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jeudi, 10 mai 2007

L'habit d'Arlequin

medium_arlequin_ane.jpg

 

Vous connaissez ce quai nommé de la Ferraille,

Où l'on vend des oiseaux, des hommes et des fleurs.

A mes fables souvent c'est là que je travaille ;

J'y vois des animaux, et j'observe leurs moeurs.

Un jour de mardi gras j'étais à la fenêtre

D'un oiseleur de mes amis,

Quand sur le quai je vis paraître

Un petit arlequin leste, bien fait, bien mis,

Qui, la batte à la main, d'une grâce légère,

Courait après un masque en habit de bergère.

Le peuple applaudissait par des ris, par des cris.

Tout près de moi, dans une cage,

Trois oiseaux étrangers, de différent plumage,

Perruche, cardinal, serin,

Regardaient aussi l'arlequin.

La perruche disait : " J'aime peu son visage,

Mais son charmant habit n'eut jamais son égal.

Il est d'un si beau vert ! - Vert ! dit le cardinal ;

Vous n'y voyez donc pas, ma chère ?

L'habit est rouge assurément :

Voilà ce qui le rend charmant.

- Oh ! pour celui-là, mon compère,

Répondit le serin, vous n'avez pas raison,

Car l'habit est jaune-citron ;

Et c'est ce jaune-là qui fait tout son mérite.

- Il est vert. - Il est jaune. - Il est rouge morbleu ! "

Interrompt chacun avec feu ;

Et déjà le trio s'irrite.

" Amis, apaisez-vous, leur crie un bon pivert ;

L'habit est jaune, rouge et vert.

Cela vous surprend fort ; voici tout le mystère :

Ainsi que bien des gens d'esprit et de savoir,

Mais qui d'un seul côté regardent une affaire,

Chacun de vous ne veut y voir

Que la couleur qui sait lui plaire. "

 

Jean-Pierre Claris de FLORIAN (1755-1794)

 

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mercredi, 09 mai 2007

Attention aux bonimenteurs

Le dit de l'herberie

 

medium_311.jpg

Seigneurs qui êtes venus ici,

petits et grands, jeunes et vieux,

vous avez de la chance,

sachez-le bien.

Je ne cherche pas à vous tromper :

vous vous en rendrez très bien compte

avant que je m'en aille.

Asseyez-vous, ne faites pas de bruit,

et écoutez, si cela ne vous ennuie pas :

je suis médecin,

j'ai été dans bien des pays.

Le seigneur du Caire m'a retenu

plus d'un été;

je suis resté longtemps avec lui,

j'y ai gagné beaucoup d'argent.

J'ai passé la mer

et je suis revenu par la Morée,

où j'ai fait un long séjour,

et par Salerne,

par Burienne et par Biterne.

En Pouille, en Calabre, à Palerme

j'ai recueilli des herbes

qui ont de grandes vertus

quel que soit le mal sur lequel on les applique,

ce mal s'enfuit.

Je suis allé jusqu'à la rivière qui résonne

jour et nuit de la cascade des pierres

pour en chercher.

Le Prêtre jean y faisait la guerre;

je n'osai pas entrer dans le pays

je m'enfuis jusqu'au port.

medium_313.jpgJ'en rapporte des pierres très précieuses

qui peuvent ressusciter un mort :

ce sont des ferrites,

des diamants, des cresperites,

des rubis, des hyacinthes, des perles,

des grenats, des topazes,

des tellagons, des galofaces

(il ne craindra pas les menaces de la mort,

celui qui les porte;

il serait fou d'être inquiet :

il n'a pas à craindre qu'un lièvre l'emporte,

s'il reste ferme,

pas plus qu'il n'a à craindre les aboiements d'un chien

ni les braiments d'un vieil âne,

s'il n'est pas un couard;

il n'a rien à craindre d'aucun côté),

et aussi des escarboucles et des garcelars

qui sont tout bleus.

