lundi, 19 février 2007
Le Marteau sans maître
Tu es pressé d'écrire,
Comme si tu étais en retard sur la vie.
S'il en est ainsi fais cortège à tes sources.
Hâte-toi.
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance.
Effectivement tu es en retard sur la vie,
La vie inexprimable,
La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir,
Celle qui t'est refusée chaque jour par les êtres et par les choses,
Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
Au bout de combats sans merci.
Hors d'elle, tout n'est qu'agonie soumise, fin grossière.
Si tu rencontres la mort durant ton labeur,
Reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride,
En t'inclinant.
Si tu veux rire,
Offre ta soumission,
Jamais tes armes.
Tu as été créé pour des moments peu communs.
Modifie-toi, disparais sans regret
Au gré de la rigueur suave.
Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
Sans interruption,
Sans égarement.
Essaime la poussière
Nul ne décèlera votre union.
René Char
Commune présence, 1934
René Char est mort le 19 février 1988. 2007 marque l'anniversaire de sa naissance
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mercredi, 14 février 2007
Pour lui complaire
A lui complaire j’ai vécu ma vie. Touchant au bout extrême de mes forces, je cherche encore à imaginer quoi pour lui complaire :
Elle aime à déchirer la soie : je lui donnerai cent pieds de tissu sonore. Mais ce cri n’est plus assez neuf.
Elle aime à voir couler le vin et des gens qui s’enivrent : mais le vin n’est pas assez âcre et ses vapeurs n’étourdissent plus.
o o o
pour lui complaire je tendrai mon âme usée : déchirée, elle crissera sous ses doigts.
Et je répandrai mon sang comme une boisson dans une outre :
Un sourire, alors, sur moi se penchera.
Victor Segalen
Stèles
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lundi, 22 janvier 2007
Le Naufrageur (Barcarolle des Kerlouans Naufrageurs)
Si ce n'était pas vrai – Que je crève!
J’ai vu dans mes yeux, dans mon rêve,
La NOTRE-DAME DES BRISANS
Qui jetait à ses pauvres gens
Un gros navire sur leur grève…
Sur la grève des Kerlouans
Aussi goélands que les goélands.
Le sort est dans l'eau: le cormoran nage,
Le vent bat en côte, et c'est le Mois Noir…
Oh! moi je sens bien de loin le naufrage!
Moi j'entends là-haut chasser le nuage.
Moi je vois profond dans la nuit, sans voir!
Moi je siffle quand la mer gronde,
Oiseau de malheur à poil roux!…
J'ai promis aux douaniers de ronde,
Leur part, pour rester dans leurs trous…
Que je sois seul! – oiseau d'épave
Sur les brisans que la mer lave…
Oiseau de malheur à poil roux!
– Et qu'il vente la peau du diable!
Je sens ça déjà sous ma peau.
La mer moutonne!… – Ho, mon troupeau!
– C'est moi le berger, sur le sable…
L’enfer fait l'amour. – Je ris comme un mort –
Sautez sous le Hû!… le Hû des rafales,
Sur les noirs taureaux sourds, blanches cavales!
Votre écume à moi, cavales d'Armor!
Et vos crins au vent!… – Je ris comme un mort –
Mon père était un vieux saltin,
Ma mère une vieille morgate…
Une nuit, sonna le tocsin:
– Vite à la côte: une frégate! –
… Et dans la nuit, jusqu'au matin,
Ils ont tout rincé la frégate…
– Mais il dort mort le vieux saltin,
Et morte la vieille morgate…
Là-haut, dans le paradis saint
Ils n'ont plus besoin de frégate.
Tristan Corbière — Les Amours jaunes
(Ranc de Kerlouan – Novembre)
______
Saltin : pilleur d’épaves.
Morgate : pieuvre.
Selon un officier de police anglais, des voleurs ont dérobé une partie de la cargaison du porte-conteneurs "MSC Napoli", échoué sur des fonds de faible profondeur, à environ 1.500 mètres au large de Sidmouth, dans le sud-ouest de l'Angleterre. Ils auraient dérobé plus d'une dizaine de vélomoteurs pendant la nuit, alors que d'autres sillonnaient la plage en portant différents objets, de pièces de voitures à de la crème pour le visage.
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jeudi, 11 janvier 2007
Un chien est mort
Mon chien est mort.
Je l'ai enterré au jardin
près d'un vieil engin sous la rouille.
Là, ni plus bas, ni plus haut,
un jour il me retrouvera.
Pour le moment
il est parti avec son poil,
avec ses airs mal élevés et son nez froid.
