

Thérèse

souffle sur la braise

 

Léon

peint des potirons

 

Brigitte

s'agite, s'agite

 

Adhémar

dit qu'il en a marre

 

La pendule

fabrique des virgules

 

Et moi dans tout cha ?

Et moi dans tout cha ?

 

Moi, ze ne bouze pas

Sur ma langue z'ai un chat

 

René de Obaldia

 

image http://www.gastonlagaffe.com/saga/franquin/

jeudi, 06 janvier 2011

Coeur de bois

UN-PETIT-TOUR-DE-MANEGE.jpg

 

Amandine si hautaine

Amandine au coeur de bois

Ce soir, je serai ton Roi.

Si tu veux, tu seras la Reine.

 

J'ai ôté mon tablier

J'ai mis mes plus beaux souliers

Dans ma poche des sous neufs

Pour les distribuer aux veufs.

 

Comme trône j'ai le fauteuil

Du Grand Oncle Cancrelat

Qui fume dans son cercueil

Une pipe en chocolat.

 

Ma couronne vif argent

Vient tout droit du pâtissier.

Sur mes épaules flotte un drap

On se cachera dedans.

 

Le fauteuil est à roulettes

Quelle aubaine pour un Roi !

Je le déplace et les traîtres

Frappent au mauvais endroit.

 

Amandine, tes yeux verts

Illuminent toutes mes nuits.

Je voudrais t'écrire en vers

Quand je serai plus instruit.

 

Amandine, tu m'as dit

« Je viendrai sept heures sonnées.

Je viendrai dans ton grenier

Avec ma chemise à plis. »

 

L'heure passe et je suis là

Ma couronne pour les rats !

 

Ah ! ce bruit de patinette !

Mais non, ce n'est pas ici.

Le sang me monte a la tête

J'entends les cloches aussi.

 

Et pourtant, je suis le Roi !

Tu devrais, genou en terre,

Baiser le bout de mon drap

Et pleurer pour la maniere !

 

« Madame, relevez-vous »

Te dirai-je noblement !

Et sur tes levres de houx

T'embrasserai jusqu'à cent.

 

L'heure fuit ; mes oripeaux

Juste bons pour les corbeaux !

 

Amandine, tu te moques

Tu te ris toujours de moi.

Quand tu remontes tes socques

Je tremble et ne sais pourquoi...

 

Amandine, je vais mourir

Si vraiment tu ne viens pas.

Je t'ordonne de courir

De grandir entre mes bras !

 

Le silence, seul, répond

Aile blanche sur mon front.

 

Le grenier comme un navire

Se balance dans la nuit.

Le trône vide chavire

L'Oncle fume en son réduit.

 

Amandine sans foi ni loi

Amandine ne viendra pas.

Jamais elle ne sera Reine

D'Occident ou de Saba.

 

Jamais elle ne régnera

Sur c'qu'il y a de plus sacré.

Peste noire ou choléra

Jamais ne pourra pleurer.

Et pourtant comme je l'aime

Amandine des chevaux d'bois

De Jean-Pierre et de Ghislaine

De tout le monde a la fois !

 

Et pourtant comme je l'aime

(A mes pieds tombe le drap)

Amandine si hautaine

Amandine au coeur de bois.

 

René de Obaldia

Innocentines

 

Photo : http://carla-marie.blogspace.fr/1468054/UN-PETIT-TOUR-DE-MANEGE-HASSAN-DANS-MES-FAVORIS-a-AUTEUR-COMPOSITEUR-a-ECRIT-UNE-BELLE-CHANSON/

mardi, 04 janvier 2011

Hiver, vous n’êtes qu’un vilain

 

Arcimboldo_Hiver.jpg

Hiver, vous n’êtes qu’un vilain;

Eté est plaisant et gentil,

En témoin de mai et d’avril

Qui l’accompagnent soir et main;

 

Eté revêt champs, bois et fleurs

De sa livrée de verdure

et de maintes autres couleurs,

Par l’ordonnance de nature.

 

Mais vous, hiver, trop êtes plein

De neige, vent, pluie et grésil:

on vous dût bannir en exil.

Sans point flatter, je parle plain

Hiver, vous n’êtes qu’un vilain.

 

Charles d’Orléans

mercredi, 22 décembre 2010

demande au Père Noel

Cherche beau jeune homme ayant belles manières

Belles manières qu'on ne trouve plus guère

Ni dans nos villes ni dans nos chaumières.

 

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Bien propre, bien soigné,

Bien astiqué, bien peigné,

Pouvant aller chez les comtesses

Sans pour autant pincer leurs fesses.

 

Poussant l'aveugle dans le noir

Cédant volontiers le trottoir.

Ouvrant la porte de la Mercédès

Au toutou de sa maîtresse.

S'aplatissant dans l'ascenseur

Jusqu'à réduire son épaisseur.

Toujours prêt à porter les bagages

Même si ça le met en nage.

Pressant entre ses mains la main des dames

Quand elles ont des états d'âme.

L'air le plus compréhensif

Devant le facultatif.

Connaissant l'heure des trains

La robe des meilleurs vins.

 

Une manière exquise de sourire

Et de parler pour ne rien dire.

 

René de Obadia de l'Académie française

Fantasmes de Demoiselles

Femmes faites ou défaites cherchant l'âme soeur

mercredi, 15 décembre 2010

Le secret

arc_en_ciel_copie_m.jpgAllez, encore une petite "innocentine" ! quand on aime, on compte pas ...

 

Sur le chemin près du bois

J’ai trouvé tout un trésor :

Une coquille de noix

Une sauterelle en or

Un arc-en-ciel qu’était mort.

 

À personne je n’ai rien dit

Dans ma main je les ai pris

Et je l’ai tenue fermée

Fermée jusqu’à l’étrangler

Du lundi au samedi.

 

Le dimanche l’ai rouverte

Mais il n’y avait plus rien !

 

Et j’ai raconté au chien

Couché dans sa niche verte

Comme j’avais du chagrin.

 

Il m’a dit sans aboyer :

" Cette nuit, tu vas rêver. "

La nuit, il faisait si noir

Que j’ai cru à une histoire

Et que tout était perdu.

 

Mais d’un seul coup j’ai bien vu

Un navire dans le ciel

Traîné par une sauterelle

Sur des vagues d’arc-en-ciel !

 

René de Obaldia, in Innocentines, Poèmes pour enfants et quelques adultes.