J'apporte des herbes des déserts de l'Inde

et de la Terre Lincorinde,

qui flotte sur l'onde

dans les quatre parties du monde

aussi loin qu'il s'étend,

vous pouvez m'en croire.

Vous ne savez pas qui vous avez en face de vous;

taisez-vous et asseyez-vous :

medium_0-2.jpgvoyez mon herberie.

Je vous le dis, par Sainte Marie,

ce n'est pas le marché aux puces,

mais des produits de qualité.

J'ai l'herbe qui redresse les bittes

et celle qui rétrécit les cons

sans peine.

De toute fièvre, sauf la fièvre quarte,

je guéris en moins d'une semaine

à coup sûr;

je guéris aussi de la fistule;

si haute ou si basse qu'elle soit,

je la réduis complètement.

Si la veine du cul vous élance,

je vous en guérirai sans contestation,

et de la rage de dent

je guéris très habilement

avec un petit peu de l'onguent

que je vais vous dire :

écoutez comment je le préparerai;

je vais vous décrire sa préparation sans mentir,

je ne plaisante pas.

Prenez de la graisse de marmotte,

de la merde de linotte

le mardi matin,

de la feuille de plantain,

de l'étron de putain,

bien ignoble,

de la poussière d'étrille,

de la rouille de faucille,

de la laine,

de la balle d'avoine

pilée le premier jour de la semaine,

et vous en ferez

un emplâtre. Avec le jus, lavez

la dent; mettez l'emplâtre

sur la joue;

dormez un peu, je vous le conseille :

si au lever il n'y a pas de la merde et de la boue,

Dieu vous confonde !

Écoutez, si vous voulez bien :

vous n'avez pas perdu votre journée

quand vous pouvez faire cela à quelqu'un.

Et vous, que la maladie de la pierre fait hurler,

je vous en guérirai sans obstacle

si j'y mets mes soins.

De l'inflammation du foie, de la hernie

je guéris de façon extraordinaire

quoi qu'il arrive.

Et si vous connaissez un sourd,

faites-le venir chez moi;

il repartira complètement guéri :

Dieu protège mes mains que voici,

il n'a jamais entendu moins

qu'il n'entendra alors.

RUTEBEUF

Dit, seconde moitié du XIIIe siècle

 

le même en langue originale à l'annexe

 

jeudi, 26 avril 2007

La victoire de Guernica

medium_Guernica1.2.JPG

 

I

 

Beau monde des masures

De la nuit et des champs

 

II

 

Visages bons au feu visages bons au fond

Aux refus à la nuit aux injures aux coups

 

III

 

Visages bons à tout

Voici le vide qui vous fixe

Votre mort va servir d'exemple

 

IV

 

La mort coeur renversé

 

V

 

Ils vous ont fait payer le pain

Le ciel la terre l'eau le sommeil

Et la misère

De votre vie

 

VI

 

Ils disaient désirer la bonne intelligence

Ils rationnaient les forts jugeaient les fous

Faisaient l'aumône partageaient un sou en deux

Ils saluaient les cadavres

Ils s'accablaient de politesses

 

VII

 

Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde

 

VIII

 

Les femmes les enfants ont le même trésor

De feuilles vertes de printemps et de lait pur

Et de durée

Dans leurs yeux purs

 

IX

 

Les femmes les enfants ont le même trésor

Dans les yeux

Les hommes le défendent comme ils peuvent

 

X

 

Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges

Dans les yeux

Chacun montre son sang

 

XI

 

La peur et le courage de vivre et de mourir

La mort si difficile et si facile

 

XII

 

Hommes pour qui ce trésor fut chanté

Hommes pour qui ce trésor fut gâché

 

XIII

 

Hommes réels pour qui le désespoir

Alimente le feu dévorant de l'espoir

Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l'avenir

 

XIV

 

Parias la mort la terre et la hideur

De nos ennemis ont la couleur

Monotone de notre nuit

Nous en aurons raison.