Et moi qui ne crois pas, matérialiste,
au ciel promis, au ciel céleste pour aucun homme quel qu'il soit
pour ce chien ou tout autre chien je crois au ciel,
oui, je crois en un ciel
où je n'entrerai pas,
mais où il m'attend lui en agitant la queue
ainsi qu'un éventail
pour qu'à mon arrivée
l'affection m'y accueuille.
Ah je ne dirai pas ma tristesse ici-bas
celle d'avoir perdu un brave compagnon,
car il ne fut jamais pour moi un serviteur.
Il eut à mon égard une amitié de hérisson
gardant sa suzeraineté,
une amitié d'étoile indépendante
sans autre intimité que celle nécessaire,
sans exagérations:
il ne grimpait pas sur mon linge
me couvrant de poils ou de gale,
il ne se frottait pas à mes genoux
comme les obsédés sexuels à quatre pattes.
Non, mon chien, lui, me regardait
m'accordant l'attention dont j'ai besoin,
l'attention nécessaire
pour faire comprendre à un vaniteux
que dans sa condition de chien,
avec ces yeux-là,
plus purs que les miens,
il perdait son temps,
pourtant il me regardait de ce regard
que m'avait réservé toute sa douce vie poilue,
sa vie de silencieux, près de moi,
sans jamais m'importuner ni rien me demander.
Ah!que j'ai regretté souvent de n'avoir pas de queue
pour vagabonder avec lui sur les rivages,
l'Hiver, à l'Ile-Noire, dans la solitude infinie :
là-haut, l'espace est traversé d'oiseaux glacials
et mon chien bondit, hirsute,
chargé d'un voltage marin plein de mobilité :
mon chien errant et renifleur qui arbore sa queue dorée
face à face avec l'Océan et son écume.
Joyeux, joyeux,
joyeux comme les chiens savent être heureux,
sans plus d'histoire, avec le naturel tout-puissant de l'effronterie.
Il n'y a pas d'adieu pour mon chien disparu.
Il n'y a, il n'y eut de mensonges entre nous.
Il est mort, je l'ai enterré.
Voilà, c'est tout.
Pablo Neruda, la rose détachée, traduction de Claude Couffon.
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lundi, 08 janvier 2007
Dernier espoir
Poussant en pleine liberté,
Non planté par un deuil dicté, -
Qui flotte au long d'une humble pierre.
Sur cet arbre, été comme hiver,
Un oiseau vient qui chante clair
Sa chanson tristement fidèle.
Cet arbre et cet oiseau c'est nous :
Toi le souvenir, moi l'absence
Que le temps - qui passe - recense...
Ah, vivre encore à tes genoux !
Ah, vivre encor ! Mais quoi, ma belle,
Le néant est mon froid vainqueur...
Du moins, dis, je vis dans ton coeur ?
Paul Verlaine
mort un 8 janvier
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lundi, 01 janvier 2007
Nouvelle année
Nouvelle année, année nouvelle,
Dis-nous, qu'as-tu sous ton bonnet ?
J'ai quatre demoiselles
Toutes grandes et belles
La plus jeune, en dentelles,
La seconde en épis,
La cadette est en fruits
Et la dernière en neige.
Voyez le beau cortège !
Nous chantons, nous dansons
La ronde des saisons.
Louisa Paulin
Louisa Paulin est aujourd'hui considérée comme un des auteurs occitans modernes les plus importants de sa génération. Née à Réalmont dans le Tarn en 1888, elle redécouvre dans les années 30 l'occitan, la langue de sa jeunesse ; encouragée par le félibre Antonin Perbosc et Joseph Salvat elle va construire une œuvre originale qui marquera son époque.
Et encore de Louisa Paulin ...
Nouvelle année, qu'as-tu dans ta besace?
Douze garçons, tous forts et courageux.
Douze garçons, pour vous servir, Madame.
Douze garçons, pour vous servir, Monsieur.
Les trois premiers sont souvent en colère,
Les trois suivants savent rire et chanter.
Les trois suivants remplissent vos corbeilles,
Monsieur, Madame, et même vos greniers.
Les trois derniers font ce qu'ils ont à faire.
Tout en pleurant, ils enterrent leur mère.
Ne pleurez plus, holà! mes douzes mois,
Morte l'Année, l'Année vit, me voilà!
20:50 Publié dans poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook |
samedi, 30 décembre 2006
La chanson du gui
Son manteau d'ombre et de mystère ;
Les vieux menhirs, dans la bruyère
Qui s'endort, veillent et des voix
Semblent sortir de chaque pierre.
L'heure est muette comme aux temps
Où, dans les forêts souveraines,
Les vierges blondes et sereines
Et les druides aux cheveux blancs
Allaient cueillir le gui des chênes.