 

Paul Éluard

- 1938 -

 

Le 26 avril 1937, l’aviation allemande de la légion Condor, alliée de Franco, déverse 30 tonnes de bombes incendiaires sur la petite ville basque de Guernica. En trois heures, la ville est quasiment rasée. Combien de morts ? 800 ? 2 000 ? Un massacre délibéré de civils innocents pour terroriser la population. Sur place, un journaliste, George Steer, témoigne pour le Times et le New York Times, alors que les franquistes tentent par tous les moyens d’étouffer l’affaire et d’en faire disparaître les preuves. Picasso peint l’un de ses plus célèbres tableaux qu’il présente trois mois à l’exposition internationale de Paris. La toile résonne comme un cri de douleur face à l’horreur et à la barbarie, en même temps qu’elle appelle à la résistance. Choqué par le massacre de Guernica en 1937, Paul Eluard prend position en faveur de l’Espagne républicaine et écrit «la Victoire de Guernica» , (Cours naturel, 1938), puis s’engagera dans la Résistance.

samedi, 21 avril 2007

J'attends …

medium_IMG_3356_redim.jpg

J'attends la pluie

dit le désert

J'attends la paix

dit le soldat

J'attends demain

dit aujourd'hui

J'attends la nuit

dit la luciole

moi aussi dit l'astronome

moi aussi dit l'étoile

J'attends le vent

dit la fleur de pissenlit

moi aussi dit l'oiseau

J'attends mon heure

dit le prisonnier

moi aussi dit la liberté

J'attends la paix

dit le soldat

tu l'as déjà dit

je sais dit le soldat

J'attends un enfant

dit la mère

J'attends tout

dit l'enfant

 

Hubert Mingarelli

 

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jeudi, 19 avril 2007

J'achève en ce jour ma trente-sixième année

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On This Day I Complete My Thirty-Sixth Year

 

’Tis time the heart should be unmoved,

Since others it hath ceased to move:

Yet, though I cannot be beloved,

Still let me love!

 

My days are in the yellow leaf;

The flowers and fruits of Love are gone;

The worm, the canker, and the grief

Are mine alone!

 

The fire that on my bosom preys

Is lone as some Volcanic isle;

No torch is kindled at its blaze—

A funeral pile.

 

The hope, the fear, the jealous care,

The exalted portion of the pain

And power of love, I cannot share,

But wear the chain.

 

But ’tis not thus—and ’tis not here

Such thoughts should shake my soul nor now,

Where Glory decks the hero’s bier,

Or binds his brow.

 

The Sword, the Banner, and the Field,

Glory and Greece, around me see!

The Spartan, borne upon his shield,

Was not more free.

 

Awake! (not Greece—she is awake!)

Awake, my spirit! Think through whom

Thy life-blood tracks its parent lake,

And then strike home!

 

Tread those reviving passions down,

Unworthy manhood!—unto thee

Indifferent should the smile or frown

Of Beauty be.

 

If thou regret’st thy youth, why live?

The land of honourable death

Is here:—up to the Field, and give

Away thy breath!

 

Seek out—less often sought than found—

A soldier’s grave, for thee the best;

Then look around, and choose thy ground,

And take thy Rest.

 

******************

J'achève en ce jour ma trente-sixième année

 

Il est temps pour ce cœur de cesser d'être ému

S'il lui est désormais refusé d'émouvoir.

Pourtant, si je ne suis plus l'aimé,

Que j'aime encore !

 

Mes jours ont leur feuillage jauni,

Fleurs et fruits de l'amour ont passé ;

Le ver, le chancre et la douleur

Sont pour moi seul !

 

Il a, ce feu qui ronge ma poitrine,

L'isolement d'une île volcanique ;

Nulle torche ne s'allume à sa flamme

Bûcher funéraire !

 

L'espoir, la peur, le souci jaloux,

La part enivrante des peines

Et du pouvoir de l'amour me fuient,

Je garde les chaînes !

 

Mais ce n'est pas le lieu ni le moment

Que des pensées de la sorte m'assaillent

Quand la Gloire orne la bière

Ou ceint le front !

 

L'épée, l'étendard, et le champ de bataille,

La Gloire et la Grèce les voient autour de nous !

Étendu sur son bouclier, le Spartiate

Ne fut pas plus libre !

 

Un sursaut (non de la Grèce, elle est debout !)

Un sursaut, oh mon âme ! Songe en qui

Ton flux vivant reconnaît sa source natale

Et n'hésite plus !

 

Étouffe en toi ces passions renaissantes,

Homme indigne. Que te laissent

Indifférent et le sourire et le dédain

De la Beauté !

 

Si tu as regret de ta jeunesse, à quoi bon vivre ?

Le lieu de la mort valeureuse

Est ici. Au combat ! Viens offrir

Ton dernier souffle !

 

Recherche, plus souvent rencontrée que voulue,

La tombe d'un guerrier ; elle te convient.

Regarde alentour, choisis bien le terrain,

Et gagne ton repos !

 

Par Lord Byron

 

 

 

Byron est mort le 19 avril 1824, à l'âge de 36 ans

 

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È ridicolo credere

È ridicolo credere

che gli uomini di domani

possano essere uomini,

ridicolo pensare

che la scimmia sperasse

di camminare un giorno

su due zampe

 

é ridicolo

ipotecare il tempo

e lo é altrettanto

immaginare un tempo

suddiviso in piú tempi

 

e piú che mai

supporre che qualcosa

esista

fuori dall'esistibile,

il solo che si guarda

dall'esistere.

 

Eugenio Montale

(Satura; Satura II)

 

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mercredi, 11 avril 2007

Primo Levi - Si C'est un homme

C'est à l'annexe ...

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LE TEMPS PERDU

Devant la porte de l'usine

Le travailleur soudain s'arrête

Le beau temps l'a tiré par la veste

Et comme il se retourne

Et regarde le soleil

Tout rouge tout rond

Souriant dans son ciel de plomb

Il cligne de l'œil

Familièrement

Dis donc camarade Soleil

Tu ne trouves pas

Que c'est plutôt con

De donner une journée pareille

À un patron ?

 

Jacques Prévert

mort le 11 avril 1977, il y a 30 ans

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lundi, 12 mars 2007

Mélancolie, de Philippe Soupault

 

medium_melancolie_Champaigne.jpgMélancolie, de Philippe Soupault, c’est à l’annexe !!!

Philippe Soupault, est mort le 12 mars 1990

00:25 Publié dans poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |

mercredi, 21 février 2007

L'affiche rouge

 
 
 

Vous n’avez réclamé la gloire ni les armes

Ni l’orgue ni la prière aux agonisants

Onze ans déjà que cela passe vite onze ans

Vous vous étiez servi simplement de vos armes

La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

 

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes

Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants

L’affiche qui semblait une tache de sang

Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles

Y cherchait un effet de peur sur les passants

 

Nul ne semblait vous voir Français de préférence

Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant

Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants

Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents

 

Tout avait la couleur uniforme du givre

À la fin février pour vos derniers moments

Et c’est alors que l’un de vous dit calmement

Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre

Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

 

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses

Adieu la vie adieu la lumière et le vent

Marie toi sois heureuse et pense à moi souvent

Toi qui va demeurer dans la beauté des choses

Quand tout sera fini plus tard en Erivan

 

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline

Que la nature est belle et que le cœur me fend

La justice viendra sur nos pas triomphants

Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline

Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

 

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent

Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps

Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant

Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir

Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant

 

Louis Aragon

 

 
Le 21 février 1944, Missak Manouchian et vingt-et-un membres de son groupe de Résistance, le FTP-MOI (Francs-Tireurs Partisans, Main d’Oeuvre Immigrée), étaient arrêtés et fusillés par les Nazis.

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