Réveillez-vous, ô fiers Gaulois,
Jetez au loin votre suaire
Gris de la funèbre poussière
De la tombe et, comme autrefois,
Poussez votre long cri de guerre
Qui fit trembler les plus vaillants,
Allons, debout ! brisez vos chaînes
Invisibles qui vous retiennent
Loin des bois depuis deux mille ans.
Allez cueillir le gui des chênes.
Barde, fais vibrer sous tes doigts
Les fils d'or de la lyre altière,
Et gonfle de ta voix de tonnerre
Pour chanter plus haut les exploits
Des héros à fauve crinière
Qui, devant les flots triomphants
Et serrés des légions romaines
Donnèrent le sang de leurs veines
Pour sauver leurs dieux tout puissants
Et le gui sacré des grands chênes.
Envoi :
Gaulois, pour vos petits-enfants,
Cueillez aux rameaux verdoyants
Du chêne des bois frissonnants
Le gui aux feuilles souveraines
Et dont les vertus surhumaines
Font des hommes forts et vaillants.
Cueillez pour nous le gui des chênes.
Gaston COUTÉ
23:23 Publié dans poèmes, traditions | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook |
dimanche, 24 décembre 2006
Ballade des proverbes
Tant va le pot à l'eau qu'il brise,
Tant chauffe-on le fer qu'il rougit,
Tant le maille-on qu'il se débrise,
Tant vaut l'homme comme on le prise,
Tant s'élogne-il qu'il n'en souvient,
Tant mauvais est qu'on le déprise,
Tant crie-l'on Noël qu'il vient.
Tant parle-on qu'on se contredit,
Tant vaut bon bruit que grâce acquise,
Tant promet-on qu'on s'en dédit,
Tant prie-on que chose est acquise,
Tant plus est chère et plus est quise,
Tant la quiert-on qu'on y parvient,
Tant plus commune et moins requise,
Tant crie-l'on Noël qu'il vient.
Tant aime-on chien qu'on le nourrit,
Tant court chanson qu'elle est apprise,
Tant garde-on fruit qu'il se pourrit,
Tant bat-on place qu'elle est prise,
Tant tarde-on que faut l'entreprise,
Tant se hâte-on que mal advient,
Tant embrasse-on que chet la prise,
Tant crie-l'on Noël qu'il vient.
Tant raille-on que plus on n'en rit,
Tant dépent-on qu'on n'a chemise,
Tant est-on franc que tout y frit,
Tant vaut "Tiens !" que chose promise,
Tant aime-on Dieu qu'on fuit l'Eglise,
Tant donne-on qu'emprunter convient,
Tant tourne vent qu'il chet en bise,
Tant crie-l'on Noël qu'il vient.
Prince, tant vit fol qu'il s'avise,
Tant va-il qu'après il revient,
Tant le mate-on qu'il se ravise,
Tant crie-l'on Noël qu'il vient.
François VILLON
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mercredi, 13 décembre 2006
On s'approchera de la lumière...
ce que la main recueille et la paume
deux yeux lumière rejoint sa source
il y a un mur blanc
ce mur est blanc il
serait noir que pareil ce serait
ce mur est un mur
ce mur arrête la lumière
qu’il soit blanc ou noir n’importe pas
ce mur est un mur parce qu’il arrête la lumière
qu’il fasse nuit ou jour n’importe pas
le mur arrête la lumière
c’est sa définition première identité même du mur
l’un dit je prends une massue
l’autre dit lève la massue
et le troisième la massue frappe le mur
le mur s’effondre
la lumière est nue
plus barrage et plus retenue
vue lumière fleuve changeant en avant de
l’action ce qui nous porte
Benoit Conort
Une salve d'avenir. L'espoir, anthologie poétique
Gallimard Mars 2004
13 décembre, Sainte Lucie, sa fête coïncidait avec le solstice d'hiver et le moment où commencaient à rallonger les jours. En Scandinavie, où l'on apprécie plus qu'ailleurs l'allongement de la journée, ce phénomène astronomique joint à l'étymologie de Lucie (le nom vient du latin lux, lumière), est devenu de la sorte à la fin du Moyen Âge le prétexte à des réjouissances familiales. Aujourd'hui encore, à cette occasion, les jeunes filles de la maison sont parées d'une couronne de bougies et de fleurs
J'ai eu envie de choisir le poème Lux de Victor Hugo, et puis j'ai pensé à tous ces murs que nous construisons entre nous ...
et puis toujours Grand corps malade
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mardi, 12 décembre 2006
Voyages en train
Et si on en profitait pour se sourire, se parler ?
Dessin de Virginie qui habite "à quelques blouzes de chez moi", passez la voir sur son blog, ses dessins valent le détour !!!
et slam de Grand Corps Malade
13:05 Publié dans Bavardage, poèmes, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |